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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 21 décembre 2004, n° 03-03860

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chrislys (SARL), Sam (SARL), Limolys (SARL)

Défendeur :

Flora Partner (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saint-Arroman

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Casteja-Clermontel, Jaubert, SCP Arsène-Henry, Lançon

Avocats :

Mes Meresse, Balman.

T. com. Bordeaux, du 24 juin 2003 ; 17 j…

24 juin 2003

Les 8 avril 1996, 15 novembre 1997 et 11 décembre 1998, les SARL dénommées Chrislys, Sam et Limolys, dirigées par Monsieur Bonjean, ont ouvert à Limoges trois magasins de vente de fleurs en libre-service sous la franchise Flora Partner.

Les contrats de franchise signés, qui définissent de façon précise les droits et obligations des parties, prévoyaient une durée de sept ans.

À la suite de difficultés survenues à partir de la fin de l'année 1999 entre la société Flora Partner et l'ensemble des franchisés, une négociation collective a eu lieu au cours de l'été 2000 entre la société Flora Partner et une association de franchisés présidée à une certaine époque par Monsieur Bonjean.

Aux termes de cette négociation, le franchiseur a proposé aux franchisés un nouveau contrat en février 2000.

Il semble que néanmoins de nombreux franchisés aient quitté le réseau d'un commun accord avec la société Flora Partner.

Monsieur Bonjean est resté dans le réseau.

Néanmoins, estimant que la société Flora Partner persistait à manquer à certaines de ses obligations et en tout cas ne respectait pas dans ses rapports avec lui même les dispositions de l'accord collectif, lui adressait une mise en demeure de respecter ses obligations et lui faisait connaître, en application de l'article 20-2-2 du contrat, qu'il rompait celui-ci si satisfaction ne lui était pas donnée,

Non satisfait d'une réponse de la société Flora Partner du 5 février 2002 par laquelle celle-ci lui indiquait qu'elle estimait respecter le contrat, Monsieur Bonjean l'a rompu en déposant les enseignes de ses magasins les 29 et 30 avril et 1er mai 2002.

Monsieur Bonjean n'ayant pas signé le nouveau contrat qui lui avait été proposé, la société Flora Partner a considéré que leur relation était toujours régie par les contrats signés en 1996, 1997 et 1999 quant à leurs termes, et que ceux-ci restaient fixés au 5 novembre 2004, 30 mars 2005 et 11 décembre 2006.

L'article sus-visé du contrat prévoyait la possibilité pour les parties de rompre celui-ci en cas de non-respect par l'autre de ses obligations, moyennant une mise en demeure avec préavis de trois mois et si la mise en conformité n'intervenait pas dans ce délai.

La société Flora Partner a assigné les trois sociétés dirigées par Monsieur Bonjean devant le Tribunal de commerce de Bordeaux en demandant des dommages et intérêts pour rupture anticipée et injustifiée du contrat, affirmant avoir de son côté respecté ses obligations.

Les sociétés Chrislys, Sam et Limolys estimaient au contraire que la société Flora Partner avait manqué en ses engagements dans quatre domaines:

- en leur remettant au moment de la conclusion du contrat des documents contractuels incomplets, notamment sur le point de leur zone d'exclusivité, et en n'ayant pas effectué une étude du marché conformément à la loi Doubin,

- en n'aidant pas Monsieur Bonjean lors de l'ouverture du magasin Limolys,

- en ne respectant pas ses obligations contractuelles,

- en adoptant à leur égard une attitude discriminatoire, probablement provoquée par le fait que la société Flora Partner ne pardonnait pas à Monsieur Bonjean d'avoir dirigé l'association des franchisés.

Le tribunal a constaté:

- que les contrats signés en 1996 et 1997 indiquaient bien que l'étude de marché avait été réalisée,

- que ces mêmes contrats précisaient que la zone d'exclusivité du franchisé était définie dans un plan annexé au contrat,

- que le reproche fait à la société Flora Partner de ne pas avoir averti Monsieur Bonjean du risque que comportait l'ouverture du troisième point de vente, et même d'avoir fait pression sur lui pour qu'il l'ouvre, n'était pas fondé dès lors qu'il résultait d'une lettre de celui-ci du 21 septembre 1998 que c'est lui même qui avait demandé l'ouverture de ce troisième point de vente pour le motif qu'il voulait couvrir la zone Sud-Ouest de Limoges dès lors que l'Ouest et le Nord-Ouest étaient déjà couverts et par sa volonté de diriger lui même ce point de vente et d'y faire un apport hors emprunt.

