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Décisions

CA Fort-de-France, 29 novembre 1985

FORT-DE-FRANCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Baubant

Défendeur :

CCIE (Sté), UAP (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hugues

Conseillers :

MM. Calvie, Rouvin

Avocats :

Mes Clerempuy, Ursulet.

CA Fort-de-France n°

29 novembre 1985

Faits et procédure :

Par acte reçu au greffe le 23 juin 1983, Monsieur Baubant a relevé appel d'un jugement contradictoire du Tribunal de grande instance de Fort-de-France rendu le 14 juin 1983 dans un litige l'opposant à la société Comptoir Caraïbe d'Importation et d'Exportation (CCIE) et la compagnie d'assurances UAP appelée en cause, pour les raisons suivantes:

Le CCIE avait vendu le 17 novembre 1980 à Monsieur Baubant un camion " DAF" d'occasion; le camion fut accidenté le 26 mars 1981; le 14 décembre 1981 la CCIE fit assigner Baubant au paiement des termes échus du prix de vente du camion. Par conclusions déposées le 12 février 1982 Baubant demanda reconventionnellement le remboursement du prix payé pour vices rédhibitoires (art. 1645 du Code civil). Le CCIE opposa que cette reconvention n'avait pas été engagée dans les " brefs délais" prévus à l'article 1648 al.1 du Code civil.

Le tribunal, dans sa décision déférée, a condamné Baubant à payer à la CCIE 118 632,36 F montant total du prix restant dû sur la vente du camion, avec intérêts de droit du 25 mai 1981 ; débouté la CCIE du surplus de ses demandes; mis hors de cause l'UAP; dit Baubant irrecevable en son action (non engagée dans le "bref délai" prévu par la loi); condamné Baubant aux dépens.

Au soutien de son appel, Baubant expose qu'il résulte des attestations et des expertises que le camion présentait des vices cachés antérieurs à la vente affectant gravement le système de freinage, vices connus du vendeur professionnel et ignorés de Baubant; que son action pour vices rédhibitoires a été engagée dans les "brefs délais" de la loi, puisque :

- le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur Victoire a été déposé le 19 juin 1981,

- Baubant a été inculpé le 6 juin 1981 du délit de blessures involontaires (sur 1a personne du chauffeur accidenté le 26 mars 1981) mais a bénéficié d'une ordonnance de non lieu à lui notifiée le 16 décembre 1981 . Cette information pénale a suspendu le délai de son action dont le point de départ est la date de dépôt du rapport d'expertise, soit le 19 juin 1981; en effet Monsieur Baubant avait l'intention de mettre en cause la CCIE dans cette instance pénale.

Ce n'est que le 14 décembre 1981 que la CCIE a assigné Baubant en paiement, ce qui a entraîné sa reconvention pour vices cachés.

Une attestation de Monsieur Bezaudin établit Monsieur Baubant cherchait à obtenir de la CCIE, amiablement, la résiliation de la vente.

La jurisprudence admet que le délai de l'article 1648 al. 1 du Code Civil peut être très long selon les espèces et que les tribunaux le fixent souverainement.

Monsieur Baubant demande en conséquence à la cour de déclarer son action recevable; de dire qu'il invoque en outre, au soutien de sa demande en résiliation, l'exception non adimpleti contractus; de dire qu'il y avait vices cachés; de condamner la CCIE, sur l'article 1645 du Code civil, à lui payer :

- 45 161,28 F déjà versés sur le prix du camion,

- 200 000 F pour les dommages résultant de l'accident dont il a été victime,

- 6 000 F sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le CCIE intimée demande à la cour confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande principale et débouté Baubant de sa demande reconventionnelle tardive; subsidiairement de la déclarer mal fondée; de condamner Baubant en 20 000 F pour résistance abusive et en 5 000 F sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose que :

1 - Baubant n'a pas cru devoir intenter son action après le rapport d'expertise Victoire du 19 avril 1981 attendant le 12 février 1982 pour la présenter reconventionnellement (soit 15 mois après la vente, 8 mois après l'expertise, et encore 2 mois après l'assignation en paiement; l'information pénale n'a pu avoir pour effet de suspendre le "bref délai" d'introduction de l'action civile de l'article 1648 du Code civil,

2- Cette action n'est pas fondée, les experts ayant relevé que l'accident a eu lieu 3 mois après le réglage des freins du 5 janvier 1981 et après 5 000 km parcourus; que durant ce temps les freins ont été déréglés, ce qui a causé l'accident.

