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Décisions

CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 5 février 2003, n° 98-02566

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marcollet

Défendeur :

Lemaire (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mmes Jourdan, Aymes-Belladina

Avoués :

SCP Greff Curat, SCP Theubet Duval

Avocats :

Mes De Bezenac, Sagon

TGI Le Havre, du 16 avr. 1998

16 avril 1998

Monsieur Lemaire et son épouse, Madame Lecordier, ont fait construire une maison à Octveville; la réception des travaux est intervenue le 13 juillet 1989.

A la suite de l'apparition de désordres affectant cette construction, par jugement du 25 novembre 1993 le Tribunal de grande instance du Havre a condamné les constructeurs à les indemniser de ces désordres.

Le 18 avril 1996 les époux Lemaire ont vendu leur maison à Monsieur Marcollet et son épouse pour le prix de 1 230 000 F.

L'architecte consulté par Monsieur Marcollet a estimé que la maison présentait des désordres identiques à ceux dont les époux Lemaire avaient été indemnisés.

Monsieur Marcollet a alors assigné ses vendeurs devant le tribunal de grande instance du Havre pour obtenir, sur le fondement de l'article 1792-1-2° du Code civil, l'indemnisation de ces désordres.

Par jugement du 16 avril 1998 le tribunal l'a débouté de ses demandes.

Il a relevé appel de cette décision et, par arrêt avant dire droit du 23 juin 1999, la présente cour a ordonné une expertise confiée à Monsieur Lenoir.

Cet expert a déposé son rapport le 18 avril 2000.

Suivant conclusions du 24 octobre 2002 Monsieur Marcollet demande à la cour:

- en application des dispositions de l'article 1792-2 et suivants du Code civil,

- vu les réticences dolosives et la totale mauvaise foi des vendeurs,

- de condamner les époux Lemaire à lui payer les sommes suivantes:

* 21 632 euro au titre de son préjudice pour les travaux de remise en état,

* 2 752 euro au titre de remboursement de frais,

* 4 000 euro pour préjudices divers et troubles de jouissance,

* 3 000 euro au titre de la gêne occasionnée par les travaux de remise en état,

* 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour dol,

* 3 000 euro pour frais hors dépens,

- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes.

Monsieur et Madame Lemaire concluent le 25 octobre 2002 à la confirmation du jugement, au rejet des demandes de Monsieur Marcollet, à sa condamnation à leur régler une somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une somme d'un montant identique pour frais exposés en marge des dépens.

Sur ce

Vu les conclusions et les pièces.

Monsieur Marcollet fait valoir que par son précédent arrêt la cour a admis la recevabilité de son action à l'encontre des époux Lemaire sur le fondement de l'article 1792-1 du Code civil, ce qui est inexact, la cour ayant seulement dans son dispositif déclaré l'appel recevable et ordonné avant dire droit une expertise.

Néanmoins, comme il est rappelé dans les motifs de cet arrêt, aux termes de l'article 1792-1-2° du Code civil, est réputé constructeur de l'ouvrage, toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire, et les époux Lemaire sont tenus envers leur vendeur de la garantie décennale dont est redevable, en application de l'article 1792 du Code civil, tout constructeur d'un ouvrage. Il importe peu que les époux Lemaire aient déjà été eux-mêmes indemnisés par les intervenants à l'opération de construction, Monsieur Lemaire n'agissant pas contre ces constructeurs mais contre ses vendeurs, réputés constructeurs.

C'est donc à tort que le tribunal a considéré qu'il ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 1792-1-2° du Code civil.

La réception de l'ouvrage ayant été prononcée le 13 juillet 1989 et Monsieur Marcollet ayant introduit son action le 27 janvier 1997, celle-ci est recevable.

Il convient, pour apprécier les prétentions de Monsieur Marcollet sur le fondement des dispositions précitées, de rechercher si les désordres qu'il allègue compromettent la solidité de l'ouvrage ou, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination; le caractère apparent de ces dommages à la date de son acquisition de l'immeuble est indifférent.

