CA Aix-en-Provence, 11e ch. civ., 11 avril 1997, n° 95-2137
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Vilmorin (SA)
Défendeur :
Escoffier, Lagier, Provence Graines (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lambrey
Conseillers :
Mmes Veyre, Lonne
Avoués :
SCP Blanc, SCP Liberas Buvat & Michotey, SCP Tollinchi
Avocats :
Mes Fortunet, Raffaelli-Michelot Beaubernard, Lambert.
Il est constant que :
- au début de l'année 1990 Messieurs Lagier et Escoffier ont acquis de la société Provence Graines, revendeur, des graines de betteraves rouges potagères de Détroit race Preco produites par la SA Vilmorin, avec lesquelles ils ont ensemencé des parcelles de terrain sises respectivement à Meyreuil pour Monsieur Lagier et à Peyrolles pour Monsieur Escoffier,
- les betteraves issues de ces graines ont présenté des défauts (déformées, allongées, non colorées, manque de sucre) et se sont révélées impropres à la consommation normale à laquelle elles étaient destinées,
- à la requête de Messieurs Lagier et Escoffier une ordonnance de référé en date du 25 septembre 1990 a désigné Jean-Jacques Boi en qualité d'expert, remplacé ensuite par Monsieur Grisolle avec mission de :
* se rendre sur les propriétés de Monsieur Escoffier et de Monsieur Lagier,
* procéder à toutes constatations utiles en ce qui concerne les plantations de betteraves effectuées,
* réunir tous éléments d'information qui permettront au tribunal de juger si les semences fournies étaient ou non de qualité marchande, déterminer tous les chefs de préjudice subi par Messieurs Escoffier et Lagier,
- l'expert Grisolle a établi son rapport le 10 octobre 1993.
Messieurs Escoffier et Lagier ayant assigné la société Provence Graines et la SA Vilmorin en homologation de ce rapport d'expertise, le Tribunal d'instance d'Aix-en-Provence par jugement rendu le 25 Novembre 1994 a :
- homologué le rapport d'expertise de Monsieur Grisolle,
- considéré que la société Provence Graines, vendeur des semences, était responsable des vices cachés les affectant,
- condamné la SARL Provence Graines à payer à :
* Monsieur Lagier la somme de 77 628 F outre intérêts au tau légal à compter du 1er octobre 1990 et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
* Monsieur Escoffier la somme de 27 841 F outre intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1990 et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouté Messieurs Lagier et Escoffier de leur demande directe à l'encontre de la SA Vilmorin au motif qu'il n'existait aucun lien contractuel entre eux,
- condamné la SA Vilmorin à garantir la SARL Provence Graines des condamnations précitées,
- ordonné l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné la SARL Provence Graines aux dépens.
Par déclaration du 2 janvier 1995, la SA Vilmorin a relevé appel de ce jugement.
La SA Vilmorin conclut à l'appui de son recours :
- que l'expert a incomplètement rempli sa mission notamment sur le point de savoir si les semences étaient de bonne qualité marchande,
- qu'il n'est pas établi que les semences étaient de mauvaise qualité,
- que la variété dont il s'agit est commercialisée depuis longtemps même dans le Sud-Est si bien que l'on ne peut pas dire qu'elle n'est pas adaptée à la région,
- que les semences litigieuses font partie de lots également distribués à d'autres revendeurs que Provence Graines et aucune autre réclamation n'est intervenue,
- l'expert judiciaire et le Premier Juge ont trop hâtivement écarté l'hypothèse d'un problème de pratique culturale.
La SA Vilmorin demande en conséquence à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA Vilmorin à garantir la SARL Provence Graines des condamnations prononcées à son encontre,
- ordonner la restitution par Messieurs Lagier et Escoffier des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris outre intérêts au taux légal à compter du 11 mai 1995, date du chèque de règlement ou à défaut à compter du 20 décembre 1995 date de signification des conclusions contenant demande de restitution,
- condamner in solidum Messieurs Lagier et Escoffier au paiement de la somme de 12 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 18 090 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- les condamner aux dépens de première instance y compris les frais d'expertise et d'appel.
Messieurs Escoffier et Lagier reprennent l'argumentation du tribunal en ce qu'il a retenu l'existence de vices cachés affectant les semences acquises et les rendant impropres à leur destination mais forment appel incident en ce que le tribunal a rejeté leurs demandes à l'encontre de la SA Vilmorin.
Ils demandent à la cour de condamner solidairement la SARL Provence Graines et la SA Vilmorin à payer en deniers ou quittances :
* Monsieur Lagier la somme de 77 628 F outre intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1990 et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
* Monsieur Escoffier la somme de 27 841 F outre intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1990 et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Provence Graines demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- mettre hors de cause la SARL Provence Graines,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Vilmorin à relever et garantir la société Provence Graines de toutes condamnations prononcées à son encontre,
- condamner tout succombant aux dépens de première instance et d'appel.
