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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 12 juillet 1990, n° 1259-87

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Perservatrice Foncière (Sté)

Défendeur :

Pennel et Flipo (Sté), Duquesnoy (ès qual.), Sailly (ès qual.), Fipec International (Sté), Beghin Say (SA), Entreprise Muller Frères (SA), Screg Est (Sté), Serete (Sté), UAP (Sté), Cigna France (Sté), AGF (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Lassale, M. Garcin

Avoués :

SCP Chalicarne-Delvincourt, SCP Guillaume, Tetelin Marguet, Six-Guillaume, SCP Genet-Braibant, SCP Thomas-Le Runigo, Me Bruyand

Avocats :

Mes Porcher, Faupin, Pelletier, Adonneau, Monteil, Gabrielle, Honig, Fabre, SCP Antoine, Bennezon,

T. com. Epernay, du 14 avr. 1987

14 avril 1987

LA COUR,

Faits et procédure

Avant tout exposé il apparaît nécessaire, en vue de clarifier la présente décision, de préciser que chacune des parties sera désignée ci-après de la façon suivante PFA pour l'appelante, par leur seule raison sociale pour les diverses entreprises appelantes ou intimées, et sous les sigles UAP, Cigna France, ou anciennement CNA et AGF pour les Cies d'Assurances intimées.

Quant aux faits, il convient de remonter au mois de novembre 1973, date à laquelle Beghin Say et Serete ont convenu de confier à la seconde une mission générale d'ingéniering pour la réalisation d'une sucrerie (betteravière) à Connantre (Marne), comprenant la coordination des études et travaux de génie civil pour la totalité du site.

Dans le cadre de cette réalisation, l'exécution des divers bassins nécessaires (au nombre de 9) a fait l'objet d'un devis du 4 novembre 1974 et d'une commande passée auprès de Beghin Say sous le n° 22.e.74.105 du 21 novembre 1974 sous forme d'un marché conjoint et solidaire confié à 3 entreprises, Muller, Screg et Fipec, engagées ensemble spécialement à cette occasion dans un groupement responsable vis-à-vis du maître d'œuvre par une convention du 11 janvier 1975, la première ayant en charge le terrassement, la deuxième les revêtements bitumeux de fond des bassins, et la troisième l'étanchéité des parois par un revêtement Butyl pour une surface de 181 120 m2.

Ces bassins ont été mis en service le 1er septembre 1985 et ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception provisoire du 20 mai 1976 dont les effets sont expressément reportés rétroactivement au 1er septembre 1985 entre Serete, Muller, Screg et Fipec.

Pour l'exécution de ce marché, Muller était assurée auprès de la Caisse d'Assurance Mutuelle du Bâtiment, Screg auprès de CNA, de même que Fipec, suivant attestations respectives des assureurs des 20 novembre 1975, 29 octobre 1975 et 27 novembre 1975, chaque assurance couvrant la garantie décennale. Il est à préciser que Fipec a résilié son assurance pour le 31 décembre 1976, lui substituant une assurance souscrite auprès de l'UAP le 16 janvier 1977 à effet du 1er janvier 1977.

Si au cours de l'année quelques travaux de réparation ont été effectués (cf. un compte rendu de visite de septembre 1976 avec 2 ingénieurs de chez Pennel et Flipo), c'est au cours de l'année 1978 que Beghin Say a invoqué des désordres concernant la protection d'étanchéité des parois des bassins que devait assurer un revêtement Butyl, et a donc sollicité, pour la première fois au début de l'année 1979, la désignation d'un expert par le Président du Tribunal de grande instance de Châlons-sur-Marne qui a nommé à cet effet M. Philbée, expert à Metz (Moselle) par ordonnance de référé du 20 juin 1979.

De son côté Fipec assignait, par acte du 16 mai 1979, Pennel-Flipo et les AGF devant le Tribunal de commerce d'Epernay pour être condamnées in solidum à réparer ces désordres, procédure qui ne fut pas poursuivie en raison de la liquidation des biens de son auteur.

Sur cette désignation, et d'autres postérieures (ordonnance de référé du 10 avril 1981 et ordonnance du juge de la mise en état du 30 mai 1984 de la même juridiction) cet expert a déposé un premier rapport le 25 juin 1980 avec un rapport complémentaire du 16 septembre 1980 et un second rapport du 15 octobre 1985.

Il est à noter à cet endroit que Fipec a donc fait l'objet, le 10 juillet 1979, d'un jugement du Tribunal de commerce de Boulogne-Sur-Mer prononçant sa liquidation des biens et désignant Me Sailly en qualité de Syndic, et que cette société a été radiée du Registre du commerce le 20 décembre 1981.

De même, il est à noter que Pennel-Flipo de son côté voyait prononcer son règlement judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Roubaix du 14 septembre 1983, Me Duquesnoy en étant déclaré le Syndic. Cependant un second jugement du 11 septembre 1985 de ce tribunal a homologué le concordat voté par l'assemblée des créanciers du 25 juillet 1985, Me Duquesnoy étant désigné comme commissaire à son exécution. Pendant ce temps Beghin Say avait assigné au fond devant le Tribunal de grande instance de Châlons-sur-Marne Muller, Screg, Fipec International et l'UAP par actes d'huissiers de février et mars 1983.

Au cours de cette procédure, et avant le dépôt du second rapport d'expertise Philbée mentionné ci-dessus, est intervenue, le 22 mars 1985, une transaction entre Beghin Say, Serete, Screg et Muller, aux termes de laquelle ces signataires indiquaient que des éléments recueillis il apparaissait que la responsabilité de Fipec et Pennel-Flipo était engagée, arrêtaient de façon forfaitaire et définitive le préjudice subi par Beghin Say à la somme de 2 800 000 F HT, acceptaient en l'état de prendre chacun en charge le quart de cette somme et le quart des frais d'expertises engagés, mais sous réserve pour chacun de se retourner contre Fipec et Pennel-Flipo et contre leurs assureurs à proportion de leurs responsabilités respectives, et avec la précision expresse que ces modalités de règlement avaient été fixées en raison de la non-intervention des deux dernières sociétés tenues en fait pour responsables des désordres.

