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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 29 août 1996, n° 9500012

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bourguigne (Epoux)

Défendeur :

Triffault, Mourgous

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gautier (faisant fonction)

Conseillers :

M. Gouilhers, Mme Perrin

Avoués :

Mes Guillaumin, Le Roy des Barres

Avocats :

Mes Froger, Jacquet

TGI Bourges, du 17 nov. 1994

17 novembre 1994

Faits et procédure

Par acte authentique du 23 juillet 1992 dressé, par Me Patry, notaire à Vierzon, les époux Triffault acquièrent des époux Bourguigne une maison d'habitation sise à Vierzon, 9 rue Eugène Pottier, pour le prix de 280 000 F.

Après avoir pris possession de l'immeuble au début du mois d'août 1992, ils entament des travaux et, pour ce faire, retirent la moquette de la salle de séjour.

C'est alors qu'ils mettait à nu une fissure de la dalle traversant toute la pièce et affectant aussi la base du mur ; le maçon consulté révèle que ce désordre dû à un important mouvement du pavillon nécessite des travaux confortatifs conséquents.

Ils assignent leurs vendeurs en résolution de l'acte sur le fondement des vices cachés devant le Tribunal de grande instance de Bourges, lequel, par jugement du 17 novembre 1994 :

- prononce la résolution de la vente de l'immeuble,

- condamne conjointement et solidairement les époux Bourguigne à rembourser aux acquéreurs la somme de 96 000 F,

- donne acte aux époux Triffault de ce qu'ils offrent de restituer les biens vendus après remboursement de ladite somme,

- condamne conjointement et solidairement les époux Bourguigne à rembourser aux époux Triffault le montant des mensualités qu'ils ont été amenés à régler au Crédit Immobilier du Cher depuis le 12 août 1992 et les condamne à les garantir de toutes les sommes qu'ils restent devoir au prêteur jusqu'à total désintéressement de celui-ci,

- condamne les époux Bourguigne conjointement et solidairement à rembourser aux époux Triffault le montant des frais de vente, soit la somme de 22 764 F, outre les honoraires versés au notaire,

- condamne les époux Bourguigne au paiement des sommes de :

* 10 000 F au titre le dommages-intérêts,

* 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- déboute les époux Bourguigne de leurs demandes reconventionnelles,

- les condamne aux dépens, lesquels comprendront tous les frais exposés à la Conservation des hypothèques de Bourges et accorde à Me Jacquet, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Les époux Bourguigne relèvent appel de ce jugement le 23 décembre 1994.

Moyens et prétentions des parties devant la cour

Sur l'existence même du vice rédhibitoire allégué, les appelants reprochent aux premiers juges d'avoir retenu que l'immeuble ne présentait ni pérennité ni solidité, en se fondant sur la seule attestation du sieur Cavey, ex-dirigeant des établissements Flambo, de laquelle il ressort que les fissures se sont rapidement stabilisées après leur apparition et qu'elles étaient peu importantes eu égard au devis de réparation (30 000 F) ; ils font valoir qu'au cas contraire, ils n'y auraient pas installé leurs parents âgés ;

Sur le caractère apparent des vices allégués, ils soutiennent que la vérification du gros œuvre par examen des murs extérieurs ou le fait de soulever un tapis fait partie des diligences habituelles d'un acheteur, fut-il un simple particulier ;

Ils observent que la vigne vierge n'aurait pu être plantée que postérieurement au décès de leurs parents, et n'aurait pu donc pousser jusqu'à cacher le mur et que la moquette aurait dû être soulevée par les acquéreurs ;

Sur la mise en œuvre de la clause exclusive de garantie, ils considèrent que celle-ci ne présente aucune équivoque et que leur mauvaise foi n'est pas établie dès lors que la pose de la moquette litigieuse date de 1988 et que l'immeuble avait été refait à neuf pour héberger les parents de Mme Bourguigne ;

