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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. A, 18 janvier 1994, n° 1614-91

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chouzenoux

Défendeur :

Dubreuil

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bizot

Conseillers :

M. Septe, Melle Gachie

Avoué :

SCP Labory-Moussie & Andouard

Avocats :

Mes Biraben, Fonrouge Barennes, Gaudin, Lecoq.

TGI Libourne, du 25 janv. 1991

25 janvier 1991

Faits - procédure - moyens des parties

Le 16 juin 1989, Guy Dubreuil a acquis d'Alain Chouzenoux garagiste un véhicule automobile Citroën CX Break mis en circulation en 1981, affichant au compteur un kilométrage de 25 000, pour le prix de 24 500 F, après remise d'une fiche de contrôle technique établie le 12 mai précédent et relatant diverses anomalies à réparer immédiatement ou dès que possible.

Considérant que le véhicule vendu était atteint d'un vice au niveau du train avant, et après avoir obtenu en référé la désignation de l'expert Peugeot, qui a déposé son rapport le 17 mars 1990, Guy Dubreuil a assigné son vendeur en réduction de prix et en paiement du montant de diverses réparations ; Chouzenoux a objecté que le véhicule avait parcouru 22 000 kms depuis la vente, que l'acquéreur avait fait procéder à des réparations avant l'intervention de l'expert, certaines ayant trait d'ailleurs à l'entretien normal d'un véhicule d'occasion, en sorte que n'était pas démontrée l'antériorité des vices à la date de la vente.

Par jugement contradictoire du 25 juin 1991, le Tribunal de grande instance de Libourne a accueilli l'action estimatoire de Dubreuil, condamné Chouzenoux à lui restituer la somme de 12 500 F avec intérêts au taux légal depuis l'assignation, et rejeté les autres demandes, en fixant les frais irrépétibles à la charge de Chouzenoux. Le premier juge a constaté que malgré la proposition de Chouzenoux d'annuler la vente, Dubreuil avait souhaité conserver le véhicule, qu'il avait engagé une action estimatoire et ne pouvait obtenir qu'une réduction de prix, sans pouvoir prétendre au coût de réparations dépassant ce prix et non rattachables au vice caché subsistant (déformation des longerons avant réparable pour un prix de 12 000 F environ).

2. Alain Chouzenoux a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration du 15 mars 1991, intimant Guy Dubreuil, qui a constitué Avoué le 29 avril suivant.

L'appelant a conclu le 30 avril 1991, l'intimé le 11 décembre 1991, formant appel incident.

Les débats ont été clos le 22 novembre 1993.

3. Au soutien de leurs prétentions ou moyens de défense, les parties font valoir en substance les arguments de droit ou de fait suivants :

a - Alain Chouzenoux, appelant principal :

* non seulement le centre agréé ayant opéré le contrôle technique obligatoire du véhicule avant la vente n'avait rien décelé d'anormal y compris sur le berceau et les jeux du train avant, mais encore Dubreuil, qui avait essayé le véhicule seul et avec un tiers le jour de la vente, a refusé ses propositions consistant, trois semaines plus tard, soit à annuler la vente, soit à remettre le véhicule en état, et n'a fait réparer le véhicule que 3 mois plus tard, après avoir parcouru 20 000 kms, en sorte que, contrairement à ce qu'affirme l'expert Peugeot, le véhicule n'était pas impropre à son usage, et rien ne permet d'affirmer que les vices allégués aient été antérieurs à la vente ; de plus, Dubreuil a fait réparer le véhicule par un autre professionnel, qui n'a pas conservé les éléments pouvant servir de pièces à conviction du bien fondé des travaux.

* l'expert Veysset, dont il produit le rapport, critique justement le rapport de Peugeot, qui, prenant comme toutes justifiées par des vices antérieurs à la vente les réparations considérables effectuées par le garage Citroën, ne peut être retenu.

* la preuve de l'existence de vices cachés et de leur antériorité à la vente incombe à l'acquéreur ; Dubreuil ne démontre rien ; le jugement est à réformer, et Dubreuil doit être débouté de toutes ses demandes, et lui devra 8 000 F au titre des trains non taxables subsidiairement, il y a lieu à contre-expertise.

b - Guy Dubreuil, appelant incident

* le prix offert par Chouzenoux était du double de la cote " Argus " justifié par l'état soit disant exceptionnel du véhicule.

