CA Versailles, 3e ch., 5 juillet 1991, n° 8775-89
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mercedes Benz France (SA)
Défendeur :
Tep Dara, Carrosserie du Château d'Eau (Sté), G7 Radio Rad'Art Appel (GIE)Souchon (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ride
Conseillers :
MM. Thavaud, Assie
Avoués :
Mes Robert, Lambert, SCP Lissarrague-Dupuis, SCP Merle-Doron
Avocats :
Mes Fridmanis, Parlange, SCP Bartfeld- Cournot.
Faits et procédure :
Le groupement d'intérêt économique " G7 Radio Rad'art Appel" qui sera dénommé GIE G7 a acquis le 18 septembre 1985 de la société Mercedes France une automobile de cette marque type 300 D pour le prix de 196 144 F.
Il l'a revendue le même jour à Monsieur Tep Dara artisan chauffeur de taxi.
Ce dernier a par la suite confié le véhicule à la société "Carrosserie du Château d'Eau" pour réparation sur la partie avant endommagée lors d'un accident de la circulation du 22 mai 1986.
En outre une avarie mécanique survenue le 12 juin 1986 a conduit Monsieur Tep Dara à saisir le juge des référés de Nanterre qui par ordonnance du 3 juillet 1986 a désigné un expert dont le rapport a été déposé.
C'est dans ces conditions que statuant sur les demandes indemnitaires de Tep Dara fondées sur les articles 1147, 1641 et suivants du Code civil le Tribunal de grande instance de Nanterre par jugement du 27 juillet 1989 a rendu la décision suivante :
- condamne in solidum la SA Mercedes Benz France, le GIE G7 et la société Carrosserie du Château d'Eau à payer à Monsieur Tep Dara la somme de 114 725,67 F correspondant aux divers chefs de demande accueillis ;
- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 21 avril 1988 ;
- dit que la société Mercedes devra garantir le GIE G7 de l'intégralité des condamnations prononcées contre lui ;
- condamne les défendeurs à payer à Monsieur Tep Dara la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Mercedes Benz France a régulièrement interjeté appel de cette décision et concluant à son infirmation elle demande à la cour :
- de déclarer l'action de Monsieur Tep Dara irrecevable en vertu de l'article 1648 du Code civil ;
- de le débouter de ses prétentions sur ce fondement sous réserve des moyens subsidiaires à développer sur le fond.
Elle soutient en effet contrairement à l'appréciation du tribunal :
- que l'action a été engagée tardivement sans que ni la complexité de l'affaire ni la durée des opérations d'expertise ni la situation personnelle de Monsieur Tep Dara puissent justifier un tel délai ;
- que notamment la situation économique de celui-ci réinstallé comme artisan garagiste depuis le 11 mai 1987 lui permettait d'engager l'action au fond.
Tep Dara a conclu à la confirmation du jugement entrepris sauf sur le quantum des réparations allouées pour lesquelles formant appel incident il demande à la cour :
- de condamner la société Mercedes France et le GIE G7 solidairement à lui rembourser sur le prix de vente la somme de 42 476,59 F correspondant au coût de remplacement du moteur après la panne du 12 juin 1986 ;
- de les condamner sous la même solidarité à lui payer la somme de 186 847,98 F à titre de dommages et intérêts;
- de condamner in solidum avec le vendeur et le fabriquant selon telle proportion à évaluer la Carrosserie du Château d'eau à payer les sommes ci-dessus réclamées soit au total 229 324,57 F ;
- de condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il oppose ainsi à l'appelante :
- que le délai d'introduction de la demande au fond doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce où le rapport d'expertise n'a pu être déposé que le 17 octobre 1987 et suivi d'assignation qu'après que les frais de procédure et d'expert (12 672 F) aient pu eux-même être assumés ;
- qu'ainsi en fonction des positions respectives des parties le moyen d'irrecevabilité tiré du bref délai n'est pas fondé ;
- que par ailleurs outre les frais sur le véhicule et son préjudice économique et professionnel il a exposé de nombreux frais justifiés ;
- qu'enfin les conclusions de l'expert établissent tant l'existence d'un vice caché que les négligences d'exécution imputables à la Carrosserie du Château d'Eau.
Le GIE G7 a conclu à l'infirmation du jugement entrepris et demandé lui même à la cour :
- de dire que l'action de Monsieur Tep Dara est irrecevable à son encontre et subsidiairement mal fondée ;
- subsidiairement de dire que l'existence du préjudice invoqué n'est pas démontrée ;
- de rejeter les demandes de Monsieur Tep Dara et de le condamner au paiement de la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- dans tous les cas de condamner la société Mercedes France à garantir le GIE G7 et à lui payer la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il fait valoir ainsi :
- que le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil était écoulé lors de l'assignation introduite 6 mois après le dépôt du rapport d'expertise ;
- que rien dans le rapport de l'expert Levy ne permet de démontrer que la cause de l'avarie du moteur préexistait à la vente du véhicule et qu'il existait un vice caché
- que subsidiairement Monsieur Tep Dara ne justifie pas avoir réglé la facture du garage Lido (42 476,59 F) et que seule une somme de 39 511,60 F TTC pourrait éventuellement être prise en compte ;
- que de même l'immobilisation du véhicule du 12 juin 1986 au 25 janvier 1988 et son incidence professionnelle ne sont pas démontrées ;
- que les frais engagés pour l'expertise et le gardiennage sont imputables à Monsieur Tep Dara.
