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Décisions

Ministre de l’Économie, 19 octobre 2004, n° ECOC0500046Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Cegid SA

Ministre de l’Économie n° ECOC0500046Y

19 octobre 2004

MINISTRE D'ÉTAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 14 septembre 2004, vous avez notifié le projet d'acquisition du contrôle de la société CCMX Holding (ci-après " CCMX ") par la société Cegid SA (ci-après " CEGID "). L'opération a été formalisée par un protocole d'accord signé entre les parties en date du 23 juin 2004.

I. - LES PARTIES ET L'OPÉRATION

Cegid est une société anonyme, cotée au premier marché et détenue par le public à hauteur de 66 % et par la société holding ICMI, contrôlée par Jean-Michel Aulas, à hauteur de 28 %. Cegid propose une gamme complète de progiciels de gestion à destination des PME et des experts-comptables sous forme de solutions modulaires (comptabilité, gestion des ressources humaines, gestion commerciale, gestion de production...) et assure des prestations de services informatiques (formation, maintenance sur site, assistance technique...). Cegid employait 1 385 personnes à la fin de l'année 2003 et a réalisé un chiffre d'affaires total de 130 millions d'euro en 2003, dont 128 millions d'euro en France.

CCMX est détenue pour deux tiers du capital par Apax Partners & Cie et pour un tiers par Eurazeo depuis sa cession par le Consortium de réalisation (Crédit Lyonnais) ; elle est présente sur les mêmes marchés que Cegid (édition de progiciels de gestion et services informatiques orientés vers la profession comptable). CCMX a réalisé un chiffre d'affaires total de 90 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 mars 2004, entièrement réalisé en France.

Aux termes du protocole d'accord signé entre les parties, l'apport à Cegid par les actionnaires de CCMX de l'intégralité des actions de CCMX sera rémunéré par l'émission de nouvelles actions Cegid. A l'issue de l'opération, ICMI, holding de contrôle de Cegid détenu par M. Jean-Michel Aulas, demeurera l'actionnaire de référence de Cegid, détenant 20,88 % de son capital et 33,49 % des droits de vote. Les actionnaires de CCMX détiendront 28,31 % du capital de Cegid et 23,52 % des droits de vote. Toutefois, ces actions ne leur conféreront pas de contrôle conjoint sur Cegid, ICMI gardant le contrôle exclusif. En effet, les actionnaires de CCMX ne disposeront que de trois sièges sur onze au conseil d'administration et n'auront aucun droit de veto. L'opération notifiée ayant donc pour effet d'entraîner le contrôle exclusif de CCMX par Cegid, elle constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire. Les seuils de chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont en revanche franchis. L'opération notifiée est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. - LES MARCHÉS CONCERNÉS

Les parties proposent d'évaluer l'impact de l'opération sur des marchés globaux ne faisant pas de distinction selon le type d'utilisateurs : progiciels de gestion en Europe, logiciels de système en Europe, services informatiques en France et vente de matériels informatiques en France.

Ces définitions de marchés de produits et de services s'appuient sur une pratique décisionnelle usuelle des autorités de concurrence nationale et communautaire dans le secteur lorsqu'elles n'ont pas eu besoin de s'interroger sur des délimitations plus étroites des marchés, l'évaluation des conséquences des cas d'espèce n'en étant pas modifiée. Ainsi, dans la décision d'autorisation du ministre, IBM/Matra Datavision du 20 décembre 2002, la DGCCRF a étudié la possibilité de définir un marché des " logiciels et services de gestion du cycle de vie des produits ", tout en laissant cette question ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées. Cependant, certaines segmentations ont pu être retenues : le ministre a arrêté une définition de marché de " l'informatique officinale " dans l'opération Pharmagest/Silmm, autorisée le 22 septembre 2003.

Dans le cas de l'opération en cause, les parties étant des opérateurs historiquement présents dans l'édition de progiciels pour la profession comptable, la question d'une segmentation plus fine des marchés ne peut être écartée d'emblée. Des différences de coûts significatives conduisent à écarter du marché l'offre de services informatiques aux très grandes entreprises du marché pertinent, assurée par SAP ou Oracle. Plusieurs facteurs ne peuvent être négligés et conduisent à définir un fonctionnement spécifique du secteur des prestations informatiques pour les experts comptables (profession comptable libérale, ci-après " PCL ", qui n'inclut pas des acteurs internationaux tels que les " big four ").