* c'est immédiatement après la vente qu'il a conduit le véhicule au garage Citroën et qu'il l'a tait réparer avant de s'en servir, après qu'un expert mandaté par ses soins, Gonzales ait relevé que ce véhicule était dangereux ; il était en droit d'agir ainsi, alors que Chouzenoux lui avait caché que le véhicule avait été antérieurement accidenté ; même après réparations il subsiste, selon l'expert Peugeot au niveau du châssis, un vice caché important, qui ne pouvait être décelé dans le cadre des opérations sommaires du contrôle technique obligatoire, et qu'il ne pouvait donc lui-même découvrir au moment de la vente ; le jugement est à confirmer sur l'action estimatoire;

* mais le tribunal a méconnu son droit à des dommages et intérêts complémentaires, qui s'élèvent à 27 387,91 F ; frais de remplacement du véhicule immobilisé durant les réparations, et frais de réparation eux-mêmes ; le jugement est à infirmer en ce sens.

* Chouzenoux lui devra en outre 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs

1. Sur le bien fondé de l'action estimatoire

* En des motifs pertinents et suffisants que la cour adopte, le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de l'espèce et une juste application de la loi en relevant que le véhicule vendu recelait des vices cachés antérieurs à la vente et que l'action estimatoire choisie par Guy Dubreuil était fondée en son principe et l'autorisait à obtenir une réduction du prix.

* Il convient d'y ajouter :

1) que l'examen du véhicule, préalablement à la vente, par un centre de contrôle technique agréé n'est pas constitutif, pour le vendeur, d'une exonération de son obligation de garantie des vices cachés, et que les opérations de contrôle, nécessairement sommaires ou superficielles, ne sont pas exhaustives des anomalies pouvant affecter le véhicule, qu'en l'espèce, la circonstance que la fiche de contrôle technique n'ait pas relevé de défauts au niveau du châssis mais seulement au niveau de la suspension, des essieux, de la direction du freinage et de la signalisation ou de l'éclairage n'est pas suffisante pour prétendre que le vice du train avant n'ait pas existé au moment de la vente,

2) que, contrairement à ce que soutient Chouzenoux, Dubreuil n'a pas parcouru 20 000 Kms entre la date de la vente et la révélation des vices, puisqu'il est établi que l'acquéreur a confié le véhicule au garage Libourne-Automobile SA concessionnaire Citroën dès le 20 juin 1989 (jusqu'au 7 juillet suivant) soit quatre jours après la vente, et qu'à la date du 3 juillet, où l'expert technique Gonzales est intervenu a la demande de Dubreuil, le véhicule avait parcouru 25.931 kms (au compteur) soit 927 kilomètres depuis l'acquisition, en sorte que l'appelant n'est pas fondé à tirer parti du kilométrage parcouru pour tenter d'établir que le vice du train avant serait imputable à l'acquéreur, observation étant faite que Chouzenoux n'allègue pas que ces vices aient pu avoir une origine accidentelle à une date comprise entre la vente et le dépôt du véhicule chez le garagiste.

3) que contrairement à ce que soutient Chouzenoux, les vices cachés retenus pour fonder l'action estimatoire ne correspondent à l'ensemble des anomalies relevées par le garage Libourne-Automobile et par l'expert Peugeot, mais exclusivement à ceux qui se rapportent à l'état du train avant (bras inférieur faussé, jeu important du bras supérieur gauche, jeu des rotules gauches supérieures et inférieures, transmission hors service, disque de frein hors cote, axe de bras inférieur droit grippé, jeu des rotules droites supérieures et inférieures) et du train arrière (amortisseur arrière droit non conforme par montage d'un cylindre provenant d'une berline ; disques de frein hors cote) ; si ces anomalies n'ont pas été relevées par l'expert Peugeot lui-même, elles l'ont été par l'expert privé Gonzales, dans des conditions de sérieux qui, soumises au débat contradictoire, ne sauraient être discutées ; à cet effet, est inopérante la critique de l'expert Veysset produite par Chouzenoux en ce que, par suite d'une erreur grave d'appréciation, cet homme de l'art a raisonné sur l'hypothèse, qu'on sait inexacte, d'une: distance de 20 000 kms parcourus par le véhicule avant la découverte des vices,

4) que, compte tenu du délai écoulé entre 1'acquisition du véhicule et son immobilisation au garage Libourne-Automobile (4 jours), il n'est pas inutile d'observer derechef que le 12 mai 1989, soit 35 jours avant la vente,le contrôle technique obligatoire n'avait décelé aucune anomalie de la transmission (pourtant estimée hors d'usage après 927 kilomètres parcourus) aucune anomalie des disques de frein (seul étant signalé un "déséquilibrage" alors qu'ils étaient à l'état d'usure, hors cote après 927 kilomètres parcourus), aucune anomalie du train avant autre que le jeu des rotules supérieures, sans précision qu'il affectât l'avant ou l'arrière (alors qu'il comportait - voir 3 ci-dessus d'importantes anomalies d'origine accidentelle ou dues à l'usure), en sorte qu'il est ainsi parfaitement établi que cet ensemble de vices, non décelables par un acquéreur non-professionnel tel que Dubreuil, affectait indiscutablement le véhicule avant la vente,

