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Décisions

CA Paris, 19e ch., 11 septembre 1995, n° 92-4701

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Patrimoine Groupe Drouot (SA)

Défendeur :

Pleyel Tour Ouest (SCI), La Préservatrice Foncière (SA), Dumoulin (ès qual.), Sogene (Sté), Ugine (Sté), Sacilor (Sté), Syndicat des copropriétaires Pleyel Tour Ouest, Setec Bâtiment (Sté), Herault et Favatier (Sté), Davum (Sté), CAF de la Seine-Saint-Denis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Salomon

Conseillers :

MM. Delanne, Brunet

Avoués :

SCP Gibou Pignot Grappotte Benetreau, Mes Pamart, Careto, SCP Dauthy Naboudet, SCP Duboscq Pellerin, SCP Barrier Monin, SCP Bourdais Virenque, SCP Taze Bernard Belfayol Broquet

Avocats :

Mes Chetivaux, Sariac, Drago, Delagrange, Moureu, SCP Caston

TGI Paris, 6e ch., 1re sect., du 10 déc.…

10 décembre 1991

LA COUR statue sur l'appel interjeté le 6 février 1994 par la société "Patrimoine Groupe Drouot" du jugement rendu le 10 décembre 1991 par le TGI de Paris, 6e chambre, 1re section dans le litige opposant l'appelante, assureur au titre d'une police maître d'ouvrage de la Tour "Pleyel Tour Ouest" située au carrefour Pleyel à St-Denis (Seine-Saint-Denis), à la société Davum, fournisseur de l'acier "Corten" qui recouvre les façades de ladite tour et qui présente des phénomènes de corrosion attaquant la texture du métal, et à la société "Ugine SA", nouvelle dénomination de la société "Sacilor", venant aux droits de la société de Wendel-Sidelor, fabriquant allégué de l'acier "Corten".

L'appelante avait dirigé primitivement son appel à l'encontre de neuf intimés. Elle s'est désistée à l'égard de sept d'entre eux. Aucun d'eux n'avait fait de demande incidente ou formé d'appel incident, observation étant faite que la SCI "Pleyel Tour Ouest" seule partie à refuser le désistement ne saurait y faire obstacle puisque sa seule demande en cause d'appel concernait l'allocation en sa faveur d'une indemnité au titre de l'article 700 du NCPC et qu'une telle demande de condamnation ne constitue pas une demande incidente au sens de l'article 401 du NCPC.

Les premiers juges ont :

- donné acte au Syndicat des copropriétaires Pleyel Tour Ouest de son désistement d'instance à l'encontre de la SCI Pleyel Tour Ouest et de la Cie Drouot Assurances;

- constaté le désistement implicite de la Caisse d'allocations familiales de la région parisienne;

- prononcé la mise hors de cause de la société Setec Bâtiment, de l'entreprise Sogene, représentée par son syndic Me Roquette, de la Cie La Préservatrice, prise en sa qualité d'assureur de la société Sogene, du Cabinet d'architectes Herault-Favatier et de la SCI PLeyel à l'encontre desquels aucune demande n'est formulée;

- déclaré la Cie Le Patrimoine Groupe Drouot, subrogée dans les droits du syndicat, recevable mais mal fondée en son action formée à l'encontre des sociétés Davum et Sacilor;

- l'en ont déboutée;

- condamné la Cie Le Patrimoine Groupe Drouot à payer à la société Davum et à la société Sacilor la somme de 20 000 F chacune, en vertu de l'article 700 du NCPC;

- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties;

- condamné le Groupe Drouot aux entiers dépens, frais de référé et d'expertise compris;

- constaté qu'aux termes du protocole d'accord du 3 février 1989, il a été convenu que chaque partie conserve ses frais et dépens, à l'exception du syndicat des copropriétaires Pleyel Tour Ouest qui en sera remboursé, à concurrence de la moitié par le Groupe Drouot Assurances, sur présentation des pièces justificatives.

