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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 12 octobre 1990, n° 1705-88

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Covemat (SA), Hako France (SARL)

Défendeur :

Phot'Aubin (SARL), UFB Locabail (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mailhes

Conseillers :

M. Durand, Mme Robert

Avoués :

Mes Guilhem, Barriquand, Cabannes, Aguiraud

Avocats :

Mes Halpern, Planchon, Vallerotonda, Grafmeyer

T. com. Lyon, du 18 mars 1988

18 mars 1988

Faits procédure prétentions et moyens des parties

M. Aimé Even, agent d'assurances à Guingamp, attiré par une annonce publicitaire émanant de la société Hako France, distributeur en France de matériels de développement, photographique japonais de marque Yokoyama importé par la société Covemat, lui passe commande le 19 novembre 1989, au vu de la présentation faite par son représentant des possibilités d'exploitation commerciale de ce type de matériel, d'un laboratoire compact d'un montant de 812 410 F TTC et acquiert, sur les conseils de cette même société un fonds de commerce situé rue Saint Aubin à Angers en vue de l'exploitation de ce matériel.

N'ayant pas la surface financière suffisante pour acquérir le laboratoire la société Phot'Aubin que M. Even s'est substitué conclut un contrat de crédit bail avec la société Locabail et après livraison du matériel le 1er mars 1985 signe un contrat de maintenance prévalant de l'existence de pannes répétées survenues dès le mois de mai 1985 auxquelles la société Covemat s'est avérée incapable de remédier de façon satisfaisante, la société Phot'Aubin, après avoir obtenu par ordonnance de référé du 17 septembre 1985 la désignation d'un expert en la personne de M. Lesteven, assignait au fond, sur la base des deux rapports déposés par celui-ci les 7 juillet et 7 octobre 1986 la société Hako France, la société Covemat et la société Locabail aux fins de voir prononcer la résolution de la vente intervenue entre la société Hako France et la société Locabail au principal sur le fondement des articles 1116 et 1117 du Code civil en raison du dol ayant vicié le contrat, et subsidiairement sur le fondement de l'article 1648 du dit code en raison des vices affectant le matériel, en tout état de cause de voir désigner un expert pour déterminer son préjudice, de condamner les sociétés Hako France et Covemat ou l'une d'entre elles à l'en indemniser ainsi qu'a la garantir de ses obligations à l'égard de la société Locabail.

Par jugement exécutoire par provision rendu le 18 mai 1988 le Tribunal de commerce de Lyon prononçant la nullité du contrat de vente et celle subséquente au contrat de crédit bail et du contrat de maintenance, a condamné les sociétés Hako France et Covemat à garantir la société Phot'Aubin, M. Even et Mlle Even de toutes les obligations contractées à l'égard de la société Locabail et, rejetant la demande d'expertise, a condamné la société Hako France à restituer à la société Locabail la somme de 812 410 F outre intérêts à compter du 7 mars 1985, pris acte de l'engagement de celle-ci de restituer à la société Phot'Aubin les loyers versés à hauteur de 320 036,50 F,ordonné la restitution du matériel à Hako France et condamné celle-ci solidairement avec la société Covemat à verser à la société Phot'Aubin une indemnité de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Hako France et Covemat appelantes de cette décision, entendent voir débouter la société Phot'Aubin et M. Even des fins de leur action.

Reprenant l'une et l'autre les moyens qu'elles avaient développés en première instance elles soulèvent la nullité de l'expertise de M. Lesteven pour un double motif, le premier tiré du défaut de prestation de serment de celui-ci non inscrit sur la liste des experts, ce qui constitue un vice de fond et le second tiré du non respect par cet expert du principe du contradictoire ce qui constitue un vice de forme de nature à leur porter grief en les privant de la possibilité de faire valoir leurs moyens de défense.

Subsidiairement au fond constestant que la société Phot'Aubin fasse la preuve tant de manœuvres frauduleuses de sa part que d'un vice caché du matériel, la société Hako France soutient que le mauvais fonctionnement des installations et l'absence de rentabilité de leur exploitation résultent exclusivement d'une mauvaise gestion et d'une absence de compétence du gérant de la société Phot'Aubin et de son personnel.