Le tribunal a également considéré qu'un autre grief, fait par Monsieur Bonjean à la société Flora Partner au sujet de ce troisième point de vente, celui d'avoir mal choisi ou mal surveillé les entreprises chargées de faire les aménagements selon son cahier des charges, n'était pas fondé dès lors que le contrat de franchise mettait ces obligations à la charge du franchisé.

Le tribunal a considéré que l'aide exceptionnelle apportée par la société Flora Partner à Monsieur Bonjean pour tenir compte de ce que ce troisième point de vente n'avait pas développé de chiffre d'affaires escompté, aide constituée par la prise en charge de loyers pour 32 500 F et le pourcentage formation du droit d'entrée pour 45 000 F, ne pouvait être considéré comme une reconnaissance de culpabilité.

Le tribunal a considéré que les divers manquements en cours d'exécution du contrat imputés par Monsieur Bonjean à la société Flora Partner en matière d'étude du marché, de conseil de communication, de livraison par la centrale d'achat et d'animation commerciale, n'étaient pas établis ou justifiés par des pièces.

Au sujet du grief d'une attitude discriminatoire de la société Flora Partner à l'égard de Monsieur Bonjean, le tribunal a relevé que, si ce dernier lui-même s'était félicité de l'élaboration du nouveau contrat à laquelle il avait participé, les avantages prévus par celui-ci ne pouvaient être accordés qu'à ceux qui le signaient, et que dès lors qu'il s'y était refusé, il ne pouvait obtenir les avantages qu'il comportait.

Pour fixer les indemnités principales revenant à la société Flora Partner, le tribunal a fait application des clauses pénales contractuelles.

Il a débouté la société Flora Partner de sa demande de remboursement d'investissement supplémentaire qui aurait profité aux trois magasins de Monsieur Bonjean et était calculé au prorata du nombre de ces magasins par l'ensemble du réseau en considérant que la société Flora Partner ne rapportait pas la preuve de tels investissements réalisés en faveur des magasins de Monsieur Bonjean.

Il l'a déboutée de sa demande de remboursement d'aide prétendument indûment perçue par Monsieur Bonjean en considérant qu'il s'agissait d'aides données à titre commercial et par anticipation à la signature du nouveau contrat et que la société Flora Partner ne pouvait revenir sur cette aide consentie bénévolement.

Il a débouté la société Flora Partner de sa demande au titre de la clause de non-concurrence en considérant que la durée contractuelle d'une année avait été respectée.

Le tribunal a considéré que l'usage du nom commercial "Jardin des couleurs" utilisé par Monsieur Bonjean à la place de celui de "Jardins des fleurs" venait en violation de l'article 20-4-3 du contrat de franchise qui interdit au franchisé d'utiliser aucun signe qui puisse rappeler ou qui soit susceptible de constituer dans l'esprit du public une confusion avec la marque du franchiseur.

Il a fait interdiction à Monsieur Bonjean de l'utiliser.

Le tribunal a ordonné le cession à la société Flora Partner des éléments d'activité dans les conditions prévues par le contrat en cas de résiliation, ainsi que la restitution du matériel et les documents constitutifs du savoir-faire.

Les sociétés appelantes ont développé leurs moyens d'appel dans des conclusions déposées les 17 novembre 2003, 5 août et 4 octobre 2004, la société Flora Partner a développé son argumentation dans des conclusions déposées les 4 et 30 août 2004.

La société Flora Partner, par conclusions de procédure du 5 octobre, a demandé que soient rejetées les conclusions déposées par les appelantes le 4 octobre, soit la veille de la clôture fixée au 5.

Les appelantes se sont opposées à cette demande en faisant valoir qu'il incombait à la société Flora Partner de demander le report de la clôture.

Les appelantes ont présenté le 5 octobre une demande de renvoi à laquelle la société Flora Partner s'est opposée.