Cependant pour sa part, l'UAP avait soulevé l'incompétence du Tribunal de grande instance de Châlons-sur-Marne au profit du Tribunal de commerce d'Epernay, de sorte que Beghin Say a abandonné sa procédure initiale pour assigner alors devant le tribunal de commerce, par actes des 22 au 30 août 1985, plus un acte du 10 décembre 1985 vis-à-vis de Screg, l'ensemble des parties aujourd'hui présentes à l'instance.

Beghin Say demandait au tribunal de déclarer Fipec et Pennel-Flipo, avec leurs Syndics, solidairement responsables des désordres par dé- gradation du revêtement de Butyl dans les bassins et réservoirs de sa Sucrerie de Connantre, et de condamner solidairement l'UAP et PFA, dans la limite de leurs contrats, à lui payer la somme principale de 700 000 F avec intérêts de droit en réparation du préjudice non compris dans la transaction du 22 mars 1985, la somme de 200 000 F avec intérêts de droit pour préjudice complémentaire au titre du trouble commercial et une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par un jugement du 14 avril 1987, le Tribunal de commerce d'Epernay a mis hors de cause AGF et Cigna France (alors dénommée CNA), a constaté l'inopposabilité de la transaction (par application des articles 1129, 2051 et 2052 du Code civil), a débouté de leur demande principale Muller, Serete et Screg (qui demandaient chacune d'être remboursée de leur participation à la transaction par Fipec, Pennel-Flipo et leurs assureurs), a condamné conjointement et solidairement Fipec, Me Sailly, l'UAP, Pennel-Flipo et PFA à payer à Beghin Say la somme principale de 700 000 F avec intérêts de droit à compter du jugement, celle de 100 000 F de dommages-intérêts et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

C'est de ce jugement que la cour est aujourd'hui saisie à la suite de l'appel qui en a été relevé d'abord par Pennel-Flipo et son Syndic, Me Duquesnoy, selon déclaration du 18 juin 1987, puis par PFA selon déclaration du 26 juin 1987, encore par Muller selon déclaration du 28 juillet 1987 et enfin par Me Sailly, ès qualités, par déclaration du 25 août 1987.

Ces recours ont été inscrits sous les n° 1259-87 pour les deux premiers et le quatrième, et 1668-87 pour le troisième. Ils ont fait l'objet d'une jonction devant le Conseiller de la mise en état à la date du 21 janvier 1988.

Les parties ayant régulièrement échangé leurs conclusions, l'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 avril 1990 et l'affaire a été plaidée le même jour.

Moyens des parties

1) Pennel-Flipo aujourd'hui seule sans Syndic, première appelante, conclut à l'infirmation du jugement querellé en soulevant d'abord l'irrecevabilité des demandes présentées contre elle par Beghin Say, Screg et Serete par suite de l'effet déclaratif du jugement ayant prononcé, le 14 septembre 1983, son redressement judiciaire puisque ces sociétés ont dans ce cadre renoncé à faire vérifier leurs créances.

Par suite de ce même jugement, toute condamnation qui viendrait à être prononcée au profit de Muller, qui a produit au règlement judiciaire, ne pourrait, selon elle, que suivre le sort du concordat prévoyant un règlement à 100 % en 7 annuités sans intérêts.

Elle demande ensuite à la cour de prononcer la nullité de l'expertise à son égard en constatant que l'expert ne lui a pas adressé son rapport, non plus que les 4 derniers dires reçus de diverses parties, et qu'il a ainsi violé le principe du contradictoire.

Dans les faits, elle demande à la cour de constater, d'une part, que Fipec, qui est le producteur originaire du Butyl, s'est depuis spécialisée dans la pose de ce produit et a acquis dans cette activité une totale maîtrise, et d'autre part, que Fipec lui a, en l'espèce, passé commande du matériau sans lui mentionner sa destination.

Aussi, au vu du résultant des essais en laboratoire diligentés par l'expert judiciaire, elle demande à la cour de dire que le protocole conclu le 9 juin 1978 avec Fipec est sans objet et que les conclusions contradictoires de l'expert ne permettent pas d'asseoir une quelconque responsabilité à son encontre. Par ailleurs elle soutient que Beghin Say n'a jamais justifié du préjudice allégué, lequel n'a fait l'objet d'aucune vérification de l'expert.

En tout état de cause, elle demande à la cour de dire que PFA, son assureur, lui doit sa garantie, dans la limite, qu'elle ne conteste pas de 500 000 F

En définitive elle demande à la cour de débouter Beghin Say, Screg, Muller et Serete de toutes leurs demandes à son égard et de les condamner aux dépens. Subsidiairement, elle sollicite de la cour l'organisation d'une nouvelle expertise, confiée alors un à collège de trois experts, aux mêmes fins que la mission donnée à M. Philbée.

2) La Préservatrice Foncière Assurances "PFA", deuxième appelante, conclut aussi à l'infirmation du jugement dont appel à son égard.

En préalable, elle estime que la preuve n'a pas été rapportée par les expertises d'une mauvaise qualité des feuilles de Butyl fournies par son assurée, Pennel-Flipo, et donc que la responsabilité de celle-ci ne pouvait être engagée.

Elle rappelle que la soudure de ces feuilles, retenue par l'expert comme étant à l'origine du sinistre, incombait à Fipec seule, maître de son art, sous la surveillance éventuelle du maître d'œuvre, Serete.

Mais en tout état de cause elle soutient qu'elle ne doit pas sa garantie dans cette affaire à Pennel-Flipo, en se prévalant de la clause d'exclusion de garantie contenue à la police souscrite concernant "les dommages subis par les produits livrés ou exécutés par l'assuré ou ses sous-traitants et toute réclamation tendant à en obtenir la réfection, le remplacement ou le remboursement".

Or elle relève que la transaction du 22 mars 1985 porte sur le montant estimé "des réparations du Butyl".

Prétendant que sa garantie ne porte que sur les dommages occasionnés à d'autres biens que le produit lui-même par les vices ou défaut l'affectant et non pas sur le vice du produit lui-même puisqu'il s'agit d'une assurance de responsabilité civile, elle demande à la cour de constater qu'elle ne doit pas en l'espèce sa garantie à Pennel-Flipo, et donc de débouter Beghin Say de toutes ses demandes à son encontre. Très subsidiairement, elle demande qu'il lui soit donné acte qu'en tout état de cause sa garantie serait limitée à 500 000 F avec une franchise de 10 %.

