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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 7 décembre 2004, n° 03-02244

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eliance (SARL), Brohan (ès qual.)

Défendeur :

Mas (SARL), Parra (ès qual.), Delors, Tegon, Pouillot, PMJ (Sté), Allard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

MM. Grimaud, Baby

Avoués :

SCP Malet, SCP Chateu-Passera

Avocats :

SCP Azam-Sireyjol, Me Bouverans.

T. com. Toulouse, du 17 mars 2003

17 mars 2003

Faits et procédure

Mme Brohan était la gérante de la SARL Eliance, dont l'objet social était l'aide à la création et au suivi de cabinets ayant une activité d'agence matrimoniale. Elle a signé entre novembre 1998 et mai 2000 plusieurs contrats par lesquels elle s'engageait à transmettre son savoir-faire pour la création de tels cabinets, et à communiquer un fichier qui devait être tenu à jour, le tout en contrepartie de redevances annuelles. Ses co-contractants l'ont assignée devant le Tribunal de commerce de Toulouse, soutenant qu'ils avaient conclu des contrats de franchise qui devaient être annulés, l'information pré-contractuelle n'ayant pas été fournie, et qu'il y avait au dol, justifiant la restitution des sommes versées par eux et le paiement de dommages-intérêts.

Le tribunal, par jugement du 17 mars 2003, a considéré que les contrats litigieux ne présentaient pas les caractéristiques impératives pour que la loi Doubin puisse s'appliquer, que le dol n'était pas démontré en dépit de la mauvaise foi évidente de Mme Brohan, mais que le comportement de celle-ci justifiait l'allocation de 1 500 euro de dommages-intérêts à chacune de ses victimes. Chacune d'entre elles s'est en outre vu allouer 610 euro en indemnisation de ses frais irrépétibles.

La SARL Eliance représentée par son liquidateur amiable Mme Brohan a relevé appel de cette décision par déclaration remise le 9 avril 2003 au greffe de la cour.

Moyens et prétentions des parties

L'appelante assure que sa volonté était de constituer un réseau régional d'agences dans le Sud-Ouest, et reproche au tribunal d'avoir prononcé une condamnation sans indiquer son fondement juridique et en relevant d'office un moyen de pur droit. Le tribunal a retenu sa mauvaise foi sans autre explication, alors que les contrats ont été respectés par elle.

Elle conclut donc à la confirmation du jugement en ce qu'il a écarté l'application de la loi Doubin et le dol, et à sa réformation pour le surplus, sollicitant la condamnation solidaire des intimés à lui payer 2 000 euro en indemnisation de ses frais irrépétibles.

Les intimés forment appel incident, et maintiennent qu'ils ont bien signé des contrats de franchise, en comportant tous les éléments caractéristiques, à savoir la transmission d'un savoir-faire, l'utilisation d'une enseigne commune, la fourniture d'une assistance technique et commerciale, et l'exclusivité territoriale.

Ces contrats sont nuls au regard de la loi Doubin, qui s'applique à eux: l'information pré-contractuelle n'a pas été fournie; ils sont ensuite nuls pour absence de cause, Mme Brohan ne disposant d'aucun savoir-faire et n'ayant pu le transmettre, n'ayant pas apporté d'assistance technique et commerciale.

A titre subsidiaire, les contrats sont nuls en raison des mensonges et manœuvres dolosives dont Mme Brohan s'est rendue coupable.

Ils demandent donc la restitution des sommes versées à la signature des contrats, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi que 8 000 euro de dommages-intérêts à chacun, sauf 14 000 euro à Mme Allard.

Subsidiairement, ils sollicitent la confirmation du jugement, les dommages-intérêts étant ceux précisés dans la demande principale, et demandent en tout état de cause 1 300 euro pour chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi

L'article L. 330-3 du Code de commerce impose à toute personne mettant à la disposition d'une autre un nom commercial, une marque ou une enseigne, et exigeant d'elle une exclusivité pour l'exercice de son activité de lui délivrer une information préalable selon des modalités définies par les textes. Pour qu'un contrat contenant de telles obligations puisse être qualifié de contrat de franchise, il faut en outre qu'il comporte la transmission d'un savoir-faire original ou substantiel.

