CA Paris, 16e ch. A, 24 septembre 1991, n° 89-010903
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Throude (Epoux)
Défendeur :
Ferrari (ès qual.), Ferri Socofinord (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Borra
Conseillers :
Mme Guerin, M. Lapierre
Avoués :
Mes Baufume, Gibou- Pignot, SCP Paul-Boncour-Faure
Avocats :
Me Avakian, SCP Remy-Pialoux.
LA COUR statue sur l'appel formé par les époux Throude à l'encontre d'un jugement rendu le 29 mars 1989 par le Tribunal de commerce de Paris, qui a rejeté toutes leurs demandes.
Les faits de la cause peuvent être ainsi résumés :
Suivant acte sous seing privé du 5 mai 1987, Messieurs Garnier et Capeau ont vendu aux époux Throude un fonds de commerce de parfumerie et soins de beauté sis à Paris 5ème, 46 rue Monge, pour un prix principal de 700 000 F, payable comptant à hauteur de 100 000 F le jour de la signature de l'acte et pour le solde, au moyen d'un billet à ordre de 600 000 F à échéance du 5 juillet 1987. Ce billet n'a pas été honoré à son échéance. Les vendeurs ont été déclarés en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 janvier 1988. Le 2 mai 1988, leur liquidateur Maître Ferrari a sommé vainement les époux Throude de payer le solde du prix.
Suivant assignation du même jour, ces derniers ont sollicité la résolution de la vente ou la réduction du prix, en invoquant un " vice caché " tenant au fait qu'antérieurement à la vente, certains fournisseurs de grandes marques, non payés par Messieurs Garnier et Capeau, avaient rompu les contrats de distribution qui les liaient à ces derniers et que cette situation leur avait été celée. Ils ont sollicité encore la condamnation du rédacteur de l'acte, la société Socofinord, à leur payer des dommages-intérêts.
Maître Ferrari, en sa qualité, a demandé la résolution de la vente pour non-paiement du prix et encore la condamnation solidaire à des dommages-intérêts des époux Throude et de la société Socofinord à laquelle il reprochait d'avoir négligé à la fois de présenter le billet à ordre à l'encaissement à son échéance le 5 juillet 1987, et de faire désigner un séquestre.
Le tribunal a rejeté toutes les prétentions des époux Throude et a accueilli la demande de Maître Ferrari mais uniquement en ce qu'elle tendait à la résolution de la vente ; il a ordonné celle-ci, dit que Maître Ferrari devait restituer aux époux Throude la somme de 100 000 F versée à la signature de l'acte et condamné ces derniers à payer à Maître Ferrari une même somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour dépréciation du fonds.
La cour renvoie pour un exposé plus complet des faits de la cause aux énonciations du jugement déféré.
Appelants, les époux Throude prient la cour de réformer cette décision, de dire que le fonds de commerce vendu était affecté d'un vice caché qui le rendait impropre à l'usage auquel il était destiné, de condamner les vendeurs à restituer une partie du prix qui "sera arbitré" à dire d'expert, désigné par la cour, et de les condamner solidairement avec la société Socofinord à leur payer 311 400 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ils soutiennent qu'ils ont appris quelques mis après leur prise de possession que les maisons distribuant les marques Chanel, Bogart, Shiseido, Azzaro, Sélective Beauté International et les parfums Stern, avaient cessé toute relation avec leurs prédécesseurs et refusaient de leur livrer les marchandises ; que de même le matériel de balnéothérapie a été revendiqué par la société de leasing qui en était propriétaire non payée des loyers. Ils prétendent que les vendeurs leur ont sciemment dissimulé cette situation et qu'ils n'auraient pas contracté s'ils l'avaient connue.
Les appelants prétendent que la société Socofinord aurait dû mentionner l'existence des contrats de distribution dans l'acte de cession, et que son abstention est fautive.
Maître Ferrari intimé et appelant incident en sa qualité conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les demandes des époux Throude et sollicite la condamnation de la société Socofinord et des époux Throude à lui payer 600 000 F à titre de dommages-intérêts.
Sur l'appel principal, il soutient essentiellement que le retrait de grandes marques ne constitue pas un vice caché au sens des articles 1641 et suivants du Code civil et que de surcroît, s'il y a vice, il était discernable au moment de la vente.
A l'appui de son appel incident, Maître Ferrari prétend que la société Socofinord a commis une faute engageant sa responsabilité en s'abstenant de présenter le billet à ordre à son échéance et de faire dresser protêt.
