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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 23 novembre 2004, n° 03-03224

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SPRL Textiles Vinois (Sté)

Défendeur :

Manufacture Clarenson et Fils (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

MM. Grimaud, Baby

Avoués :

SCP Nidecker Prieu, Me de Lamy

Avocats :

Me Lagrange, SCP Maignial, Salvaire, Veaute, Jeusset, Laur, Labadie, Boonstoppel.

T. com. Castres, du 14 avr. 2003

14 avril 2003

Statuant sur l'appel, dont la régularité n'est pas contestée, interjeté par la société SPRL Textiles Vinois d'un jugement en date du 14 avril 2003 par lequel le Tribunal de commerce de Castres l'a déboutée de toutes ses demandes à l'encontre de la SA Manufactures Clarenson et l'a condamnée à lui payer à la somme de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que les faits de la cause ont été exactement relatés par le premier juge en des énonciations auxquelles la cour se réfère expressément et qu'il suffit de rappeler :

- que depuis 1977 Monsieur Guy Vinois puis la SPRL Textiles Vinois dont il est le gérant sont intervenus en qualité d'agent commercial pour la vente en Belgique de collections de vêtements réalisés par la SA Manufactures Clarenson;

- que celle-ci a mis un terme le 11 avril 1996 aux relations contractuelles en reprochant à son agent une baisse du chiffre d'affaires et la représentation d'entreprises concurrentes;

- que la SPRL Textiles Vinois a pris acte de la rupture le 6 mai 1986 et qu'elle a demandé paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et d'une indemnité d'éviction; qu'un refus lui ayant été opposé elle a saisi le Tribunal de commerce de Castres;

- que celui-ci, considérant qu'elle s'est bien rendue coupable des fautes qui lui sont reprochées par son mandant et qu'il s'agit là de fautes suffisamment graves pour la priver de toute indemnité, l'a déboutée de toutes ses demandes

Attendu qu'elle fait grief au premier juge de s'être ainsi prononcé alors pourtant qu'en réponse à une lettre qu'elle lui avait adressée le 9 avril 1996 la SA Manufactures Clarenson avait admis que c'était l'état du marché, et non pas du tout une faute de son mandataire, qu'il imposait la rupture des relations contractuelles;

- que ce n'était qu'ultérieurement, par courrier du 22 avril 1996, qu'elle avait invoqué les manquements retenus par le tribunal,

- que ces manquements n'étaient pas caractérisés ; que le marché du textile avait connu d'importantes difficultés entre 1992 et 1994 avec une reprise amorcée en 1995 et 1996 et qu'il était désormais plus intéressant pour le mandant de traiter directement avec la clientèle de façon à faire l'économie des commissions versées à son agent;

- que la SA Manufactures Clarenson était elle-même à l'origine de la baisse du chiffre d'affaires dans la mesure où elle fabriquait des textiles de haut de gamme dont elle avait elle-même reconnu dans son courrier du 22 avril 1996 qu'ils étaient trop chers pour la clientèle belge;

- que la rupture était d'autant moins justifiée que les efforts faits par l'intimée pour rendre ses produits plus attractifs s'étaient immédiatement traduits en 1995 et 1996 par une reprise de l'activité et par un chiffre d'affaires en augmentation;

- que de son côté elle n'avait cessé de préserver les intérêts de son mandant, non seulement en visitant la clientèle ancienne mais encore en démarchant de nouveaux clients soit au siège de leurs entreprises soit au salon de Bruxelles;

- que le moyen tiré de l'existence de cartes concurrentes n'était pas fondé ; que le mandant connaissait parfaitement l'existence de ces cartes et qu'il l'avait acceptée, sachant que les produits représentés dans ce cadre étaient de qualité inférieure et que donc ils n'étaient pas concurrents des siens;

Attendu qu'elle demande en conséquence à la cour de réformer la décision déférée et de condamner la partie adverse à lui payer les sommes de 2 510,07 euro au titre du préavis, 6 459,81 au titre de l'indemnité d'éviction, 13 568,11 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires et de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que la SA Manufactures Clarenson intimée conclut au contraire à la confirmation pure et simple du jugement dont appel et à la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 susvisé du nouveau Code de procédure civile;

Qu'elle fait valoir pour l'essentiel :