L'appelante demande à la cour de :

- constater sa subrogation dans les droits du Syndicat en application tant du protocole d'accord signé en date du 3 février 1989 que des dispositions de l'article L. 121-12 du Code des assurances;

- constater que cette subrogation constitue le seul titre en vertu duquel elle formule aujourd'hui ses demandes à l'encontre des sociétés Davum et Sacilor;

- en conséquence, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré la Cie Le Patrimoine Groupe Drouot subrogée dans les droits et actions de son assuré et l'a déclarée recevable;

- constater la part prépondérante des fautes commises par les sociétés Davum et Sacilor tant lors de la réalisation de l'opération de construction que pendant les opérations d'expertise dans la réalisation du sinistre et son ampleur;

- en conséquence, vu l'article 1382 du Code civil, condamner Davum et Sacilor chacune pour la part de responsabilité lui revenant ou à défaut in solidum, à rembourser au Groupe Drouot les indemnités qu'il a été amené à verser au Syndicat des copropriétaires;

- vu l'article 700 du NCPC, condamner tous succombant solidairement ou in solidum à verser au Groupe Drouot une somme de 100 000 F en remboursement des frais irrépétibles qu'il a dû engager, tant dans le cadre de première instance que de la présente instance, et qu'il sera inéquitable de lui laisser supporter;

- condamner les mêmes sous la même solidarité, en outre aux frais d'expertise des référés, aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir, pour l'essentiel, au soutien de son appel, que Davum a incontestablement fourni l'acier Corten ayant servi à la réalisation de la tour Pleyel et qu'au vu des documents versés aux débats la société de Wendel-Sidelor est bien intervenue en qualité de fabricant de l'acier Corten et qu'elle a offert une assistance technique pour conseiller les constructeurs et les maîtres de l'ouvrage en cours de chantier et pour vérifier l'utilisation et l'adéquation de son matériau au site;

- que Davum ne pouvait ignorer que le matériau produit était inadapté à l'usage auquel il était destiné;

- que la responsabilité de la société "Ugine" n'est pas recherchée pour avoir fourni un matériau comportant des vices cachés mais parce que le matériau litigieux, l'acier Corten est manifestement incompatible pour assurer la fonction de revêtement des façades qui lui était destinée dans la tour Pleyel;

- que les comptes-rendus de chantier des 8 avril, 9 avril, 17 septembre et 15 octobre 1971 démontrent que la société de Wendel-Sidelor aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Ugine a fourni l'assistance technique de ses techniciens en cours de construction quant à la mise en place et l'entretien du revêtement Corten;

- que, par exemple, elle devait livrer un élément de bardage en Corten pour remplacer une tôle Corten dont le vieillissement avait été constaté;

- que le 12 février 1970, elle écrivait au cabinet d'architectes au sujet des difficultés relatives à l'adhérence du Corten au béton et dont la société Setec avait mis en garde l'entreprise que "l'accrochage au béton des tôles de revêtement en acier Corten réalisé à l'aide de goujons...permettra de résoudre les problèmes posées par l'adhérence du Corten au béton..";

La société Davum demande à la cour, vu le protocole d'accord en date du 3 février 1989 signé entre la Cie le Groupe Drouot et le Syndicat de la Tour Pleyel, vu la police spéciale mixte des maîtres d'ouvrage n° 863416500 de la Cie le Groupe Drouot, vu l'article 1382 du Code civil, de :

- constater, au visa de l'article 122 du NCPC, le défaut partiel d'intérêt pour agir du Groupe Drouot à hauteur de 24 070 889 F, et dire en conséquence son action subrogatoire recevable dans l'exacte limite de 11 866 232 F;

- confirmer purement et simplement le jugement en ce qu'il a entériné le rapport d'expertise Brisac-Maury-Le Metayer du 27 janvier 1989 et dit les constructeurs seuls responsables des désordres ayant affecté l'ouvrage;

- confirmer le dit jugement en ce qu'il a dit l'action subrogatoire du Groupe Drouot mal fondée à l'encontre de Davum, eu égard à l'absence de faute commise par celle-ci en sa qualité de fournisseur de l'acier Corten de l'ouvrage sur le terrain de l'article 1382 du Code civil;

- donner acte à la société Davum de ce qu'elle se réserve, le cas échéant, de faire valoir toutes exceptions ou fins de non-recevoir et moyens de fond dans l'hypothèse où le Groupe Drouot formulerait sa demande sur tout autre fondement juridique;

- condamner reconventionnellement le Groupe Drouot au paiement de la somme de 100 000F de dommages-intérêts pour procédure abusive et, réformant sur ce point le jugement entrepris, condamner le Groupe Drouot au paiement de la somme de 150 000 F au titre des frais de l'article 700 du NCPC inhérents à la procédure de première instance;

- la condamner en outre au paiement de la somme de 30 000 F au titre des frais de l'article 700 du NCPC inhérents à la procédure d'appel;

- condamner le Groupe Drouot en tous les dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient, notamment, qu'elle a effectivement fourni à l'entreprise Sogene en 1971-72, en tant que négociant d'aciers, des aciers Corten destinés à l'habillage des façades de la tour;