En l'espèce, il est exact que le contrat signé est un contrat de prestation de services intitulé "convention de partenariat", et consiste à titre principal et nécessaire en la transmission d'une formation, présentée comme l'élément essentiel de la convention, et qui constitue le savoir-faire dont la communication est rémunérée.

La communication d'un fichier peut accompagner cette prestation, mais elle est présentée comme facultative, et a pour contrepartie une rémunération distincte, sous forme d'un forfait annuel au titre de sa mise à jour.

Le contrat est muet sur l'utilisation de la dénomination "Eliance", mais il ressort des explications de toutes les parties que celle-ci était bien utilisée vis-à-vis de la clientèle, comme enseigne et même en tant que nom commercial, par tous les "adhérents" au "réseau", à l'exception - notoire - de Mme Brohan elle-même, la SARL Eliance exploitant à Toulouse son agence sous l'enseigne "Mays". La volonté des parties, telle qu'elle ressort tant de leurs écritures devant la cour que de leurs échanges de correspondance, était bien d'utiliser cette dénomination commune, et d'en faire le signe distinctif du " réseau " auquel chacun se réfère constamment.

La condition d'exclusivité apparaît sous forme uniquement territoriale: chaque adhérent se voit réserver un territoire géographique, tout exercice de l'activité dans une autre zone étant subordonnée à l'absence d'un adhérent actif sur celle-ci.Le défaut d'exploitation de la zone ainsi attribuée pendant une durée supérieure à trois mois est sanctionné par la résiliation du contrat à l'initiative de la SARL Eliance. Compte tenu de la nature particulière de l'activité, qui relève du secteur de la prestation de services, il apparaît qu'une exclusivité de cette nature était la plus pertinente.

Curieusement, et alors que l'obligation principale de formation rémunérée sous forme d'un forfait payable immédiatement à la signature est présentée comme un "stage", par nature limité à quelques jours, le contrat est stipulé sans indication de durée, mais il est prévu une faculté de résiliation annuelle à sa date anniversaire. Cette observation, rapprochée de celle faite au paragraphe précédent, montre qu'en réalité la volonté de la SARL Eliance est bien d'assurer une présence durable des cabinets adhérents sur le territoire pour lequel ils bénéficient d'une exclusivité, lesdits adhérents revendiquant pour leur part les contreparties résultant de l'existence d'un réseau, telles qu'un soutien technique et commercial du franchiseur et une synergie entre franchisés.

Enfin, la SARL Eliance fait elle-même dans son contrat référence à "l'article 4 de la loi 89-1008 du 31 décembre 1989" pour affirmer que le contrat a été remis en projet au futur adhérent 20 jours avant sa signature. Même si la référence apparaît erronée, eu égard à la teneur de l'article cité, il s'agit d'une nouvelle manifestation de la volonté de son rédacteur, la SARL Eliance, de considérer le contrat comme relevant de l'article 1er de cette loi.

Dès lors, la cour dira que les contrats litigieux remplissent les conditions justifiant qu'il leur soit fait application de l'article L. 330-3 du Code de commerce, et qu'il s'agit bien en outre de contrats de franchise.

Or, l'appelante ne prétend pas avoir communiqué une seule des informations obligatoires prévues par l'article L. 330-3 du Code de commerce et les textes pris pour son application, et elle ne fait aucune réponse aux intimés lorsqu'ils invoquent l'échec rapide de cabinets ouverts avant les leurs dans le même cadre contractuel, échec dont ils n'ont été informés que du fait de leurs propres recherches.Le compte de résultat provisionnel remis tardivement après la signature du contrat apparaît purement arbitraire, la prévision de chiffre d'affaires n'étant étayée par aucun élément tenant au marché, qu'il s'agisse de la clientèle ou de la concurrence.

Mme Brohan ne peut davantage établir la réalité de son expérience personnelle sur la durée de 20 ans mentionnée dans l'annonce destinée à attirer de nouveaux adhérents, alors qu'elle n'exploitait son propre cabinet toulousain que depuis 1988, et avait constitué la SARL Eliance en 1997. Il ressort en outre des éléments produits que le "savoir-faire" transmis dans le cadre de la formation, qui se résume à un guide d'entretien commercial et à un recueil des textes pris pour la protection des consommateurs, a été simplement, et de son propre aveu, acquis par Mme Brohan elle-même en 1988, soit au début de sa propre activité dans le domaine des relations humaines, 10 ans avant les premiers contrats litigieux.

