CA Toulouse, 2e ch., 17 novembre 1997, n° 95-02475
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pailhe
Défendeur :
Despoix (époux), Everaere
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
MM. Lopez-Terres, Charras
Avoués :
SCP Rives Podesta, SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
Mes Madec, Lepeltier, Commogeille.
Par acte notarié du 12 octobre 1991, les époux Despoix-Davidou ont vendu à Monsieur Patrick Pailhe un immeuble, partie à usage d'habitation et partie à usage commercial, sis à Orban, pour le prix de 300 000 F payable en 96 mensualités de 3 942 F.
Par acte notarié du 12 octobre 1991, les époux Despoix-Davidou ont vendu à Monsieur Patrick Pailhe un fonds de commerce de café, discothèque, restaurant exploité dans l'immeuble visé ci- dessus, pour le prix de 300 000 F, dont 200 000 F au titre des éléments incorporels et 100 000 F au titre du mobilier et du matériel, payable en 96 mensualités de 3 942 F;
Il était stipulé, aux deux actes, que les deux ventes formaient un tout indivisible.
Par acte introductif du 20 mai 1992, M. Pailhe a fait assigner les vendeurs, sur le fondement des articles 1644 et 1645 du Code civil et faisant état de nuisances sonores engendrées par le fonctionnement de l'établissement, aux fins d'obtenir, au vu des conclusions de l'expertise dont il demandait la mise en œuvre, soit la résolution des ventes de l'immeuble et du fonds, avec dommages-intérêts, soit la diminution du prix d'achat.
Une expertise judiciaire a été ordonnée et M. Lante, commis, a déposé son rapport.
M. Pailhe a demandé la réduction du prix à la mesure des travaux de mise en conformité chiffrés par l'expert, la réparation du préjudice commercial et des dommages-intérêts complémentaires.
C'est dans ces circonstances que le Tribunal de grande instance d'Albi, retenant l'existence de vices connus du vendeur et cachés pour l'acquéreur, a déclaré l'action recevable et fondée et considérant qu'il ne pouvait être alloué à M. Pailhe, au titre des travaux, une somme supérieure à 300 000 F, afin qu'il n'y ait pas enrichissement sans cause, a condamné les époux Despoix, par un jugement du 18 janvier 1995, à payer à M. Pailhe la somme de 300 000 F au titre de la diminution du prix de vente et celle de 50 000 F au titre du préjudice commercial, outre des frais irrépétibles.
M. Pailhe a fait appel de cette décision.
Par des conclusions du 17 juillet 1995, il demande qu'il soit fait droit plus largement à ses demandes relatives aux préjudices commerciaux et aux difficultés financières.
Maître Barthes est intervenu volontairement, le 30 septembre 1996, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. Pailhe prononcée le 28 mai 1996.
Me Everaere a repris l'instance en remplacement de Me Barthes.
Elle demande, au visa des articles 1644 et 1645 du Code civil, en faisant référence à la clause d'indivisibilité stipulée aux deux actes en soutenant que le prix qui doit être retenu est celui de 600 000 F, l'allocation de la somme de 467 544 F correspondant au coût des travaux de mise en conformité et des dommages-intérêts d'un montant global de 605 874 F, consécutifs à la fermeture du fonds imposée par l'arrêté municipal et correspondant aux sommes de 90 000 F au titre des prélèvements qui n'ont pu être effectués à défaut d'exploitation, de 190 000 F au titre d'emprunts non remboursés, de 236 800 F au titre d'investissements en matériel sur le fonds et de 89 074 F au titre du remboursement d'un compte courant.
Il demande à la cour de dire que les sommes allouées se compenseront avec le solde dû sur le prix de vente.
Enfin, il sollicite la condamnation des intimés au paiement de frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Monsieur Claude Despoix et Madame Claudine Davidou son épouse, font appel incident du jugement.
Ils demandent à la cour de dire que M. Pailhe ne fait pas la preuve d'un vice caché ayant affecté la vente du fonds de commerce et, subsidiairement, de ramener la réduction du prix à de plus justes proportions et de retenir qu'il n'existe aucun préjudice commercial établi.
Ils sollicitent la fixation de leur créance au passif de la liquidation judiciaire comme suit :
- solde dû sur la vente de l'immeuble au jour du redressement judiciaire : 358 722,00 F,
- intérêts au jour du redressement judiciaire : 86 903,00 F,
- solde dû sur la cession du fonds de commerce : 358 742,93 F,
- intérêts dus au jour du redressement judiciaire : 86 098,00 F,
- frais de justice provisionnels : 50 000,00 F,
Soit un montant total de : 939 655,93 F.
