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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 28 mars 1997, n° 94-00007537

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CCIF (SA)

Défendeur :

Bernard (époux), Hamamouche (ès qual.), Canet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Simonnot (faisant fonctions)

Conseillers :

Mme Prager Bouyala, M. Lemonde

Avoués :

SCP Gas, SCP Lambert Debray Chemin, SCP Keime Guttin

Avocats :

Mes Ardoin, Petit

TGI Pontoise, 2e ch., du 24 juin 1994

24 juin 1994

Faits et procédure :

Par acte sous seing privé du 31 mars 1987, signé par les époux Bernard, Monsieur Bernard, en redressement judiciaire, assisté de Maître Hamamouche, administrateur judiciaire, a vendu à la SARL Comptoir Culinaire Ile-de-France (CCIF) un fonds de commerce de restauration sis à Enghien, 61 rue du général de Gaulle.

Courant 1992, la construction d'un immeuble, entreprise par la Ville d'Enghien sur un terrain situé à l'arrière de l'établissement a rendu inaccessible l'issue de secours de celui-ci et a contraint le CCIF à la réalisation de travaux modificatifs.

Considérant que ses vendeurs lui avaient dissimulé le caractère précaire et révocable de l'issue de secours qui existait lors de la vente, le CCIF leur a demandé le dédommagement des frais complémentaires qu'il avait dû exposer ;

Par jugement du 24 juin 1994, le Tribunal de grande instance de Pontoise l'a débouté de sa demande.

Le CCIF a interjeté appel le 23 septembre 1994.

Il soutient que les époux Bernard ne l'avaient pas informé du caractère précaire de l'issue de secours, dont il avait pu constater l'existence, et que la clause de l'acte de cession, aux termes de laquelle il déclarait connaître le fonds et les servitudes d'urbanisme, ne suffisait pas à les dispenser de cette information.

Il considère qu'il s'agissait en conséquence d'un vice caché dont il n'a appris l'existence qu'en 1992.

Il conclut à l'infirmation du jugement et demande la somme de 250 000 F en réparation de son préjudice et celle de 35 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur et Madame Bernard soutiennent que le CCIF était averti de la situation depuis une lettre de la mairie du 26 mai 1987 et qu'il lui appartenait d'être vigilant lors de l'acquisition des lieux.

Ils concluent à la confirmation du jugement et au renvoi en tant que de besoin du CCIF à agir contre la Mairie d'Enghien.

Ils sollicitent la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils demandent, en outre, que soit ordonnée la déconsignation de billets à ordre souscrits lors de la vente du fonds.

Ils demandent, à titre subsidiaire, qu'aucune condamnation ne soit prononcée sans justificatifs complémentaires du préjudice.

Maître Hamamouche, intervenant en qualité d'administrateur judiciaire de Monsieur Bernard, indique que celui-ci avait fait l'objet, le 17 mars 1987, d'un premier jugement de mise en redressement judiciaire, qu'un plan de redressement par continuation a été arrêté par jugement du 11 décembre 1987 et qu'il a été à nouveau déclaré en redressement judiciaire le 25 novembre 1994.

Il soulève, en conséquence, l'extinction de la créance du CCIF qui ne l'a pas déclarée au passif du second redressement.

Il conclut subsidiairement à la confirmation du jugement et demande la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur et Madame Bernard s'associent au moyen d'irrecevabilité soulevé par Maître Hamamouche.

Le CCIF réplique qu'il n'avait pas à déclarer une créance postérieure au jugement de redressement judiciaire.

Maître Hamamouche considère qu'il devait la déclarer dans le cadre de la seconde procédure de redressement judiciaire.

Le CCIF conteste cette interprétation et fait observer, à titre subsidiaire, que ses conclusions d'appel, signifiées à Maître Hamamouche, le 13 janvier 1995, soit dans le délai de déclaration de créance, sont équivalentes à une déclaration.

Maître Hamamouche lui oppose que la déclaration doit être faite entre les mains du représentant des créanciers, qualité qui n'a jamais été la sienne.

Suite à la conversion du redressement judiciaire de Monsieur Bernard en liquidation, le CCIF a assigné Maître Canet, mandataire liquidateur, en fixation de sa créance et a confirmé ses conclusions à l'encontre de Madame Bernard.

