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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 22 mai 2001, n° 99-1350

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Dannois (Epoux)

Défendeur :

Bos

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

Mme Albert, M. Barthelemy

Avoués :

SCP Musereau-Mazaudon, SCP Landry-Tapon

Avocats :

Mes Meunier, Etchegaray.

TGI La Rochelle, du 31 mars 1999

31 mars 1999

Faits, procédure et moyens des parties

Suivant document manuscrit du 23 février 1996, les époux Le Dannois exerçant sous l'enseigne "Multi Services Plaisance" à La Rochelle ont vendu à Monsieur Bos un voilier de 12,97 mètres, construit en 1975, pour le prix de 150 000 F payable en trois fois, les vendeurs devant effectuer des travaux de remise en état de la carène et d'étanchéité extérieure du livet de pont et la mise à l'eau étant envisagée pour le 15 avril 1996 "environ".

L'acte de vente normalisé est intervenu le 15 mai 1996, la livraison devant s'effectuer "en l'état plus traitement carène" et l'acte de francisation au nom de l'acquéreur a été délivré le 6 juin 1996.

Le 11 juin 1996, Monsieur Bos a fait expertiser le bateau par Monsieur Lerays lequel a constaté que le pont était mou et décollé de sorte qu'il n'avait pas la solidité nécessaire pour une navigation sous voile.

Monsieur Bos a alors fait transporter le bateau à son domicile près d'Hendaye, par camion.

Puis, les rapports des parties s'étant détériorés, Monsieur Bos a obtenu suivant ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de grande instance de La Rochelle le 10 février 1997 l'institution d'une mesure d'expertise finalement confiée à Monsieur Coudray. Dans son rapport définitif en date du 10 janvier 1998, l'expert ainsi désigné a fourni des éléments d'appréciation suivants

- les documents contractuels sont relativement imprécis mais il n'a existé aucune réserve de la part de l'acquéreur alors qu'il connaissait les problèmes du bateau ;

- celui-ci aurait dû prendre la précaution de faire expertiser le bateau avant son acquisition ;

- la notion de vice caché ne semble pas devoir être retenue dès lors que l'usure du pont était liée à l'âge du bateau et que l'acquéreur le connaissait ;

- les travaux à la charge des époux Le Dannois n'ont pas été réalisés entièrement et n'ont pas été faits dans les règles de l'art.

Par acte du 2 mars i 998, Monsieur Bos a fait assigner les époux Le Dannois afin que le tribunal, après avoir annulé le rapport de l'expert Coudray pour violation du principe du contradictoire, juge que les défendeurs ont manqué à leur obligation contractuelle de délivrance et ont par ailleurs livré une chose atteinte d'un vice caché, à savoir le pourrissement du pont.

Il a sollicité en conséquence leur condamnation à lui payer :

- la somme de 25 236 F au titre de la reprise des malfaçons selon devis par eux produit;

- la somme de 25 827,50 F au titre des frais de trajet par eux exposes

- la somme de 120 000 F par application des dispositions de l'article 1644 du Code civil (acomptes versés)

- la somme de 96 717,94 F au titre des frais effectués sur le bateau et la perte de jouissance, par application des dispositions de l'article 1645 du Code civil

- la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par jugement en date du 31 mars 1999, le Tribunal de grande instance de La Rochelle a :

- annulé le rapport d'expertise déposé par Monsieur Georges Coudray le 10 janvier 1998,

- débouté Monsieur Bos de ses demandes liées au défaut de livraison d'une chose conforme aux spécifications du contrat,

- considéré que le bateau vendu par les époux Le Dannois à Monsieur Bos suivant acte du 15 mai 1996 était atteint d'un vice caché lié à l'état du pont, élément rendant le navire impropre à sa destination,

- constaté que Monsieur Bos n'avait pas sollicité la résolution de la vente,

- condamné solidairement Monsieur et Madame Le Dannois à payer à Monsieur Bos au titre de la réduction du prix de vente la somme de 11 6 982 F,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de la moitié de cette somme,

- condamné solidairement les époux Le Dannois à payer la somme de 36 717,34 F au titre des préjudices annexes.

Par déclaration en date du 20 avril 1999, les époux Le Dannois ont régulièrement relevé appel de cette décision.

Ils soutiennent

* que les droits de la défense de Monsieur Bos n'ont pas été méconnus par l'expert et que la décision de nullité du rapport n'est pas justifiée.

