CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 5 octobre 1988, n° 86-5752
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Industrial Valves Company Vannes Epco (SA)
Défendeur :
Beck Crespel (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rambaud
Conseillers :
Mme Garrigue, M. Carrie
Avoués :
Mes Magnan, Giacometti
Avocats :
Mes Baffert, Abeille
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par la SA Industrial Valves Company - Vannes Epco d'un jugement prononcé le 19 mars 1986 par le Tribunal de commerce de Marseille qui a, entre autres dispositions :
- débouté la SA Industrial Valves Company de ses demandes,
- condamné cette société à payer à la SA Beck Crespel la somme de 74 725,25 F ;
Faits et procédure :
Attendu que la SA Industrial Valves Company Vannes Epco dite IVC fabrique des vannes destinées notamment aux installations de gaz et utilise pour cette fabrication des tiges filetées avec écrous permettant d'assembler les trois parties de la vanne ; que c'est ainsi qu'elle a été amenée en 1977 et 1978 a commander des tiges filetées 35 NCD de la classe 14-9 à la SA Beck Crespel ;
Attendu que des ruptures de ces tiges étant intervenues, la société IVC a, par exploit du 2 avril 1979, fait citer la société Beck Crespel devant le Tribunal de commerce de Marseille et a obtenu le 13 mars 1979, en référé la désignation d'un expert M. O'Callaghan ;
Qu'après dépôt du rapport le 22 février 1984, l'instance a été reprise et le Tribunal de commerce de Marseille a rendu la décision objet du présent appel ;
Rapport d'expertise :
Attendu qu'il résulte du rapport de l'expertise judiciaire les éléments suivants :
1) La cause première des ruptures des tiges filetées consiste dans le choix défectueux fait par la société IVC de la nuance de l'acier (35 NCD 16) et de la classe de boulonnerie (14-9) indiquées dans les commandes passées il s'agit en effet, en l'espèce, d'un acier relativement cassant dont plusieurs caractéristiques mécaniques approchent ou atteignent les limites admissibles pour la boulonnerie de construction mécanique et dont une caractéristique essentielle, l'allongement, est nettement inférieure à la valeur minimale fixée par la réglementation de sécurité (arrêté du 11 mai 1970),
2) Les conséquences de ce choix défectueux ont été aggravées par l'insuffisance de résilience des tiges provenant d'un traitement thermique insuffisamment contrôlé par le fournisseur, la société Beck Crespel,
3) Ces défauts, mauvais choix de la classe de boulonnerie et insuffisance de contrôle de traitement thermique des tiges ont joué un rôle d'importance sensiblement équivalente dans le processus de rupture des tiges filetées ;
Prétentions des parties :
Attendu que la société IVC conclut à la réformation du jugement déféré et demande de dire et juger :
- que les tiges filetées sont atteintes de vice caché,
- que l'arrêté de 1970 n'interdit pas l'utilisation de la classe 14-9 pour les tiges filetées des vannes ;
Qu'en conséquence, la société Beck Crespel doit être déclarée seule responsable des incidents survenus et doit réparer le préjudice subi, soit :
- 1 294 474,49 F pour frais,
- 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice commercial et moral,
- 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'elle expose :
- que d'après la CETIM qu'elle a chargé de procéder à l'examen des tiges litigieuses, les ruptures proviennent de la fragilité de ces tiges due à l'oxydation superficielle imputable au traitement thermique et à une rupture intergranulaire,
- qu'elle était parfaitement en droit d'utiliser des tiges de la classe 14-9 qui avaient été choisies par son Bureau d'Etudes,
- qu'elle justifie d'un important préjudice, notamment quant aux frais exposés sur les sites de Tersanne, Hassi R'mel, Hassi Messaoud, Etrez et Gemeo où elle a été dans l'obligation de changer toutes les tiges filetées ;
Attendu que la société Beck Crespel conclut à la confirmation du jugement déféré ; qu'elle soutient :
Au principal :
- que les tiges filetées étaient conformes à la commande et. que la cause des ruptures est due au seul mauvais choix de la matière par la société IVC,
- que le défaut minime relevé (microfissures) ne saurait être un vice, et qu'en tous cas, aucun lien de cause à effet n'est démontré entre cette anomalie et le préjudice,
Subsidiairement :
- qu'il s'agit d'un vice apparent,
Plus subsidiairement :
- que l'action d'IVC n'a pas été engagée à bref délai ;
Qu'elle expose également que les vannes sur certains sites (Tersanne, Hassi R'Mel) ont été installées en 1976 avant toute livraison de tiges de sa part ;
Qu'elle sollicite enfin le paiement de la somme de 74 725,45 F montant du solde dû sur les livraisons et du matériel que IVC a refusé ;
Discussion :
Sur les responsabilités :
Attendu que l'expert a exécuté sa mission en s'entourant d'un ensemble de renseignements qui lui ont permis de disposer d'éléments sérieux, précis et techniques sur les circonstances de fait de la cause et les origines des défectuosités à savoir :