- que la télécopie du 11 avril 1996 n'a pas la signification que lui prête la société appelante ; que lorsqu'elle a écrit qu'elle préférait cesser la coopération tout en précisant que cela ne résultait pas "d'un fait de personne" l'intimée voulait seulement souligner que la rupture n'était pas due au fait que le fils de Monsieur Vinois avait pris sa suite sans qu'elle en soit informée;

- que les motifs de résiliation énoncés dans la lettre du 22 avril 1996 étaient parfaitement caractérisés ; que la chute vertigineuse du chiffre d'affaires réalisé en Belgique, alors que dans le même temps le chiffre d'affaires global du mandant était globalement en progression, n'est pas la manifestation d'une tendance d'ensemble ou d'un quelconque marasme économique mais le fruit de l'incurie du mandataire;

- que la reprise amorcée en Belgique en 1995 et 1996 n'est pas due à l'activité de la société appelante mais au démarchage d'un nouveau client, la société San Martino, directement visité par l'intimée;

- que la chute antérieure du chiffre d'affaires démontre des manquements importants de l'agent commercial qui a cessé de visiter des anciens clients et de rechercher une nouvelle clientèle tout en acceptant des représentations concurrentes;

- que si la collection Clarenson a pu être considérée comme trop chère par la clientèle belge c'est uniquement parce que la SPRL Textiles Vinois présentait sur le même stand des produits très basse qualité à des prix très intérieurs ce qui rendait très difficile l'écoulement des produits de l'intimée;

- que Monsieur Vinois détenait une douzaine de cartes lorsqu'il avait commencé à travailler pour la SA Manufactures Clarenson ; qu'il en avait au moins 35 au moment de la rupture, ce qui démontre bien qu'il privilégiait d'autres entreprises ; qu'il a par exemple permis à la société Textiles du Roulandou à l'origine façonnier de la société Manufactures Clarenson de devenir son concurrent sur le marché belge ; que la différence de qualité des produits n'exclut pas la concurrence et que bien au contraire elle la favorise en compromettant la commercialisation des produits les plus chers;

- qu'en tout état de cause le préjudice allégué n'est pas caractérisé; que la société appelante ne produit pas les justificatifs de ses chiffres d'affaires, qui seuls pourraient permettre de vérifier si elle a subi des pertes à la suite de la rupture;

Sur quoi

Attendu qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi mais que cette réparation n'est pas due si la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave;

Attendu que c'est au mandant qu'il appartient de faire la preuve d'une telle faute et non pas au mandataire de démontrer qu'il a exécuté la convention loyalement, dans l'intérêt commun des deux parties; que dans le cas particulier il revient donc à la SA Manufactures Clarenson de prouver que la SPRL Textiles Vinois s'est rendue coupables de fautes graves, c'est à dire portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun liant les deux parties et rendant impossible le maintien du lien contractuel;

Qu'elle reproche à cet égard à la partie adverse une baisse considérable de son chiffre d'affaires et d'autre part la représentation de produits concurrents;

Attendu qu'il est de fait sur le premier point que le montant du chiffre d'affaires réalisé sur le territoire belge, qui était de 1 572 909 F en 1992 est tombé à 576 464 F en 1993 puis à 295 175 F en 1994 avant de remonter à 692 830 F en 1995 et 746 000 F en 1996;

Qu'il est certes incontestable que le marché du textile a connu de très sérieuses difficultés en 1992 mais que l'examen du chiffre d'affaires global de la SA Manufactures Clarenson entre 1992 et 1996 révèle une baisse sensible en 1993 (25 617 000 F HT au lieu de 43 660 000 F HT en 1992) suivie d'une reprise très nette en 1994 (56 157 000 F HT) et en 1995 (62 265 F HT) ; qu'en 1996 le résultat obtenu (46 661 000 F HT) était encore supérieur à celui de 1992;

Que la baisse enregistrée en 1993 a donc été suivie d'une façon générale d'une reprise au cours des années suivantes alors qu'en Belgique le chiffre d'affaires s'est totalement effondré en 1993 et 1994 et n'a pas retrouvé ultérieurement, malgré la reprise, le niveau qui était le sien en 1992;

Que la différence est de l'ordre de 50 % et qu'elle démontre des manquements importants de l'agent commercial à un moment où, partout ailleurs, les résultats étaient bien meilleurs;

