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Décisions

CA Dijon, 1re ch., 17 janvier 1996, n° 787-94

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Krstic

Défendeur :

Boyon (Consorts), Garage Chainey (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruyssen

Assesseurs :

Mme Dufrenne, Mlle Clerc

Avoués :

Mes Gerbay, SCP Avril-Hanssen, SCP Fontaine-Tranchand

Avocats :

Mes Majnoni d'Intignano, Jenniard, Chaumont-Chatteleyn

TGI Dijon, du 15 nov. 1993

15 novembre 1993

Exposé de l'affaire :

Le 4 mars 1992, M. Krstic a conclu avec M. Jérôme Boyon l'achat d'une voiture 205 Peugeot GTI d'occasion. Le certificat d'immatriculation était au nom de M. Boyon, et il s'est avéré par la suite que le véhicule avait été reconstruit après un accident et remis en circulation grâce à un certificat de conformité délivré par Monsieur Chainey, garagiste.

Se plaignant de vices cachés, Monsieur Krstic a d'abord demandé la désignation d'un expert en référé. Dans un second temps est intervenu un jugement du Tribunal de grande instance de Dijon du 15 novembre 1993 qui a :

- déclaré M. Jérôme Boyon tenu envers M. Krstic de la garantie des vices cachés affectant la voiture,

- condamné en conséquence M. Jérôme Boyon à rembourser à M. Krstic la somme de 36 000 F avec intérêts de droit à compter du 4 mars 1992, outre 14 837,82 F à titre de dommages et intérêts,

- dit que M. Krstic devrait en contrepartie restituer le véhicule,

- condamné M. Jérôme Boyon à payer 5 000 F à M. Krstic sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Débouté M. Krstic de ses demandes dirigées contre M. Nicolas Boyon et contre M. Chainey.

Ayant fait appel de cette décision, M. Krstic demande à la cour :

- de dire que M. Nicolas Boyon est tenu solidairement avec son frère Jérôme de la garantie des vices cachés,

- de le condamner en conséquence à rembourser la somme de 36 000 F avec intérêts,

- de condamner M. Chainey à lui payer 30 000 F à titre de dommages et intérêts,

- de condamner ses trois adversaires, solidairement, à lui payer 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de confirmer le jugement pour le surplus.

Il soutient :

- que M. Jérôme Boyon s'est livré à des manouvres frauduleuses pour lui vendre un véhicule dont il n'a jamais pu se servir,

- que M. Nicolas Boyon, titulaire du certificat d'immatriculation, a servi de prête-nom à son frère,

- que M. Chainey a commis une faute, au sens de l'article 1382 du Code civil, en délivrant indûment un certificat de conformité qui a permis l'immatriculation et donc la vente.

Monsieur Nicolas Boyon sollicite la confirmation du jugement, en exposant que le véhicule est resté la propriété de son frère Jérôme, malgré le certificat d'immatriculation.

Par voie d'appel incident, Monsieur Jérôme Boyon souhaite le rejet des prétentions de Monsieur Krstic. Il fait valoir :

- que la plupart des vices retenus par le jugement étaient apparents au moment de la vente,

- que rien, sur le plan mécanique, n'interdit au véhicule de circuler normalement,

- que Monsieur Krstic était informé de l'accident antérieur,

- que s'il est vrai que le véhicule n'aurait pas dû normalement obtenir l'autorisation administrative de circuler, cette circonstance est indifférente au présent litige puisque, de fait, il circule sans problème.

Monsieur Chainey soulève l'irrecevabilité de la demande de Monsieur Krstic exprimée contre lui en appel. Il considère qu'en lui réclamant 30 000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, Monsieur Krstic formule une prétention nouvelle différente de celle qu'ont eu à connaître les premiers juges. Il réclame en outre 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Monsieur Krstic réplique d'une part qu'il n'a évidemment jamais envisagé d'acquérir un véhicule reconstruit et non conforme à la réglementation en vigueur, d'autre part que l'article 563 du nouveau Code de procédure civile l'autorise à invoquer en appel l'article 1382 du Code civil au soutien de la demande qu'il présentait déjà en première instance à l'encontre de Monsieur Chainey.

Discussion :

Attendu que Monsieur Jérôme Boyon a acheté pour 20 000 F le 9 novembre 1991 une voiture Peugeot 205 GTI qui avait été gravement accidentée et reconstruite avec une caisse de récupération ; que le véhicule était vendu sans carte grise, ayant été refusé par le Service des Mines ; qu'il a été immatriculé le 10 décembre 1991 au nom de Nicolas Boyon ;

Attendu que le 11 décembre 1990, le Garage Chainey, agent Peugeot à Bissey-la-Côte, a délivré une attestation indiquant que la 205 Peugeot avait été remise aux normes du constructeur ; que ce document a permis cette fois d'obtenir le 18 décembre l'agrément du Service des Mines, sans autre vérification ; que Monsieur Chainey a expliqué à l'expert qu'il avait fait confiance à Monsieur Jérôme Boyon qu'il connaissait personnellement ; que selon lui, Monsieur Boyon père avait en effet exercé lui-même une activité de garagiste et de vendeur de voitures d'occasion, avec l'aide de son fils Jérôme ;

