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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 9 février 2005, n° 03-06438

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Federal Mogul Friction (SAS)

Défendeur :

Deschamps

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Picque, Roche

Avoués :

SCP Naboudet-Hatet, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Van Beneben, Missika.

T. com. Evry, du 15 janv. 2003

15 janvier 2003

Le 25 juillet 1991 M. Deschamps signait avec la société Federal Mogul Friction, laquelle commercialise divers accessoires et composants de moteurs pour véhicules automobiles, un contrat d'agent commercial.

Celui-ci était conclu pour une durée indéterminée, chaque partie pouvant y mettre fin à tout moment sous réserve de respecter un préavis minimal de trois mois. Par ailleurs et conformément aux articles 3 et 6 dudit contrat M. Deschamps se voyait confier un mandat de représentation exclusive pour un certain nombre de produits de marque "Ferodo" limitativement énumérés et sur les territoires suivants : la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française ainsi que la Réunion.

Cependant, le 19 décembre 1997, la société Federal Mogul Friction adressait un courrier recommandé à M. Deschamps par lequel elle lui notifiait son intention de réorganiser en partie la distribution de ses produits et, arguant d'une " nette régression " du chiffre d'affaires réalisé dans l'île de la Réunion, l'informait de sa décision de lui retirer son mandat pour ce département.

Le 11 mars 1999 la société Federal Mogul Friction notifiait à M. Deschamps une nouvelle réorganisation de son groupe ainsi que le retrait de son mandat pour les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.

Estimant que son contrat d'agent commercial avait été ainsi rompu du fait de la société Federal Mogul Friction M. Deschamps a, par acte du 7 juillet 1999, assigné cette dernière devant le Tribunal de commerce d'Evry en paiement d'une indemnité de rupture et d'une indemnité compensatrice du non-respect du préavis contractuel ainsi qu'en versement de commissions non perçues du fait de la violation de l'engagement d'exclusivité qui lui avait été concédé.

C'est dans ces conditions qu'après avoir, par jugement avant dire droit en date du 13 septembre 2000, décidé de nommer M. Robineau en qualité d'expert avec pour mission, notamment, d'évaluer les dommages invoqués ainsi que les commissions éventuelles dues à M. Deschamps, le tribunal saisi a, par la décision présentement déférée rendue le 15 janvier 2003:

- constaté la rupture du contrat d'agent commercial liant M. Deschamps à la société Federal Mogul Friction aux torts entiers et exclusifs de cette dernière,

- condamné la société Federal Mogul Friction à payer à M. Deschamps les sommes de:

- 66 613,97 euro à titre d'indemnité de rupture,

- 8 326,77 euro pour non-respect du préavis de résiliation du contrat,

- 16 562,06 euro au titre des commissions non perçues entre 1995 et 1997,

- assorti lesdites sommes des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1999,

- condamné la défenderesse aux dépens d'appel ainsi qu'au versement de la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens.

Régulièrement appelante la société Federal Mogul Friction a, par conclusions enregistrées le 4 octobre 2004, prié la cour de :

- réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau :

- dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses obligations pouvant équivaloir à une rupture de contrat, en conséquence :

- débouter M. Deschamps de toutes ses demandes, fins et conclusions comme mal fondées,

- constater que l'intégralité des commissions pouvant lui être dues lui a été réglée, à défaut :

- confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le montant de l'indemnité de rupture, soit 66 711 euro et l'indemnité de préavis, soit 8 338,91 euro,

- dire et juger que M. Deschamps n'a droit à aucune commission sur le chiffre réalisé par la société Fip Auto,

- condamner celui-ci aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions enregistrées le 23 octobre 2003 M. Deschamps a sollicité de la cour de:

- confirmer le jugement entrepris, y ajoutant condamner la société Federal Mogul Friction à lui payer une somme de 5 000 euro à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,

- condamner l'intéressée aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial de M. Deschamps