Que ces manquements sont d'autant plus caractérisés que la reprise constatée en Belgique en 1995 et 1996 s'explique surtout par les commandes réalisées en 1996 par un nouveau client, la société San Martino qui n'a pas été démarchée par la société appelante mais par l'intimée elle-même à l'occasion d'un salon à Paris;

Que la SPRL Textiles Vinois ne pourrait utilement combattre le grief qui lui est fait d'avoir laissé se dégrader le chiffre d'affaires dans des proportions anormales que si elle justifiait de ses diligences tant auprès des anciens clients de son mandant qu'auprès de nouveaux clients; que force est de constater qu'elle n'en fait rien et qu'il est au contraire établi que toute une série de commandes ont été directement passées par d'anciens clients entre les mains de la SA Manufactures Clarenson, ce qui est de nature à démontrer que la SPRL Textiles Vinois ne s'était pas manifestée auprès d'eux, et que la société San Martino a été directement contactée par l'intimée;

Que la société appelante affirme avoir contacté chaque année de nouveaux prospects soit sur rendez-vous soit au salon de Bruxelles et prétend que "toute la clientèle potentielle belge était alors à même de consulter et d'apprécier la qualité de la collection de la SA Manufacture Clarenson mais qu'il s'agit là d'allégations pures et simples ne reposant pas sur le moindre commencement de preuve;

Qu'il est donc certain que la SPRL Textiles Vinois a commis une première faute grave, de nature à la priver de toute indemnité, en ne consentant pas le moindre effort pour qu'après les difficultés rencontrées dans ce secteur d'activité en 1993 les affaires reprennent dans des conditions acceptables, au même rythme et dans les mêmes proportions que partout ailleurs;

Attendu qu'elle a commis une deuxième faute, dont la gravité n'est pas moindre, en acceptant des cartes concurrentes;

Que Monsieur Vinois lorsqu'il a commencé à travailler avec la SA Manufactures Clarenson détenait déjà une douzaine de cartes mais qu'il n'est pas contesté qu'au moment de la rupture la société qu'il a constituée en détenait trois fois plus;

Que cette situation était nécessairement préjudiciable à la bonne exécution du mandat que lui avait confié l'intimée et qu'il a manqué à son obligation de loyauté en n'avertissant pas son mandant de cette situation nouvelle;

Que son manquement à cet égard est d'autant plus grave qu'il représentait des produits concurrents et que, même s'il s'agissait le plus souvent d'articles de moindre qualité, vendus à moins chers, cette concurrence contribuait à éloigner la clientèle des produits de la gamme Clarenson;

Que l'un de ces concurrents était la société Tissage du Roulandou ; que celle-ci a tissé un article à façon à la demande de l'intimée et que cet article a été proposé par la SPRL Textiles Vinois à des clients pour le compte de la société Tissage du Roulandou; que cet exemple caractérise parfaitement la situation de concurrence dénoncée par le mandant mais qu'il en existe de nombreux autres et que la détention par l'agent commercial de cartes concurrentes est bien constitutive d'une seconde faute au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce;

Attendu pour le surplus que la SPRL Textiles Vinois est mal fondée à soutenir que par télécopie du 11 avril 1996 la partie adverse a reconnu que la rupture des relations contractuelles était en l'état du marché inéluctable mais ne résultait pas d'une faute de sa co-contractante;

Que cette télécopie, dont la SA Manufactures Clarenson prétend, sans être démentie, qu'elle avait d'abord pour objet de préciser que la rupture n'était pas due au fait que le fils de Monsieur Vinois avait pris sa suite, faisait certes état des difficultés du marché et de leur impact, que nul ne conteste sur les relations contractuelles, mais ne pouvait pas avoir pour effet d'interdire au mandat d'invoquer l'incurie de son mandataire et surtout le fait pour lui de représenter une multitude de produits concurrents;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions;

Attendu que la SPRL Textiles Vinois qui succombe en toutes ses prétentions doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SA Manufactures Clarenson la somme supplémentaire de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, En la forme, reçoit l'appel jugé régulier, Et au fond, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Condamne la SPRL Textiles Vinois aux dépens d'appel et autorise Maître de Lamy, avoué, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante; La condamne en outre à lui payer la somme de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toute autre demande contraire ou plus ample des parties.