Maître Canet fait valoir que le redressement judiciaire ouvert le 25 novembre 1994 constitue une procédure collective totalement distincte de la première et que les créances nées entre le jugement arrêtant le plan de continuation et l'ouverture de la nouvelle procédure sont nées de l'activité de l'entreprise et devaient impérativement être déclarées dans le délai de un an à compter de l'ouverture.

Il conclut à l'irrecevabilité de la demande et à la condamnation du CCIF à lui verser la somme de 8 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le CCIF rappelle que sa créance reste en tout état de cause recevable à l'encontre de Madame Bernard.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 février 1997.

Motifs :

- Sur la recevabilité de la demande à l'encontre de Monsieur Bernard :

Attendu que la créance du CCIF est née au cours de l'année 1992, des travaux qu'il a été contraint d'exécuter ;

Que Monsieur Bernard faisait alors l'objet d'un redressement judiciaire assorti d'un plan de continuation d'activité qui n'a été résolu que par le second jugement d'ouverture de redressement judiciaire dont il a fait l'objet le 25 novembre 1994;

Attendu que les créances dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire consécutif à la résolution du plan de continuation doivent être déclarées au représentant des créanciers de la seconde procédure collective ;

Attendu que le CCIF ne conteste pas ne pas avoir procédé à cette déclaration ;

Attendu que la seule signification de ses conclusions d'appel à l'administrateur judiciaire au premier redressement, qui n'a jamais eu la qualité de représentant des créanciers, ne saurait en tenir lieu ;

Attendu que la créance du CCIF est en conséquence éteinte à l'encontre de Monsieur Bernard ;

- Sur le fond :

Attendu que l'extinction d'une créance à l'encontre d'un débiteur faisant l'objet d'une procédure collective laisse subsister l'obligation contractée par son co-débiteur ;

Attendu que l'acte de vente avait été signé par les époux Bernard qui étaient ainsi solidairement tenus des conséquences de ses lacunes ;

Attendu que la demande du CCIF reste donc recevable à l'encontre de Madame Bernard ;

Attendu que les parties sont contraires sur la portée de la clause selon laquelle l'acquéreur déclarait s'être suffisamment documenté et renseigné en ce qui concerne les servitudes d'urbanisme auxquelles était soumis l'immeuble ;

Attendu qu'une telle clause impose à tout acquéreur normalement avisé de se renseigner à partir de tout élément visible susceptible de laisser supposer l'existence d'une éventuelle servitude ;

Attendu que le litige est né de la suppression par la municipalité d'une autorisation d'utiliser une sortie de secours ;

Attendu qu'un tel dispositif est obligatoire dans tout établissement recevant le public ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la sortie de secours existait lors de la vente ;

Qu'il n'est pas allégué que son implantation ait été de nature à laisser suspecter son caractère précaire;

Attendu que l'acquéreur n'avait en conséquence nul motif de s'assurer qu'il pourrait tout au long de son exploitation utiliser une sortie de secours, imposée par la réglementation et implantée de manière apparemment régulière ;

Attendu que Madame Bernard ne saurait donc s'exonérer de sa responsabilité sur le fondement d'une clause dont la portée ne s'étend pas au présent litige;

Attendu que le CCIF fonde son action sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil, relatif à la garantie due par le vendeur à raison des vices cachés affectant la chose vendue ;

Attendu que le caractère précaire de la sortie de secours a été démontré ;

Attendu qu'il s'agit d'un dispositif indispensable à l'exploitation d'un restaurant ;

Attendu que le caractère précaire impliquait, le jour où l'autorisation était supprimée, la réalisation de travaux aux fins de créer une autre issue de secours;

Que ces travaux constituent une charge imposée à l'acquéreur ;

Attendu, en conséquence, que le caractère précaire de la sortie de secours constituait un vice caché, rendant le fonds impropre à son usage sans la réalisation de travaux coûteux, tel que l'acquéreur aurait donné un moindre prix s'il l'avait connu ;

Attendu que l'action résultant d'un vice caché doit être intentée par l'acquéreur dans un bref délai ;

Que ce délai court du jour où l'acquéreur a eu connaissance du vice ;

Attendu qu'il importe, en conséquence, de rechercher à quelle date le CCIF a eu connaissance de la précarité de l'autorisation d'utiliser la sortie de secours existant et de la nécessité d'en faire ménager une autre ;