Ils demandent en outre que Me Everaere soit déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Ils soutiennent que l'expert a procédé à des mesures sonores à l'extérieur sans les bruits ambiants - la discothèque n'étant pas en fonctionnement - de telle sorte qu'il a maximalisé l'émergence et que son approche est contraire aux dispositions réglementaires ; ils considèrent que ces mesures ne sont pas probantes pour défaut de méthode.
Ils considèrent, en se référant aux mesures antérieures de la DDASS, que c'est le mode d'exploitation de M. Pailhe qui est à l'origine des nuisances dans le voisinage, eux-mêmes ayant fait des travaux pour permettre une exploitation normale.
Ils affirment que, lors de l'achat, M. Pailhe avait connaissance de la situation et qu'il avait décidé de faire des travaux, pour lui-même et pour ses voisins. Ils font observer que le conseil municipal lui a donné des délais pour faire des travaux.
Sur les dommages-intérêts, ils font valoir que l'appelant a opté pour une action en réduction du prix, impliquant qu'il soit débiteur d'une partie du prix. Ils soutiennent que le vice invoqué n'empêche pas toute exploitation du fonds et, notamment, l'activité de café restaurant. Enfin, ils remarquent que les préjudices invoqués n'ont pas de lien de causalité avec le défaut de conformité des lieux.
Ils précisent qu'ils ont déclaré leur créance au passif.
Motifs :
M. Pailhe, puis Maître Everaere mettent en relief l'indivisibilité convenue entre les deux actes de cession de l'immeuble et de cession du fonds, soutenant que le prix à retenir pour apprécier leur demande, est de 600 000 F.
Cette analyse dépasse la portée de la clause en effet, l'indivisibilité des deux opérations permet de retenir que l'immeuble est destiné à l'exploitation du fonds de discothèque, de telle sorte que, s'il est affecté des vices allégués, il est impropre à l'usage auquel on le destine ou ne permet qu'un usage diminué ; mais l'indivisibilité ne permet pas de retenir, au vu de la convention sur le prix - 300 000 F pour l'immeuble et 300 000 F pour le fonds - que chacun de ces deux éléments a une valeur de 600 000 F.
M. et Mme Despoix nient l'existence d'un vice qui leur soit imputable.
Quant à l'existence d'un vice affectant l'immeuble :
- l'expert judiciaire conclut en janvier 1994, interprétant les résultats sonométriques obtenus contradictoirement in situ " . . .l'exploitation normale de cette discothèque, excédant manifestement la mesure des obligations et charges ordinaires du voisinage est en outre en infraction flagrante au décret du 5 mai 1988...",
- la DDASS conclut, en mars 1992, dans un rapport acoustique (p.8) à la mauvaise isolation phonique de la discothèque, à l'apparition - chez les voisins - d'une émergence supérieure au bruit admissible à l'intérieur d'une maison d'habitation et à l'existence d'une gène pour le voisinage.
Les conclusions concordantes, même sites mesures ont été effectuées de manière différente, conduisent à retenir l'existence du vice du bâtiment, insuffisamment insonorisé pour permettre l'exploitation de la discothèque correspondant à la destination convenue de l'immeuble.
Ce vice était très antérieur à la cession, ainsi qu'il résulte des plaintes des voisins, M. et Mme Galou et des correspondances des services publics.
M. et Mme Despoix ont réalisé des travaux d'insonorisation; cependant, en décembre 1990, les services de la DDASS écrivaient à M. Despoix suite à la visite réalisée par mes services le jeudi 6 novembre 1990 dans votre établissement..., il a été constaté que si certains travaux d'isolation phonique ont été réalisés, ceux-ci sont nettement insuffisants pour éviter des nuisances sonores pour le voisinage...".
M. et Mme Despoix justifient de l'acquisition, postérieurement à cette date du 6 novembre 1990, de plaques de doublage "placolaine" a concurrence d'un montant de 2 332, 51 F ; la documentation qu'ils produisent sur ce matériaux relève son efficacité pour l'isolation thermique.
Manifestement, alors que le 6 novembre 1990 l'isolation phonique était insuffisante, les travaux postérieurs n'étaient pas de nature à l'améliorer ; c'est d'ailleurs ce que constate expressément l'expert judiciaire " ... cette constatation... confirme ainsi d'une part l'inefficacité des travaux d'amélioration acoustique réalisés en 1990 et mars 1991 par les époux Despoix et d'autre part que ce problème de nuisances sonores restait donc entier lors de la vente. ".