Ils demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter les époux Triffault de leurs demandes reconventionnelles et de les condamner à leur payer la somme de 6 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Les époux Triffault concluent à ce que la cour confirme la décision entreprise sauf à porter à 50 000 F les dommages-intérêts auxquels ils ont droit et à 20 000 F le montant de l'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Ils exposent que selon M. Cavey, le coût de la réparation de la fissure était, il y a 10 ans, de 30 à 40 000 F, celle-ci traversant la pièce et étant d'une largeur de 5 mm ;

Que selon Mme Bannier, locataire du pavillon de décembre 1979 à août 1986, celui-ci se dégradait constamment, phénomène qui n'a fait qu'amplifier nonobstant les deux interventions réalisées à la demande des époux Bourguigne par leur maçon ;

Que la solidité de l'immeuble est compromise dès lors qu'on constate actuellement un affaissement des cloisons ;

Ils affirment que n'était visible lors de l'acquisition que l'espace existant entre la maison et son escalier, et qu'ils auraient pu se rendre compte d'un désordre si les époux Bourguigne n'avaient pas sciemment planté une vigne vierge pour masquer la fissure extérieure que ni le notaire ni la négociatrice ne l'ont vue ;

Que lors de leurs visites, les lieux étaient meublés ;

Enfin, ils déclarent que les désordres existaient alors que la maison était la propriété de la société Flambo, que les époux Bourguigne ont vu la fissure quand ils ont posé la moquette, puis fait reboucher à deux reprises les fissures ;

Dans des écritures complémentaires, ils demandent à la cour de condamner les époux Bourguigne à leur rembourser le montant de toutes les mensualités qu'ils ont été amenés à régler en remplacement du prêt patronal de 37 000 F souscrit auprès de la Chambre de commerce de Bourges depuis le 1er septembre 1992, de les condamner au paiement des mensualités réglées à ce jour soit la somme de 13 627,56 F, de dire qu'ils devront les garantir de toutes les sommes qu'ils devront verser au préteur jusqu'au total désintéressement de celui-ci et de les condamner à leur rembourser la somme de 40 000 F représentant le montant des équipements se trouvant dans la maison et ayant été payés en sus du prix d'achat de l'immeuble ;

Ils observent que la facture de l'entreprise Fernandes du 31 octobre 1988 établit que leurs vendeurs connaissaient l'existence de la fissure, ce à quoi ces derniers rétorquent que la moquette a été posée lors de leur acquisition de l'immeuble et que la facture du 31 octobre 1988 n'a pas trait à une intervention liée à des désordres affectant la solidité de l'immeuble.

Sur quoi, LA COUR

Attendu qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, " le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus " ;

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que l'ex-dirigeant de la société Flambo, premier propriétaire du pavillon, témoigne avoir constaté il y a dix ans, l'existence d'une fissure dans la salle de séjour et avoir évalué la réparation nécessaire à un montant de 30 à 40 000 F ;

Que Mme Bannier, locataire du pavillon de décembre 1979 à août 1986, atteste avoir constaté l'existence de la fissure dont l'importance l'a conduite à résilier son bail ;

Attendu que l'ampleur des désordres est établie tant par les attestations que par les photographies produites aux débats ;

Qu'en conséquence les appelants affirment à tort que ces désordres sont peu importants et stabilisés ;

Attendu que le vice apparent, dont le vendeur n'est pas tenu, n'est pas seulement celui qui est ostensible et que révèle un examen superficiel mais celui, qu'un homme de diligence moyenne aurait découvert en procédant à des vérifications élémentaires ;

Attendu qu'il ressort des éléments de l'espèce que l'immeuble a été vendu au prix du marché, et non à un prix réduit, qu'une vigne vierge masquait la fissure extérieure et qu'une épaisse moquette recouvrait le sol de la salle de séjour, laquelle était en outre entièrement meublée lors des visites tant du notaire et de la négociatrice que des futurs acquéreurs ;

Que dès lors, les appelants sont mal fondés à soutenir que ces derniers auraient dû soulever la moquette, cette manœuvre ne constituant pas une vérification élémentaire, mais un acte dicté par une suspicion qu'aucun élément n'avait pu faire naître en eux ;