La cour dira donc que Mme Brohan, ès qualité de gérante de la SARL Eliance, a violé l'article L. 330-3 du Code de commerce en ne communiquant aucune des informations préalables obligatoires selon ce texte, et ainsi surpris le consentement des cocontractants par des manœuvres dolosives tendant à s'attribuer une expérience qu'elle n'avait pas, un savoir-faire en réalité reçu d'un tiers, sans originalité ni consistance réelle, voire même dépassé, et à cacher les échecs des adhérents précédemment attirés par elle, tous éléments dont la connaissance aurait été de nature à changer leur appréciation de l'intérêt du contrat proposé.

L'annulation des contrats litigieux se trouve ainsi justifiée, avec pour conséquence la condamnation de Mme Brohan ès qualités au remboursement des sommes perçues aux termes des contrats annulés.

A cet égard, l'appelante ne discute pas les demandes des intimées, et elle devra être condamnée au remboursement des sommes perçues dans le cadre du contrat, soit 9 162,68 euro à Mme Allard, 4 596,34 euro à M. Delors d'une part, M. Parra ès qualité de liquidateur amiable de la SARL Mas d'autre part, et 9 389,94 euro à M. Cozon ès qualité de gérant de la SARL PMJ.

Il ne pourra en revanche être fait droit aux demandes annexes de dommages-intérêts, aucun préjudice n'étant démontré : Mme Allard ne produit aucun document comptable, et la dissolution de l'EURL qu'elle avait constituée s'est traduite par une transmission à l'associée unique d'un patrimoine dont la teneur est inconnue. Les frais de publicité et formation ont été supportés par sa société et non par elle-même, et ils ont eu pour contrepartie des prestations dont son activité a bénéficié. Elle ne justifie pas avoir fait l'objet de poursuites de la part de la banque, et son engagement de caution a disparu par confusion du fait de la dissolution de l'EURL.

Quant aux autres concluants, ils sollicitent une indemnisation forfaitaire sans autre justificatif, de sorte que leur demande ne pourra être accueillie. Il sera fait droit en revanche à leur demande d'indemnisation de leurs frais irrépétibles, au titre de laquelle Mme Brohan ès qualité sera condamnée à payer une somme globale de 2 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, En la forme, Reçoit Mme Brohan, ès qualité de liquidateur amiable de la SARL Eliance, en son appel, Au fond, L'en déboutant, Réforme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a statué sur l'article 700 et les dépens, Dit que les contrats conclus entre la SARL Eliance et les intimés sont des contrats de franchise, Constatant que l'information prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce n'a pas été délivrée par la SARL Eliance, Dit que le consentement des franchisés a été surpris, Annule en conséquence les contrats conclus entre la SARL Eliance d'une part et d'autre part la SARL Mas Conseil aux droits de laquelle se trouve Mme Monique Allard, M. Philippe Delors, M. Michel Parra, la SARL PMJ représentée par son gérant M. Patrick Cozon, Condamne Mme Chantal Brohan ès qualité de liquidateur amiable de la SARL Eliance à restituer aux intimés précités les sommes reçues d'eux, Soit: 9 192,68 euro (neuf mille cent quatre-vingt douze euro et soixante huit centimes) TTC à Mme Allard, 4 596,34 euro (quatre mille cinq cent quatre-vingt seize euro et trente quatre centimes) TTC à M. Delors d'une part, et à M. Parra d'autre part, 9 389,94 euro (neuf mille trois cent quatre-vingt neuf euro et quatre-vingt quatorze centimes) TTC à M. Patrick Cozon ès qualité de gérant de la SARL PMJ, Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 27 décembre 2001, Rejette les demandes de dommages-intérêts présentées par les intimés, Condamne Mme Brohan ès qualité de liquidateur amiable de la SARL Eliance à payer à Mme Monique Allard, Messieurs Philippe Delors et Michel Parra, ainsi qu'à M. Patrick Cozon ès qualité de gérant de la SARL PMJ, une somme globale de 2 000 euro en indemnisation de leurs frais irrépétibles d'appel, La condamne en la même qualité aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Château Passera en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.