CA Paris, 25e ch. B, 5 avril 1991, n° 9500-89
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Toraille
Défendeur :
Etablissements Barbaud (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Feuillard
Conseillers :
Mme Pinot, M. Perie
Avoués :
SCP Gauzere & Lagourgue, Mes Taze-Bernard, Broquet
Avocats :
Mes Bihl, Dayras.
La cour statue sur l'appel de Mme Toraille, née Boyer Francine, contre le jugement du Tribunal de grande instance de Paris (4e chambre, 2e section) du 16 juin 1988 qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société des Etablissements Barbaud (ci- après Barbaud).
Il est renvoyé au jugement dont appel pour un exposé complet des faits de la cause et des prétentions des parties en première instance.
Il suffit de rappeler que Mme Toraille et plusieurs autres personnes ont saisi le tribunal pour obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi à la suite de la consommation de viande de cheval infestée de trichinose.
Par le jugement déféré, le tribunal a déclaré recevables les actions fondées sur l'article 1648 C. civ. Mais les a rejetées en relevant qu'il résultait des investigations menées des présomptions graves, précises et concordantes que tous les demandeurs avaient été contaminés par de la viande chevaline importée par Barbaud ; que cependant " le professionnel, qui ne livre à la consommation humaine un produit qu'il n'a pas fabriqué qu'après l'avoir soumis à l'inspection sanitaire légale des agents de l'Etat (qui) en attestent la bonté, ne saurait être tenu envers l'acheteur, au cas où ce contrôle se révèle inefficace et le certificat légal est démenti par les faits, d'une obligation de résultat dont on chercherait vainement la justification dans une compétence technique, ultra-professionnelle, que précisément le législateur ne lui reconnaît point ".
Appelante, Mme Toraille conclut à la réformation du jugement et demande à la cour de dire que les Etablissements Barbaud, vendeur professionnel, sont tenus de réparer l'intégralité des dommages qu'elle a subis du fait des vices cachés ayant infesté la viande qu'ils ont vendue. Elle sollicite une mesure d'expertise pour l'évaluation de son préjudice et réclame une provision de 30 000 F, outre 5 000 F, au titre de l'article 700 NCPC.
Elle relève que d'autres victimes de la même épidémie de trichinose, causée par la viande du même importateur Barbaud, ont obtenu un arrêt de la Cour de Paris, le 8 décembre 1989, aux termes duquel les Etablissements Barbaud, vendeur professionnel, étaient tenus par les dispositions de l'article 1645 C. civ. et devaient réparer l'intégralité du préjudice subi par les consommateurs dès lors que ceux-ci avaient bien été intoxiqués par de la viande en provenance de ces établissements.
Intimée, la société Etablissements Barbaud conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Mme Toraille de toutes ses demandes.
Elle souligne que mme Toraille doit établir, de façon certaine, que sa trichinose est due à la consommation de viande de cheval en provenance de ses établissements.
Elle affirme que la transmission de la trichinose par le cheval n'a jamais pu être établie scientifiquement ;
Que s'il est vrai que la jurisprudence assimile au vendeur qui connaissait les vices celui qui, par sa profession, ne pouvait les ignorer, il ne s'agit pas pour autant d'une présomption irréfragable, laquelle ne saurait exister sans un texte légal ; que la présomption de la connaissance du vice par le vendeur professionnel peut être combattue par la preuve contraire.
Elle ajoute que la présomption de mauvaise foi est liée à l'obligation de contrôle du professionnel sur la marchandise vendue ; qu'en l'espèce le pouvoir de contrôle est dissociée de la qualité de vendeur pour être confié à des services administratifs compétents ;
Qu'en tout état de cause, les éléments caractéristiques de la force majeure exonératoire sont réunis en l'espèce.