* que le cumul de deux actions exclusives l'une de l'autre pour le même défaut de la chose vendue (l'action en exécution de l'obligation de délivrance et l'acte en garantie des vices cachés), rend les demandes de Monsieur Bos irrecevables.

* qu'en toute hypothèse les demandes de Monsieur Bos sont mal fondées :

- d'une part parce qu il n'y a pas défaut de conformité.

- d'autre part parce qu'il n'y a pas vice caché, mais vice apparent dont il avait connaissance.

* qu'enfin le montant des sommes allouées par le tribunal est excessif et que Monsieur Bos est devenu propriétaire du navire gratuitement.

En conséquence les époux Le Dannois demandent à la cour :

- de réformer le jugement entrepris en toutes ces dispositions.

- de déclarer Monsieur Bos irrecevable en ses demandes, et en tout cas, de l'en débouter.

- de condamner Monsieur Bos à leur payer la somme de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Bos soutient que le tribunal a considéré à bon droit que certains éléments n'ont pas été soumis à un débat contradictoire devant l'expert.

En revanche, le tribunal aurait fait une appréciation injuste de la situation en considérant que l'acheteur ne rapportait pas la preuve d'une livraison non conforme aux spécifications du contrat. Monsieur Bos estime que les époux Le Dannois avaient à leur charge une obligation de délivrance conforme à la chose vendue et qu'ils devaient donc lui vendre un bateau en état de prendre la mer.

Sur le vice caché, Monsieur Bos soutient qu'il ne pouvait connaître, à la date de conclusion du contrat, l'existence du vice constitué par l'état du pont. Il demande donc à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit l'action en garantie de vice caché parfaitement fondée et en ce qu'il a condamné les appelants à lui verser 116 982 F au titre de la réduction du prix de vente et 36 717,34 F au titre des préjudices annexes.

Il réclame également la condamnation des époux Le Dannois à lui verser la somme de 20 000 F au titre de la l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

1) Sur la nullité du rapport d'expertise

Les époux Le Dannois contestent le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du rapport de Monsieur Coudray. Ils considèrent que le défaut de communication de la lettre du 16 juillet 1997 et du décompte des travaux effectués par eux sur le navire n'ont causé aucun grief à Monsieur Bos, qui n'aurait pu ignorer ces éléments et aurait participé aux opérations d'expertise de manière très assidue, de sorte que ses droits n'auraient pas été méconnus.

Certes le courrier des époux Le Dannois du 27 mai 1997, dont les termes sont sensiblement identiques à ceux du courrier du 16 juillet 1997, a été porté à la connaissance de Monsieur Bos lors de la seconde réunion d'expertise du 18 août 1997 (page 8 et 9 du rapport).

Cependant il eût été préférable que l'expert communique à Monsieur Bos les courriers au fur et à mesure de façon à ce qu'il soit en mesure de répondre lors de la réunion d'expertise.

Par ailleurs l'expert a fait participer aux opérations d'expertise Monsieur Leray, expert maritime, en ayant avec celui-ci une conversation téléphonique, sans que Monsieur Bos n'ait été avisé de sa teneur.

Ensuite l'expert, n'a pas communiqué à Monsieur Bos l'état des travaux effectués, adressé par Monsieur et Madame Le Dannois le 22 décembre 1997, enfin il n'a pas déposé de pré-rapport permettant à Monsieur Bos de s'expliquer sur ces points.

Les intimés font valoir que Monsieur Bos ne pouvait ignorer le contenu du courrier du 22 décembre 1997, puisque la liste des travaux était contractuellement prévue.

Toutefois sur l'état des travaux, adressé par Monsieur et Madame Le Dannois le 22 décembre 1997, l'expert a constaté "le manque de justification détaillée poste par poste des travaux effectués par le vendeur" et il eût été régulier de communiquer cette pièce à Monsieur Bos.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé l'expertise de Monsieur Coudray.

2) Sur le fond

a) Sur le cumul des deux actions

Les appelants font valoir que Monsieur Bos ne peut à la fois poursuivre les vendeurs en exécution de son obligation de délivrance et en garantie des vices cachés.

Monsieur Bos réplique qu'il peut y avoir cumul exceptionnel des actions lorsque ont réunies trois conditions :

- une différence entre les caractéristiques convenues et celle de la chose,

- une différence qui entraîne une diminution d'usage,

- l'impossibilité pour l'acheteur de découvrir cette différence lors de la délivrance.