La société Ferri-Socofinord, intimée, conclut à la confirmation du jugement déféré qui l'a mise hors de cause, en soutenant qu'elle n'a commis aucune faute conne rédacteur d'acte, qu'elle a au contraire pris toutes les mesures de sûreté nécessaires et que la remise tardive à l'encaissement du billet s'explique par le retard mis par le Crédit Lyonnais à accorder le prêt sollicité par les acquéreurs et qui devait normalement leur être accordé dès le 5 juillet.
Cela étant exposé, LA COUR :
Sur l'appel principal des époux Throude :
Considérant que les époux Throude, qui reconnaissent que l'acte de vente du fonds de commerce comporte toutes les mentions exigées par la loi, fondent leur demande en réduction du prix sur l'existence d'un vice caché, au sens de l'article 1641 du Code civil, qui serait constitué par la dissimulation de la rupture des contrats de distribution et de "leasing" consentis à leur cédants ;
Mais considérant que le vice caché doit s'entendre d'un vice inhérent à la chose vendue et que tel n'est pas le cas des contrats précités qui, ne constituant pas des éléments du fonds de commerce, sont étrangers à la vente et n'ont d'ailleurs pas été mentionnés dans l'acte ;
Considérant que plus spécialement les contrats de distribution conclus en considération de la personne sont selon leurs propres stipulations incessibles et deviennent caducs en cas de vente du fonds de commerce, le nouvel exploitant pouvant seulement se voir proposer un nouveau contrat ;
Qu'il s' ensuit que les époux Throude ne sont pas fondés à se prévaloir des dispositions de l'article 1641 du Code civil ;
Qu'il appartenait d'ailleurs aux époux Throude de prendre toutes dispositions utiles pour obtenir la reconduction desdits contrats en leur faveur, et qu'en tout état de cause, ils ne justifient pas que les sociétés distributrices auraient refusé de leur consentir de nouveaux contrats, en raison du comportement de leurs cédants ;
Que c'est à bon droit dans ces conditions que les premiers juges ont rejeté leur demande en réduction de prix et leur demande dirigée contre la société Socofinord, dès lors que cette dernière n'avait pas l'obligation de mentionner dans l'acte de vente des contrats consentis en considération de la personne, incessibles et en l'espèce résiliés antérieurement à la vente ;
Sur l'appel incident de Maître Ferrari :
Considérant qu'il est constant que les époux Throude n'ont jamais payé, malgré mise en demeure, le solde du prix de la vente, et que c'est à juste titre que les premiers juges ont prononcé la résolution de celle-ci par défaut de paiement du prix ;
Que cette résolution fait obligation aux parties de se restituer ce qu'elles ont reçu en vertu du contrat résolu, ainsi que l'a décidé la décision déférée ;
Considérant que la partie qui n'a pas exécuté son obligation peut être condamnée à payer à l'autre des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;
Qu'en l'espèce le billet de fonds impayé est échu depuis le 3 juillet 1987 ; qu'eu égard au temps écoulé depuis cette date, à la résistance prolongée des époux Throude et à la dépréciation du fonds qui en est résultée, la cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour fixer le montant du préjudice subi par Maître Ferrari en sa qualité à la somme de 150 000 F ;
Considérant qu'il est incontestable que la société Socofinord a commis une faute, en conservant par devers elle un billet de fonds pendant plus de six mois après son échéance, sans l'avoir présenté à l'encaissement et sans avoir fait désigner un séquestre ;
Mais considérant que Maître Ferrari ne démontre pas l'existence d'un préjudice en relation de cause à effet avec les carences fautives de la société Socofinord, et que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en dommages-intérêts de Maître Ferrari ;
Sur les autres demandes :
Considérant que les époux Throude, qui succombent et seront condamnés aux dépens, ne peuvent prétendre ni à des dommages-intérêts, ni au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que l'équité commande de les condamner à payer à Maître Ferrari une sonne de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qui s'ajoutera à celle déjà allouée de ce chef par les premiers juges ;
Considérant enfin qu'il n'y a pas lieu de faire application de ce texte au profit de la société Ferri- Socofinord ;
Par ces motifs : Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions à l'exception de celle relative à la demande de dommages-intérêts de Maître Ferrari en sa qualité ; Et statuant à nouveau de ce seul chef, Condamne les époux Throude à payer à Maître Ferrari une somme de cent cinquante mille francs (150 000 F) à titre de dommages-intérêts ; Les condamne également à payer à Maître Ferrari une somme de dix mille francs (10 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes contraires à la motivation ci-dessus retenue ; Condamne les époux Throude aux dépens de l'appel et admet la SCP Faure et Arnaudy au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.