Livv
Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 12 juin 1995, n° 9400664

BASSE-TERRE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Somaf (SARL)

Défendeur :

Beauvarlet, Audebert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Raynaud

Conseillers :

M. Altenbach, Mme Hubac

Avocats :

Mes Camenen, Detanger

TGI Pointe-à-Pitre, du 6 janv. 1994

6 janvier 1994

1) Faits, procédure, demandes des parties

Vu les faits de la cause et la procédure antérieure exposés aux motifs du jugement entrepris du 6 janvier 1994 auxquels la cour se réfère expressément ;

Vu les actes de procédure d'appel ci-après

1) Déclaration d'appel de la société Somaf, visée le 27 avril 1994, portant constitution de Me Marie-Bernadette Nolar avocat, à l'encontre d'un jugement rendu le 6 janvier 1994 par le Tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre qui a :

Vu les articles 1641 et suivants du Code civil,

- prononcé la résolution de la vente du navire de plaisance Gewil, intervenue entre Messieurs Audebert et Beauvarlet le 26 novembre 1990.

- condamné en conséquence Monsieur Audebert à payer à Monsieur Beauvarlet la somme de 150 251,60 F en principal outre la somme de 35 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil e.

- dit que la SARL Somaf devait garantir M. Audebert des condamnations ainsi mises à sa charge, à l'exception du paiement des dommages-intérêts.

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné M. Audebert, sous garantie de la Somaf, aux dépens comprenant celle de la procédure de référé et les honoraires de l'expert Caruel.

2) Constitution en appel de Me J.-P. Camenen, avocat, pour le compte de Pierre Beauvarlet, constitution visée le 24 mai 1994.

3) Constitution le 20 juin 1994 de Me Detanger, avocat, pour le compte de Gérard Audebert.

4) Conclusions de la société Somaf visées le 10 juin 1994, le 12 septembre 1994 et le 30 janvier 1995.

5) Conclusions de Pierre Beauvarlet visées le 21 novembre 1994 et le 6 mars 1995.

6) Conclusions de Gérald Audebert visées le 9 janvier 1995.

7) Ordonnance de clôture du 27 mars 1995. La société Somaf, appelante, demande à la cour :

- de déclarer recevable en la forme l'appel inscrit à l'encontre de la décision rendue le 6 janvier 1994 par le Tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre et signifiée à la société concluante le 7 avril 1994.

Au fond

Au principal,

- d'infirmer la décision attaquée en ce qu'elle a fait droit à l'action récursoire de Monsieur Audebert à son encontre.

- de constater que la vente du navire par elle à Monsieur Audebert est intervenue le 26 mars 1990.

- de constater que la vente du navire de Monsieur Audebert à Monsieur Beauvarlet est intervenue le 26 novembre 1990.

- de constater que Monsieur Beauvarlet a assigné au fond son vendeur le 13 août 1991.

- de constater que Monsieur Audebert ne la mettra dans la cause que par assignation du 24 mars 1993.

- de dire et juger que l'action récursoire de Monsieur Audebert à son encontre est irrecevable comme n'ayant pas été mise en œuvre à bref délai.

Très subsidiairement

- de dire et juger que les désordres objectivés par l'expert sont consécutifs à un usage intensif ou inadéquat du bateau.

- de débouter en conséquence Monsieur Audebert de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Vu la mauvaise foi de Monsieur Audebert et le caractère manifestement abusif de la procédure qu'il a engagée :

- de le condamner à lui payer la somme de quatre vingt mille francs (80 000 F) à titre de dommages-intérêts et trente mille francs (30 000 F) HT sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil e.

- de le condamner aux entiers dépens.

Par fax émis le 28 mars 1995, la SARL Somaf sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture du 27 mars 1995 afin de pouvoir répliquer aux conclusions de Pierre Beauvarlet qui lui ont été notifiées le 2 mars 1995.