Cependant, dès lors que le vice caché est invoqué, l'acheteur doit agir sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil. Il n'y a ni confusion ni cumul d'actions possibles avec l'erreur sur la substance ou la non conformité de la chose.

La demande fondée sur un défaut de conformité sera donc déclarée irrecevable, sans qu'il soit besoin d'examiner le fonds comme l'a fait le tribunal. Le jugement sera partiellement réformé sur ce point.

Mais ceci n'a pas pour effet de rendre irrecevable l'action fondée sur le vice caché, qu'il convient donc d'examiner.

Monsieur Bos rappelle qu'il n'était pas un professionnel et soutient qu'à la date de conclusion du contrat il ne pouvait connaître l'existence du vice constitué par l'état du pont, le rapport Kienlen datant du 6 février 1996 n'ayant fait état que d'un "pont dans un état moyen nécessitant des reprises d'étanchéité".

Il ajoute que le vice n'est apparu que dans le cadre du rapport Lerays le 11 juin 1996.

Or à cette date, le contrat (conclu le 23 février 1996) était définitif entre les parties, Monsieur Bos ayant francisé le bateau à son nom.

Toutefois les rapports d'expertise effectués à la demande de précédents acquéreurs potentiels (rapport Lerays du i 3 juillet 1994 et rapport Kienlen précédant immédiatement la vente) montrent que l'état du bateau était pour le moins préoccupant.

Ainsi Monsieur Lerays, le 13 juillet 1994, conclut "A l'issue des constatations faites, le yacht Tosaggo Il a été trouvé en état général très médiocre voire mauvais. Il n'est plus entretenu depuis longtemps... Il semble évident qu'étant donné l'état du bateau le chantier ne pourra délivrer aucune garantie lors de l'acquisition".

Monsieur Lerays ajoute que cet "examen visuel des composantes du yacht" ne doit pas être considéré comme une expertise complète qui nécessiterait une préparation spécifique..., demanderait de nombreuses investigations".

De même Monsieur Kienlen dans "son rapport d'évaluation" du 9 février 1996 conclut à un "état général du navire très médiocre" et indique que "de nombreux travaux doivent être entrepris afin que le navire puisse à nouveau faire usage".

Il note "les fonds n'ont pu être examinés, faute d'accessibilité. On note simplement la présence d'eau sous les planchers, due, en outre, au manque d'étanchéité ci-avant évoqué" (il s'agit d'un "manque d'étanchéité des panneaux de pont et de la liaison pont-coque)".

Les époux Le Dannois ont écrit qu'ils avaient cherché à dissuader Monsieur Bos d'acheter, doutant de sa compétence pour effectuer lui même son projet de remise en état.

En sens inverse, Monsieur Jules Selerra atteste que le 23 février 1996 (jour de la conclusion du contrat), Monsieur Le Dannois a indiqué qu'il y avait des réparations à y faire mais qu'après ces travaux le bateau pourrait sans problème prendre la mer. Cependant d'une part cette attestation n'est pas faite selon les règles du Code de procédure civile, d'autre part elle ne démontre pas que les époux Le Dannois ont menti sur l'état véritable du bateau, dès lors que les travaux incombant aux vendeurs, même s'ils n'ont pas été réalisés entièrement, ne représentaient qu'une partie de ceux nécessaires pour une remise en état complète.

Monsieur Bos qui a acheté un voilier âgé de 21 ans, n'ayant plus aucune cotation sur le marché des bateaux de plaisance, en mauvais état comme le confirment les rapports Kienlen et Lerays, ne saurait donc invoquer la garantie des vices cachés, alors qu'un certain nombre de manifestations extérieures devaient l'inciter à la prudence et à la recherche d'informations complémentaires, voire à une expertise du bateau avant l'achat.

Le jugement sera donc réformé et Monsieur Bos sera débouté de ses demandes.

L'équité ne commande pas d'allouer de somme au titre des frais irrépétibles.

Les époux Le Dannois seront donc déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement du Tribunal de grande de La Rochelle. Déboute Monsieur Bos de ses demandes. Déboute les époux Le Dannois de leur demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne Monsieur Bos aux dépens d'appel et autorise la SCP Musereau Mazaudon à recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.