Considérant que la procédure introduite à son encontre est abusive elle sollicite la condamnation de la société Phot'Aubin et de M. Even à lui verser 50 000 F à titre de dommages-intérêts et 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Covemat fait valoir quant à elle que n'étant lié à la société Phot'Aubin que par le contrat de maintenance de six mois souscrit par celle-ci, sa responsabilité ne saurait être recherchée tant sur le fondement du dol que sur celui de la garantie pour vice caché, ses relations avec la société Hako France ne pouvant en aucune manière être qualifié de collusion frauduleuse ; elle soutient qu'en toute hypothèse, les circonstances de la cause démontrent que le préjudice invoqué par la société Phot'Aubin et M. Even résulte exclusivement de leur propre carence.

Elle observe surabondamment que la poursuite de la présente instance se trouve suspendue à la suite donnée à la plainte pour escroquerie déposée par M. Even auprès du Parquet d'Angers et qu'il n'est pas certain que la société Phot'Aubin, qui n'a plus d'activité, ait toujours une existence juridique.

En tout état de cause elle sollicite la condamnation de M. Even à lui verser une indemnité de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Even et la société Phot'Aubin concluent à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté leur demande d'expertise et d'indemnisation de leur préjudice financier et entendent à cet égard, sur appel incident, obtenir la condamnation des sociétés Hako France et Covemat à verser à M. Even la somme de 3 492 000 F à titre de dommages-intérêts, se décomposant ainsi

- 360 000 F pour perte sur la vente anticipée de son cabinet d'assurances ;

- 900 000 F pour pertes de revenus pendant la durée de son activité de gérant de la société Phot'Aubin ;

- 1 470 000 F pour pertes de revenus d'agent général d'assurances de 60 et 65 ans ;

- 400 000 F pour pertes de retraites après 65 ans ;

- 112 000 F pour pertes sur la rentabilité du capital investi ;

- 250 000 F pour pertes sur le capital.

Reprenant les moyens développés en première instance ils soutiennent en défense à l'argumentation des parties adverses que l'expert en convoquant les parties à la réunion organisée le 21 octobre 1985 et en leur communiquant une note en cours d'expertise pour obtenir leurs observations a parfaitement respecté le principe du contradictoire mais s'est heurté au refus des sociétés appelantes de lui remettre les documents techniques demandés; que l'obligation de prêter serment ne s imposant qu'aux experts inscrits la validité de la désignation de M. Lesteven n'était pas subordonnée à cette exigence.

A l'appui de leurs prétentions ils font valoir que la société Hako France les a abusé sur la qualité du matériel et sur sa rentabilité par une présentation alléchante et manifestement erronée qui, ayant été déterminante de leur consentement doit entraîner la nullité de la vente pour dol, ou à défaut pour vice rédhibitoire au regard des pannes répétées survenues à l'installation dès les premières semaines de sa mise en service en dépit des interventions de la société Covemat, lesquelles en ont empêché l'exploitation normale.

La société UFB Locabail faisant valoir que sa responsabilité ne peut être recherchée dès lors qu'elle a intégralement rempli les obligations découlant du contrat de crédit bail et qu'elle n'est pas impliquée dans le choix du matériel entend s'en rapporter à justice quant à la demande introduite par la société Phot'Aubin et sollicite :

- pour le cas où il y avait fait droit, de confirmer le jugement mais de condamner cette dernière solidairement avec les sociétés Hako France et Covemat au paiement de la somme de 812 410 F outre intérêts, de la condamner en outre à lui verser la somme de 270 803,33 F représentant l'indemnité forfaitaire prévue à l'article 6 du contrat de crédit bail, de lui donner acte de son offre de restituer à la société Phot'Aubin la somme de 320 036 F représentant les loyers versés lesdites sommes devant se compenser

- pour le cas où le jugement serait infirmé de condamner solidairement la société Phot'Aubin et les consorts Even à lui verser la somme de 745 404 F représentant l'indemnité contractuelle de résiliation du contrat de crédit bail outre intérêts de retard au taux contractuel de 14,50 % à compter du 10 octobre 1986 et TVA.