5) qu'enfin la circonstance que Dubreuil ait essayé le véhicule, muni de la fiche de contrôle technique, lui permettait peut-être de déceler un déséquilibre de la suspension et d'en tenir quitte le vendeur dès lors que cette anomalie pouvait, aux yeux d'un non-professionnel résulter du défaut de suspension et de l'essieu (avant ? ou arrière?) évoqués sur ladite fiche, mais certainement pas des vices réels affectant à la fois le train avant et le train arrière, dont il ne pouvait à l'évidence se convaincre lui-même, fût-ce au prix de cet essai, voir même de vérifications élémentaires que le récent contrôle technique le dispensait en outre de faire, et qui, a'usage constant, ne vont pas, pour un particulier jusqu'à l'examen visuel des éléments du train.

* Il convient donc de confirmer le jugement déféré, en ce y compris sur l'appréciation de la diminution de prix.

2. Sur les réparations complémentaires (appel incident de Dubreuil)

* Chouzenoux, garagiste, en cette qualité vendeur professionnel de véhicules automobiles est réputé, comme tel, avoir connu les vices de la chose, et peut être tenu envers l'acquéreur, outre à la restitution d'une partie du prix, à " tous dommages-intérêts " (article 1645 du Code Civil).

* Les frais de remise en état des trains avant et arrière affectés des vices cachés constituent pour l'acquéreur non une dépense consécutive à un dommage cause par les vices cachés, mais une dépense rendue nécessaire par leur éradication elle représente, comme l'a justement apprécié le premier juge, l'une de la diminution de prix que pouvait exiger l'acquéreur mais non un préjudice distinct autorisant une réparation complémentaire.

* Les autres frais engagés par Dubreuil se rattachent soit à des dépenses d'entretien courant, sans rapport avec les vices cachés, soit à des dépenses bien postérieures à la vente concernant des pièces à l'état d'usure, soit à des dépenses se rapportant à des vices apparents à la vente, soit enfin à des dépenses relatives à des anomalies relevées tardivement (par le seul expert Peugeot) telle qu'une "trace de déformation" (sic) des longerons avant et de l'avant de la joue d'aile avant gauche, et insusceptibles de mettre en jeu la garantie du vendeur, le véhicule ayant alors parcouru, depuis la vente, 20 614 kms depuis la date (7 juillet 1989) de sa sortie du garage Libourne Automobile ; c'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté la prétention de Dubreuil à obtenir remboursement de ces frais, qui ne sont pas non plus générés par un dommage causé par les vices cachés.

Par contre, l'immobilisation fondée du véhicule en raison de la découverte des vices cachés le rendant impropre à la circulation et dangereux est une conséquence directe de l'existence des vices et a obligé Dubreuil à des dépenses qu'il a été contraint d'engager pour pallier cette immobilisation, étant observé que le véhicule acquis était destiné à un transport scolaire cet appauvrissement constitue un dommage réparable, à hauteur de la somme réclamée, et justifiée, de 4 872 F ; le jugement est à infirmer partiellement en ce sens.

3. Sur les demandes incidentes et les dépens

* Guy Dubreuil est en droit, équitablement d'obtenir de Alain Chouzenoux le défraiement de ses dépenses de procédure non taxables, tant en première instance, sur quoi le jugement est à confirmer, qu'en cause d'appel à hauteur de 5 000 F L'équité commande de débouter Alain Chouzenoux de sa pareille demande.

* Les dépens d'appel, comme ceux de première instance, sont à la charge exclusive d'Alain Chouzenoux.

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Recevant en la forme l'appel principal d'Alain Chouzenoux et l'appel incident de Guy Dubreuil,

Déclare mal fondé l'appel principal, Reçoit partiellement l'appel incident, Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de Libourne du 25 janvier 1991 en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt, Le réformant partiellement sur les dommages intérêts complémentaires dus à Guy Dubreuil, Condamne Alain Chouzenoux à payer à Guy Dubreuil la somme de 4 872 F (quatre mille huit cent soixante douze Francs) en réparation du dommage né de l' immobilisation du véhicule, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Déboute Guy Dubreuil du surplus de ses demandes, y ajoutant, Condamne Alain Chouzenoux à payer à Guy Dubreuil la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute Alain Chouzenoux de sa pareille demande, Condamne Alain Chouzenoux aux dépens d'appel, et autorise Maître Fonrouge Barenne, avoué à la cour, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.