Elle demande en conséquence à la cour de condamner Beghin Say à lui rembourser la somme de 450 000 F qu'elle a versée au titre de l'exécution provisoire du jugement déféré, et à lui payer une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu a supporter les entiers dépens.

3) Muller, troisième appelant, et Screg ont conclu ensemble. Elles soulignent d'abord que jusqu'au mois d'août 1976 le comportement du Butyl n'a donné lieu à aucune difficulté, les interventions effectuées sur la période du 1er septembre 1975 au 16 août 1976 ne concernant que des problèmes de génie civil. Elles indiquent que ce n'est qu'à compter de mars 1978 que sont survenues des dégradations importantes de ce matériau.

Elles précisent que c'est devant la nécessité de procéder à des réfections importantes et urgentes, et en considération de l'absence de Fipec et Pennel-Flipo alors l'une et l'autre objet d'une procédure collective, qu'est intervenue la transaction du 22 mars 1985 sur la base des éléments dégagés par les expertises, tant sur les responsabilités encourues que sur la réalité du préjudice subi par Beghin Say. Elles soutiennent que cette transaction ne valait aucunement reconnaissance d'une responsabilité de leur part, mais qu'elle s'explique par leur engagement solidaire avec Fipec vis-à-vis de Beghin Say (convention du 11 janvier 1975).

En réponse particulièrement aux arguments de l'UAP, elles considèrent qu'il n'y a pas de demande nouvelle de leur part à hauteur d'appel puisque dès l'origine Beghin Say a demandé au tribunal de statuer sur la réparation de son préjudice entier, ne limitant sa réclamation chiffrée à 700 000 F que par suite de la transaction du 22 mars 1985.

De même, quant à la procédure, elles estiment que les opérations d'expertise sont bien opposables à l'UAP et ont été diligentées régulièrement.

Elles estiment encore que Beghin Say n'a nullement renoncé à son action en se désistant de son instance devant le Tribunal de grande instance de Châlons-sur-Marne, renoncement qui, en tout état de cause ne pourrait préjudicier à leurs propres droits.

Elles affirment avoir bien, quant à elles, la qualité de tiers lésé dans ce litige, justifiant avoir effectivement payé à Beghin Say les sommes visées à la transaction.

Elles contestent la possibilité d'une forclusion décennale en l'espèce à partir de la date de réception des travaux, le 1er septembre 1975, puisque c'est par acte du 27 août 1985 que l'UAP a été assignée au fond devant le tribunal de commerce.

Elles soutiennent que tant les assureurs successifs de Fipec, sauf à eux à se répartir la charge du sinistre suivant leurs règles particulières, que l'assureur de Pennel-Flipo doivent leurs garanties.

Dans ces conditions elles demandent à la cour, faisant droit à leurs appels, principal et incidents, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la responsabilité de Fipec et de Pennel-Flipo pour les désordres survenus, de le confirmer en sa condamnation de ces deux sociétés et de leurs assureurs à en réparer les conséquences, de constater que le préjudice de Beghin Say s'est élevé à 2 800 000 F et que leurs propres règlements de 700 000 F pour chacune n'en a réparé qu'une partie, de constater qu'en raison de ces règlements résultant de leurs obligations solidaires avec Fipec, elles sont autorisées à demander à Fipec et à ses assureurs de les en rembourser, dès lors qu'elles-mêmes n'ont aucune responsabilité dans ces désordres, conformément aux règles des obligations solidaires et du droit commun du paiement pour autrui.

Elles demandent en conséquence à la cour de condamner Fipec, Pennel-Flipo et leurs assureurs à leur payer à chacune la somme de 700 000 F avec intérêts de droit à compter du 22 mars 1985, ou du moins de leur propre paiement, ainsi que leur quote-part de frais de procédure et de dépens incluse dans la transaction, en constatant que les assureurs ne peuvent échapper à leurs garanties.

Très subsidiairement, s'il n'était pas fait droit à leurs demandes, elles sollicitent la cour de dire que le préjudice de Beghin Say doit être chiffré à 2 800 000 F et d'en tirer toutes conséquences qui s'imposent.

Elles demandent enfin la condamnation des mêmes à leur payer à chacune une somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

4) Me Sailly, ès qualités, dernier appelant, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ses dispositions lui faisant grief ès qualités, de le décharger ès qualités, au vu du jugement déclaratif de liquidation des biens du 10 juillet 1979, des condamnations conjointes et solidaires prononcées à son encontre, en renvoyant tout contestant à se soumettre à la procédure de vérifications des créances de Fipec. Il demande sa mise hors de cause et le rejet de toutes autres prétentions plus amples ou contraires. Il demande enfin qu'il soit statué ce que de droit sur les dépens.

5) les AGF, qui sont l'actuel assureur de Pennel-Flipo, rappellent que les premiers désordres sont apparus avant la prise d'effet de son contrat d'assurance.

Elles demandent donc à la cour de constater qu'aucune demande n'est présentée contre elles, de statuer donc ce que de droit sur le mérite des appels interjetés, de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause, de rejeter toutes demandes plus amples ou contraires, de condamner Muller à lui payer une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de condamner Muller, et à défaut tout succombant, aux dépens

6) Serete, dans le même sens que Muller et Screg, conclut à la confirmation du jugement du 14 avril 1987 en ce qu'il a retenu l'entière responsabilité de Fipec et Pennel-Flipo dans les désordres soumis à l'expertise Philbée

Elle demande donc à la cour de dire que ces deux sociétés seront tenues de réparer les conséquences de ces désordres chiffrées à 2 800 000 F, de la dire fondée à exercer sans recours pour les 743 252,50 F versés à Beghin Say en exécution de la transaction du 22 mars 1985 tant en vertu de la subrogation qui y est inscrite qu'en vertu de l'article 1214 du Code civil, ce recours étant aussi fondé à l'encontre des assureurs, à savoir PFA pour Pennel-Flipo, UAP et Cigna France (anciennement CNA) pour Fipec, qui seront tenues à garantie.