Pierre Beauvarlet, intimé, demande quant à lui,

- de confirmer la décision déférée,

- de recevoir son appel incident,

- de condamner solidairement Gérald Audebert et la SARL Somaf à lui payer 120 000 F à titre de dommages-intérêts,

- de condamner Gérald Audebert à lui verser 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Gérald Audebert autre intimé, demande, quant à lui :

- de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de Somaf,

- de le recevoir en son appel incident,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation de la vente survenue entre lui et Pierre Beauvarlet,

- de dire que le navire litigieux n'était affecté d'aucun vice caché au jour de cette vente,

- en conséquence de débouter Pierre Beauvarlet de sa demande de résiliation de la vente.

Subsidiairement,

- de condamner Somaf à le garantir de toute éventuelle condamnation mise à sa charge,

- de débouter Pierre Beauvarlet de toute demande de dommages et intérêts formulée contre lui ou bien dire que Somaf sera tenue de le relever de toute condamnation de ce chef,

- de condamner Somaf à lui payer la somme de 10 000 F au titre de dommages et intérêts,

- de condamner Pierre Beauvarlet et Somaf aux dépens,

- de les condamner à payer à Gérald Audebert la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil e.

II) Motifs de la décision

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formulée par la SARL Somaf.

Il apparaît que cette demande a été formulée par simple lettre transmise par fax, demande qui dès lors ne saurait saisir la cour en l'absence de conclusions écrites visées par le secrétariat-greffe.

Sur le fond du litige

La société Somaf fait valoir tout d'abord que l'acquéreur Beauvarlet a assigné son vendeur Audebert au fond le 13 août 1991 alors que ce dernier ne l'a mise en cause que par assignation du 24 mars 1993.

Elle considère donc que l'action récursoire de Gérald Audebert à son encontre est irrecevable comme n'ayant pas été mise en œuvre à bref délai ;

Ces explications ne sauraient cependant être retenues par la cour.

Il apparaît, en effet, que le présent litige a, préalablement à l'instance au fond fait l'objet d'une procédure en référé.

Ainsi, Pierre Beauvarlet a assigné Gérald Audebert en référé expertise, le 18 juillet 1991, date d'assignation qui, dans le cadre d'une action récursoire, est considérée par la jurisprudence comme le moment où, le défaut s'est révélé à l'acquéreur intermédiaire et donc comme le point de départ du bref délai.

Par ailleurs, Gérald Audebert a fait citer, à son tour dans cette instance en référé le 7 août 1991, soit 3 semaines plus tard la société Somaf afin que l'expertise lui soit déclarée opposable.

Or cette assignation, aux termes de l'article 2244 du Code civil, a pour conséquence d'interrompre le bref délai, permettant à l'acquéreur de bénéficier du délai de droit commun pour saisir les juges du fond, les raisons d'engager une action rapide, notamment les impératifs de preuve, n'existant plus.

Il s'en suit dès lors, au vu de ces constatations que l'action récursoire dont s'agit apparaît parfaitement recevable.

La société Somaf soutient en second lieu que les désordres constatés auraient pour origine un usage intensif ou inadéquat du bateau par Gérald Audebert.

Si cette possibilité a été émise par M. Mir, expert auprès de la compagnie d'assurances de M. Pierre Beauvarlet, ce même expert a, dans son rapport du 15 juillet 1991, destiné à l'assureur, fait expressément état de vices de fabrication ou de mise en œuvre.

Bien mieux, M. Vincent Berthelin, fabricant de bateau en polyester, requis par l'expert judiciaire comme sapiteur, déclare, dans le rapport d'expertise judiciaire que "la conduite de M. Audebert n'est pas, à première vue à l'origine des dommages mais qu'il s'agirait d'avantage d'une faiblesse à la fabrication, entraînant les fissures de virures, de ligne d'étrave et l'arrachement des plaques de gelcoat".

Enfin l'expert judiciaire lui-même, M. Caruel indique que " l'origine des dommages semble effectivement provenir d'un vice de fabrication, plus particulièrement lié à une mauvaise adhérence de gelcoat ".

Il résulte donc, en l'état des constatations des experts, que les désordres relevés sur le bateau n'ont nullement pour origine une mauvaise utilisation de celui-ci par le premier acquéreur mais sont dus à des vices de construction.