- que la caractéristique de l'acier Corten, qui entre dans la gamme des aciers auto-patinables, réside dans le fait de s'auto-protéger chimiquement contre la corrosion, à la condition expresse de respecter certaines prescriptions d'emploi, codifiées par son inventeur, le sidérurgiste américain US Steel, et diffusées à l'époque par tous les grands sidérurgistes mondiaux, fabricants dudit acier sous licence;

- que l'assiette de l'action subrogatoire du Groupe Drouot, qui détermine l'étendue de son intérêt pour agir ne s'élève aucunement à la somme versée par cet assureur au maître de l'ouvrage, soit 24 070 889 F mais à celle de 11 866 232 F;

- qu'en effet, le coût des travaux de réfection des désordres tel que déterminé par le rapport du collège expertal Brisac-Maury-Le Metayer du 27 janvier 1989 (pages 61 à 64) s'élève à 22 373 199 F TTC; qu'il convient d'en déduire le coût de réfection des allèges (3 902 967 F TTC) dans la mesure où :

* les désordres sur allèges n'étaient aucunement visés dans l'exploit introductif d'instance;

* et, surtout, parce qu'ils concernent un élément de l'ouvrage à la fourniture duquel la société Davum est restée totalement étrangère;

- que dès lors, cette deuxième limitation implique une réfaction de l'assiette du recours de 22 373 199 F TTC à 18 470 232 F TTC;

- que, contrairement à ce qu'a soutenu le Groupe Drouot depuis ses conclusions du 12 février 1990, il apparaît constant, au terme des conditions particulières de la police spéciale mixte, chapitre II "Garanties" 1er par, 2e que la garantie due par le Groupe Drouot au maître de l'ouvrage :

* ne présentait qu'un caractère complémentaire ou subsidiaire aux garanties dues par les assureurs en responsabilité décennale des constructeurs;

* chacun desdits assureurs de ces constructeurs garantissant les désordres subis par l'ouvrage dans la limite individuelle de 2 000 000 F avant que l'assureur en "spéciale mixte dommages ouvrages" ne couvre à titre complémentaire;

- qu'autrement posé, chaque compagnie d'assurances en décennale garantissant individuellement chacun des constructeurs a dû, doit ou devra verser au maître de l'ouvrage ou à son subrogé, dans la limite de son plafond de garantie, la somme de 2 000 000 F, soit en l'espèce 8 000 000 F (2 000 000 F pour M. Herault, 2 000 000 F pour M. Favatier, 2 000 000 F pour Setec, 2 000 000 F pour Sogene);

- que ce n'est qu'au delà de cette somme globale que, conformément aux termes des stipulations contractuelles particulièrement claires, dont le Groupe Drouot se prévaut pour exercer son action subrogatoire, cette compagnie a eu à mettre en œuvre son assurance propre;

- qu'en vain le Groupe Drouot objecterait-il, comme il l'a fait en première instance, qu'il aurait renoncé à recourir contre lesdites compagnies;

- qu'en effet, cette renonciation, qui ne trouve d'ailleurs aucun fondement contractuel à travers les documents versés au débat, apparaît en tout état de cause rigoureusement inopposable aux tiers, et notamment à la société Davum;

- qu'en vain, serait-il également soutenu, pour une raison hypothétique, que les garanties décennales individuelles des constructions n'aient pas eu à jouer en l'espèce puisqu'il est avéré qu'en 1979, les premiers désordres apparus en 1974-76 ont été quasi-intégralement pris en charge par la Cie La Préservatrice, assureur en décennale de l'entreprise Sogene;

- que dans ces conditions, il échet, sur la base d'un prorata par rapport aux seuls désordres relatifs aux tôles Corten, d'établir une réfaction de l'assiette du recours du Groupe Drouot dans la limite suivante :

8 000 000 F x 18 470 232 /22 373 199 = 6 604 000 F

- qu'ainsi, cette troisième limitation implique une réfaction de l'assiette du recours du Groupe Drouot de 18 470 232 F à 11 866 232 F;

- que c'est uniquement cette somme de 11 866 232 F qui peut servir d'assiette financière à l'action subrogatoire du Groupe Drouot à l'encontre de Davum;

- que la société Davum, simple négociant d'acier, n'a joué strictement aucun rôle, ni sur les critères de choix, ni sur le choix du matériau, fait exclusivement par les constructeurs antérieurement à la commande, ni sur les conditions de mise en œuvre du matériau, décidées exclusivement par les constructeurs postérieurement à la livraison, dans des conditions totalement anormales et contraires aux préconisations du fabricant;

- qu'elle a livré un acier Corten conforme aux stipulations contractuelles, aux propriétés de la licence et exempt de vice,

* en fonction d'un choix émanant de l'architecte, le cabinet Herault et Favatier, avalisé par le bureau d'études Setec et l'entreprise Sogene et agréé par le maître de l'ouvrage Cogifrance après une information technique complète,

* mis en œuvre par les constructeurs selon une technique entièrement nouvelle et dans des conditions d'utilisation expérimentales soumises à de multiples conseils extérieurs,

* équivalentes à un emploi anormal de l'acier Corten en contradiction avec les préconisations d'emploi des fabricants licenciés de cet acier connues des constructeurs et intégrées aux prescriptions techniques d'origine,

* sans consultation d'aucune sorte du fournisseur sur le choix du matériau et/ou sur la technique de mise en œuvre;

- que selon les conclusions définitives du collège expertal, il apparaît très nettement qu'à l'origine des désordres existe un vice de conception découlant directement d'un vice d'utilisation du matériau, aggravé, dans les coffrages perdus des meneaux, par un souci peut-être excessif d'économie (rapport pages 45 et suivantes);

- que les conditions d'information technique des constructeurs sur la résistance du matériau à la corrosion ont été particulièrement complètes;

- que le choix du Corten a été fait en 1970 par les architectes, pour des raisons d'ordre esthétique, après que ceux-ci soient allés rechercher directement à la source des premiers promoteurs mondiaux du Corten tous renseignements utiles sur ses caractéristiques techniques et notamment de résistance à la corrosion et de conditions d'emploi;

- que ce choix a co-émané ou à tout le moins a été avalisé par Setec après que ce bureau d'études se soit à son tour entouré de multiples informations relatives à la qualité du matériau et ait abandonné les dix autres solutions qu'il avait étudiées pendant deux ans;

- que ce choix, agréé par le maître de l'ouvrage et l'entreprise générale Sogene, s'est inscrit dans des documents contractuels définitifs de janvier 1971, antérieurs de plusieurs mois à la date de la commande de l'acier;

- que les constructeurs, après de multiples études et recours à des conseils extérieurs se sont totalement écartés de la solution d'origine pour adopter une variante fondamentalement différente, dite du "coffrage perdu", accompagnée d'une sous-épaisseur des tôles;

- qu'il s'agit là selon les experts d'une utilisation anormale du Corten qui est fait pour s'oxyder à l'air libre et qu'il n'est pas donné pour résister à des conditions de confinement à l'origine, en l'absence d'air renouvelé, de présence d'eau de ruissellement, d'eau de condensation et de percolation d'eau chargé de sels corrosifs;

- que l'emploi anormal du Corten réside dans la constatation négative de l'absence de respect des préconisations d'emploi du Corten émanant de l'US Steel et reprises par les fabricants licenciés Corten;

- que les constructeurs avaient parfaite connaissance du contenu et de la portée de ces préconisations :

* pour avoir sollicité et obtenu dès 1970 de la société Sacilor, titulaire de la licence Corten US Steel pour la France, les documents relatifs aux caractéristiques chimiques intrinsèques de l'acier Corten et à ses préconisations d'emploi;

* dont les prescriptions avaient été intégrées dans les documents contractuels du marché;

- que le contenu de la brochure "Préconisations d'emploi de l'acier Corten à l'état nu" de Sacilor, apparaît rigoureusement incompatible avec la manière dont le Corten a été utilisé par les constructeurs;

- que les dispositions fondamentales de ces prescriptions d'emploi figurant au chapitre III page 5 portaient notamment :

* article 111- 22

"La conception de l'ouvrage tiendra compte des conditions permettant d'obtenir une protection efficace des surfaces exposées en acier Corten à l'état nu. En conséquence, la stagnation prolongée d'eau de pluie et la présence permanente d'eau de condensation sont incompatibles avec l'emploi d'acier Corten à l'état nu";

Article 111-23

"Matériaux déconseillés (comme matériaux contigus ou sous-jacents avec le Corten) : béton et plâtre";

Article 111-24

"Les surfaces intérieures des éléments en Corten seront, en principe, peintes;

"Il est également recommandé de peindre les surfaces intérieures non visibles ou d'utiliser un moyen approprié (aération, ventilation...) permettant d'éviter la formation de condensations internes permanentes";

