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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 4 novembre 2004, n° 03-01863

CAEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

TPMS (SA)

Défendeur :

Menuiserie Thorre (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

Mme Holman, M. Hallard

Avoués :

SCP Dupas-Trautvetter Ygouf Balavoine, Me Tesnière

Avocats :

SCP Saint Sernin-Lehman, Me Tourbin.

T. com. Coutances, du 6 juin 2003

6 juin 2003

LA COUR,

Vu le jugement du 6 juin 2003 du Tribunal de commerce de Coutances qui a débouté la SARL TPMS, se disant agent commercial de la SA Thorre qui a résilié le contrat liant les deux sociétés, de ses demandes, notamment de paiement d'indemnités, formulées à l'encontre de la société Thorre et accordé à celle-ci 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu l'appel de la SA TPMS et ses conclusions du 5 juillet 2004 par lesquelles elle demande à la cour de condamner la société Thorre à lui payer la somme de 96 488,79 euro HT, représentant les trois dernières années de commissions à titre d'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial et réclame 3 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, soutenant qu'elle était titulaire d'un contrat d'agent commercial qui a été rompu sans motif à la seule initiative de la société Thorre;

Vu les conclusions du 5 mars 2004 de la SAS Menuiserie Meslin, nouvelle dénomination de la société Menuiserie Thorre, qui demande à la cour de confirmer le jugement, débouter TPMS de ses demandes, "accessoirement", la condamner au paiement de 90 000 euro de dommages et intérêts, réclamant 3 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, "très accessoirement" dire que l'indemnité de résiliation ne peut être supérieure aux six derniers mois de commission, soutenant que la relation commerciale entre les deux sociétés ne s'analyse pas en un contrat d'agent commercial mais de courtage ; que TPMS a eu un comportement déloyal et a commis des manquements graves envers la société Menuiserie Meslin ; qu'en vertu de l'article 1992 du Code civil TPMS se doit de réparer le préjudice subi du fait de l'insolvabilité de sa clientèle;

Attendu qu'il est constant que les parties ont débuté leurs relations commerciales en avril 1991 et n'ont jamais conclu de contrat écrit ; que ce seul fait ne suffit pas à écarter la qualification d'agent commercial de TPMS; que cette dernière rappelle la définition de l'agent commercial telle qu'elle résulte de la loi du 25 juin 1991 ; que l'intimée remarque que TPMS n'a pas conclu de contrats en son nom et pour son compte et que les contrats ont toujours été conclus directement entre elle-même et les entreprises préalablement contactées par TPMS ; mais qu'un intermédiaire qui négocie les contrats même sans les conclure formellement est un agent commercial; que Meslin ne reconnaît qu'une " mise en relation " par TPMS avec d'éventuels clients et soutient que Mme Cassier, apparemment l'unique agent de TPMS, était bien incapable de négocier quoi que ce soit, que TPMS avait une rente de situation et n'effectuait aucun travail ; mais que TPMS prétend qu'elle négociait les contrats pour le compte de la société Thorre et adressait à la société Thorre les commandes des clients ; que de 1991 à 2001, date de la résiliation, la société Thorre a payé à TPMS des commissions de 7,5 % sur les ventes réalisées avec les clients avec lesquels elle était entrée en contact par l'intermédiaire de TPMS; qu'il s'agit là normalement d'une commission d'agent commercial ; que les factures de TPMS à en-tête de TPMS Services mentionnaient "commissions sur les affaires traitées directes et indirectes", et que les bordereaux de commissionnement les accompagnant indiquaient très nettement "commission agent commercial 7,5 %" ; que la société Thorre n'a protesté ni contre ce montant ni contre cette qualification ; qu'en apparence TPMS agissait dans l'intérêt commun des deux sociétés "matérialisé", comme elle le dit dans ses conclusions, par le chiffre d'affaires de Thorre d'une part par ses commissions d'autre part;

Attendu que le défaut de cause ou la fausse cause ne se présument pas ; que Thorre a accepté, durant de longues années, de payer à TPMS des commissions d'agent commercial ; que la volonté des parties était apparemment d'avoir des relations régies par le statut d'agent commercial ; qu'il appartient à Meslin de prouver l'absence de contrepartie de ses paiements ou le fait que l'activité de TPMS n'était pas celle d'un agent commercial ; qu'elle ne le fait pas, ses affirmations n'étant pas étayées par des éléments probants ; qu'une demande de prix manuscrite du 20 mars 2000 signée de "Michèle Cassier représentante menuiseries plafonds portes" jugée indéchiffrable par Meslin ne suffit pas à faire cette preuve; qu'il en résulte plutôt que Mme Cassier négociait des prix ; qu'il s'agit tout au plus d'un élément de preuve d'un travail de médiocre qualité plutôt que d'une absence de travail ou d'une activité autre que celle d'agent commercial ; qu'il en est de même des demandes de " rapport de statistiques client " adressées par TPMS à Thorre;

Attendu que le 8 décembre 2000 la SA Menuiseries a sous signature de son dirigeant M. B. Meslin adressé à la SARL TPMS Services, à l'attention de Mme Cassier une lettre ainsi rédigée:

"Nous vous informons que nous sommes au regret de résilier le contrat nous liant le préavis de trois mois commencera à compter de la première présentation de la présente";

Qu'aucune explication n'était donnée ni aucune faute alléguée, ce qui n'interdit pas toutefois à Meslin d'alléguer et de prouver des fautes devant la cour;

Attendu que Meslin reproche à TPMS la commission de fautes graves consistant en des manquements à ses obligations d'information et de loyauté ; qu'elle soutient, qu'en violation de l'article 1992 alinéa 1er du Code civil TPMS l'a mise en relation avec des entreprises insolvables sans vérifier leur solvabilité ; qu'elle produit des factures à une société Arts Déco, dont il n'est pas contesté qu'elle ait été démarchée par TPMS et une lettre de rappel du 30 mars 1999 faisant état d'effets impayés d'un montant total de 123 000 euro environ ; que TPMS a informé Thorre qu'une société Tricard et une société MDF apparemment démarchées par elle avaient fait l'objet de procédures collectives les 19 juin 1997 et 23 janvier 1997 respectivement; que Meslin reproche à TPMS d'avoir pris sans son autorisation des mandats d'entreprises concurrentes, Bourneuf et Ermac, en violation manifeste de l'article 3 de la loi du 25 janvier 1991; que dans ses conclusions TPMS fait l'aveu judiciaire qu'elle "était effectivement l'agent de sociétés concurrentes de la société Thorre" ; qu'elle soutient toutefois qu'elle ne représentait que des produits différents de ceux qu'elle négociait avec la société Thorre mais ne fait pas la preuve qui lui incombe de la véracité de cette dernière allégation dont elle ne précise même pas la teneur, n'indiquant pas en quoi consisterait la différence entre les produits ; que dans un contrat d'agent commercial versé aux débats Ermac se qualifie de "menuiserie industrielle" et est apparemment concurrente de Thorre, dont l'activité indiquée dans l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés versé aux débats est " fabrication de menuiseries industrielles, artisanales et de charpente " ; qu'en juillet 1995, une entreprise Omnium Bois Derives a informé la société Thorre qu'elle ne désirait plus être visitée par Mme Cassier car cette dernière, à partir des renseignements qu'elle recueillait lors de ses passages, "tente de traiter certains chantiers en direct avec nos clients" ; que Meslin déclare encore sans être contredite que TPMS n'effectuait aucun rapport d'activité et ne rendait pas compte de ses visites de prospection ; que rien n'indique qu'en dehors de la facturation et des informations sur les procédures collectives ci-dessus relatées, elle ait rendu compte à son mandant; qu'il résulte au contraire des pièces versées aux débats, notamment des réclamations de décembre 2000 et janvier 2001 versées aux débats que c'est Mme Cassier qui demandait à Thorre de lui adresser des rapports de statistiques commandes clients et des " relevés commissions" "afin que nous établissions notre facture de commissionnements", ce qui suppose qu'elle ne savait pas quels étaient les clients pour la prospection desquels elle demandait des commissions, ce qui révèle pour le moins de la part de la gérante de TPMS, de graves négligences et un manque singulier d'organisation;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que TPMS a commis des fautes dans l'exécution de son contrat; que toutefois la société Thorre avait toléré pendant plusieurs années les manquements de TPMS, notamment concernant l'obligation de rendre compte; que c'est en 1995 qu'elle a été informée de la déloyauté à l'égard de la société Omnium Bois et en 1997 de la prospection sans vérification d'entreprises à la solvabilité fragile; que la date à laquelle Thorre au eu connaissance des contrats avec les concurrents est ignorée mais que rien n'indique que cette connaissance ait entraîné la rupture immédiate des relations; que Thorre ayant longtemps toléré les manquements de TPMS ne peut lui refuser toute indemnité; qu'eu égard toutefois à l'ensemble des circonstances de l'espèce qui établissent la très médiocre qualité des prestations de TPMS, justifiant la réduction de l'indemnité à un montant inférieur au montant d'usage en cas de prestations normales, il y a lieu d'en fixer le montant à six mois de commissions soit le sixième de ce que demande TPMS;

Attendu que la société Meslin ne justifie pas ni même n'explicite sa demande de 90 000 euro de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l'insolvabilité d'une partie de la clientèle apportée par TPMS ; que la cour ignore si tout ou partie de la créance de 123 000 F sur la société Arts Déco a été payée, quel était le montant des créances sur les sociétés Tricard et MDF, ou sur d'autres sociétés, si elles ont été déclarées, si des dividendes ont été perçus ; qu'il ne peut être fait droit à la demande de dommages et intérêts de la société Meslin;

Attendu que chaque partie triomphant et succombant partiellement, il est équitable de laisser à chacune d'elles la charge des frais irrépétibles et dépens de première instance et d'appel qu'elle a engagés;

Par ces motifs - Infirme le jugement entrepris; - Condamne la SAS Menuiserie Meslin à payer à la SARL TPMS Services la somme de 16 081,50 euro; - Déboute les parties de leurs autres demandes; - Laisse à chacune d'elles la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elle a engagés.