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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 23 janvier 1992, n° 3019-90

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Woivre

Défendeur :

Cartier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaubert

Conseillers :

MM. Martin, Ors

Avoués :

Mes Fournier, Le Barazer

Avocats :

Mes Novo, Molinier

T. com. Bordeaux, du 16 mai 1991

16 mai 1991

Suivant déclaration au greffe du 24 juin 1991, Monsieur Woivre a régulièrement relevé appel du jugement rendu le 16 mai 1991 par le Tribunal de commerce de Bordeaux qui a débouté Monsieur Woivre de son action en diminution du prix du navire Lys de Mer, de sa demande de dommages-intérêts et a également débouté Monsieur Cartier de sa demande en remboursement de la provision de 80 000 F allouée par le juge des référés.

Monsieur Woivre rappelle dans ses écritures qu'à la suite de l'acquisition du chalutier Lys de Mer auprès de Monsieur Cartier il avait constaté des désordres graves acculant le navire impropre à la pêche, qu'une expertise avait été organisée et confiée à Monsieur Lescarret, que l'expert avait conclu à l'existence de désordres non apparents lors de l'acquisition du chalutier mais qui, s'aggravant en cours de navigation rendaient le bateau impropre à la pêche.

Monsieur Woivre considère que ces vices étant des vices cachés, justifiant sa demande de diminution du prix d'achat du chalutier du coût des frais de remise en état s'étant élevés à 97 067,76 F.

Il réclame par ailleurs condamnation du vendeur au paiement de la somme de 332 505 F, montant du préjudice résultant, à ses dires, des pertes d'exploitation, préjudice directement lié au vice caché et ce sur le fondement de l'article 1645 du Code civil ainsi que la somme de 20 000 F en réparation dommage pour son préjudice distinct.

Monsieur Cartier pour sa part conteste l'existence des vices cachés, soutient que le navire était destiné à la petite pêche et que les désordres constatés par l'expert mais dont il ne nie pas l'existence étaient dus à un usage intensif du chalutier qui en raison de sa classification en 3e catégorie ne jouirait pas de sortie de plus de 24 heures en mer.

L'intimé conclut à la confirmation partielle du jugement en ce qu'il a débouté Woivre des fins de ses demandes mais réclame que soit fait droit à son appel incident et qu'il puisse percevoir la somme de 150 000 F consignée et représentant le solde du prix.

Décision

Attendu que le litige soumis à la cour consiste à apprécier la nature des désordres constatés par l'expert dont le rapport n'est au demeurant pas critiqué par Cartier pour les troubles constatés.

Attendu qu'il ne saurait être considéré que le chalutier se trouvait exempt de vices cachés à raison des visites techniques de l'inscription maritime qui ont conclu à la navigabilité du chalutier.

Attendu que la meilleure preuve de l'existence de vices cachés, non apparents à l'oeil nu, réside déjà dans le fait que ces désordres étaient passés inaperçus des services de l'inscription maritime.

Attendu qu'il a fallu à l'expert un examen minutieux du bateau pour constater que le troisième cylindre du moteur était défectueux, que de l'eau pénétrait dans la cale par suite d'un défaut de calfatage qui n'a été décelé qu'après la mise à sec du navire.

Qu'il suffit de constater que la femme du vendeur avait déclaré que la coque était saine, qu'il n'existait pas lors de l'achat du bateau à Port Black de grue de levage pour mise à quai et que c'est sur les affirmations du vendeur et au vu des certificats de l'inscription maritime que Monsieur Woivre avait renoncé à sa demande d'échouage du navire pour examen de la coque.

Attendu que la détérioration du système électrique n'est intervenue qu'après l'achat du navire et que l'expert en procédant à un examen minutieux auquel ne se livre jamais l'inscription maritime, a constaté la défectuosité de l'installation cachée sous le double plafond de la cabine pour partie.