Du point de vue de la demande, les experts-comptables identifient, dans leurs réponses au test de marché, des besoins dont ils jugent que seuls des opérateurs ayant développé des produits spécifiques peuvent y répondre. Notamment, il apparaît que du point de vue de la clientèle, un progiciel de comptabilité et de gestion " généraliste " n'est pas substituable à un progiciel spécialisé pour la PCL.

Concernant les progiciels de comptabilité proprement dits, les réponses au test de marché indiquent en effet que les experts-comptables ont besoin d'un ensemble de fonctionnalités permettant de gérer les dossiers de plusieurs entreprises. Aussi leur demande est-elle dirigée à l'endroit d'éditeurs dont les progiciels de comptabilité intègrent un module permettant le traitement d'un nombre important de dossiers et la prise en compte des spécificités de chacun des clients. Sur chacun des dossiers clients, les modules doivent impérativement permettre la production de documents et d'états Cerfa (liasses fiscales) conformes à la réglementation comptable, fiscale et sociale française et permettre la transmission électronique de ces documents à l'administration (ministère de l'Economie et des Finances) conformément aux normes de liaison EDI/TDFC. Le progiciel utilisé par la PCL doit également pouvoir intégrer des données et informations communiquées à distance par ses clients (gestion de la relation clients).

La demande de la PCL porte également sur des fonctionnalités qui sont spécifiques à son exercice, telles que la révision, le commissariat aux comptes et l'audit.

En outre, le métier d'expert comptable s'oriente de plus en plus vers l'exploitation des données comptables (fonction de conseil économique et financier) et plus seulement leur production, qui est de plus en plus automatisée. Aussi, l'intégration d'outils de gestion prévisionnelle (budget et contrôle budgétaire), propres aux experts-comptables dès lors qu'ils sont articulés au module " multi-dossiers " de production comptable, apparaît-elle importante dans la mesure où elle permet d'éviter les saisies redondantes.

Enfin, la PCL attend d'un éditeur de progiciels un outil de gestion propre du cabinet qui s'articule autour des outils de production. Le traitement du temps passé sur chaque mission, le cas échéant par chacun des experts-comptables du cabinet (gestion par affaires), et la facturation des honoraires aux clients nécessitent donc un module spécifique, en lien avec les modules de production.

Par ailleurs, il ressort du test de marché que la demande de la PCL porte non seulement sur des progiciels mais aussi sur les services qui y sont associés (installation du progiciel, formation, maintenance et/ou assistance...). L'outil informatique est structurant de l'activité des experts-comptables. Dès lors, en pratique, ces derniers, lors d'un choix de solution informatique, se déterminent toujours selon deux critères : la qualité du progiciel lui-même et la qualité des services associés. S'agissant des services associés, la diligence des interventions de l'éditeur et une compétence technique en comptabilité des intervenants (formation, assistance, mise à jour) présentent une très forte valeur ajoutée selon la PCL.Sa demande se tourne donc très essentiellement vers une offre comprenant à la fois un progiciel et les services associés, spécifiquement déclinée à son endroit.

Du côté de l'offre, on constate que les opérateurs actifs dans le secteur des prestations informatiques à destination de la PCL ne sont pas identiques, ou n'ont pas une présence identique dans les autres secteurs des prestations informatiques. Il faut d'ailleurs noter qu'aucun opérateur n'a pu se développer auprès du segment de la PCL en offrant un progiciel généraliste :il s'agit soit de progiciels développés par de petits opérateurs spécialisés, soit d'un progiciel développé dans une double perspective (PCL et PME en ce qui concerne l'offre de Cegid). Un opérateur tel que Sage, acteur important auprès des PME, n'a ainsi pu se développer auprès de la PCL avec ses propres produits, mais seulement en rachetant des progiciels initialement conçus par des start-up spécialisées et en maintenant une force commerciale dédiée (alors que ses produits généralistes sont commercialisés par des revendeurs agréés, qui assurent également le service après-vente).