- nombreuses réunions avec les parties ou leurs représentants,
- constatations et prélèvements sur place (Tersanne),
- étude des rapports de CETIM choisie par IVC,
- analyses de laboratoires faites par l'APAVE ;
Que l'expert a tiré de ces éléments et de ses constatations personnelles les justes conséquences d'où il résulte que l'on peut reprocher à la société IVC un choix défectueux de la nuance de l'acier et de la classe de la boulonnerie, à la société Beck Crespel une insuffisance de résilience des tiges livrées due à un traitement thermique insuffisamment contrôlé ;
Attendu qu'en raison de la haute technicité des deux sociétés en cause, la société IVC spécialiste de la construction de vannes disposant de bureaux d'études était parfaitement qualifiée pour prescrire à la société Beck Crespel les caractères techniques des tiges filetées sans que cette dernière ait à se préoccuper de l'usage qui en serait fat et à vérifier si ces caractères convenaient ;
La société Beck Crespel qui est un des principaux fabricants français de la boulonnerie destinée au secteur de l'énergie, devait livrer à la société IVC des tiges filetées exemptes de tous vices, sans que cette dernière ait l'obligation de procéder à un contrôle après livraison et avant montage des vannes ;
Attendu que l'examen de la gravité respective ou manquement de chacune des parties a ses obligations, manquement qui a concouru à la réalisation du dommage permet de mettre à la charge de chacune la moitié de la responsabilité du dommage consécutif à la fragilité des tiges filetées d'où en est résultée leur rupture ;
Attendu que la société IVC a respecté le bref délai exigé par la loi, les ruptures des tiges étant intervenues les unes après les autres au cours des années 1977, 1978, 1979 et l'action devant le tribunal ayant été engagée le 2 avril 1979, étant précisé que le point de départ de ce délai ne peut être pris en compte qu'au moment où IVC a connu exactement l'origine du dommage c'est-à-dire à la suite des résultats de l'expertise judiciaire, et en tout état de cause qu'après les rapports CETIM des 31 octobre 1978, 15 janvier 1979 et 20 février 1979 ;
Attendu que le vice reproché à la société Beck Crespel n'était pas apparent, celui-ci ne pouvant être décelé que par un examen très approfondi de laboratoire que la société IVC n'avait pas l'obligation de faire, compte tenu de la confiance qu'elle pouvait accorder à la haute technicité de son fournisseur spécialiste de la matière ;
Sur le préjudice :
Attendu qu'il est incontestable que la rupture des tiges filetées a mis la société IVC dans l'obligation de changer les tiges filetées des vannes qui avaient été installées tant en France qu'à l'étranger, et qu'elle a été ainsi amenée à exposer des frais très importants ;
Que les éléments d'appréciation de la cause, compte tenu du fait que certaines tiges filetées vicieuses apparaissent provenir d'autres fournitures que celles en litige (1976), permettent à la cour d'évaluer la réparation du préjudice subi par IVC à la somme de 600 000 F ;
Attendu que s'il est certain que la commercialisation des vannes est faite par la société Phocéenne de Métallurgie dont IVC est une des filiales, il n'en demeure pas moins que cette dernière société a subi un préjudice tant sur le plan des commandes qu'elle a reçues que sur le plan de la réputation et du sérieux de ses fabrications dont la réparation peut être justement évaluée à 200 000 F ;
Attendu que s'agissant d'une indemnité dont l'existence et le montant sont fixés par le Juge, les intérêts partiront de la date du prononcé du présent arrêt ;
Attendu que la société IVC doit régler le solde des commandes livrées par la société Beck Crespel, soit la somme de 14 520,93 F sans qu'il y ait eu lieu d'appliquer le partage de responsabilité compte tenu de la nature de cette dette ; que par contre, IVC était en droit de refuser la réception du matériel restant à livrer en raison de la défectuosité de celui-ci ;
Attendu que les conditions d'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne sont pas réunies ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant, Dit que l'action de la société IVC est recevable ; Dit que la responsabilité de la rupture des tiges filetées incombe pour moitié à chacune des parties ; Compte tenu du partage de responsabilité, Condamne la SA Beck Crespel à payer à la SA Industrial Valves Company la somme de 400 000 F (quatre cents mille francs) avec intérêts au taux légal à compter du prononce du présent arrêt ; Condamne la SA IVC à payer à la SA Beck Crespel la somme de 14 520,93 F (quatorze mille cinq cent vingt francs quatre-vingt treize centimes) avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ; Déboute les parties de toutes leurs demandes ; Dit que les parties supporteront les dépens de première instance et d'appel qu'elles ont chacune exposés pour leur propre compte, sauf à partager par moitié les frais d'expertise.