Le jour de l'audience, les parties ont demandé conjointement le report de la clôture au jour de l'audience. Dans les conclusions échangées entre le 17 novembre 2003 et le 30 août 2004, les parties ont pour l'essentiel débattu sur les moyens examinés par le tribunal de commerce sur le point de savoir si les appelantes établissaient les manquements de la société Flora Partner les ayant autorisées à mettre en œuvre les dispositions de l'article 20-20-2 du contrat.

Motifs

Attendu qu'ainsi, relativement au reproche fait à la société Flora Partner de n'avoir pas correctement appliqué la loi Doubin devenu l'article L. 330-3 du Code du commerce, la société Flora Partner, sans prétendre avoir effectué une étude de marché locale, a soutenu que la loi ne prévoyait pas une telle étude, étude qui selon elle incombait à Monsieur Bonjean et que celui-ci ne l'avait pas faite.

Attendu qu'il n'apparaît pas utile de trancher dans ce débat, alors que la méconnaissance de ses obligations par la société Flora Partner ne pouvait entraîner la résiliation du contrat mais aurait pu seulement entraîner son annulation et ce à la condition qu'il en soit résulté un vice du consentement, ce qui n'est ni établi ni allégué.

Attendu en effet que Monsieur Bonjean ne soutient pas avoir commis une erreur en ouvrant les deux premiers magasins, qui se sont immédiatement révélés très rentables et que son activité dans ces deux magasins lui a permis d'apprécier lui-même les possibilités de vente sur la ville de Limoges ainsi qu'il l'a reconnu lui-même.

Attendu, sur la non-remise des annexes au contrat relatives à la zone d'exclusivité, que la vérité sur le point de savoir si celles-ci ont ou non été remises au moment de la signature du contrat ne peut être déterminée en l'état des éléments fournis par les parties; que toutefois, une telle omission ou un tel refus aurait justifié une demande d'annulation après la signature des contrats mais non une demande de résiliation plusieurs années après.

Attendu que, sur le défaut d'aide par la société Flora Partner à Monsieur Bonjean à l'occasion de l'ouverture de son troisième magasin, sur le mauvais choix ou la mauvaise surveillance des entrepreneurs par la société Flora Partner, les pièces produites n'établissent pas que la société Flora Patiner a manqué à des obligations qu'elle aurait eu dans ces domaines.

Attendu que l'aide financière apportée par la société Flora Partner pour tenir compte de la faible rentabilité initiale du magasin Limolys ne peut être considérée comme la reconnaissance d'une faute antérieure dès lors qu'elle a constitué un geste purement commercial.

Attendu que les divers reproches faits à la société Flora Partner par Monsieur Bonjean en matière de délai de livraison, de qualité de produits, de campagne publicitaire, de perception de redevance et de respect des zones d'exclusivité doivent être appréciés à la lumière de la négociation qui s'est instaurée entre le franchiseur et l'association représentant l'ensemble des franchisés.

Attendu que si l'engagement d'une telle négociation ne constitue pas la démonstration par elle-même de faute qu'aurait commise le franchiseur dans la mesure où elle aurait pu simplement tendre à une amélioration d'une situation qui aurait été insatisfaisante, il ressort des courriers de Monsieur Postulka des 6 juin, 19 et 29 septembre et 11 octobre 2000 que le franchiseur avait bien manqué à ses obligations sur divers points.

Attendu notamment qu'il est établi qu'il avait prélevé sur les redevances de communication payées par les franchisés un pourcentage utilisé pour la création d'un système de vente par internet à son seul profit et de surcroît en violant l'exclusivité des franchisés.

Attendu qu'il reconnaît cette erreur et justifie avoir reversé les sommes ainsi indûment prélevées (pièces 111 à 117) en dépit des dénégations de Monsieur Bonjean.

Attendu qu'il s'est ainsi mis en conformité sur ce point.

Attendu qu'il convient de rechercher s'il s'est également mis en conformité, selon les termes de l'article 20-2-2 du contrat de franchise, sur le principal grief formulé dans la lettre de mise en demeure du 22 janvier 2002, le grief de discrimination.

Attendu que, selon cette lettre, la discrimination consisterait dans le fait que la société Flora Partner réserve à ceux qui l'ont signé non seulement les avantages - ou avancées - du nouveau contrat à ceux qui l'ont signé mais également des mesures réparatrices d'erreur commises dans l'exécution du premier.