Article 111-25

"Afin d'assurer l'uniformité du film d'oxyde, on évitera tout contact direct du Corten nu avec d'autres matériaux métalliques susceptibles de provoquer la formation de couples électro- chimiques";

- que par ailleurs, l'intégration des prescriptions d'emploi de Sacilor aux documents contractuels du marché Tour Pleyel, apparaît indiscutable;

- que ces conditions ont été pleinement intégrées par les maîtres d'œuvre et bureaux d'études aux documents techniques du marché et que, bien plus encore, ceux-ci ont recommandé à l'entreprise générale Sogene le nécessaire respect desdites préconisations;

- que la réalité de cette intégration résulte notamment :

* du Cahier des Prescriptions Techniques du 06.01.71 - lot A1 "Structures" articles II- 2.1 - page 3, qui reproduit purement et simplement l'article III-22 de la notice Sacilor;

* du Cahier des Prescriptions Techniques du 06.01.71 ;

* lot A1 "Structures" article II-13 - page 4, qui reproduit purement et simplement l'article III-24 de la notice Sacilor;

* de la lettre Setec à Sogene du 17.04.72 qui invite l'entreprise générale à prendre connaissance de l'ensemble des prescription de ladite notice;

- qu'ainsi, les préconisations de l'US Steel, reproduites par le licencié français de Corten dans sa notice étaient-elles parfaitement claires :

* nécessité de prévoir une aération et d'éviter la présence d'eau de condensation pour les faces internes du Corten;

* nécessité de peindre lesdites faces internes;

* incompatibilité du contact béton/acier en milieu humide;

- qu'il est avéré que c'est une solution entièrement contraire à ces préconisation que les constructeurs ont finalement mis en œuvre, comme le confirme le rapport de M. Le Métayer du 11 mai 1987 (page 11);

- que "confondre en un même élément l'habillage des meneaux béton et leur coffrage est contraire aux prescriptions d'utilisation de ce matériau selon la notice même du fabricant quel qu'il soit puisqu'il s'agit d'une fabrication sous licence, ainsi que l'ont écrit les experts dans leur rapport définitif du 27 janvier 1989 (page 54);

- que Davum n'est impliquée à aucun stade, dans les erreurs de conception de l'ouvrage et de mise en œuvre en lesquelles a résidé la cause des désordres;

- qu'elle n'a jamais été consultée sur le choix et les propriétés intrinsèques de l'acier Corten, celui-ci étant antérieur de deux ans à la passation de la commande à elle-même de l'acier de la tour;

- qu'elle n'a jamais été consultée à quelque moment que ce soit par les constructeurs sur la technique de mise en œuvre et les conditions d'emploi du matériau;

- que les constructeurs :

* auteurs d'une œuvre architecturale complexe et pensée de façon novatrice tant esthétiquement que sur le plan de la technique de mise en œuvre des habillages de façades,

* sont, tant au stade de l'information relative aux propriétés intrinsèques du Corten qu'au stade de sa mise en œuvre, allés chercher conseils et renseignements auprès des plus grands bureaux d'études, cabinets d'architectes et laboratoires européens et américains, soit d'autorités et de compétences mondiales à la mesure de leur projet,

* dont le caractère expérimental se déduit aisément de l'absence de réalisation antérieure identique en Europe ou aux USA;

- que l'on voit mal de quel poids aurait pesé, s'il lui avait été demandé, ce qui n'a pas été le cas, l'avis d'un simple négociant intermédiaire, au regard de celui des autorités précitées;

- qu'enfin, il est constant qu'à aucun moment lors de l'apparition du processus de corrosion, en 1976, Davum n'a été tenue pour responsable ou même consultée en quoi que ce soit à raison de la survenance des premiers désordres;

- que le Groupe Drouot ne rapporte aucunement la preuve d'une faute commise par Davum en sa qualité de fournisseur de l'acier Corten de la tour, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

La société "Ugine SA" constatant que la Cie d'assurances Le Patrimoine Groupe Drouot fonde son action en responsabilité sur l'article 1382 du Code Civil, demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle se réserve de faire valoir tous exceptions, fins de non-recevoir et moyens dans le cadre de demandes formulées à son encontre sur un fondement juridique différent;

- dire l'appel de la Cie d'assurances Le Patrimoine Groupe Drouot irrecevable et, en tout cas, mal fondé; le rejeter;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré la Cie d'assurances Le Patrimoine Groupe Drouot, subrogée dans les droits du Syndicat des copropriétaires Pleyel Tour Ouest, mal fondée en son action à l'encontre de la société Sacilor aujourd'hui dénommée Ugine, et l'en a déboutée;

- le confirmer également en ce qu'il a condamné la Cie Le Patrimoine Groupe Drouot à payer à la société Sacilor aujourd'hui dénommée Ugine la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du NCPC et en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens, frais de référé et d'expertise compris;

- condamner la Cie Le Patrimoine Groupe Drouot à payer à la société Sacilor la somme de 50 000 F en cause d'appel en application de l'article 700 du NCPC;

- condamner la Cie Le Patrimoine Groupe Drouot aux dépens d'appel.

Elle fait valoir, pour l'essentiel, que les experts n'ont pas identifié avec certitude le fabricant des tôles Corten; qu'il est tout à fait inexact de prétendre qu'auraient été retrouvées diverses factures et bons de commande concernant la tour Pleyel et portant le cachet de la société Sacilor;

- que le collège des experts a relevé la responsabilité exclusive des constructeurs dans la survenance des désordres; que les qualités intrinsèques et la conformité propre de l'acier Corten ne sont pas en cause;

- que les désordres proviennent d'un défaut de conception découlant directement du choix de la solution proposée par la société Sogene d'utilisation de l'acier Corten en coffrage perdu et ceci sous sa propre responsabilité;

- qu'en préconisant cette utilisation, la société Sogene a entendu satisfaire d'une part aux exigences esthétiques des architectes, d'autre part et surtout à une source d'économie et de facilité d'exécution;

- que les désordres survenus sont également dus à des défauts de mise en œuvre, notamment en ce qui concerne les ouvrages d'étanchéité; que les prescriptions d'emploi et d'utilisation de l'acier Corten n'ont pas été respectées "selon la notice même du fabricant quel qu'il soit, puisqu'il s'agit d'une fabrication sous licences (rapport des experts page 54);

- que, pourtant, elles avaient été intégrées aux documents contractuels du marché "tour Pleyel";

- que Sacilor n'a jamais conclu avec l'un quelconque des intervenants à la construction un contrat d'assistance technique; que tel n'est d'ailleurs absolument pas l'objet de la société dont l'activité est la fabrication et la vente d'aciers;

- que l'obligation de renseignement a été remplie par la diffusion de la notice d'emploi de l'acier Corten, étant même précisé que les dispositions de cette notice étaient intégralement et textuellement reprises dans un fascicule des prescriptions techniques annexé au devis descriptif du maître d'œuvre;

- qu'en ce qui concerne les interventions de représentants de Wendel-Sidelor en cours de construction, il convient de les replacer dans leur contexte la promotion technologique d'un produit; que sur 162 rendez-vous de chantier, Wendel Sidelor n'a assisté qu'à cinq réunions et n'a été destinataire que du seul compte-rendu de chantier du 2 avril 1971;

- qu'en outre, toutes les interventions se situent à une époque où, déjà, la conception des ouvrages suivant la variante CFE/Sogene était retenue, de même que les conditions d'emploi de l'acier Corten en coffrage perdu;

- qu'à l'égard du maître de l'ouvrage comme des constructeurs, Wendel-Sidelor n'avait certainement ni à préconiser ni à prescrire ni à élaborer une solution de conception des ouvrages pour un projet déterminé qui s'imposait à elle;

- que les interventions de Wendel-Sidelor doivent également s'apprécier par rapport à l'ensemble des intervenants à titre de conseils pour la construction de cette partie de l'ouvrage;

- que le passage épisodique de Wendel-Sidelor sur le chantier n'a fait l'objet d'aucune rémunération, ce qui exclut toute obligation contractuelle d'assistance technique.

La cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties à la décision déférée et aux conclusions échangées en appel.

Cela étant exposé, LA COUR,

Considérant qu'il ressort des investigations particulièrement poussées des experts (M. Maury, puis M. Le Metayer, enfin un collège expertal composé de MM. Maury, Le Metayer et Brisac) que la corrosion des façades intérieures des tôles en acier Corten, qui présente un effet évolutif et perforant, résulte d'une utilisation anormale du Corten, contraire à la notice établie par Sacilor, à savoir un contact direct entre le métal et le béton, la présence d'humidité permanente, des éléments d'ancrage en acier doux;

Considérant qu'il est établi par les diverses analyses réalisées à l'initiative des experts que l'acier Corten livré par la société Davum était exempt de vices; Qu'il était conforme aux propriétés de la licence; Qu'il était également conforme aux prescriptions contractuelles;