Elle demande donc la condamnation conjointe et solidaire des unes et des autres à lui payer la somme de 743 252,50 F avec intérêts de droit à compter du 21 juin 1985 et une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens du procès. Subsidiairement, g'il n'était pas fait droit à sa prétention, elle demande à la cour de constater que le préjudice de Beghin Say s'élève à 2 800 000 F et d'en tirer toutes conséquences.

7) Cigna France conclut quant à elle à la confirmation du jugement à son égard, qui a prononcé sa mise hors de cause en constatant que les désordres sont apparus postérieurement à la résiliation de sa police d'assurance survenue le 31 décembre 1976, d'autant plus qu'un avenant à celle-ci stipulait qu'il n'y avait pas de garantie pour les réclamations formulées après la date d'effet de la résiliation, soit relatives des ouvrages ou travaux achevés et réceptionnés avant cette résiliation, soit relatives à des ouvrages ou travaux en cours d'exécution à cette même date.

Subsidiairement, si la cour infirmait le jugement, elle demande de juger que les expertises Philbée lui sont inopposables, de même que les prétentions de Beghin Say qui trouvent leur fondement dans ces expertises, puisqu'elle n'a été attraite en la cause que postérieurement.

Elle demande encore à la cour de juger que la transaction du 22 mars 1985 à laquelle ni elle-même, ni Fipec n'ont participé, lui est inopposable (articles 1129, 2051 et 2052 du Code civil), et de rejeter derechef les prétentions de Beghin Say.

Plus subsidiairement, en tout état de cause, elle demande à la cour de juger que sa garantie est limitée à 750 000 F avec application d'une franchise de 5 000 F et ne s'applique qu'à la seule Fipec, de sorte qu'elle ne peut être tenue à aucune condamnation solidaire.

Enfin, elle sollicite la condamnation de tout contestant à lui payer une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens du procès.

8) l'UAP conclut à l'infirmation du jugement du Tribunal de commerce d'Epernay. De façon générale, elle conclut d'abord à l'inopposabilité à son égard de la transaction du 22 mars 1985 et des opérations d'expertise ordonnées le 30 mai 1984, qui au surplus doivent être déclarées nulles en raison de la partialité de l'expert, de ce que celui-ci a assuré une mission de maîtrise d'œuvre des travaux de réfection, de ce qu'il a tenté la conciliation des parties, de ce qu'il a violé le principe du contradictoire.

A l'égard de Beghin Say, elle demande à la cour de dire que celle-ci n'a pas d'intérêt à agir pour la part de son préjudice à hauteur de 2 100 000 F dont elle a déjà reçu paiement, cette demande étant au surplus nouvelle à hauteur d'appel et donc irrecevable.

Elle demande aussi à la cour, d'une part, de constater que Beghin Say ne justifie pas de sa qualité à agir, n'étant pas propriétaire de l'ouvrage litigieux en 1976, 1977 et 1978 notamment, d'autre part, de constater qu'elle a renoncé définitivement à toute action à son encontre par son désistement du 30 avril 1984, et en troisième part, de juger qu'elle ne justifie d'aucun préjudice actuel compte tenu des sommes reçues de Screg, Muller et Serete, et de sa propre responsabilité aussi bien reconnue par la transaction qu'établie par son insuffisance à l'occasion du curage des bassins litigieux.

A l'égard de Screg, Muller et Serete, elle demande à la cour de dire que celles-ci ne justifient pas de leur qualité de tiers lésé, alors qu'elles ne prouvent ni avoir effectivement payé Beghin Say, ni ne pas avoir été elles-mêmes indemnisées par leurs propres assureurs. Elle oppose au surplus à ces trois sociétés la forclusion décennale.

Elle soutient en tout état de cause que Serete a une part de responsabilité en tant que maître d'œuvre à hauteur de sa participation admise par la transaction, de même que Screg et Muller en raison des mouvements des remblais et supports qui ont contribué à la défaillance du Butyl et de leur participation à l'élaboration technique du projet.

Pour ce qui la concerne, l'UAP prétend ne pas être tenue à garantie, qu'elle n'a jamais reconnue, d'une part, parce que le sinistre est apparu dès 1976, soit avant l'entrée en vigueur de sa police d'assurance, d'autre part, parce que sa police stipulait la cessation des garanties à compter de la fin du contrat qui est intervenue le 10 juillet 1979, sans paiement de primes subséquentes, en troisième part, parce qu'elle ne couvrait ni les usines, ni les ateliers, ni les cuves et fosses, ni les ouvrages de caractère original, ni la responsabilité contractuelle, et en dernière part, parce que sa garantie était limitée à un million de Francs pour l'ensemble des sinistres.

En conséquence, elle demande à la cour de condamner Beghin Say à lui restituer les sommes payées au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel, avec intérêts de droit à compter de leur versement et application de l'article 1154 du Code civil en tant que de besoin à titre de complément de dommages-intérêts.

Enfin, elle demande à la cour de constater que Pennel-Flipo a expressément reconnu sa responsabilité par son courrier du 9 juin 1978, et donc de la condamner in solidum avec PFA à la garantir de toute condamnation mise à sa charge. Elle demande la condamnation de tout contestant aux dépens.

9) Beghin Say, qui a initié toute la procédure, précise d'abord qu'elle n'a pas assigné les AGF devant les premiers juges et que, n'ayant formé aucune demande à leur encontre, elle n'entend pas conclure contre elles.

Quant à Me Duquesnoy, ès qualités, elle demande à la cour de juger son appel irrecevable puisque aussi bien aucune condamnation n'a été prononcée contre lui et que Pennel-Flipo, qui a obtenu un concordat, est redevenue in bonis.

Sur le fond du litige, elle demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a reconnu la responsabilité conjointe et solidaire de Fipec et Pennel-Flipo dans les désordres survenus à ses bassins de décantation, et en ce qu'il a prononcé condamnation conjointe et solidaire de Pennel-Flipo, l'UAP et PFA à en réparer les conséquences en lui payant une somme de 700 000 F avec intérêts de droit à compter du jugement.