Attendu par ailleurs qu'il n'est pas contesté que les avancées du nouveau contrat ont des contre-parties à la charge des franchisés, ce qui semble avoir retenu un certain nombre de franchisés de le signer.

Attendu que le fait de la part de la société Flora Partner d'avoir envisagé de réserver aux franchisés, ayant signé le nouveau contrat, le partage des bénéfices de la centrale d'achat 2000-2001 ainsi que la rétrocession des bénéfices de la centrale d'achat avec effet rétroactif, annoncé dans sa lettre du 12 novembre 2001 (pièce n° 16), devait être considéré comme une attitude discriminatoire contraire à l'exécution de bonne foi du contrat.

Attendu cependantque par lettre du 31 décembre adressant aux sociétés des chèques au titre des rétrocessions, ainsi que par sa lettre du 5 février 2002 (pièce 22) la société Flora Partner s'est mise en conformité sur ce point.

Attendu que les autres avantages accordés aux seuls franchisés signant le nouveau contrat ne peuvent être considérés comme des manquements de la société Flora Partner à ses obligations dès lors qu'ils ne sont pas accordés avec effet rétroactif, et dès lors que la société Flora Partner s'engageait à appliquer l'ancien contrat à ceux qui refusaient de signer le nouveau.

Attendu par ailleurs que la mise en place d'un nouveau contrat ne peut en elle même être considérée comme ayant mis un terme au premier contrat, ce qui justifierait de la part du franchisé le droit de mettre en œuvre les dispositions de l'article 6-2 de cet ancien contrat dès lors que la société Flora Partner maintenait en vigueur ce contrat.

Attendu que c'est donc à tort que les sociétés Chrislys, Sam et Limolys ont unilatéralement mis fin au contrat qui les liait à la société Flora Partner.

Attendu que le jugement doit être confirmé sur ce point.

Attendu que le jugement doit également être confirmé sur les indemnité allouées eu égard au préjudice causé à la société Flora Partner par la rupture anticipée des contrats et aux avantages retirés de celui-ci par les franchisés pendant son exécution et postérieurement à celle-ci du fait du savoir-faire et la notoriété qui grâce à ce contrat, ces indemnité ne pouvant dans ces conditions être considérées comme présentant un caractère excessif.

Attendu qu'il convient de rejeter la demande reconventionnelle des sociétés Chrislys, Sam et Limolys tendant à la restitution du montant des investissements non amortis à la date de la rupture dès lors que ces sociétés n'établissent pas que ces investissements ne peuvent être utilisables pour l'essentiel par elles dans la poursuite de la même activité commerciale,

Sur les autres demandes

Attendu qu'il convient de donner acte aux appelantes de ce qu'elles ont renoncé à utiliser l'enseigne " le Jardin des couleurs ", enseigne par laquelle elles faisaient effectivement concurrence déloyale à la société Flora Partner.

Attendu qu'il convient de donner acte à la société Flora Partner de ce qu'elle renonce à exiger l'application de la clause de non-concurrence.

Attendu qu'il convient de confirmer le jugement sur la restitution des documents constitutifs du savoir-faire de la société Flora Partner, et sur le retrait de l'enseigne "le Jardin des fleurs".

Attendu qu'il apparaît que la demande de rachat par le franchiseur des fournitures, matériels et équipements spécifiques est sans objet dès lors qu'il n'est pas établi que les franchisés possèdent de tels matériels et qu'elles voudraient contraindre la société Flora Partner à honorer son engagement contractuel à les leur racheter.

Attendu qu'il n'apparaît pas que l'équité justifie en l'espèce l'allocation à l'une ou l'autre des parties d'une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement sur l'imputabilité de la rupture et sur les indemnités allouées à la société Flora Partner. Donne acte aux sociétés Chrislys, Sam et Limolys de ce qu'elles ont cessé d'utiliser l'enseigne "le Jardin des couleurs" et de ce qu'elles n'utilisaient plus l'enseigne "le Jardin des fleurs". Déclare sans objet la demande de rachat par le franchiseur des matériels, objets et équipement spécifiques. Donne acte à la société Flora Partner de ce qu'elle n'exige pas l'application de la clause de non-concurrence. Déboute les parties de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne les sociétés Chrislys, Sam et Limolys aux dépens de première instance et d'appel, application étant faite de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.