Motifs et décision

- Sur la nullité de l'expertise -

Attendu sur le premier moyen tiré de l'absence de prestation de serment~ M. Lesteven, que si un expert non inscrit sur la liste demeure soumis à la formalité de la prestation de serment avant accomplissement de sa mission par application des dispositions de l'article 6 de la loi du 29 juin 1971 faisant référence à celles de l'ancien article 308 du Code de procédure civile, cette exigence, en l'absence de texte, ne saurait être assimilée à une irrégularité de fond entraînant la nullité du rapport.

Que, s'agissant donc d'un vice de forme, les sociétés appelantes ne peuvent s'en prévaloir comme d'une cause de nullité qu'autant qu'elles justifient de l'exigence d'un grief dont l'existence n'est pas en l'espèce établie.

Que ce premier moyen sera donc rejeté

Attendu sur le second moyen tiré du caractère non contradictoire d'une partie des investigations menées par l'expert qu'il résulte du compte rendu du déroulement des opérations d'expertise consigné dans le rapport que l'expert à déposé le 10 juillet 1985 que celui-ci a procédé à ses constatations et investigations sur le matériel litigieux au cours d'une réunion qui s'est tenue le 21 octobre 1985 en présence de toutes les parties qu'il a ensuite invitées à lui faire part de leurs observations par l'envoi d'une note technique le 6 janvier 1986 ; que les conclusions d'ordre technique contenues dans son rapport déposé le 10 juillet 1985 ne sont donc pas entachées de nullité.

Attendu par contre que les conditions dans lesquelles M. Lesteven s'est adjoint le concours d'un sapiteur en la personne de M. Laisne expert comptable pour procéder à l'évaluation de l'incidence financière des défectuosités alléguées sur la situation de la société Phot'Aubin autorisent les parties appelantes à contester la validité de cette étude annexée au rapport dans la mesure où il n'apparaît pas à la lecture de ces conclusions qu'elles aient eu communication des éléments comptables ayant servi de base d'évaluation des préjudices et qu'elles aient en conséquence été amenées à faire valoir leurs moyens avant le dépôt du rapport.

Que de même le rapport complémentaire déposé par M. Lesteven le 7 octobre 1986 apparaît entaché du même vice dès lors que celui-ci, qui au demeurant se trouvait dessaisi de sa mission par le dépôt de son rapport l'a établi à partir d'investigations qu' il a menées en la seule présence de M. Even sans procéder à aucune réunion contradictoire.

Que cette violation manifeste du principe du contradictoire ayant privé les sociétés appelantes de la possibilité d'assurer valablement leur défense leur a causé un grief dont elles sont en droit de se prévaloir pour voir écarter des débats tant le rapport complémentaire de M. Lesteven que l'étude comptable annexée au premier rapport.

- Au fond -

A - Sur l'existence d'un dol -

Attendu qu'en vertu de l'article 1116 du Code Civil la nullité d'un contrat pour dol suppose la démonstration par celui qui l'invoque de la commission de manœuvres frauduleuses par son cocontractant ayant été déterminantes de son consentement.

Qu'en l'espèce M. Even soutient qu'il a été volontairement abusé par la société Hako France tant sur les conditions d'utilisation du matériel qui, selon le vendeur, n'aurait requis aucune qualification ou compétence particulière, que sur les perspectives réelles de rentabilité de l'exploitation du matériel par la présentation de comptes d'exploitation prévisionnels inexacts prévoyant une rentabilité moyenne de 50 à 90 pellicules par jour.