Considérant qu'ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, la société Federal Mogul Friction a, à deux reprises, en 1997 puis en 1999, supprimé de façon unilatérale et sans respecter un quelconque préavis des secteurs entiers du territoire géographique dont M. Deschamps avait jusqu'alors la représentation; que si le mandant est toujours libre d'apprécier l'opportunité d'une nouvelle organisation de son réseau commercial en fonction des nécessités économiques et si cette prérogative n'est que l'exercice du principe général du droit de la liberté du commerce et de l'industrie, la réduction d'office du secteur de représentation d'un agent commercial est constitutive d'une rupture unilatérale, imputable audit mandant, du contrat en cause dès lors qu'elle modifie un élément essentiel de l'équilibre conventionnel d'ensemble et qu'aucune carence ne peut être reprochée au mandataire dans l'exercice de ses propres obligations ;qu'en l'espèce, il sera, tout d'abord, observé que la suppression de l'île de la Réunion, puis des Antilles, du secteur géographique concédé à M. Deschamps représente une diminution de quasi-moitié du chiffre d'affaires généré par celui-ci et, par là même, des commissions perçues ; que, par ailleurs, si la société Federal Mogul Friction excipe, à l'appui de ses décisions de la réduction sensible du chiffre d'affaires généré par M. Deschamps, notamment dans le secteur de l'île de la Réunion, il sera souligné que le rapport d'expertise sus-mentionné effectué par M. Robineau et déposé le 3 avril 2002, relevait au contraire, une amélioration globale de ce chiffre pendant la période d'activité de l'intimé ; que l'expert indique également que la baisse ponctuelle effectivement constatée pour l'île de la Réunion est directement liée à la commercialisation par l'appelante, au travers d'un autre agent commercial, sur ce territoire limité de produits de marque, certes, différente mais techniquement similaires et destinés au même marché; que, par suite, en l'absence de toute preuve d'un manquement de M. Deschamps dans l'exercice de son mandat, les modifications imposées à ce dernier, doivent être regardées, eu égard à leur caractère substantiel, comme constitutives d'une rupture du seul fait de l'appelante et de nature à ouvrir droit à réparation au profit de l'intimé;

Sur l'indemnisation due à M. Deschamps ;

Considérant que si l'agent commercial ne peut revendiquer aucun droit ni sur la clientèle apportée à son mandant ni sur les produits dont la distribution lui a été confiée, il doit, toutefois, être indemnisé, en application des dispositions impératives de l'article L. 134-12 du Code de commerce, de la totalité du préjudice lié à la rupture du contrat, ce préjudice, dont il appartient à celui qui s'en prévaut de rapporter la preuve, pouvant résulter de la perte des commissions perçues jusqu'alors par l'agent et, par suite, de la privation du bénéfice attendu de la poursuite de son activité;qu'en l'occurrence, compte tenu de l'ancienneté des relations poursuivies entre les parties et de l'importance de la contribution apportée par M. Deschamps, et soulignée par l'expert judiciaire, au développement du marché des produits dont il avait l'exclusivité de la distribution, l'indemnité due par l'appelante au titre de la cessation du contrat sera évaluée à deux années de commissions;qu'au regard du chiffre d'affaires réalisé par l'intéressé au cours des deux dernières années de sa collaboration avec l'appelante tel qu'évalué par l'expert et du montant des commissions ducs à ce titre et contractuellement fixé à 7 % des factures émises, la somme revenant de ce chef à M. Deschamps sera arrêtée à 66 613,97 euro;

Considérant également que l'article 6 du contrat dont s'agit prévoyait un préavis de rupture de 3 mois ; que la résiliation litigieuse étant intervenue en méconnaissance directe de cette stipulation, l'intimé est, dès lors, en droit de bénéficier d'une indemnité compensatrice de préavis fixée à 3/24e de l'indemnité de rupture sus-arrêtée, soit à la somme de 8 326,77 euro;

Considérant, par ailleurs, que si M. Deschamps soutient que la société Federal Mogul Friction aurait violé l'engagement d'exclusivité qui lui avait été concédé en autorisant la commercialisation sur le territoire de l'île de la Réunion par la société Fip Auto des mêmes produits que les siens et s'il réclame, en conséquence, le versement des commissions correspondantes, il convient de relever que l'intimé n'avait l'exclusivité de la distribution que de produits limitativement énumérés et portant la marque "Ferodo";que les produits litigieux distribués par la société Fip Auto portant la marque "Abex", il était, par suite, loisible à l'appelante d'en confier la promotion à d'autres agents que l'intimé sans que puisse lui être reproché un quelconque manquement aux stipulations du contrat conclu avec ce dernier;qu'aucune commission ne saurait, donc, être allouée à l'intéressé à ce titre;

Considérant, enfin, que si M. Deschamps sollicite l'octroi de dommages intérêts pour "appel abusif", il sera observé que la nature des moyens avancés par l'appelante à l'appui de ses prétentions exclut toute semblable qualification donnée à son action; qu'au surplus, et en tout état de cause, l'intimé ne justifie en rien de la nature ainsi que de l'effectivité du préjudice dont il réclame réparation de ce chef; que sa demande indemnitaire susvisée ne peut, donc, qu'être rejetée;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Federal Mogul Friction à payer à M. Deschamps la somme de 16 562,06 euro au titre de commissions non perçues et, statuant à nouveau de ce chef, de débouter l'intimé de sa réclamation de ce chef; le surplus des conclusions respectives des parties étant, par ailleurs, rejeté;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de ne pas faire droit aux demandes formées par les parties au titre des frais hors dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Federal Mogul Friction à payer à M. Deschamps la somme de 16 562,06 euro au titre de commissions non perçues, Et statuant à nouveau de ce chef, Déboute M. Deschamps de sa demande présentée à ce titre, Y ajoutant, Rejette le surplus des conclusions respectives des parties, Condamne M. Deschamps aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Bommart-Forster, avoué, Rejette les demandes formées par les parties au titre des frais hors dépens.