Sur quoi, LA COUR :
Considérant que le vendeur professionnel doit garantir à l'acheteur non professionnel que le produit qu'il lui livre est apte à l'usage convenu ; qu'il ne peut s'exonérer de son obligation de réparer le préjudice causé à l'acheteur en raison des vices affectant le produit au motif qu'il ignorait ces vices ni même qu'il lui était impossible de les déceler ;
Considérant qu'il en résulte que Barbaud ne peut être admise à contester sa responsabilité au motif que le contrôle sanitaire de la viande chevaline destinée à la consommation humaine est organisée par les pouvoirs publics et confié aux services vétérinaires ;
Considérant que Barbaud ne peut être davantage admise à invoquer une force majeure exonératoire puisque le vice dont était affectée la viande qu'elle a vendue ne lui était pas un évènement extérieur ;
Considérant que Barbaud ne discute pas réellement les constatations des premiers juges selon lesquelles les patientes investigations, qui ont été menées par les services médicaux, les Directions départementales de l'action sanitaire et les services vétérinaires d'hygiène alimentaire du ministère de l'Agriculture, ont abouti, pour l'anadémie de trichinellose humaine d'octobre 1985 " qui a contaminé . Francine Boyer . ", à l'identification de quatre quartiers de cheval, débités par le même grossiste français et provenant d'un lot de quinze tonnes importé d'un abattoir de la République fédérale d'Allemagne ;
Que les premiers juges ont relevé que, si aucun examen de la viande incriminée n'a pu être réalisé, toute la viande parasitée ayant été vendue et consommée au moment de l'enquête, il résultait bien des diagnostics et des faits soumis à la sagacité des hommes de l'art compétents des présomptions graves, précises et concordantes que tous les demandeurs ont été contaminés par de la viande importée par Barbaud ;
Considérant que mme Touraille justifie qu'elle a été hospitalisée à l'hôpital Raymond Poincaré de Garches du 12 au 24 octobre 1985, puis du 12 décembre 1985 au 20 janvier 1986, pour une trichinose confirmée par la sérologie ; qu'elle a également été hospitalisée à l'hôpital Ambroise Pare du 24 octobre au 4 décembre 1985, puis du 20 janvier au 24 février 1986 ; qu'elle a subi une intervention chirurgicale ; que, par la suite, elle a été hospitalisée à l'hôpital Saint-Lazare à Paris du 24 février au 24 avril 1986 ; qu'en outre elle a dû effectuer plusieurs séjours dans des établissements médicaux ou chirurgicaux ;
Considérant, cependant, que Mme Toraille n'indique pas, dans ses écritures, le nom et l'adresse de la boucherie où elle aurait acheté la viande infestée ; que, dans le manuscrit qu'elle verse aux débats et où elle récapitule ses séjours hospitaliers, elle mentionne : " Viande de cheval achetée et mangée vers le 4 octobre 85 - marché de Garches " ;
Qu'ainsi, les fortes probabilités qui existent en l'espèce, en raison précisément du caractère exceptionnel de la contamination de l'homme par la viande de cheval, ne suffisent à établir que les dommages subis par mme Toraille trouvent leur origine dans la viande chevaline infestée provenant des Etablissements Barbaud ;
Considérant, dès lors, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme Toraille de l'ensemble de ses demandes ;
Que sa demande tendant à l'allocation d'une provision sera par suite rejetée ;
Considérant que mme Toraille s'est adressée à justice de bonne foi pour tenter d'obtenir réparation d'un préjudice important ; qu'il était naturel qu'elle assignat Barbaud qui paraissait l'unique responsables des deux anadémies constatées en 1985 ; qu'elle a tenté encore en appel, toujours de bonne foi, de faire reconnaître ses droits ; qu'elle ne succombe qu'en raison de l'insuffisance des preuves qu'elle a soumises à la cour, alors qu'il a été dit que la viande infestée qu'elle a consommée provenait probablement des Etablissements Barbaud ;
Que ces circonstances justifient que les dépens d'appel soient partagés par moitié et que la demande de Mme Toraille fondée sur l'article 700 NCPC, justifiée par l'équité, soit accueillie à hauteur de 3 000 F ;
Par ces motifs : Statuant dans les limites des dispositions déférées : Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Paris (4e chambre, 2e section) du 16 juin 1988 en ce qu'il a débouté Mme Francine Boyer, épouse Toraille, de toutes ses demandes, fins et conclusions et l'a condamnée aux dépens ; Condamne la société Etablissements Barbaud à payer à Mme Toraille 3 000 F par application de l'article 700 NCPC ; Condamne la société Etablissements Barbaud et mme Toraille aux dépens d'appel, chacune pour moitié, et admet les avoués de la cause au bénéfice des dispositions de l'article 699 NCPC.