Mais attendu sur le premier grief que s'il n'est pas douteux que le laboratoire vendu soit un matériel techniquement sophistiqué, il n'est pas démontré que son maniement et son exploitation nécessite de la part du client une qualification technique de haut niveau que la formation de base fournie par le vendeur lors de la mise en service n'était manifestement pas en mesure de dispenser, M. Even ayant toujours contesté d'ailleurs que les problèmes de maintenance rencontrés puissent être imputés à un mauvais maniement de l'installation par son préposé.

Attendu sur le second grief que s'il résulte à l'évidence des pièces produites aux débats que la société Phot'Aubin n'a pas réalisé les objectifs financiers indiqués dans les comptes d'exploitation prévisionnels établis par la société Hako France, cette seule circonstance ne saurait suffire à faire la preuve de leur caractère volontairement erroné dès lors que le vendeur, s'il doit garantir le potentiel technique de rendement du matériel qu'il vend, ne peut en garantir la rentabilité économique faute d'avoir la maîtrise de son exploitation ultérieure.

Que le premier moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

B - Sur l'existence d'un vice rédhibitoire -

Attendu que si la société Phot'Aubin rapporte la preuve par les courriers et les constats qu'elle produit de l'existence de plusieurs pannes successives ayant immobilisé le matériel durant plusieurs jours, elle ne démontre pas que celles-ci soient imputables à un vice caché, faute par l'expert désigné d'avoir pu en déterminer l'origine technique au cours des opérations qu'il a contradictoirement menées et qui l'ont conduit à n'émettre que des hypothèses ne permettant pas de ce fait d'établir l'existence d'un vice qui, pour être rédhibitoire, doit porter sur la substance même de la chose soit en l'occurrence sur un des composants essentiels du matériel.

Qu'ainsi si les dysfonctionnements du matériel au cours des premiers mois d'utilisation démontrent une carence certaine de la société Covemat dans l'exécution des prestations de mise au point et de maintenance lui incombant en vertu du contrat de maintenance souscrit auprès d'elle par la société Phot'Aubin, carence de nature éventuellement à engager sa responsabilité du fait des pertes financières entraînées par l'immobilisation du matériel, la société Phot'Aubin ne saurait s'en prévaloir comme devant entraîner la résolution du contrat de vente pour vice caché.

Attendu que l'action introduite par la société Phot'Aubin et M. Even n'est donc pas fondée, qu'il convient en conséquence de les débouter de l'intégralité de leurs demandes en réformant le jugement entrepris.

Qu'aucune considération d'équité ne justifie pour autant l'allocation d'une quelconque indemnité au profit des sociétés appelantes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Que ne justifiant pas du préjudice qu'elle allègue ni du caractère manifestement abusif de la procédure engagée à son encontre la société Hako France n'est pas davantage fondée à prétendre à l'octroi de dommages-intérêts.

C - Sur la demande de la société UFB Locabail -

Attendu que si en vertu des stipulations contractuelles le défaut de règlement par le locataire d'un seul terme de loyer autorise la société UFB Locabail à se prévaloir de la résolution de plein droit du contrat entraînant la restitution immédiate du matériel et le versement de l'indemnité contractuelle de résiliation, elle ne peut prétendre au bénéfice de cette clause qu'à expiration d'un délai de 8 jours à compter de l'envoi au locataire d'une mise en demeure, par pli recommandé d'avoir à satisfaire à ses obligations.

Que, faute par elle de justifier de l'accomplissement de cette formalité, il convient de considérer que la demande qu'elle a formée à l'encontre de la société Phot'Aubin et de ses cautions dans l'hypothèse où la vente ne serait pas annulée ou résolue, n'est pas en l'état recevable.

Qu'elle sera donc déboutée des fins de sa demande en paiement.

Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau. Déboute la société Phot'Aubin et M. Aimé Even des fins de leur action comme non fondée. Déboute les sociétés Hako France et Covemat de leurs demandes on indemnité et dommages-intérêts. Déboute en l'état la société UFB Locabail des fins de sa demande on résolution. Condamne in solidum la société Phot'Aubin et M. Aimé Even aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct de ceux d'appel au profit de Me Barriquand, Me Guilhem et Me Aguiraud, avoués.