Considérant que le Groupe Drouot ne saurait, dans ces conditions, utilement reprocher au marchand d'acier Davum de lui avoir vendu des produits inadaptés à l'usage normal auquel ils étaient destinés;

Considérant qu'il convient de souligner après les premiers juges que le choix du matériau d'habillage des façades a été opéré en toute connaissance de cause par le cabinet d'architecte et le bureau d'études, après enquête aux USA et examen de réalisations en Corten (Tour John Androck et Civic center à Chicago); que ce choix, agréé par le maître d'ouvrage et l'entreprise générale Sogene a été consacré dans les documents contractuels définitifs antérieurs à la date de la première commande d'acier à la société Davum;

Que celle-ci n'a joué aucun rôle ni dans le choix du matériau ni dans sa mise en œuvre;

Que les conditions d'information technique des constructeurs sur la résistance du matériau à la corrosion ont été particulièrement complètes et fournies à ces derniers antérieurement aux commandes passées à la société Davum;

Qu'en effet, ces constructeurs avaient sollicité et obtenu dès 1970 de la société Sacilor, titulaire de la licence Corten US Steel pour la France, les documents relatifs aux caractéristiques chimiques intrinsèques de l'acier Corten et à ses préconisations d'emploi dont les prescriptions avaient d'ailleurs été intégrées dans les documents contractuels du marché;

Que la société Davum n'a pas été consultée lorsque les constructeurs ont décidé de mettre en œuvre une solution radicalement contraire aux préconisations d'US Steel;

Qu'il s'ensuit qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges mettant totalement hors de cause la société Davum;

Considérant s'agissant de la société Ugine, que sa responsabilité ne pourrait être retenue que s'il était démontré qu'elle avait invité les constructeurs, au titre d'une assistance technique, à l'emploi anormal de l'acier Corten;

Considérant à cet égard qu'il résulte des opérations d'expertise que les constructeurs se sont totalement écartés de la solution d'origine pour adopter une variante fondamentalement différente dit du "coffrage perdu" après de multiples études et recours à des conseils extérieurs;

Qu'ils se sont notamment adressés à US Steel, inventeur de l'acier Corten, à l'OTUA, au CEBTP, au CSTB, à l'ICITE, à des architectes américains ("Cf. Murphy Associates, Supervising Architectes" et Skydmore Om"..); que Sogene avait chargé M. Natale, architecte, d'une mission particulière et personnelle auprès de ses confrères américains ayant participé à la construction du "Civic center" de Chicago;

Que onze solutions différentes ont été étudiées par Setec; que le CEBTP a pratiqué des essais sur éprouvette pour étudier l'adhérence béton/Corten; que l'ICITE, de Milan, a élaboré un prototype qu'il a d'ailleurs révisé à la suite d'essais négatifs; que la Socotec a également procédé à des essais sur prototype; que le bureau d'études Sonal a été sollicité pour donner son avis sur le problème du décollement Corten/béton;

Que dans ces conditions, la responsabilité d'Ugine qui s'est borné à répondre ponctuellement aux questions qui lui étaient posées quant aux caractéristiques fondamentales de l'acier Corten et qui a participé à cinq réunions de chantier sur 162 sans toucher la moindre rémunération, ce qui exclut toute obligation contractuelle d'assistance technique, ne saurait être engagée;

Que sa participation aux réunions précitées a été absorbée et effacée par les multiples conseils des parties techniques intervenantes seules qualifiées pour donner un avis autorisé sur les questions posées; qu'elle n'a, en fait, été présente que pour la "promotion technologique" de son produit; que cette présence n'a en rien cautionné l'emploi du matériau tel qu'il a été finalement réalisé par les constructeurs;

Qu'elle a transmis aux architectes de l'opération sur leur demande des photocopies de documents techniques établis par l'US Steel et concernant la réalisation du "Civic center" de Chicago;

Qu'il convient de souligner que la tour de Chicago a été construite en conformité avec les préconisations d'US Steel alors que la Tour Pleyel, au contraire, l'a été en violation de ces prescriptions;

Qu'il s'ensuit que la lettre de Wendel-Sidelor du 12 février 1970 produit aux débats par le Groupe Drouot et qui était adressée au cabinet d'architecte Favatier et Herault ne saurait fonder une quelconque responsabilité du fabricant puisque les commentaires accompagnant les documents émanant d'US Steel étaient relatifs à un mode d'utilisation du Corten non contraire aux préconisations et que la solution des "coffrages perdus" n'y était pas évoquée;