Le recours de la Somaf sera en conséquence rejeté tant en ce qui concerne sa demande principale tendant à l'infirmation de la décision déférée que celle en dommages-intérêts.

Gérald Audebert soutient, quant à lui, qu'il ignorait totalement l'existence des vices affectant le bateau au moment de sa vente.

Une telle affirmation apparaît totalement contredite par les éléments du dossier.

En effet, dès le 17 octobre 1990, Gérald Audebert écrivait à la Somaf pour signaler de nombreuses défectuosités sur son bateau, notamment des infiltrations d'eau dans la cabine, des fissures dans la coque, un décollement du plastique à l'avant, sollicitant l'intervention de "la garantie pour vice caché".

De même l'expert Mir, par courrier adressé à Pierre Beauvarlet en date du 12 juillet 1991, indique qu'il connaissait le bateau, l'ayant déjà examiné le 23 octobre 1990, à la demande de Gérald Audebert, venu le voir "afin d'examiner un certain nombre d'anomalies sur son bateau pour se retourner contre le constructeur".

Gérald Audebert savait donc parfaitement, lors de la vente, que son bateau était affecté de vices importants et il apparaît, dès lors, malvenu de prétendre le contraire pour obtenir l'infirmation de la décision déférée.

Pierre Beauvarlet a, en conséquence, droit, non seulement à la restitution du prix du bateau mais également, conformément à l'article 1645 du Code civil, à des dommages-intérêts puisque son vendeur connaissait les vices de la chose, dommages-intérêts qu'il convient d'évaluer, compte tenu de la durée du trouble de jouissance (4 années), du préjudice d'agrément (le bateau demeurant sur cale, inutilisable, dans le jardin de son propriétaire) et des nombreuses tracasseries et pertes de temps, à 50 000 F.

Pierre Beauvarlet et à titre subsidiaire, Gérald Audebert réclament, par ailleurs l'étendue de la garantie de la Somaf aux dommages-intérêts.

Leur demande sera accueillie, l'article 1645 précité s'appliquant, non seulement à Gérald Audebert vendeur occasionnel de mauvaise foi mais également à la Somaf vendeur professionnel.

La décision déférée sera, dans ces conditions exclusivement réformée sur ces deux derniers points (montant des dommages-intérêts et étendue de la garantie au paiement de ceux-ci).

Gérald Audebert réclame en outre une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts à la Somaf en réparation du préjudice que lui auraient causé les tracasseries procédurales dont il fait l'objet depuis plus de 4 années.

Une telle demande n'apparaît pas justifiée alors qu'il est lui-même à l'origine de ces tracasseries, ayant vendu un bateau affecté de vices importants connus de lui seul, son acquéreur n'en ayant jamais été informé ;

Les dépens tant de première instance que d'appel resteront à la charge de Gérald Audebert.

Il n'y a pas lieu de faire application en l'espèce de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil e au bénéfice de la Somaf.

L'équité commande par contre d'allouer une somme de 10 000 F à Pierre Beauvarlet au titre des frais engagés par lui dans la présente instance et non compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement en matière civil e et en dernier ressort - déclare recevables en la forme l'appel principal de la société Somaf et les appels incidents de Pierre Beauvarlet et de Gérald Audebert - se déclare non saisie s'agissant de la demande de révocation de clôture formulée par la société Somaf - au fond, confirme la décision déférée exception faite du montant des dommages-intérêts et de l'étendue de la garantie de la Somaf - et statuant à nouveau sur ces points - fixe à 50 000 F les dommages-intérêts mis à la charge de Gérald Audebert, - le condamne en tant que de besoin au paiement de cette somme, - dit que la SARL Somaf sera tenue de garantir Gérald Audebert de cette condamnation, - condamne Gérald Audebert, sous la même garantie aux dépens d'appel ainsi qu'au versement à Pierre Beauvarlet d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil e - rejette toutes autres demandes des parties, non fondées.