Les époux Lemaire ne peuvent lui opposer la clause insérée dans l'acte de vente, suivant laquelle il s'obligeait à prendre le bien dans son état au jour de l'entrée en jouissance sans recours contre l'ancien propriétaire pour quelque cause que ce soit; ... pour les vices de toute nature, apparents ou cachés.... En effet, l'article 1792-5 du Code civil répute non écrite toute clause limitative de la garantie instituée par les articles 1792 et suivants du même code; l'acte de vente ne mentionnait que l'absence de fonctionnement de la cheminée du salon alors que, selon l'expert, certains désordres n'étaient pas apparents; la preuve n'est pas rapportée par les époux Marcollet de ce que le prix de vente de l'immeuble aurait été diminué sensiblement pour tenir compte des désordres l'affectant ou que Monsieur Marcollet en aurait eu connaissance préalablement à la conclusion de la vente.

Monsieur Lenoir, reprenant l'énumération des désordres mentionnés dans le rapport établi en août 1992 par Monsieur Cochet, expert intervenu dans le cadre du litige opposant les époux Lemaire aux constructeurs de leur maison, a constaté l'existence d'infiltrations en sous toiture provenant de la souche extérieure de la cheminée; il a indiqué que les travaux invoqués par les époux Lemaire pour mettre fin à ces désordres (réalisation d'un hydrofuge) n'étaient pas justifiés par une facture, que Monsieur Marcollet avait dû faire procéder à un essentage d'ardoises autour de la cheminée. Ces désordres relèvent incontestablement de la garantie décennale comme le fait valoir Monsieur Marcollet, car ils rendent l'immeuble impropre à sa destination.

Monsieur Marcollet est donc en droit d'obtenir le coût des travaux de remise en état consécutifs à ces dommages, soit la somme de 6 203,60 F TTC au titre des travaux d'essentage, et celle de 1 582,50 F TTC (1 500 + TVA à 5,5%), correspondant au coût retenu par l'expert pour la remise en état de la cage d'escalier endommagée par ces infiltrations.

Monsieur Cochet avait constaté une grande flexibilité du plancher du premier étage et une déformation importante, très en dessous des normes tolérées; il avait précisé qu'au moment de la réception des réserves avaient été faites concernant la flexibilité, mais que l'affaissement était apparu plus tard; que ces désordres rendaient l'immeuble impropre à sa destination, qu'ils nécessitaient le rétablissement de l'horizontalité du plancher.

Monsieur Lenoir a indiqué que ce désordre existait toujours, que le devers du plancher observé par Monsieur Cochet n'avait pas évolué. Il a précisé que ce désordre ne pouvait être décelé par Monsieur Marcollet qu'en utilisant une règle et un niveau, même si la non fermeture des portes, conséquence de ce dénivelé, était apparente. Il a ajouté que les fissures au dessus des portes étaient liées à l'inclinaison du plancher qui avait favorisé leur apparition, Il a considéré que ce désordre ne rendait pas l'immeuble impropre à sa destination mais compromettait la solidité de l'ouvrage, en l'absence de réalisation de travaux confortatifs. Il a chiffré le coût des travaux de remise en état pour l'ensemble à 100 000 F et 8 000 F HT, ce qui représente une somme TTC de 113 940 F (16 464,49 euro).

Si Monsieur Lenoir a estimé dans un premier temps que l'inclinaison du plancher ne constituait pas un désordre de nature décennale, il est revenu sur cette opinion ensuite, exposant qu'à terme la solidité de la construction était en péril. Au vu de cette explication et de l'avis du précédent expert sur la nature de ce désordre, Monsieur Marcollet est fondé à soutenir qu'il constitue un désordre relevant de la garantie décennale. Les époux Lemaire devront donc lui verser à ce titre une somme de 16 464,49 euro.

Monsieur Lenoir a examiné la question des infiltrations en sous-sol qui n'avait pas été soumise à Monsieur Cochet. Il a précisé que les époux Lemaire avaient fait poser sur une certaine surface des murs un produit d'étanchéité, qu'en dépit de ces travaux le problème de l'humidité avait persisté, des inondations s'étant produites à deux ou trois reprises, que Monsieur Marcollet aurait également subi une inondation, qu'il avait fait réaliser un regard de manière à évacuer l'eau au moyen d'une pompe automatique, qu'il avait aussi fait poser un enduit, que des traces d'humidité existaient lorsqu'il avait acheté la maison.