L'UAP demande confirmation du jugement et condamnation de Baubant à lui payer 5 000 F sur l'article 700 du NCPC; elle souligne qu'elle ne garantit pas les sinistres résultant d'une défaillance contractuelle de son assuré la CCIE, laquelle n'a été d'ailleurs pas établie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 1985.

Motifs de la décision :

Attendu que l'appel a été relevé dans les forme et délais légaux et sera déclaré recevable, qu'il est en outre fondé, pour les raisons suivantes :

I- Sur la recevabilité de la reconvention pour vices rédhibitoires:

Attendu en droit que l'action en résolution pour vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur de la chose "dans un bref délai, suivant la nature des vices et les usages du lieu où la vente a été faite" (art 1648 al.1 du Code civil) ;

Attendu qu'en l'espèce, le point de départ de ce "bref délai" doit être fixé à fin avril 1981 époque à laquelle Baubant a pu avoir connaissance exacte de la nature des vices allégués, par le rapport d'expertise judiciaire de Mr Victoire en date du 19 avril 1981 ;

Qu'il appert de l'attestation régulière de Mr. Bezaudin (ancien propriétaire du véhicule) en date du 23 mai 1984, communiquée aux parties sous bordereau du 1 juin 1984, que Monsieur Baubant avait demandé à Mr Peraldi (directeur de la CCIE) "une solution pour la résiliation de son contrat ; celui- ci (M. Peraldi) lui répondit qu'il fallait attendre la procédure pénale surtout qu'il a fait une déclaration à son assureur de responsabilité civile" ; qu'il résulte des termes suffisamment explicites de cette attestation qu'un règlement amiable du litige étant envisagé entre les parties, ce qui est d'ailleurs confirmé par le fait que la CCIE a attendu jusqu'au 14 décembre 1981 pour assigner Baubant en paiement ;

Qu'ainsi le "bref délai" pour agir sur vices cachés s'est trouvé suspendu ;durant la période où un règlement amiable était envisagé, pour recommencer à courir le 14 décembre 1981, date à partir de laquelle Baubant a su que son adversaire n'acceptait pas cette voie amiable;

Qu'en introduisant par reconvention (conclusions du 12 février 1982) son action pour vices rédhibitoires moins de deux mois après que le délai eut commencé à courir, Baubant a agi dans le "bref délai" de l'article 1648 al.1 susvisé, et est recevable en cette action; que le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point ;

II- Sur l'existence de vices cachés :

Attendu qu'il est constant et non contesté que le véhicule objet du litige avait été vendu neuf, à Monsieur Bezaudin qui ensuite avait obtenu de la CCIE résiliation de la vente pour défectuosités répétées du système de freinage et après un accident matériel dû à la défaillance des freins (Attestation communiquée le 11 mai 1982 : M.Bezaudin déclare : "... Le garage (de la CCIE) n'est jamais parvenu à remédier le système de freinage ".... M.Peraldi n'a fait aucune difficulté pour me reprendre le camion et me rembourser... Je sais que le camion a été revendu ".) ;

Attendu que, quelques semaines après que la CCIE ait revendu à M. Baubant le même véhicule, l'acquéreur a du remettre ce camion aux ateliers de la CCIE pour diverses réparations dont celle du système de freinage; que le 5 janvier 1981 la CCIE a remplacé un "poumon" (vase à diaphragme assurant la régulation du freinage) par la même pièce prélevée sur un véhicule similaire; que lors de l'expertise du 19 avril 1981 l'expert Victoire commis par ordonnance de référé sur requête de Monsieur Baubant a pu constater que les "garnitures des freins arrière droit étaient presque définitivement usées alors que celles de gauche paraissaient neuves . qu'il avait eu (lors de l'accident) blocage des roues arrière droit ce qui démontre bien que le fonctionnement était mauvais ., que les deux "poumons" étaient en parfait état ce qui signifie que le réglage n'était pas le même à gauche qu'à droite . " l'expert conclut que : "... le système de freinage était défectueux lors de l'accident, lorsque le camion a été livré à Baubant il n'était pas en bon état mais a été réparé par les soins du vendeur très peu de temps après ... Toutefois le "poumon" de freins que les techniciens ont remonté sur la roue gauche du camion présentait un défaut de réglage lors de notre visite, un écart trop grand, que je ne peux expliquer que parce qu'il existait déjà depuis très longtemps ... De toute façon et d'une manière formelle le vice de fabrication est à exclure, il s'agit d'une panne du système de freinage consécutive à un défaut de réglage".