Les parties font valoir qu'il n'existe pas de différence technique significative entre les progiciels de gestion pour la PCL et les autres, la seule réelle différenciation se faisant par le marketing. Pourtant, il ressort très largement des réponses des opérateurs au test de marché que les progiciels de gestion pour la PCL, y compris les progiciels de comptabilité et de paie, requièrent un ensemble spécifique de fonctionnalités, et que les adaptations nécessaires pour décliner un progiciel généraliste vers un produit pour la PCL sont majeures, coûteuses, voire requièrent un partenariat avec des cabinets d'experts-comptables. Dès lors, si une telle adaptation est techniquement possible, elle ne saurait être immédiate. Les arguments des parties ne paraissent donc pas suffisants pour soutenir une substituabilité au niveau de l'offre. Ils devraient plutôt relever d'une analyse des barrières à l'entrée sur un marché des solutions informatiques pour la PCL.

En conclusion, d'une part, les spécificités des besoins de la PCL rappelées ci-dessus, conduisent les experts-comptables libéraux à exprimer une demande propre.D'autre part, on constate que les offreurs qui s'adressent à la PCL présentent une offre segmentée par métier, propre à cette profession, et que la plupart des grands offreurs de progiciels de gestion généralistes ne disposent pas d'une offre spécifique à destination de la PCL.

Ces facteurs conduisent à examiner l'impact de l'opération sur un marché de la conception, de l'édition et de la commercialisation de progiciels de gestion et de services associés à destination de la PCL.

Le marché de la conception, de l'édition et de la commercialisation de progiciels de gestion et de services associés à destination de la PCL est un marché de dimension géographique nationale, compte tenu du fait que la réglementation fiscale, sociale et comptable diffère largement des pays voisins, notamment en termes de présentation des liasses fiscales.A cet égard, on constate que les éditeurs de progiciels à destination de la PCL en France n'ont pas été en mesure, sauf opération de croissance externe à l'étranger, de se positionner sur les marchés étrangers en y développant une solution sur la base du produit édité en France. La réciproque est vraie s'agissant d'éditeurs étrangers qui souhaiteraient s'implanter sur le marché français de la PCL.

Enfin, les parties sont également actives sur un marché de l'édition de progiciels de gestion pour les PME, mais leur position sur ce marché et la présence de nombreux concurrents importants n'y appellent pas de commentaires particuliers.

III. - L'ANALYSE CONCURRENTIELLE

Selon les estimations des parties, fondées sur les définitions de marchés des progiciels de gestion généralistes qu'elles proposent, la nouvelle entité disposerait d'une part de marché de 2 à 3 % selon que l'on considère un marché européen ou national. Les parties estiment également, sur le segment de la vente des seules licences de progiciels à destination de la PCL, leur position autour de [25 %-35 %].

Toutefois, si l'on raisonne sur un marché embrassant non seulement les licences mais aussi les services (qui représentent une part relativement plus importante dans le chiffre d'affaires des parties que dans celui de leurs concurrents), la part de marché cumulée des parties est supérieure à [45 %-55 %](selon les différentes estimations possibles, Cegid représentant deux tiers du nouvel ensemble et CCMX un tiers). L'opération permet le rapprochement des deux premiers opérateurs du marché, et des deux plus proches substituts, compte tenu des caractéristiques très proches de leurs produits.CCMX est le premier opérateur créé dans le secteur, à l'instigation de la profession comptable. Cegid s'est développé par la suite, sur la base de ses propres logiciels et d'acquisitions (notamment Quadratus ou ServantSoft).

Le concurrent le plus direct de la nouvelle entité sera Sage, avec une part de marché de [15 %-25 %]développée sur la base de deux logiciels acquis par croissance externe, Coala (progiciel de gestion intégré avec services associés) et Ciel (progiciels vendu en magasin sans services, orienté vers les très petits cabinets d'expertise comptable). Sage est un opérateur international important([...] millions d'euro de chiffre d'affaires mondial, dont [...] millions en France, dont [...] millions pour le progiciel intégré Coala destiné à la PCL).