Attendu qu'est versée aux débats une lettre du maire d'Enghien-les-Bains, en date du 29 septembre 1980, autorisant Monsieur Bernard à ouvrir une sortie de secours, cette autorisation étant précaire, révocable et non cessible ;

Attendu qu'il n'est toutefois pas soutenu que ce courrier ait été porté à la connaissance des acquéreurs avant l'année 1992;

Attendu que Madame Bernard se fonde sur une lettre adressée le 26 mai 1987 au CCIF pour soutenir qu'il avait dès cette date connaissance de la situation;

Mais attendu que cette lettre se borne à rappeler que l'issue donnant sur le jardin de la mairie est une issue de secours qui ne doit pas servir aux livraisons ou à la sortie des ordures ;

Qu'aucune allusion n'y est faite à la précarité de l'usage de l'issue de secours ;

Que c'est donc à tort que les premiers juges ont considéré, sur le fondement de cette lettre, que le CCIF ne pouvait, depuis la date du 26 mai 1987, ignorer la situation ;

Attendu qu'il apparaît donc que le caractère précaire de l'issue de secours n'a été connu du CCIF que lorsque la mairie de la ville d'Enghien a entrepris des travaux au début de l'année 1992 ;

Attendu que son incidence sur l'exploitation du fonds de commerce n'a été connue avec certitude qu'après que le recours en annulation du permis de construire obtenu par la Ville d'Enghien ait été rejeté par le tribunal administratif ;

Attendu que l'action engagée par le CCIF le 3 mars 1993 peut en conséquence être considérée avoir été engagée dans un bref délai à partir du jour où il avait eu définitivement connaissance du vice affectant le fonds de commerce ;

Attendu que le CCIF est donc fondé à demander le remboursement des frais qu'il a dû exposer pour y mettre fin ;

- Sur le préjudice :

Attendu que le CCIF produit des factures justificatives des travaux à hauteur de 197 730 F;

Que cette somme prend en compte les honoraires d'un architecte, indispensable eu égard à la nature des travaux qui touchaient au gros œuvre de l'immeuble, et d'un avocat ;

Que l'intervention de ce dernier a permis l'établissement avec la mairie d'un protocole d'accord définitif, avec concession d'une servitude de passage ;

Qu'elle a donc participé à faire cesser le trouble résultant de la précarité ;

Attendu que ces deux postes d'honoraires seront donc admis;

Attendu que les travaux ont constitué en percement de deux murs, réalisation d'un mur de parpaings, dépose de portes existantes et repose de portes, modification de l'implantation des WC ;

Attendu que les factures renvoient à des travaux conformes à ceux préconisés par l'architecte, après consultation de la mairie;

Que rien n'indique qu'ils aient, ainsi que cela est soutenu, présenté un caractère somptuaire ;

Que la somme de 197 730 F sera en conséquence admise;

Attendu que le CCIF soutient sans en justifier avoir dû interrompre son activité pendant la durée des travaux ;

Que son préjudice moral et commercial est en conséquence sur-évalué ;

Attendu que la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à 220 000 F son préjudice toutes causes confondues ;

Attendu que Monsieur et Madame Bernard ne sauraient prétendre à l'allocation de dommages- intérêts;

Attendu qu'aucune précision n'est apportée sur le sort, dans le cadre du redressement judiciaire, des billets à ordre qui auraient été consignés ;

Que les conditions légales de la compensation ne sont donc pas réunies ;

Qu'il ne sera pas fait droit à la demande subsidiaire à cette fin ;

Attendu qu'il ne parait pas équitable que le CCIF conserve la charge des frais irrépétibles qu'il a dû exposer;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Déclare irrecevable l'appel du CCIF contre Monsieur Bernard, Maître Hamamouche et Maître Canet ; Le déclare recevable contre Madame Bernard ; Infirme le jugement rendu le 24 juin 1994 par le Tribunal de grande instance de Pontoise ; Statuant à nouveau ; Condamne Madame Bernard à payer au CCIF la somme de 220 000 F en réparation de son préjudice toutes causes confondues, Dit n'y avoir lieu à compensation ; Déboute Madame Bernard de sa demande en dommages-intérêts, Condamne Madame Bernard à verser au CCIF la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs conclusions ; Condamne Madame Bernard aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Gas, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.