Assigné en intervention forcée Maître Souchon liquidateur judiciaire de la société Carrosserie du Château d'Eau a opposé le principe de la suspension des poursuites et sous cette réserve demandé acte de son rapport à justice en même temps que la condamnation de Monsieur Tep Dara et de la société Mercedes Benz à lui payer la somme de 3 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 1991.
Motifs de l'arrêt :
Sur la recevabilité de la demande fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil :
Considérant que cette demande dirigée contre le fabricant du véhicule la société Mercedes France et le vendeur direct GIE 07 doit en vertu de l'article 1648 du Code civil être introduite à bref délai suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite ;
Qu'ainsi il appartient aux juges du fond selon ces critères et donc les faits et circonstances de la cause de déterminer la durée et le point de départ du délai accordé à l'acheteur pour intenter son action ;
Considérant qu'il résulte en l'espèce des renseignements de fait réunis par l'expert que propriétaire de l'automobile Mercedes achetée neuve le 18 septembre 1985, Monsieur Tep Dara s'est trouvé brutalement en panne le 12 juin 1986 ;
Qu'un premier examen du véhicule a conduit un inspecteur technique de la société Mercedes à préconiser l'échange standard du moteur mais à la charge de la société Carrosserie du Château d'Eau ;
Que dès lors, avant d'engager une instance au fond notamment contre le constructeur, Monsieur Tep Dara a pu légitimement saisir le juge des référés pour voir désigner un expert ce qu'il a fait rapidement puisque l'ordonnance a été rendue dès le 3 juillet 1986 ;
Que par la suite il ne saurait davantage lui être reproché d'avoir attendu pour agir les conclusions de l'expert dont le rapport n'a été déposé que le 19 octobre 1987 après que ses constatations sur la pompe à eau du véhicule l'aient conduit à demander un examen de cette pièce en laboratoire ;
Que sans doute Monsieur Tep Dara n'a fait délivrer son acte introductif d'instance que le 19 avril 1988 soit 6 mois après le dépôt du rapport ;
Que toutefois au vu des conclusions de ce document qui après une étude technique approfondie mettaient en cause la défectuosité intrinsèque du corps de la pompe sans pour autant démontrer la faute de l'utilisateur, ce dernier pouvait sérieusement espérer de la part du fabricant une proposition et donc dans cette attente différer encore sa demande selon les voies judiciaires ;
Que cette attitude était d'autant mieux justifiée que la société Mercedes occupait une position économique dominante et qu'il avait déjà fait l'avance de frais importants pour mettre en œuvre des investigations techniques approfondies ;
Que sa demande introduite le 19 avril 1988 restait donc en l'espèce compatible avec les exigences de l'article 1648 du Code civil et que le jugement entrepris doit être confirmé pour l'avoir déclarée recevable ;
Sur les demandes indemnitaires procédant du vice caché :
Considérant que selon l'expert la panne survenue le 12 juin 1986 a mis le moteur de l'automobile hors d'usage et qu'elle est consécutive principalement à la défectuosité de la pompe à eau de ce moteur mais aussi à une négligence de la société la Carrosserie du Château d'Eau qui a réparé la voiture après un accident du 22 mai 1986 ;
Qu'en ce qui concerne la pompe à eau l'examen de laboratoire et les diligences de l'expert ont permis de mettre en évidence un phénomène de rupture du corps de pompe consécutif à la propagation d'une fissure de fatigue déjà ancienne dont la naissance a été favorisée par la santé médiocre du métal constituant le corps de la pompe et par la présence sur celui-ci d'un bossage ;
Qu'en ce qui concerne l'intervention de la société La Carrosserie du Château d'Eau l'expert a mis en cause un mauvais remontage de l'hélice du ventilateur dont les vibrations ont contribué à accentuer la vitesse de propagation de la fissure du corps de la pompe et participé à la rupture finale ;
Qu'en définitive ce technicien a expliqué la panne par la perte du liquide de refroidissement à travers la fissure entrebâillée et donc l'élévation de la température du moteur avec dilatation des pistons et déformation de la culasse ;
Qu'il a en outre émis l'avis qu'il n'était pas possible de retenir une négligence du conducteur ;
Considérant que le tribunal a justement déduit de ces données techniques l'existence d'un vice caché antérieur à la vente dont doivent répondre in solidum à l'égard de Monsieur Tep Dara la société Mercedes France et le GIE G7 ;
Que toutefois ce vice lié à la mauvaise qualité intrinsèque du corps de la pompe à eau doit être retenu comme n'ayant concouru à la réalisation du dommage qu'à raison des 4/5, les 1/5 étant imputables à la société Carrosserie du Château d'Eau compte tenu de ses négligences ;