Attendu que Monsieur Jérôme Boyon a fait paraître le 4 mars 1992 l'annonce suivante dans un journal local : " Vends superbe 205 GTI, 130 CV, 87, 61 000 kms, alarme, pneus neufs, révisée, garantie, 38 000 F " ; qu'il a fait affaire trois jours plus tard avec Monsieur Krstic pour 36 000 F, le chèque étant déposé au compte de Monsieur Nicolas Boyon ;

Attendu que Monsieur Krstic déclare avoir rapidement constaté que la voiture qu'il venait d'acquérir présentait notamment un déséquilibre au freinage et un problème de ralenti ; qu'il s'est adressé au garage Peugeot de Dijon Saint-Apollinaire qui a relevé le 20 mai 1992 les anomalies suivantes : " coupelle supérieure amortisseur déformée, coupelle joue d'aile d'appui d'amortisseur AVD déformée, bas de caisse AVD et ARD, soudure sur l'aile ARD, soubassement AVD et AVG enfoncé, hayon AR refait, longeron AVD et G ressoudés, support moteur et cardan à contrôler (vibration importante), véhicule instable à grande vitesse, numéro construction frappé sur caisse ressoudé, plis sur pavillon hauteur porte AVD " ;

Attendu que l'expert a confirmé ces constatations, en notant que le Service des Mines n'aurait pas donné son agrément s'il n'avait pas été trompé ; qu'il a indiqué cependant, au terme d'un essai, que le véhicule roulait normalement après avoir été réparé par Monsieur Krstic ;

Attendu que Monsieur Krstic a acheté, au-dessus de la cote Argus, une voiture présentée comme " superbe, révisée, garantie " mais qui était constituée en réalité de morceaux disparates rassemblés dans des conditions non conformes à la réglementation ; qu'il est en droit, de ce seul fait, d'invoquer les articles 1641 et suivants du Code civil, même si le véhicule reconstruit roule normalement ; que les textes sur le vice caché s'appliquent non seulement dans le cas où la chose vendue est impropre à sa destination mais aussi dans le cas où le défaut en diminue la valeur ;

Attendu que pour prétendre que Monsieur Krstic connaissait parfaitement l'état réel de la 205 Peugeot, Monsieur Jérôme Boyon se réfère en vain à une attestation de Monsieur Jonquet ; que ce témoin parle seulement d'un accident dont l'acquéreur aurait été informé ; qu'il existe une différence de taille, pour le profane qui veut acheter une voiture d'occasion, entre un véhicule réparé après accident et un véhicule reconstruit ;

Attendu que les premiers juges ont prononcé à bon droit la résolution de la vente litigieuse, qui implique la restitution du véhicule ; qu'à juste titre ils ont appliqué également l'article 1645 du Code civil en allouant 14 837,82 F de dommages et intérêts pour frais et trouble de jouissance ; que les faits rapportés ci-dessus démontrent que Monsieur Jérôme Boyon, avisé en matière automobile, ne pouvait ignorer l'état réel du véhicule qu'il avait lui-même acheté sans carte grise ;

Attendu que c'est à tort en revanche que le tribunal a mis hors de cause Monsieur Nicolas Boyon ; que l'intervention de celui-ci, qui a consisté à tout le moins à demander l'immatriculation, à établir presque aussitôt un certificat de conformité fallacieux, sa faute est caractérisée ; qu'elle est en relation avec le préjudice de Monsieur Krstic puisqu'elle a permis la remise en circulation du véhicule et par conséquence la revente ;

Attendu que M. Krstic réclame à M. Chainey des dommages et intérêts uniquement pour privation de jouissance, stricto sensu ; que cette demande était déjà présentée en première instance, sans précision sur le fondement juridique ; qu'en visant en appel l'article 1382 du Code civil, Monsieur Krstic ne présente aucune prétention nouvelle prohibée ;

Attendu que la demande de M. Krstic devant la cour à l'encontre de Monsieur Chainey ne concerne pas les frais de réparations de 4 834,82 F ; que la condamnation in solidum avec Messieurs Jérôme et Nicolas Boyon doit donc être limitée à 10 000 F, somme correspondant à la privation de jouissance ;

Attendu qu'il y a lieu, en équité, d'accorder une indemnité de 10 000 F à Monsieur Krstic pour ses frais de première instance et d'appel non compris dans les dépens ; que Monsieur Chainey, qui succombe, ne saurait bénéficier de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Décision :

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, confirmant en partie le jugement attaqué et statuant à nouveau, Prononce la résolution du contrat par lequel Monsieur Krstic a acquis le véhicule 205 Peugeot GTI n° 2795 TG 21, Condamne in solidum Messieurs Jérôme et Nicolas Boyon à restituer à Monsieur Krstic la somme de 36 000 F qui produira intérêts au taux légal à compter du 4 mars 1992 et à lui payer la somme de 4 837,82 F qui produira intérêts au taux légal à compter du jugement du 15 novembre 1993, Condamne in solidum Messieurs Jérôme et Nicolas Boyon et Monsieur Chainey à payer à Monsieur Krstic la somme de 10 000 F qui produira intérêts au taux légal à compter du jugement du 15 novembre 1993, Dit que Monsieur Krstic devra restituer le véhicule en cause, Condamne in solidum Messieurs Jérôme et Nicolas Boyon et Monsieur Krstic en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute Monsieur Chainey de sa demande fondée sur ce texte, Condamne in solidum Messieurs Jérôme et Nicolas Boyon et Monsieur Chainey, aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise.