CA Paris, 25e ch., 15 novembre 1988, n° 87-3381
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Beaucamps
Défendeur :
France Motors (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lescure
Conseillers :
M. Rostagno, Mme Renard-Payen
Avoués :
Mes Duboscq, Pellerin, Paul-Boncour, Faure
Avocats :
Mes Narboni, Jacob
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté par M. Jean-Pierre Beaucamps du jugement du 19 novembre 1986, par lequel le Tribunal de grande instance de Bobigny (7e chambre) l'a débouté de sa demande dirigée contre la société France Motors.
Considérant qu'il résulte des énonciations de ce jugement, des écritures des parties et des pièces soumises à la cour, les éléments suivants :
Au salon Nautique à Paris, M. Beaucamps passait commande le 23 janvier 1983, sur un imprimé à en-tête de la société France Motors, importateur exclusif, sur lequel la société Ouest Loisirs était mentionnée comme distributeur, d'un bateau de marque Dell Quay type Dory 17 S Sportman, avec moteur Mercury et une remorque TIC pour un prix total de 83 000 F, stipulé payable 5 000 F le jour de la commande, 20 000 F fin février, 33 000 F à la livraison et le solde en juillet 1983.
Le chèque d'acompte était libellé à l'ordre de la société Ouest Loisirs et la facture était émise le 15 avril 1983 par cette société, pour un montant de 84 945,80 F y compris l'achat d'accessoires.
Le bateau naviguait en Méditerranée en juillet 1983 et à son retour dans le Nord au mois d'août, il présentait des avaries, notamment des fissures ; M. Beaucamps avisait la société France Motors qui dépêchait un inspecteur, lequel estimait que les avaries résultaient du transport du bateau sur une remorque non adaptée. M. Beaucamps consultait alors un homme de l'art, lequel imputait les avaries à la faiblesse des matériaux.
La société France Motors, informée, faisait désigner un expert par ordonnance de référé du Président du Tribunal de grande instance de Lille en date du 28 février 1984. L'expert commis déposait un rapport, daté du 28 février 1985, concluant essentiellement que les fissurations résultaient d'une faiblesse de la structure du bateau et avaient pris naissance dans les conditions d'utilisation mentionnées par le constructeur.
C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier du 10 janvier 1986, M. Beaucamps assignait la société France Motors en résolution de la vente à ses torts, pour n'avoir pas délivré un bateau conforme aux spécifications du contrat, et condamnation au remboursement du prix du bateau et de ses accessoires, ainsi qu'au paiement d'une somme de 40 000 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 15 000 F pour frais non taxables.
Pour débouter M. Beaucamps, les premiers juges ont retenu que la demande en résolution de vente formée contre la société France Motors et fondée essentiellement sur les dispositions de l'article 1184 du Code civil, n'était pas justifiée dès lors que le véritable vendeur était la société Ouest Loisirs et non la société France Motors avec laquelle le demandeur n'avait aucun lien contractuel ;
Au soutien de son appel, M. Beaucamps conclut à l'infirmation du jugement déféré et prie la cour de prononcer, tant pour non-conformité que pour vice caché, la résolution de la vente du bateau à l'exclusion du moteur et de la remorque, de condamner la société France Motors à lui payer la somme de 45 000 F, valeur de la coupe inutilisable dont il offre la restitution, outre celles de 2 000 F coût du montage du moteur et de 1 656,84 F pour l'acquisition d'une bâche sur mesure, avec intérêts de droit à compter de la demande. Il demande aussi une somme de 10 000 F pour la privation du bateau et celle de 10 000 pour ses frais non taxables.
De son côté, la société France Motors conclut à la confirmation du jugement et au rejet de la demande de résolution sur le fondement de l'article 1641 du Code civil s'agissant, selon elle, d'une demande nouvelle. Subsidiairement, elle demande à la cour de dire que le bref délai imposé par l'article 1648 du même code n'a pas été respecté ; qu'il n'est pas démontré d'erreur de construction de la coque du bateau à l'origine des avaries, et qu'il convient de lui allouer une somme de 10 000 F pour ses frais non taxables ;
Sur la résolution de la vente pour non-conformité
Considérant que M. Beaucamps réitère sa demande formulée en première instance, de résolution de la vente sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, en faisant valoir que la société France Motors était son vendeur et n'a point satisfait à son engagement de délivrer un bateau conforme aux spécifications de la commande ;
Considérant que le bon de commande mentionnait la société Ouest Loisirs comme distributeur ; que le premier chèque d'acompte a été libellé à l'ordre de cette société, qui a émis la facture et en a perçu les règlements ;
Considérant que la société France Motors, importateur exclusif en France, avait fourni à la société Ouest Loisirs la coque du bateau vendu de marque " Dell Quay ", mais que la vente portait également sur un moteur de marque " Mercury ", une remorque " TIC " et des accessoires qui n'avaient pas été fournis par la société France Motors ;
Considérant que la coque du bateau litigieux a été commandée le 7 avril 1983 par la société Ouest Loisirs à la société France Motors, qui lui a facturée le 11 avril 1983 et que la société Ouest Loisirs l'a livrée à son client M. Beaucamps, après y avoir monté un moteur " Mercury " ;
Considérant que la société France Motors n'a pu apparaître à M. Beaucamps comme étant son co-contractant ; qu'il était normal que la société France Motors, importateur exclusif pour la France, figure sur les documents publicitaires du constructeur anglais Dell Quay et possède un stand au salon Nautique de Paris ; que cependant les ventes aux clients pouvaient être faites par les distributeurs qui commercialisaient pour leur propre compte les coques de bateau " Dell Quay " en y ajoutant des moteurs, remorques et accessoires ;
Considérant, en conséquence, que la demande en résolution de la vente sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ne peut prospérer, M. Beaucamps n'ayant pas attrait en la cause son seul vendeur la société Ouest Loisirs ;
Sur la résolution de la vente pour vice caché
Considérant tout d'abord, que le fait pour M. Beaucamps d'invoquer, à l'appui de sa demande de résolution de vente les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil ne constitue pas une demande nouvelle, mais un moyen nouveau recevable en cause d'appel conformément aux dispositions de l'article 563 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que M. Beaucamps dispose, en sa qualité de sous-acquéreur, d'une action directe contre la société France Motors, importateur des bateaux " Dell Quay ", pour la garantie des vices-cachés antérieurs à la vente, ainsi que le rappelle l'article 19 des conditions générales de vente ;
Considérant que la fin de non-recevoir opposée par la société France Motors, tirée du non-respect du bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil est inopérante ; qu'en effet la société France Motors a elle-même pris l'initiative de faire désigner en référé un expert aux fins, notamment, de dire si les avaries provenaient d'un vice caché de la chose la rendant impropre à son usage ; que M. Beaucamps ne pouvait qu'attendre les résultats de cette expertise judicaire pour être fixé sur l'origine des fissurations apparues sur la coque de son bateau ; qu'il a par la suite saisi la juridiction compétente dans un délai de moins d'un an ; que son action était dès lors recevable ;
Considérant qu'il résulte des investigations de l'expert que le fait de transporter le bateau sur la remorque achetée par M. Beaucamps ne pouvait entraîner les dommages constatés ;
Considérant qu'ainsi que l'a justement apprécié l'expert les fissurations constatées résultent d'une faiblesse de la structure du bateau, qui ne permettait pas son utilisation dans les conditions mentionnées par le constructeur ; qu'en effet " la plaque de baptême " du bateau précisait que huit personnes pouvaient être transportées et le dépliant publicitaire indiquait une puissance maximale conseillée du moteur de 115 CH, qui était précisément la puissance du moteur monté sur le bateau litigieux ;
Considérant qu'il n'est ni établi, ni allégué que M. Beaucamps ne se soit pas conformé aux conditions d'utilisation du bateau préconisées par le constructeur ;
Considérant que la faiblesse de la structure du bateau qui préexistait depuis sa construction, s'est révélée postérieurement à la vente et que la société France Motors est tenue de la garantie ;
Considérant que M. Beaucamps est dès lors bien fondé à exercer l'action rédhibitoire à l'encontre du vendeur intermédiaire, la société France Motors et à obtenir la condamnation de cette société à lui restituer le montant du prix versé (soit 45 000 F), contre restitution de la coque, ainsi que le remboursement, à titre de dommages-intérêts, du coût du montage qui s'est avéré inutile (soit 2 000 F) ; qu'en revanche, le prix d'acquisition d'une bâche, soit 1 656,84 F, ne saurait être retenu à titre de préjudice ; qu'ainsi la somme totale de 47 000 F doit être allouée à M. Beaucamps ;
Considérant qu'il y a lieu d'allouer à l'appelant, à titre de supplément de dommages-intérêts, les intérêts au taux légal de ladite somme à compter du jour de l'assignation ;
Considérant que le trouble de jouissance occasionné par la privation du bateau pendant plus d'un an peut-être évalué à 3 000 F ; que l'équité commande de fixer à 3000 F l'indemnité due à M. Beaucamps au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Considérant, en revanche, que la société France Motors, qui succombe, n'est pas recevable dans sa demande au titre dudit article ;
Par ces motifs, Infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, Prononce la résolution de la vente du bateau Dell Quay type Dory 17 S, à l'exclusion du moteur et de la remorque, Dit que M. Jean-Pierre Beaucamps devra restituer à la société France Motors la coque inutilisable du bateau, Condamne la société France Motors à payer à M. Beaucamps la somme de trois mille francs (3 000 F) au titre des frais non taxables, Déboute les parties de leurs autres prétentions, Condamne la société France Motors aux dépens, tant de première instance que d'appel, y compris ceux de l'expertise en référé, et dit qu'ils pourront être recouvrés par la SCP Duboscq et Pellerin conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.