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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 5 novembre 2004, n° 02-07585

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lebhertz Soral (SARL)

Défendeur :

Soleillou (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cadiot

Conseillers :

MM. Astier, Stern

Avoués :

SCP Jourdan-Wattecamps, SCP Primout-Faivre

Avocats :

Mes Ruhlmann, Giuly.

T. com. Brignoles, du 5 mars 2002

5 mars 2002

Faits, procédure prétentions et moyens des parties

Par une convention du 16 novembre 1992, la SA Soleillou, qui fabrique et conditionne des produits condimentaires, a mandaté pour une durée indéterminée la SARL Lebhertz Soral en qualité d'agent commercial sur les départements n° 54 - 57 - 67 - 68 - 88 - 90, aire géographique qui a été ensuite étendue aux départements n° 08 - 25 - 51 - 52 - 55 - 70 par avenant du 1er avril 1993.

Les conditions et l'objet du mandat sont ainsi définis par la convention:

"La société Lebhertz Soral est chargée du placement de la gamme Soleillou. Si la société Soleillou met en vente dans l'avenir de nouveaux produits, elle se réserve le droit d'en confier ou non la vente à la société Lebhertz Soral qui demeurera libre de l'accepter ou de le refuser.

La société Soleillou confie à la société Lebhertz Soral l'exclusivité dans le secteur concédé et s'interdit par conséquent de faire visiter la clientèle prévue, par d'autres agents commerciaux aux représentants VRP.

La clientèle à prospecter est constituée de:

La GMS (sigle au travers duquel les parties s'accordent à lire "grande et moyenne surface"), les Entrepôts et les Grossistes.

Par le truchement de son conseil, la société Lebhertz Soral adressait le 3 mars 1998 à sa mandante un courrier recommandé avec demande d'avis de réception ainsi libellé:

"...Ma cliente a appris incidemment que votre société diffuserait désormais des produits sous marque " Tierce Feuille ", en totale contradiction avec la convention susvisée. Cette attitude dolosive a pour but et pour résultat de détourner les commissions revenant conventionnellement à votre agent.

La société Lebhertz Soral constate la résiliation de votre fait fautif du contrat du 16 novembre 1992.

L'indemnité conventionnelle correspondant à deux ans de commissions est due ..."

La société Lebhertz Soral faisait ensuite citer la SA Soleillou en paiement d'une indemnité de 343 094,30 F outre divers accessoires devant la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg qui, accueillant l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la défenderesse, renvoyait par jugement du 13 novembre 1998 la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de Draguignan lequel s'est lui-même dessaisi au profit de celui de Brignoles, la présidente de la société Soleillou étant magistrat consulaire à Draguignan.

Statuant par jugement contradictoire du 5 mars 2002, le Tribunal de commerce de Brignoles a débouté les parties de leurs demandes, fins et conclusions, dit n'y avoir lieu à article 700 et laissé les dépens à la charge des parties.

Aux ternies de ses écritures dernières en date déposées et notifiées le 19 juillet 2002 qui sont tenues ici pour expressément reprises, la SARL Lebhertz Soral, qui a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée céans le 21 mars 2002, soutient pour l'essentiel:

* qu'elle a constaté courant mars 1998 que la société Soleillou diffusait directement des bouteilles de 50 cl d'huile de tournesol bio et d'huile d'olive biologique sous une marque " Tierce Feuille " ainsi qu'en font foi de nombreux procès-verbaux d'huissiers;

* que le contrat d'agence ne comporte pas de liste de clients réservés au profit de la société Soleillou;

* que les produits commercialisés en violation des obligations du mandat portent le nom de la société Soleillou sur leurs étiquettes;

* que le client Cora auquel la société Soleillou prétend avoir exclusivement diffusé ces produits n'est pas contractuellement un client réservé;

* que la gamme Soleillou qu'il appartenait à la concluante de diffuser dans son ensemble comportait toutes les huiles sans restriction;