Que l'examen de quatre comptes-rendus de réunions de chantier versés aux débats par le Groupe Drouot, réunions auxquelles Wendel-Sidelor a assisté démontre bien que le fabricant n'a, en rien, incité ni même conseillé les constructeurs à enfreindre les préconisations d'emploi du Corten;

Que le 2 avril 1971, la société Wendel-Sidelor attire l'attention des constructeurs sur les précautions à prendre pour le transport et la manutention des poteaux préfabriqués revêtus de Corten, précise que l'adhérence du béton sur le Corten est similaire à celle du béton sur la tôle noire, que les risques de corrosion par suite de condensation sur la face interne du Corten sont également identiques et détaille les hypothèses de risque d'oxydation;

Qu'à la suite de cet avis, il est décidé par les maîtres d'œuvre que la société Sogene se renseignera auprès du CSTB sur ces modes d'oxydation;

Que le 9 avril 1971, de Wendel-Sidelor s'engage à indiquer au prochain rendez-vous du 16 avril le délai de livraison des échantillons de tôle Corten nécessaires aux essais à réaliser par Sogene;

Que la société Setec ayant porté à la connaissance des participants que les services techniques de l'OTUA recommandaient dans le cas d'utilisation de tôle en coffrage perdu en façade une protection par peinture bitumineuse de la face intérieure de la tôle, de Wendel-Sidelor a "présenté des documents de réalisation similaire aux USA utilisant toutefois une tôle de 10 mm d'épaisseur sans protection particulière";

Qu'il ne saurait être déduit des propos du représentant de Wendel-Sidelor, tels que rapportés par le rédacteur du compte-rendu de réunion, que ce dernier conseillait par là-même la technique du "coffrage perdu"; qu'il s'est contenté en effet de transmettre une information dont les essais sur échantillons auraient ultérieurement pour objet de vérifier l'intérêt;

Que lors de la réunion du 17 septembre 1971, il s'est agi contrairement à ce que prétend le Groupe Drouot d'examiner s'il était possible d'accélérer le vieillissement des tôles de Corten pour leur donner la patine souhaitée; que Wendel-Sidelor a alors signalé que des essais de vieillissement accéléré obtenu par décomposition d'une peinture marron appliquée sur le Corten n'ont jamais donné de résultats satisfaisants;

Qu'enfin le 15 octobre 1971, il a été précisé aux participants à la réunion, dont Wendel-Sidelor, que les essais du CEBTP étaient en cours s'agissant des poteaux préfabriqués;

Considérant donc, en définitive, qu'Ugine n'étant pas à l'origine du choix du mode d'utilisation du matériau, en "coffrage perdu" et étant également étrangère aux défauts de mise en œuvre, relevés par le collège expertal et non sérieusement contestés, qui sont imputables aux seuls constructeurs, il convient de confirmer la décision des premiers juges la mettant entièrement hors de cause au motif qu'aucune faute n'est établie à son encontre;

Considérant qu'il échet de confirmer également toutes les autres dispositions du jugement entrepris, notamment en ce qui concerne l'application de l'article 700 du NCPC et la charge des dépens, par adoption des motifs des premiers juges;

Considérant que la société Davum doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts, l'appel du Groupe Drouot n'étant ni abusif, ni malicieux, ni dilatoire;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Davum et Ugine la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû exposer pour assurer leur défense en cause d'appel; qu'il convient de leur allouer à chacune la somme de 25 000F à la charge du Groupe Drouot, sur le fondement de l'article 700 du NCPC;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de ces dispositions en faveur de la SCI "Pleyel Tour Ouest";

Considérant qu'il y a lieu de déclarer les parties non fondées dans leurs autres demandes, fins et conclusions et qu'il échet de les en débouter;

Considérant que le Groupe Drouot succombant dans toutes ses prétentions en cause d'appel, il échet de mettre à sa charge la totalité des dépens d'appel;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers, Statuant contradictoirement dans les limites de l'appel; Reçoit l'appel de la compagnie "Le Patrimoine Groupe Drouot"; le dit mal fondé; l'en déboute; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; Y ajoutant, Condamne la Compagnie "Le Patrimoine Groupe Drouot" à payer aux sociétés Davum et "Ugine SA", et à chacune d'elles, la somme de 25 000F sur le fondement de l'article 700 du NCPC; Rejette toutes conclusions autres, plus amples ou contraires; Condamne la Compagnie "Le Patrimoine Groupe Drouot" au dépens d'appel et admet les avoués intéressés au bénéfice de l'article 699 du NCPC.