Que la présence des fissures constitue bien un vice caché ;

Attendu que les époux Bourguigne excipent enfin de la clause de non-garantie figurant dans le contrat de vente ;

Mais attendu que les attestations versées aux débats établissent que la maison présentait déjà des désordres quand elle était la propriété de la société Flambo, puis quand elle a été donnée en location à Mme Bannier de telle façon qu'un devis de l'ordre de 30 à 40 000 F a alors été dressé ; que les époux Bourguigne ont fait poser la moquette lors de l'acquisition n'ont pu manquer de voir la fissure de la salle de séjour.

Que des travaux sur celle-ci ont été réalisés au moins à deux reprises ainsi qu'il ressort notamment du témoignage de M. Fernandes ;

Que les époux Bourguigne, parfaitement informés des désordres existants, auraient dû les signaler aux acquéreurs ;

Que leur silence est dans ces conditions constitutif de mauvaise foi et leur interdit de se prévaloir de la clause de non-garantie insérée dans le contrat de vente ;

Attendu que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont prononcé la résolution de la vente intervenue ;

Attendu que les acquéreurs ayant versé aux vendeurs la somme de 96 000 F celle-ci doit leur être remboursée ;

Attendu que les époux Bourguigne devant également rembourser aux acquéreurs le montant des mensualités qu'ils ont été amenés à régler au Crédit Immobilier du Cher depuis le 2 août 1992 et devant les garantir de toutes les sommes qu'ils restent devoir au prêteur jusqu'à total désintéressement de celui-ci ;

Attendu qu'ils devront également rembourser aux époux Triffault le montant des frais de vente, soit la somme de 22 764 F outre les honoraires versés au notaire ;

Attendu que les acquéreurs avaient également emprunté une somme de 37 000 F auprès de la Chambre de commerce de Bourges et que les époux Bourguigne doivent leur rembourser le montant des mensualités d'ores et déjà versées soit 3 627,56 F, puis les garantir de toutes les sommes qu'ils devront verser au prêteur jusqu'à complet désintéressement de celui-ci.

Attendu qu'il n'est pas contesté que les acquéreurs aient versé, en sus du prix de vente, une somme de 40 000 F représentant l'équipement d'une cuisine et d'une salle d'eau ;

Que ces aménagements ne pouvant être retirés de l'immeuble, les époux Bourguigne rembourseront aux acquéreurs la somme de 40 000 F ;

Attendu que les époux Triffault ont subi un préjudice distinct du fait de ces désordres que les vendeurs doivent réparer à hauteur de 25 000 F ;

Attendu que les époux Triffault ont supporté des frais irrépétibles en première instance et en appel qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ; que l'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile sera alors portée à 15 000 F ;

Attendu que les époux Bourguigne succombant ne sont pas fondés à réclamer le bénéfice de ces dispositions ;

Par ces motifs, En la forme, reçoit les appels principal et incident déclarés réguliers, Au fond réforme le jugement déféré sur le montant des dommages-intérêts et de l'indemnité pour frais irrépétibles et condamne les époux Bourguigne à payer aux époux Triffault la somme de 25 000 F à titre de dommages-intérêts et de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Confirme pour le surplus, Y ajoutant, Condamne les époux Bourguigne à payer aux époux Triffault la somme de 13 627,56 F représentant le montant des mensualités réglées à ce jour au titre du prêt souscrit auprès de la Chambre de commerce de Bourges depuis le 1er septembre 1992, et dit qu'ils seront tenus de les garantir de toutes les sommes qu'ils devront verser au prêteur jusqu'à total désintéressement de celui-ci, Les condamne également à leur rembourser la somme de 40 000 F, d'ores et déjà versée au titre des équipements, Déboute les parties de leurs moyens ou prétentions plus amples ou contraires, Condamne les époux Bourguigne aux entiers dépens et alloue pour ceux d'appel à Me Le Roy des Barres, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;