* que Soleillou admet être propriétaire de la marque "Tierce Feuille" depuis 1988 ;

* que la SA Soleillou a dolosivement caché à la concluante ses tractations avec le groupe Cora auprès duquel elle ne vend actuellement les produits Tierce Feuille, outre une gamme d'huile à marque Cora, [que] "grâce à la qualité du travail déployé auprès de ladite enseigne par l'équipe commerciale de la demanderesse, ceci durant de nombreuses armées ";

* qu'un produit rajouté dans un rayon diminue inévitablement la part de marché des autres produits ce qui cause un préjudice à la concluante qui est alors frustrée de la commission lui revenant;

* que les chiffres démontrent une chute d'activité imputable à la mise sur le marché des huiles Tierce Feuille ;

* que ce comportement déloyal de Soleillou ne laissait pas d'autre possibilité à la concluante que de prendre acte de la rupture du fait de sa mandante;

* qu'un agent commercial ne peut en effet accepter de voir déréférencer les produits qu'il diffuse, au profit d'autres produits fabriqués par la société dont il est l'agent;

* que le contrat liant les parties obligeait la société Soleillou, avant de mettre sur le marché des nouveaux produits, à en informer sa mandataire qui pouvait alors en accepter ou en refuser la diffusion;

* que les produits "Tierce Feuille" constituent à l'évidence de nouveaux produits diffusés par Soleillou (page 20 des écritures);

* que la concluante n'en a pas été informée et a été abusée, n'ayant jamais été invitée à se prononcer sur cette diffusion. Elle demande à la cour de :

"...Dire et juger que le contrat d'agent commercial liant Lebhertz Soral à Soleillou SA a pris fin en raison d'une faute grave de la société Soleillou. Prononcer en tant que de besoin la résiliation du contrat liant les parties.

Condamner la société Soleillou à payer à la SARI Lebhertz Soral un montant de 343 094,30 F soit 52 304,39 euro, avec intérêts au taux légal en sus à compter du 3 mars 1998.

Condamner la société Soleillou à payer à la SARL Lebhertz Soral à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et trouble financier un montant complémentaire de 8 000 euro avec intérêts au taux légal en sus à compter du jour du jugement à intervenir.

Condamner la société Soleillou à payer un montant de 2 500 euro d'indemnité de procédure, au titre de la première instance, en application de l'article 700 du NCPC, avec intérêts au taux légal en sus à compter du jour de l'arrêt à intervenir.

Condamner la société Soleillou à payer un montant de 2 500 euro d'indemnité de procédure, au titre de l'instance d'appel, en application de l'article 700 du NCPC, avec intérêts au taux légal en sus à compter du jour de l'arrêt à intervenir.

Condamner la société Soleillou aux entiers frais et dépens.

Aux termes de ses écritures dernières en date déposées et notifiées le 12 septembre 2002 qui sont tenues ici pour expressément reprises, la SA Soleillou, fait valoir pour l'essentiel:

* que les produits " Tierce Feuille " sont des produits biologiques qui ont été développés à la demande de la société Cora et lui sont exclusivement réservés;

* qu'ils sont hors la gamme Soleillou et sont présentés avec un conditionnement et un étiquetage distincts qui n'autorisent aucune confusion;

* que leur diffusion n'a aucunement été préjudiciable aux produits Soleillou en raison de la différence de produit, de prix de vente, d'impact et de la spécificité de la certification d'origine biologique qui écartent tout risque de transfert d'achat par le consommateur;

* que le nom de Soleillou n'apparaît en tout petits caractères au bas des étiquettes des produits Tierce Feuille que pour satisfaire aux règles de traçabilité par l'énonciation du fabriquant sans pour autant constituer une marque;

* que la petitesse de cette indication l'a même fait échapper à la vigilance d'un des huissiers commis par Lebhertz Soral aux fins de constat;