Attendu que la CCIE attribue le mauvais réglage constaté, à l'intervention de Baubant ou de tiers qui auraient postérieurement aux réparations, " déréglé" le système de freinage; mais qu'elle n'apporte pas la preuve d'une telle intervention, que conteste Baubant; que d'ailleurs l'expert a pu noter que cette défectuosité " existait déjà depuis très longtemps" avant l'accident, ce qui fait remonter son existe ce avant la réparation du 5 janvier 1981; que ces notations rejoignent celles contenues dans les pièces, communiquées,du dossier d'information judiciaire ouverte contre Baubant et clôturée par un non-lieu ;

Attendu que la CCIE en sa qualité de vendeur professionnel, est présumée ne pas ignorer l'existence des vice sur la chose vendue; que de surcroît en l'espèce, elle pouvait d'autant moins l'ignorer qu'elle avait précédemment résilié le contrat de vente conclu avec Monsieur Bezaudin, portant sur le même véhicule à raison de défectuosités répétées du système de freinage.

Attendu qu'il apparaît de ce qui précède que le camion DAF vendu par la CCIE présentait avant qu'il soit vendu à Baubant, un vice rédhibitoire à savoir une grave défectuosité du système de freinage à laquelle la réparation du 5 janvier 1981 n'avait pu remédier;

Attendu que Baubant n'a pu connaître ce vise qu' après l'expertise d'avril 1981;

Attendu en conséquence que Baubant est bien fondé en sa reconvention pour vices rédhibitoires par application des articles 1641 et 1644 du Code civil; qu'il a remis le camion à la CCIE, laquelle le conservera et devra restituer à Baubant la somme - non contestée - de 45 161,28 F déjà versée par lui sur le prix du camion; le jugement déféré étant infirmé en ce sens ;

III - Attendu que Monsieur Baubant reprenant ses prétentions de première instance demande de condamner la CCIE à lui payer 200 000 F en réparation du dommage résultant de l'accident dont il a été victime;

Que cette demande est fondée en son principe; qu'en effet l'accident du 23 juin 1981 a été causé par le vice du système de freinage imputable à la CCIE qui doit donc réparation des dommages causés à Baubant; dommages consistant pour cette entreprise de transports dans la perte de jouissance de son véhicule durant le temps qu'il lui a raisonnablement fallu pour le remplacer; que faute de précisions apportées à ce sujet par le demandeur la cour d'après les éléments du dossier fixe à 20 000 F la somme que la CCIE devra payer à Baubant à ce titre ;

IV - Sur la mise en cause de l'UAP :

Attendu que l'UAP a été assigné en garantie par la CCIE; que cette compagnie d'assurances déclare que sa garantie ne joue pas en cas de vices rédhibitoires; que la CCIE ne prouve pas le contraire et notamment ne produit pas le contrat d'assurances; que l'UAP sera en conséquence mise hors de cause, en l'état, ainsi que l'a décidé le premier juge mais pour le motif ci-dessus ;

Attendu que l'UAP demande condamnation de Baubant sur le fondement de l'article 700 du NCPC; que cette demande est liée au sort des dépens; qu'en l'espèce, faute d'avoir conclu contre la CCIE qui l'avait assignée et qui sera condamnée aux dépens, cette demande de l'UAP sera rejetée ;

Attendu que la CCIE qui succombe sera condamnée aux dépens et à payer à Monsieur Baubant, en remboursement de ses frais non répétibles de première instance et d'appel, la somme équitable, de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : Vu l'article 452 du NCPC, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort; Reçoit l'appel de Monsieur Baubant Hubert, le déclare fondé au principal ; Confirme en tant que de besoin le jugement entrepris du Tribunal de grande instance de Fort-de-France rendu le 14 juin 1983 en sa seule disposition prononçant la mise hors de cause de la compagnie d'Assurances UAP; L'infirme en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau ; Déboute la société Comptoir Caraibe d'Importation et d'Exportation en toutes ses demandes, fins et conclusion ; Déclare Monsieur Baubant Hubert recevable en son action pour vices rédhibitoires, faisant droit à sa demande fondée sur l'article 1645 du Code civil ; Dit que Monsieur Baubant devra remettre à la CCIE le camion DAF acheté le 17 novembre 1980, et condamne la CCIE à payer à Monsieur Baubant la somme de quarante-cinq mille cent soixante-et-un francs vingt-huit centimes (45 161,28 F) représentant la somme déjà versée sur le prix d'achat de ce camion ; Condamne en outre la CCIE à payer à Monsieur Baubant les sommes de : - vingt mille francs (20 000 F) à titre de dommages-intérêts, - six mille francs (6 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires ; Condamne la CCIE aux entiers dépens de première instance et d'appel.