Elle demande à la cour d'y ajouter, au vu de l'attestation d'assurance fournie initialement par celle-ci alors dénommée CNA, en étendant cette condamnation à Cigna France. Elle demande à la cour d'y ajouter aussi en condamnant les mêmes à lui payer en sus 200 000 F de dommages-intérêts pour préjudice complémentaire, ainsi que 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle demande encore à la cour de dire que son entier préjudice né de ces désordres s'est élevé à 2 800 000 F, qu'elle a le droit d'en être indemnisée, et donc de faire droit aux demandes en remboursement de Muller, Screg et Serete, chacune pour 700 000 F.

Subsidiairement, dans la négative sur ce dernier point, elle demande que la condamnation solidaire de Pennel-Flipo, l'UAP Cigna France et PFA à son profit s'élève à 2 800 000 F, elle-même s'engageant ici à restituer à Muller, Screg et Serete les sommes reçues de celles-ci. Elle demande enfin la condamnation des mêmes aux dépens.

En réponse aux arguments développés par les autres parties, elle s'oppose d'abord à la mise hors de cause de Me Sailly, ès qualités, tout en étant d'accord qu'il n'y a pas de condamnation à prononcer à son encontre.

Vis-à-vis de Cigna France, elle soutient qu'il suffit que son assuré ait été présent à l'expertise pour que celle-ci soit opposable à l'assureur, pour lequel la responsabilité de l'assuré constitue dans ses relations avec le tiers lésé la réalisation du risque couvert.

A l'égard de l'UAP, elle conteste l'en- semble de ses arguments, expliquant d'abord, acte de fusion-absoption à l'appui, qu'elle est bien propriétaire de la sucrerie en cause depuis 1978, affirmant ensuite que son désistement de procédure devant le Tribunal de grande instance de Châlons-Sur-Marne n'a jamais été un désistement d'action, reprenant en ce qui concerne l'opposabilité de l'expertise le même argument qu'avec Cigna France, rappelant que la transaction du 22 mars 1985 ne contient aucune reconnaissance de responsabilité pour ses signataires, indiquant enfin que son assignation au fond a été délivrée dans le délai de garantie décennale et que les désordres litigieux ne sont apparus qu'au début de l'année 1978, estimant ainsi que l'UAP est bien tenue à garantir un sinistre qui entre bien dans le champ d'application de la police souscrite.

Pour ce qui est de PFA, elle soutient qu'il suffit de se reporter aux clauses particulières du contrat d'assurance, qui l'emportent sur les clauses générales, pour que son obligation à garantie soit retenue.

Quant à Pennel-Flipo, elle soutient que sa demande est parfaitement recevable puisque dès son assignation il est apparu que celle-ci était redevenue in bonis.

Elle conteste que le principe du contradictoire n'ait pas été respecté envers elle à l'occasion de l'expertise.

Elle maintient que cette société est bien responsable de ses désordres avec Fipec, conformément à la reconnaissance qu'elle en a faite dans un document du 9 juin 1978, qui émane d'elle, que ne saurait contredire le seul rapport unilatéral et tardif (du 4 décembre 1989) dont elle se prévaut aujourd'hui.

Me Duquesnoy, ès qualités, n'a pas conclu.

Sur ce, LA COUR,

Attendu qu'il convient d'abord de confirmer la mise hors de cause des AGF puisque effectivement il n'est formulé aucune demande à leur encontre, qu'aucune partie ne conteste que les désordres litigieux sont apparus avant la prise d'effet du contrat d'assurance souscrit auprès d'elles par Pennel-Flipo, et que cette dernière ne réclame pas leur garantie ; que cependant, la demande des AGF au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'encontre de Muller ne peut qu'être rejetée, puisqu'il n'est pas établi que cette dernière soit à l'origine de la mise en cause des AGF, le jugement dont appel rattachant au contraire cette mise en cause à Fipec par une assignation antérieure du 16 mai 1979, sans être aujourd'hui contesté sur ce point ;

Attendu qu'en ce qui concerne Me Duquesnoy, ès qualités, il y a lieu de dire effectivement qu'à la suite du concordat obtenu par Pennel-Flipo, et homologué par le tribunal de commerce compétent le 11 septembre 1985, il n'avait pas qualité pour interjeter appel du jugement du 14 avril 1987 que d'ailleurs Pennel-Flipo a conclu seule, sans son concours, devant les premiers juges, comme le fait devant la cour ; que de même, le jugement déféré n'a été signifie qu a Pennel-Flipo seule sans que la régularité d'une telle signification soit jamais contestée ; qu'il y a donc lieu de déclarer Me Duquesnoy, ès qualités, irrecevable en son appel, en lui laissant la charge des dépens afférents ;

Attendu qu'à l'égard de Me Sailly, il y a lieu dès maintenant d'infirmer le jugement du 14 avril 1987 en ce qu'il a prononcé condamnation directe à son encontre, alors que les règles de la procédure collective de Fipec l'interdisent que cependant la demande de Me Sailly tendant à être mis hors de cause ne peut qu'être rejetée puisqu'il est évidemment susceptible d'être tenu du chef de Fipec, selon les règles de la liquidation des biens, si la responsabilité de celle-ci vient à être retenue et à hauteur du préjudice qui pourra lui être imputé ;

Attendu qu'il y a lieu d'évacuer divers problèmes procéduraux ; qu'en préalable, pour la moralité des débats, il y a lieu de relever à la lecture du jugement déféré qu'aucun de ces moyens tenant à la régularité ou à l'opposabilité des opérations d'expertise, comme à des questions de recevabilité d'actions, n'a été évoqué devant les premiers juges ; qu'en tout cas il ne leur ait pas fait grief de n'y avoir pas répondu ;

Attendu, particulièrement quant aux opérations d'expertise, qu'il y a lieu d'abord de juger celles-ci parfaitement opposables aux assureurs qui les contestent (UAP et Cigna France) dès lors que leur assuré y a bien été partie, Fipec étant défenderesse à toutes les ordonnances de désignation de l'expert ; qu'il y a lieu également à toutes fins de relever que Pennel-Flipo a été aussi défenderesse aux ordonnances du 10 avril 1981 et 30 mai 1984, et ayant participé aux opérations ayant abouti au premier rapport du 20 mai 1980, en tête duquel elle est bien mentionnée, et ce par l'effet de son assignation par Fipec devant le Tribunal de commerce d'Epernay, dans les termes du jugement déféré qui en sa troisième page rappelle l'enchevêtrement des procédures ;

Attendu de même qu'il y a lieu de juger ces opérations d'expertise tout à fait régulières, en rejetant notamment tout grief d'atteinte au principe du contradictoire, aucune des parties qui s'en prévaut n'étant en mesure de les établir, ni d'ailleurs de justifier d'une quelconque impossibilité pour elle d'avoir été, au cours de la procédure, ou d'être aujourd'hui, empêchée de ce fait de faire valoir correctement ses droits que par ailleurs, dans ses opérations, l'expert a toujours agi dans le cadre des missions judiciaires et conformément aux règles du nouveau Code de procédure civile.

Attendu ensuite qu'il y a lieu de rejeter la prétention de Pennel-Flipo à voir déclarer irrecevables les actions de Beghin Say, Screg et Serete à son encontre par suite de la procédure collective dont elle a été l'objet ; qu'en effet, il est constant que Beghin Say a introduit à son encontre la procédure dont la cour est aujourd'hui saisie par acte du 27 août 1985, en assignant régulièrement en même temps son Syndic, Me Duquesnoy, alors en fonction que cependant dès les 11 septembre 1985 Pennel-Flipo redevenait in bonis par l'effet du jugement homologuant à cette date le concordat voté par ses créanciers le 25 juillet 1985 ; qu'il ne peut donc être fait grief aux demandeurs contre elle de n'avoir pas dans ce délai produit à la procédure collective, d'autant que par son assignation Beghin Say ne demandait pas de condamnation à paiement contre elle, mais contre son assureur, sollicitant seulement à son encontre une déclaration de responsabilité ;

Attendu qu'il y a lieu aussi de rejeter les conclusions d'irrecevabilité au motif que les actions engagées l'auraient été plus de 10 ans après la réception des travaux ; qu'en effet, il ne peut être contesté qu'en tout état de cause la Sté Beghin Say a assigné devant le Tribunal de commerce d'Epernay notamment Fipec, Pennel-Flipo et leurs assureurs par actes des 22 au 30 août 1985, alors que la réception des travaux a eu lieu le 20 mai 1976, avec effets reportés au 1er septembre 1975 ; que cette action a interrompu la prescription au profit de toutes les autres parties qui y avaient intérêt ; qu'au surplus Beghin Say avait préalablement assigné en Février 1983 Fipec et son assureur pour les mêmes causes devant le Tribunal de grande instance de Châlons-Sur-Marne et que Fipec avait elle-même, dès 1979, assigné Pennel-Flipo pour répondre des désordres affectant l'étanchéité à Connantre ;

Attendu encore que doit être rejetée la contestation de la qualité de Beghin Say à agir, celle-ci rapportant bien la preuve par la production du contrat d'apport-fusion de la Sté Unisuc dans la Sté Beghin Say du 8 mai 1978 qu'elle était bien, et est toujours aujourd'hui propriétaire au jour de l'assignation de la Sucrerie de Connantre ;

Attendu également que doit être rejetée la contestation de la qualité de tiers lésé, et donc de leur qualité à agir de Muller, Screg et Serete ; qu'en effet, l'exigence de l'UAP, qui la soulève, d'avoir la preuve que ces sociétés n'ont pas été elles-mêmes indemnisées par leurs propres assurances est excessive, alors que justement ces sociétés contestent avoir toute responsabilité dans les désordres litigieux ; que par la transaction en vertu de laquelle elles ont payé elles se sont réservées précisément un recours contre les vrais responsables ; qu'enfin, l'UAP ne justifie pas, comme elle était en mesure de le faire en interrogeant elle-même ces assurances, que Muller, Screg et Serete auraient fait des déclarations de sinistre leur ouvrant un droit à indemnisation ;

Attendu enfin que, d'une part, Beghin Say a seulement formulé un désistement d'instance et non pas d'action devant le Tribunal de grande instance de Châlons-sur-Marne en raison de l'exception d'incompétence soulevée par l'UAP, qui ne peut justifier d'aucune décision contraire et que, d'autre part, Beghin Say a bien sollicité, dès l'origine, le principe de la réparation de son entier préjudice, ne le chiffrant concrètement que pour partie seulement en raison des paiements déjà reçus de Muller, Screg et Serete ; que la cour n'est donc pas saisie d'une demande nouvelle quant à l'appréciation du quantum de ce préjudice ;

Attendu dès lors qu'il est possible d'aborder le fond du ligie qui porte, d'une part, sur la détermination des responsabilités, d'autre part sur les obligations de garantie des assureurs et en troisième part, sur la fixation des préjudices que pour la solution des problèmes techniques, il y a lieu pour la cour de s'appuyer sur les deux rapports d'expertise de mai 1980 et octobre 1985 qui sont clairs, précis et concordants, sauf à prendre en compte l'évolution naturelle des faits au cours de la procédure ;

Attendu, sur les responsabilités, qu'il y a lieu de retenir au départ du raisonnement que la Sucrerie de Connantre devait être une usine modèle pour Beghin Say, qu'elle devait être l'une des premières du monde, qu'elle impliquait la mise en œuvre d'une surface de Butyl très importante (181 120 m2 selon le marché), de sorte que si l'expert a pu indiquer que l'emploi du Butyl y relevait du prototype de génie civil, l'utilisation de ce procédé, qui avait déjà eu des applications antérieures permettant à Fipec de faire valoir son expérience, constituait aussi pour cette dernière, comme pour le fabricant du matériau, Pennel-Flipo, une occasion de promotion ;

Attendu qu'il est aujourd'hui établi par les opérations d'expertise, sans contestation sérieuse, que les désordres litigieux ont consisté en déchirures survenues au long des contremarques formées à l'endroit des soudures des lès de Butyl entre eux par vulcanisation ; qu'il est également établi que c'est un vieillissement accéléré de la feuille de Butyl à cet endroit qui est à l'origine de ces déchirures puisque l'opération de vulcanisation conduit à une altération des caractéristiques de ce matériau (techniquement décrite en pages 14 et 15 du rapport d'expertise du 20 mai 1980) ; qu'il est encore constant que la cause immédiate des déchirures est le poids propre du Butyl exerçant des contraintes de traction sur ce matériau particulièrement aux endroits de vieillissement prématuré des contremarques ; que l'absence de déchirures significatives en d'autres endroits permet à la cour d'exclure une défectuosité de la contexture intrinsèque du Butyl ; que par contre la disposition horizontale des lès, employée en l'espèce, accroît les risques de déchirure qu'il est enfin établi que dès l'origine a été prévu en fond de bassin au pied des digues des butées protectrices du Butyl suffisantes pour éviter des déchirures pendant les opérations d'exploitation par des engins de terrassement et nettoyage des bassins ;

Attendu qu'il résulte des expertises que les contraintes de traction peuvent avoir trois origines ; que l'expert retient la première pour certaine, à savoir le propre poids du matériau lui-même compte tenu, en l'espèce, de la hauteur des digues et de l'importance des surfaces mises en œuvre ; que deux autres facteurs interviennent pour créer des tractions, d'une part, "l'effet de courroie" provenant du clipage du Butyl par engravures en tête des digues, et d'autre part, en cours d'exploitation "l'accrochage" des boues solides au rampant des digues dans les bassins de décantation ; que l'expert qualifie ces deux derniers facteurs de causes incertaines en raison de l'impossibilité technique actuelle d'un mesurer l'effet ;

Attendu dès lors qu'il y a lieu de retenir comme éléments certains du dossier et des rapports d'expertise, premièrement que "le fait générateur du sinistre est Fipec en tant qu'exécutant du défaut de mise en œuvre, qui n'en ignorait pas les conséquences (vieillissement du Butyl aux contremarques des soudures), défaut conduisant à un vice caché qui s'est révélé par la disposition horizontale des lès" ; deuxièmement, que Fipec qui se targuait compétence particulière dans ce domaine lors de colloques internationaux, avait la maîtrise entière (compte tenu de son unicité au moins à l'époque) du procédé d'assemblage des lès de Butyl par vulcanisation, procédé par ailleurs breveté et expérimenté ; troisièmement, que Pennel-Flipo et Fipec avaient conclu en Novembre 1973 un accord d'association de leurs compétences concernant le marché de l'étanchéité du sol et de la toiture consistant notamment pour la première à assurer la fabrication et la fourniture des produits à base de Butyl, ainsi que l'aide technique de ses laboratoires, et pour la seconde à apporter sa technologie d'assemblage et de pose assurant toute fiabilité quatrièmement, qu'un compte rendu de réunion technique entre Pennel-Flipo et Fipec du 1er juin 1978 spécifie explicitement à propos des contremarques des soudures de Butyl et des dégradations observées sur les bassins de Connantre que Pennel-Flipo reconnaît sa responsabilité pour une résistance insuffisante à l'ozone ; cinquièmement, qu'aucune responsabilité technique ou contractuelle ne peut être reprochée ni à Muller, ni à Screg ;

Attendu, en considération de l'ensemble de ces éléments, qu'il y a lieu de retenir la responsabilité solidaire de Fipec et de Pennel- Flipo envers Beghin Say pour le préjudice né des désordres affectant la protection d'étanchéité des parois des bassins par le revêtement Butyl au titre de l'article 1792 du Code civil et par application de l'article 1792-4 du même Code, en opérant dans leur rapport entre elles, en réponse à la dénégation de toute responsabilité propre par Pennel Flipo et au contraire à la demande de totale garantie par l'UAP à son encontre, un partage de responsabilité à proportion de 1/4 pour Pennel-Flipo et de 3/4 à la charge de Fipec que bien évidemment la transaction du 25 mars 1985 n'a emporté aucune reconnaissance de responsabilité de la part de ses signataires qui viendrait contredire ces conclusions ; qu'au demeurant, les autres parties au litige, qui n'en sont pas signataires, sont d'autant plus mal fondées à l'invoquer en ce sens, alors que par ailleurs et en même temps elles sou- tiennent son inopposabilité en ce qu'elle a trait à la responsabilité de Fipec et de Pennel-Flipo ;

Attendu qu'il y a lieu maintenant de rechercher, pour la mise en œuvre de cette responsabilité, mi les sociétés déclarées responsables peuvent se prévaloir de la garantie de leurs assureurs ; qu en ce qui concerne Fipec, il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont déchargé Cigna France de toute obligation de garantie et condamné au contraire UAP à accorder la sienne ; qu'en effet, il ne peut être sérieusement contesté que le sinistre litigieux a son origine dans les désordres apparus au cours de l'année 1978, sans qu'aucun élément du dossier ne permette de qualifier les quelques réparations effectuées en 1976, n'ayant concerné que les 6 lès de Butyl, comme des désordres devant engager la mise en œuvre de la responsabilité de l'entrepreneur ; qu'il y a lieu dès lors de s'en tenir aux clauses claires et précises et non ambigus des contrats d'assurance successivement conclus par Fipec ; qu'il suffit ainsi de constater que le contrat UAP contient une clause expresse de "reprise du passé" article 6-2 et 9-4 des conditions particulières) pour les ouvrages terminés à la date d'effet du contrat qui n'ont fait l'objet d'aucune réclamation antérieure connue -de l'assurée qu'à l'évidence, en souscrivant à une telle clause rédigée d'ailleurs par elle, l'UAP avait eu connaissance des conditions antérieures d'assurance de Fipec et de ce que Cigna France n'assurait dès lors pas, par l'effet de la résiliation demandée par l'assuré, le risque des ouvrages achevés et réceptionnés avant pour lesquels une réclamation serait formulée après ; que Beghin Say, même au titre de son action directe, ne peut dès lors pré- tendre à bénéficier de la garantie de Cigna France ;

Attendu que la résiliation postérieure, en date du 10 juillet 1979, du contrat UAP ne peut par contre priver Beghin Say de son droit à obtenir la garantie de cet assureur, puisque le sinistre était déjà né à cette date ;