Au vu des conclusions de l'expert, suivant lesquelles ces infiltrations n'ont eu qu'un caractère ponctuel et ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage et ne le rendent pas impropre à sa destination, il y a lieu de rejeter toute demande à ce titre.

S'agissant des autres désordres invoqués par Monsieur Marcollet, ils ne relèvent pas de la garantie décennale.

En effet, Monsieur Lenoir a constaté comme l'avait fait Monsieur Cachet, l'absence de maçonnerie sous les portes-fenêtres. Monsieur Cachet avait noté que ce défaut était apparent à la réception.

Monsieur Cachet avait signalé l'existence d'une infiltration sous la porte-fenêtre du séjour mais Monsieur Lenoir n'a noté que des traces d'infiltrations.

L'insuffisance de l'isolation sous le plancher haut du garage alléguée par Monsieur Marcollet, qui n'est d'ailleurs pas démontrée, ne rentre pas dans la catégorie des désordres de nature décennale.

Il en est de même du défaut d'isolation des volets roulants et de l'habillage de la baignoire.

Il en est encore ainsi de l'absence de protection d'une tête de poteau situé à l'un des angles de la maison: ni Monsieur Cachet ni Monsieur Lenoir n'ont estimé que ce manque de protection était susceptible d'entraîner une impropriété de destination ou de compromettre la solidité de l'ouvrage.

Il y a lieu toutefois d'examiner, pour ces différents désordres, la demande de Monsieur Marcollet sur le fondement du dol qu'il invoque à titre subsidiaire.

Ainsi que l'a souligné Monsieur Lenoir, Monsieur Marcollet ne pouvait déceler lors de la vente l'absence d'isolation des volets roulants et l'insuffisance d'isolation de l'habillage de la baignoire. Pour leur part les vendeurs connaissaient parfaitement ces défauts puisqu'ils en avaient fait état lors des opérations d'expertise de Monsieur Cachet et qu'ils ne contestent pas avoir été indemnisés de ces désordres par les constructeurs.

Le silence qu'ils ont sciemment gardé sur ce point à l'égard de leur acheteur exclut qu'ils puissent se prévaloir de la clause de non garantie prévue au contrat de vente. Ils devront payer à Monsieur Marcollet les sommes retenues par Monsieur Lenoir pour mettre fin à cette absence ou insuffisance d'isolation, soit les somme de 7 100 F et 8 000 F, ce qui représente un total TTC de 15 930,50 F (2 428,59 euro).

Les autres désordres examinés ci-dessus et qui ne sont pas de nature décennale étaient apparents au jour de la vente, ainsi que l'a noté Monsieur Le noir.

C'est donc une somme totale de 20 985,61 euro que les époux Lemaire devront payer à Monsieur Marcollet au titre des travaux de remise en état.

Compte tenu du préjudice de jouissance déjà subi par Monsieur Marcollet et de celui qu'il supportera lors des travaux de remise en état, il lui sera accordé une somme globale de 4 000 euro titre de dommages et intérêts. Il n'est pas justifié, en l'absence de démonstration d'un préjudice spécifique, de lui allouer des dommages et intérêts pour dol.

Monsieur Marcollet obtenant en grande partie satisfaction en appel, il ne saurait être condamné à des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il serait contraire à l'équité qu'il conserve la charge de ses frais hors dépens; les époux Lemaire, qui ne peuvent réclamer aucune somme à ce titre, devront lui régler la somme de 3 000 euro.

Enfin, les dépens, y compris les frais d'expertise, seront mis à leur charge.

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré, Condamne Monsieur et Madame Lemaire à payer à Monsieur Marcollet : * la somme de 20 985,61 euro au titre des travaux de remise en état, * celle de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts, * celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne Monsieur et Madame Lemaire aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise, et accorde à la SCP Greff-Curat-Peugniez, avoués, droit de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.