Les autres opérateurs présents sont soit des opérateurs ouvrant l'accès à un logiciel propriétaire (Isagri-Agiris - groupe Crédit agricole, initialement créé pour la paie des agriculteurs, Fiducial Informatique), soit des start-up créées pour une offre à la PCL (par exemple Cador-Dorac). Aucun d'entre eux ne représente plus de 5 à 7 % de parts de marché, et les clients identifient une certaine faiblesse de leur part sur les services associés. Il faut enfin mentionner, dans des proportions plus marginales, des offreurs pour un type de fonction (par exemple Micromegas pour les logiciels de paie), dont les produits peuvent être intégrés à d'autres progiciels en raison de leur performance particulière.

La nouvelle entité disposera ainsi d'une taille environ 3 fois supérieure à son plus proche concurrent, le reste de l'offre actuelle étant éclaté entre de petits éditeurs.

Du point de vue de la demande, le fonctionnement du marché se caractérise par une certaine inertie ;les experts-comptables renouvellent leur équipement en moyenne tous les 5 ans, et le changement de prestataire implique une migration des données et une nouvelle formation des utilisateurs qui peuvent être dissuasives. Un tiers seulement des experts-comptables ont ainsi changé de prestataire au cours des dix dernières années. En outre, le choix des experts-comptables apparaît en partie guidé par la réputation des prestataires et le souci de disposer d'une offre pérenne.

Par ailleurs, le choix d'un prestataire apparaît également dépendant de l'étendue de la gamme des logiciels et des services proposés, mais surtout de la capacité de l'éditeur à développer un réseau d'agents commerciaux susceptibles de présenter leur offre aux comptables (1). Le développement des petits opérateurs dépend ainsi directement de leur capacité à recruter des commerciaux supplémentaires lorsqu'ils ont gagné suffisamment de clients pour pouvoir les financer. Il est d'autant plus important pour un éditeur de placer ses produits qu'en découle ensuite un chiffre d'affaires lié aux services de mise en place et de maintenance, ce qui conduit en général à sous-tarifer les licences au profit de ces services liés.

Ces facteurs conduisent à penser que le développement de concurrents crédibles à la nouvelle entité sera un processus relativement lent, ce dont témoigne d'ailleurs l'évolution récente des positions des opérateurs.

Cependant, certains facteurs peuvent nuancer cette appréciation. Il apparaît notamment que lors du rachat de ServantSoft, Cegid a perdu une bonne partie de la base de clientèle de cet éditeur, les clients ne souhaitant pas se fournir auprès de Cegid (2). Cet effet lié à l'acquisition peut permettre d'envisager un rééquilibrage partiel en faveur de certains éditeurs actuels, comme l'indiquent une partie des concurrents dans leur réponse au test de marché.

D'autre part, l'absence de différence technologique fondamentale entre un progiciel de gestion pour la PCL et un progiciel généraliste n'interdit pas l'entrée d'un opérateur actuellement absent de ce marché.L'exemple du développement via une opération de croissance externe de Sage pourrait également être suivi compte tenu du nombre actuel de petits éditeurs constituant une cible potentielle d'acquisition, dans l'hypothèse où un opérateur souhaiterait bénéficier d'un produit déjà connu de la clientèle sur lequel il fonderait son développement.

Enfin, il apparaît que les experts-comptables exercent un rôle prescripteur auprès d'une partie de leurs clients,ce qui pourrait fonder un intérêt stratégique à acquérir une position reconnue sur le marché de la PCL pour se développer vers les PME.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et notamment de la faiblesse des barrières à l'entrée, il convient de conclure que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

(1) 90 % des ventes de Sage passent par son propre réseau de commerciaux, la vente via des distributeurs agréés n'étant pas un moyen efficace de faire connaître des produits qui nécessitent toujours une forme d'adaptation au client.

(2) Cegid et CCMX étant des opérateurs très proches par les caractéristiques de leur offre, la demande semble s'être majoritairement reportée vers CCMX.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.