Que le jugement entrepris doit donc être à cet égard réformé ;
Sur la charge des condamnations :
Considérant qu'en situation de liquidation judiciaire la société Carrosserie du Château d'Eau ne peut encourir aucune condamnation et qu'en l'état les demandes de Monsieur Tep Dara à son encontre sont irrecevables ;
Qu'en revanche il est fondé à solliciter pour les 4/5 du dommage soit la part correspondant aux effets du vice caché, la condamnation in solidum du constructeur Mercedes et du vendeur GIE G7 ;
Qu'en ce qui concerne le recours de ce vendeur il résulte des éléments techniques ci-dessus exposés que le vice caché est constitué par une défaillance de fabrication imputable à la société Mercedes qui devra donc garantir entièrement le GIE G7, le jugement entrepris étant de ce chef confirmé ;
Sur l'évaluation des dommages :
Considérant que le tribunal a justement considéré que la réfaction de prix devait correspondre au coût de remplacement du moteur estimé nécessaire par l'expert ;
Qu'il y a lieu toutefois d'évaluer ce coût à la somme de 42 476,59 F que Monsieur Tep Dara expose avoir effectivement engagée en 1988, laquelle représente en toute hypothèse l'actualisation de la valeur retenue par l'expert ;
- Considérant d'autre part que par des motifs que la cour adopte le tribunal a exactement évalué à la somme de 70 000 F le préjudice économique et d'exploitation subi par Monsieur Tep Dara ;
- Considérant par ailleurs que les premiers juges ont a bon droit écarté au titre de l'indemnisation d'un élément du dommage les frais d'expertises engagés lesquels sont en effet inclus dans les dépens en vertu de l'article 695 du Code de procédure civile ;
- qu'en revanche les frais de dépannage et de stationnement chez le concessionnaire ont été exactement pris en compte pour un montant de 5 214,07 F ;
- qu'enfin il y a lieu de confirmer au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires les dispositions d'intérêts arrêtées à compter du 21 avril 1988 ;
Sur les autres demandes :
Considérant que l'équité conduit en ajoutant au jugement entrepris à allouer à Monsieur Tep Dara la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à la charge de la société Mercedes France et du GIE G7 tenus in solidum ;
Que la même considération d'équité justifie le rejet des prétentions à ce titre de Maître Souchon es- qualité ;
Qu'en outre le GIE G7 qui succombe et supportera les dépens dans ses rapports avec Monsieur Tep Dara est irrecevable en sa demande contre celui-ci fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que l'équité ne justifie pas en outre sa prétention à ce titre contre la société Mercedes France ;
Par ces motifs : Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort ; Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 avril 1991 ; En la forme : Déclare la société Mercedes France recevable en son appel principal et Monsieur Tep Dara en son appel incident ; Au fond : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable et fondée la demande introduite contre la société Mercedes France et le GIE G7 en vertu des articles 1641 et suivants du Code civil, évalué le préjudice économique et d'exploitation de Monsieur Tep Dara et son préjudice matériel en rejetant la demande pour frais d'expertise, statué sur l'action en garantie du GIE G7, l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens ; L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau en y ajoutant ; - dit que le dommage subi par le véhicule de Monsieur Tep Dara est dû à un vice caché pour les 14/5 et aux négligences de la société Carrosserie du Château d'Eau pour 1/5. Déclare en l'état irrecevable la demande indemnitaire en ce qu'elle est dirigée contre la société Carrosserie du Château d'Eau en règlement judiciaire ; Condamne in solidum la société Mercedes France et le GIE G7 à payer à Monsieur Tep Dara : - à titre de réfaction du prix de vente 33 981,24 F (42 476,59 x 4) / 5 ; - pour préjudice économique et d'exploitation 56 000 F (70 000 x 4) / 5 ; - pour préjudice matériel 4 171,24 F (5 214,07 x 4) / 5 ; Lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1988 ; Les condamne in solidum à payer encore à Monsieur Tep Dara la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette la demande au même titre de Maître Souchon ès qualités ; Déclare le GIE G7 irrecevable en sa demande dirigée en vertu de la même disposition contre Monsieur Tep Dara ; Rejette la même prétention en ce qu'elle est dirigée contre la société Mercedes France ; Condamne in solidum la société Mercedes France et le GIE G7 aux dépens d'appel dont le recouvrement pourra être effectué directement par la SCP Lissarrague-Dupuis et Maître Lambert, avoué par application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.