Attendu que l'UAP ne peut davantage se prévaloir d'une exclusion contractuelle de garantie en se fondant sur le titre B de l'annexe aux conditions particulières de son contrat qu'en effet, s'agissant d'exclusions, elles doivent s'analyser strictement, de sorte que l'UAP n'est pas fondée à vouloir assimiler les bassins aux ateliers et usines en ce qu'ils seraient l'annexe de l'usine de Connantre non plus qu'à des cuves et fosses, alors qu'au contraire le titre A de la même annexe inclut expressément dans les garanties les bassins de filtration et de décantation (paragraphe 3 in fine) ; qu'elle ne peut davantage invoquer l'exclusion propre aux "ouvrages de caractère original, prototype ou inusuel" (article 4-12 des conditions particulières), dans la mesure où l'article 1-7 des mêmes conditions définit de tels ouvrages comme ceux dont les caractéristiques présentent des exigences excessives compte tenu des techniques de construction en vigueur au moment de son exécution ; qu'il n'est aucunement établi que les travaux dont s'agit avaient de telles caractéristiques ;

Attendu qu'en ce qui concerne maintenant Pennel-Flipo, la garantie de PFA est incontestablement due dès lors que l'action de Beghin Say a pour objet la réparation d'un dommage (le défaut d'étanchéité) ayant "son origine dans un défaut quelconque d'exécution, de fabrication, mise au point, conditionnement ou installation" (article 1, chapitre 1, titre III des conditions particulières), et non pas un dommage subi par le produit livré par l'assuré (chapitre 2 du même titre Il) ; que les premiers juges doivent être également confirmés de ce chef ;

Attendu qu'aucune des parties en cause ne conteste que l'UAP et PFA puissent opposer les limites contractuelles de leurs garanties, soit un Million de Francs pour la première et 500 000 F pour la seconde ; qu'il est aussi exact que ces garanties sont affectées d'une franchise que cependant cette franchise, mi elle est normalement de 10 % du coût du sinistre, a un maximum contractuel qui, pour chacun des assureurs, est de 10 000 F ;

Attendu qu'il convient à présent de statuer sur le montant du préjudice indemnisable ; que de ce chef la décision des premiers juges doit être infirmée ; qu'il y a lieu de relever que l'expert, qui en avait bien la mission, en a effectivement opéré la vérification (page 43 du rapport du 15 octobre 1985) ; que le montant, en ce qui concerne les travaux effectués par Beghin Say, n'est pas sérieusement contesté par les parties que la seule contestation précise de l'UAP, relative à des frais financiers, n'est pas sérieuse et ne saurait être retenue, alors qu'il est évident que Beghin Say n'a pu entreprendre des travaux d'une telle importance sans recourir à des concours financiers extérieurs, lesquels, tout aussi évidemment, ne sont pas gratuits ; que la somme de 2 800 000 F (hors taxes) doit donc être retenue ;

Attendu alors, eu égard aux divers points qui viennent d'être jugés et aux rapports existants entre les diverses parties au litige, qu'il y a lieu de dire que Beghin Say devra recevoir seule et entièrement des responsables déclarés et de leurs assureurs tenus solidairement, le montant de ce préjudice, sous réserve du respect des règles de la procédure collective à l'égard de Me Sailly, ès qualités, dans les termes du dispositif ci-après ; que de son côté Beghin Say devra restituer à Serete, Screg et Muller le montant des sommes que chacune de celles-ci lui a payé, y compris sur les frais d'expertise, dans le cadre de leur transaction, comme elle en a d'ailleurs fait l'offre subsidiaire ;

Attendu que dans les circonstances de l'ensemble de la procédure, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles ;

Attendu que les entiers dépens du procès, à l'exclusion de ceux afférents à l'appel de Me Duquesnoy, doivent être mis à la charge de Fipec et Pennel-Flipo, avec la garantie de leurs assurances, dans les conditions de leurs responsabilités ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire Déclare Me Duquesnoy, ès qualités, irrecevable en son appel et lui laisse la charge de ses propres dépens y afférents Reçoit en la forme les autres parties en leurs appels Infirme dans la mesure utile le jugement rendu le 14 avril 1987 par le Tribunal de commerce d'Epernay Statuant à nouveau Met hors de cause les AGF Déclare les opérations d'expertise de M. Philbée opposables et régulières à l'égard de toutes les parties Rejette toutes les exceptions d'irrecevabilité d'action pour quelque cause que ce soit Rejette l'exception de désistement de son action par la SA Beghin Say Déclare la Sté Fipec International et la SARL Pennel-Flipo solidairement responsables envers la SA Beghin Say par application des articles 1792 et 1792-4 du Code civil du préjudice né des désordres affectant la protection d'étanchéité des parois des bassins de la sucrerie de Connantre au moyen d'un revêtement Butyl ; Dit que dans leurs rapports réciproques la SARL Pennel-Flipo supportera le 114 de cette responsabilité et la Sté Fipec International les 3/4 Dit que Cigna Frange ne doit pas sa garantie à la Sté Fipec International au titre du présent sinistre ; Dit qu'en revanche l'UAP pour la Sté Fipec International et la Préservatrice Foncière Assurances "PFA" pour la SARL Pennel-Flipo doivent leur garantie dans les limites contractuelles de un million de Francs pour la première et de cinq cent mille francs (500 000 F) pour la seconde, sous déduction pour chacune d'une franchise maximale de dix mille francs (10 000 F) Fixe le préjudice de la SA Beghin Say à la somme de deux millions huit cent mille francs (2 800 000 F) Fixe la créance de la SA Beghin Say à l'égard de la SA Fipec International représentée par Me Sailly, son syndic, à ce montant et condamne par ailleurs in solidum Pennel-Flipo, l'UAP et PFA à payer ladite somme à la SA Beghin Say, sous la réserve des limites contractuelles de garantie comme ci-dessus Donne acte à la SA Beghin Say de son offre et engagement de restituer à la SA Serete, la SA Screg Est et la SA Muller Frères toutes les sommes reçues de celles-ci au titre de leur transaction du 22 mars 1985, et l'y condamne en tant que de besoin Rejette toutes demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et toutes demandes plus amples ou contraires Condamne, dans les mêmes conditions, la SARL Pennel-Flipo, l'UAP et PFA aux entiers dépens du procès autres que ceux afférents à l'appel de Me Duquesnoy, pour être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Me Sailly, ès qualités, y étant tenu conformément aux règles de la procédure collective.