Que la défaillance du système électrique avait entraîné l'impossibilité d'utiliser les instruments de navigation tels que le sondeur L SAT NAV et radar, et que l'expert précise dans son rapport que le défaut de fonctionnement de ces appareils empêchait toute navigation dans les limites de la 3e catégorie soit à 60 milles d'un abri.

Attendu qu'à ce sujet, la cour observe, au vu des actes de vente et des certificats de l'inscription maritime, que le chalutier était classé en 3e catégorie ce qui limitait son rayon d'action à 60 milles nautiques d'un abri, mais que cette limitation de zone n'avait aucune incidence sur le temps passé en mer comme le soutient Cartier.

Attendu que l'intimé ne conteste pas qu'il doit bien sa garantie sur un navire d'occasion mais soutient, sans en rapporter la preuve, que les vices cachés relevés par l'expert tant au niveau de la coque, du moteur et du circuit électrique seraient dus à un usage du bateau auquel il n'était pas destiné.

Attendu qu'il suffit de constater que sur l'acte de vente il est mentionné que le navire vendu était un chalutier destiné à la pêche, pour écarter l'argument invoqué par le vendeur pour tenter de se soustraire à ses obligations.

Attendu que c'est à tort que les premiers juges ont donc cru devoir écarter l'existence de vices cachés décelés par l'expert au prétexte que l'Administration avait décerné des certificats de navigation.

Qu'il suffit de se reporter aux mentions du procès-verbal de vente de l'inscription maritime pour constater que ces visites étaient essentiellement des visites de sécurité portant sur le contrôle des engins de survie et des extincteurs et non sur un examen approfondi et détaillé du moteur ou du circuit électrique.

Attendu que Woivre est donc fondé à obtenir le remboursement du coût des travaux de remise en état prévus par l'expert et s'élevant à la somme non contestée de 97 067,76 F.

Attendu qu'il convient de réformer de ce chef le jugement déféré à la cour.

Attendu par contre que si l'immobilisation du navire a occasionné un préjudice à l'appelant il ne saurait être fait droit à la demande fondée sur une perte d'exploitation non justifiée dans son quantum.

Attendu que la demande de Woivre ne tient nullement compte des aléas inhérents au temps et que l'on ne saurait l'indemniser sur la base du produit de pêche antérieure.

Que par contre la cour évaluera équitablement à 50 000 F le montant du préjudice subi par Woivre pendant les périodes d'arrêt toutes causes de préjudices confondus.

Attendu que Woivre ne s'oppose pas à ce que la somme de 150 000 F consignée au compte Carpa et représentant le solde du prix revienne à Cartier.

Attendu que le jugement doit être réformé dans le principe de la restitution à Cartier de la provision allouée par le Président des référés.

Que cette avance sur travaux était justifiée et reste la propriété de Woivre si elle lui a été versée mais que la somme de 97 067,76 F devra s'amputer en ce cas sur la provision de 80 000 F.

Attendu qu'il convient de faire droit pour partie à la demande de Woivre sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de lui allouer de ce chef la somme de 5 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit Woivre en son appel, le déclare fondé et y faisant droit, réforme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau, Dit qu'en raison des vices cachés dont Cartier doit garantie à Woivre pour le chalutier "Lys de la Mer", Cartier doit rembourser à Woivre le montant des frais de remise en état évalués à la somme de 97 067,76 F et condamne en conséquence Cartier au paiement de cette somme en deniers ou quittances. Condamne également Cartier à payer à Woivre la somme de cinquante mille francs toutes causes de préjudice confondues. Statuant sur l'appel incident de Cartier, dit que Cartier aura la litre disposition de la somme de 150 000 F actuellement consignée entre les mains du Bâtonnier au compte Carpa. Condamne Cartier en application de l'article 700 à payer 5 000 F à Woivre. Déboute les parties de tous autres chefs de demande. Condamne Cartier aux dépens dont distraction au profit de Maître Fournier, avoué à la cour, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.