* que les chiffres ne démontrent pas de chute d'activité de Lebhertz Soral imputable à la mise sur le marché des huiles Tierce Feuille ;

* que les termes du contrat souscrit autorisaient la société Soleillou à mettre en vente de nouveaux produits sans en confier la distribution à la société Lebhertz Soral;

* que les huiles Lebhertz Soral ne sont pas de nouveaux produits de la gamme Soleillou mais quand bien même appartiendraient-ils à cette gamme,"ils ne figuraient pas au jour de la signature" du contrat de sorte que leur distribution est libre;

* que ne peut être acceptée la théorie selon laquelle l'agence Lebhertz aurait " apporté la clientèle du groupe Cora à la société Soleillou " alors que seule Soleillou a conduit les négociations annuelles de référencement auprès de ce groupe de distribution.

Elle demande à la cour de:

"Dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue à la demande de l'agent commercial;

Que cette rupture n'est pas la conséquence d'un comportement fautif du mandant; et qu'en conséquence elle ne permet pas à l'agent commercial de bénéficier des dispositions de l'article 13 de la loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants;

Prendre acte de la rupture du contrat de la société Lebhertz Soral et condamner cette dernière à verser à la société Soleillou, à titre d'indemnité pour rupture abusive, une somme de 175 000 F soit 26 678 euro correspondant à un an de commissions;

Une indemnité de 20 000 F soit 3 049 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Condamner la société Lebhertz Soral aux entiers dépens de la présente instance ..."

Motifs de la décision

Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée et que les éléments soumis à la cour ne permettent pas d'en relever d'office l'irrégularité;

Attendu que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et qu'elles doivent être exécutées de bonne foi;

Attendu que les parties s'accordent à reconnaître aux huiles alimentaires biologiques "Tierce Feuille" le caractère de produits nouveaux tout en s'opposant sur la gamme à laquelle ils appartiennent;

Attendu, selon le contrat d'agence liant les parties, que "Si la société Soleillou met en vente dans l'avenir de nouveaux produits, elle se réserve le droit d'en confier ou non la vente à la société Lebhertz Soral qui demeurera libre de l'accepter ou de le refuser"; qu'en l'état des termes de cette réserve exempts d'équivoque la société Soleillou bénéficie à sa discrétion et sans obligation d'information préalable de sa co-contractante de la faculté de lui confier ou non la commercialisation des nouveaux produits; qu'en choisissant en l'espèce de ne pas lui confier la commercialisation des nouvelles huiles biologiques et d'y procéder directement sous la dénomination qui lui est apparue la plus opportune elle a légitimement usé de la faculté qui lui était réservée par la convention et n'a commis aucune faute contractuelle;

Attendu en revanche qu'en imputant à faute au mépris des termes du contrat le comportement de sa co-contractante et en invoquant ce prétexte pour rompre brutalement la convention d'agence qui l'engageait, la SARL Lebhertz Soral a elle-même commis une faute contractuelle obligeant la SA Soleillou à réorganiser sa distribution de manière précipitée sur douze départements du Nord-Est du territoire français; qu'en l'absence d'une meilleure justification de ce préjudice il doit être indemnisé par la valeur de six mois de commissionnement soit 13 339 euro;

Attendu que la SARL Lebhertz Soral qui succombe pour le tout supportera les dépens tant de première instance que d'appel et qu'il est au surplus conforme à l'équité de la condamner à payer au titre de l'indemnité définie par l'article 700 du NCPC une somme de 3 000 euro;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort, Réforme pour partie la décision entreprise et, statuant à nouveau, Condamne la SARL Lebhertz Soral à payer à la SA Soleillou la somme de 13 339 euro pour rupture abusive et celle de 3 000 euro au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du NCPC; Rejette toute autre demande; Condamne la SARL Lebhertz Soral aux entiers dépens dont la distraction est autorisée, s'il échet pour ceux d'appel, au profit de la SCP d'avoués Primout & Faivre pour la part dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.