Ainsi, en toute hypothèse et même si M. Pailhe a modifié le matériel - table de mixage, enceintes... - ce qui n'est pas techniquement démontré, les attestations produites ne relatant que la perception nécessairement subjective des témoins (M. Roumegoux, M. Rotger) - l'immeuble vendu est affecté de défauts eu égard à sa destination spécifique.
M. et Mme Despoix affirment que M. Pailhe avait connaissance de la situation et des plaintes du voisinage.
Cette connaissance doit être établie au moment de l'acte. En l'espèce, ainsi que l'a motivé le tribunal, la réalisation de travaux par M. et Mme Despoix permettait à l'acquéreur de considérer qu'au moment de la vente, l'établissement respectait les normes acoustiques.
Dans ces circonstances, il convient de confirmer le jugement qui a déclaré l'action en garantie recevable et fondée.
M. Pailhe, puis Me Everaere demandent à la cour de faire une appréciation différente des réparations.
Quant au coût des travaux d'insonorisation, il ne peut être donné satisfaction à la demande ; en effet, le montant des travaux est supérieur à la valeur déclarée dans l'acte pour l'immeuble ; l'appelant qui disposait de deux actions, rédhibitoire et estimatoire, qui a choisi l'action estimatoire et maintenu le choix, ne peut, dans ce cadre, obtenir au titre de la réduction du prix, une indemnité supérieure à ce prix. Il convient donc de confirmer le jugement qui a fixé la réduction du prix à la somme de 300 000 F.
Quant au préjudice commercial, son principe est certain à partir de la fermeture administrative de l'établissement en avril 1993 jusqu'en octobre 1994, date à laquelle il a été réouvert avec une exploitation différente.
Le tribunal a fixé, de ce chef, des dommages-intérêts d'un montant de 50 000 F, en faisant toutefois observer qu'il n'était pas apporté d'éléments permettant d'évaluer le chiffre d'affaires de la discothèque et ses bénéfices.
De tels éléments ne sont pas communiqués devant la cour, ni pour la discothèque, ni pour l'exploitation du bar restaurant à partir d'octobre 1994.
Par ailleurs, Me Everaere, ès qualité, fait valoir d'autres chefs de préjudice. La preuve n'est pas faite de leur relation causale avec la fermeture temporaire de l'établissement. Dans son souverain pourvoir d'appréciation, la cour fixera la réparation du préjudice commercial à la somme de 50 000 F, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
La créance de M. et Mme Despoix :
Il n'est pas discuté que M. Pailhe ait cessé de régler les échéances sur les prix de l'immeuble et du fonds.
M. et Mme Despoix justifient de la déclaration de leur créance au passif de la liquidation de Mr. Pailhe pour les sommes dues en principal - 358 722 F x 2 - et pour un montant d'intérêts arrêté, au jour du redressement à la somme de 86 093 F x 2.
Me Everaere ne fait pas d'observation sur ces sommes ; il convient donc de fixer la créance sur ces bases.
Me Everaere demande qu'il soit procédé à la compensation, à due concurrence, entre les créances respectives. Il convient de faire droit à cette demande eu égard à la connexité des dettes.
Mr. Pailhe, alors in bonis, ayant pris l'initiative de la procédure devant la cour et succombant, les dépens d'appel sont passés en frais privilégiés de liquidation.
Par ces motifs, LA COUR: Déclare les appels, principal et incident, recevables mais non fondés ;
Confirme en conséquence le jugement du Tribunal de grande instance d'Albi du 18 janvier 1995 dans toutes ses dispositions, sauf à préciser, eu égard au jugement de liquidation judiciaire de M. Pailhe et à l'intervention de Me Everaere, que les condamnations mises à la charge de Monsieur Claude Despoix et de Madame Claudine Davidou, son épouse sont prononcées en faveur de Me Everaere ès qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire M. Pailhe ; Y ajoutant ; Vu la déclaration de créance de Monsieur et Madame Despoix au passif de la liquidation judiciaire de Monsieur Pailhe à la somme en principal de 717 444 F (sept cent dix-sept mille quatre cent- quarante-quatre francs), outre les intérêts conventionnels au taux de 6 % tels qu'ils résultent des contrats de vente assortis d'un paiement différé sur 96 mensualités, la liquidation de ces intérêts au jour de l'ouverture du redressement faisant ressortir un montant de 172 186 F ; Ordonne la compensation des créances respectives ; Passe les dépens d'appel en frais privilégiés de liquidation avec distraction en faveur de la SCP d'avoués, Boyer-Lescat-Merle.