Motifs de la décision :
Attendu que l'appel régulier en la forme est recevable ;
Attendu que Messieurs Lagier et Escoffier reprenant les motifs du Premier Juge invoquent les vices cachés affectant les graines de betteraves vendues ;
Mais attendu que la première condition de la garantie des vices cachés est que la chose vendue soit affectée d'un vice inhérent à la chose ;
Qu'il appartient à celui qui agit sur le fondement de l'article 1641 du Code civil d'apporter la preuve que la chose achetée a un défaut ;
Attendu que l'expert judiciaire a conclu :
- qu'il est patent que les troubles constatés sur les betteraves sont issus d'un problème de tubérisation,
- que la mauvaise tubérisation de la plante pouvait avoir deux origine :
soit un problème cultural lié à une intensité de semis trop importante ou à un mauvais itinéraire technique mené par l'agriculteur,
soit une difficulté au niveau de l'induction liée aux facteurs climatiques,
-que les pratiques culturales des agriculteurs ne peuvent pas être à l'origine des anomalies,
-que l'origine des troubles constatés résidait en une mauvaise induction de tubérisation "vraisemblablement" (sic) liée aux facteurs climatiques régionaux ;
Attendu que l'expert judiciaire n'a effectué ni fait effectuer aucune investigation précise, notamment analyse des semences, pour répondre au point essentiel à la solution du litige à savoir déterminer la qualité marchande des semences, si les graines de betteraves étaient en elles-mêmes affectées de vices de nature à les rendre impropres à leur destination ou si ce sont des circonstances extérieures aux semences qui ont provoqué la mauvaise récolte obtenue ;
Attendu que ni les conclusions expertales ni aucun autre élément soumis à son appréciation ne permettent pas à la cour de juger que les graines de betteraves acquises par Messieurs Lagier et Escoffier sont l'unique origine de la mauvaise qualité de la récolte ;
Attendu qu'aux termes d'une lettre adressée le 14 août 1990 à Monsieur Richaud, expert agricole assistant Messieurs Lagier et Escoffier, Monsieur Kretzschmar, directeur régional de la SA Vilmorin, a écrit suite à une visite à Monsieur Lagier du 11 juillet 1990 :
" Sa culture de betteraves rouges variété Preco présente indiscutablement des symptômes qui entraîneront une dépréciation importante de la récolte.
Nous avons aussitôt entamé une triple démarche afin de déterminer la responsabilité éventuelle de la fourniture des semences :
1) enquêter chez les agriculteurs destinataires de même lot et observer les résultats de leurs cultures,
2) semer un essai comparant le reste des semences de Monsieur Lagier avec le témoin de variété (lot de base),
3) demander à Monsieur Lagier de semer lui-même un reste de semences dans une autre parcelle afin d'observer les résultats. " ;
Attendu que dans le rappel des faits établi par la SA Vilmorin dans son dossier remis à l'expert Grisolle, la SA Vilmorin confirme que :
" Monsieur Kretzschmar le 11 juillet 1990 est allé sur place voir les cultures de Monsieur Lagier. Il a en effet constaté l'existence d'anomalies. Monsieur Lagier disposait d'un reste de semences au fond d'un sac.
Notre Directeur Régional lui a proposé de mettre en place différents essais.
La moitié du reste des semences est envoyée à la Menitre pour les mettre en contrôle variétal à côté de témoins.
L'autre moitié devait être semée par Monsieur Lagier.
Par ailleurs il avait été convenu entre Monsieur Lagier et notre Directeur Régional d'un rendez- vous fin septembre, une fois les résultats de ces essais connus. " ;
Attendu que la SA Vilmorin produit aux débats un constat du 23 novembre 1990 établissant que la moitié de la semence mise en culture au siège de la SA Vilmorin à la Menitre dans le Maine-et- Loire a donné des résultats normaux puisque l'ensemble des betteraves arrachées présentaient une homogénéité parfaite ;
Attendu que dans une lettre annexée au rapport d'expertise judiciaire (annex 7-3), Monsieur Richaud écrivait le 28 janvier 1991 à Monsieur Boi, expert judiciaire initialement désigné :
"Contradictoirement, la société Vilmorin et Monsieur Lagier ont décidé d'effectuer immédiatement après les constatations (courant juin 1990) un nouveau semis de graines litigieuses, essai qui a été effectué dans une parcelle différente de la parcelle effectué dans une parcelle différente de la parcelle cultivée et litigieuse.
Nous avons constaté ensemble le jour de votre accédit que le résultat obtenu sur ces betteraves était identique c'est-à-dire autant négatif dans la forme et le goût que sur la culture mise en place rationnellement courant mars par Monsieur Lagier..." ;
Attendu que l'expert initial Monsieur Boi n'a effectué qu'un seul accédit en date du 9 novembre 1990 auquel Monsieur Grisolle a assisté en qualité de sapiteur ;
Attendu que l'expert judiciaire Monsieur Grisolle indique dans son rapport qu'au cours de cet accédit du 9 novembre 1990, il a été constaté que les betteraves présentaient une forme très allongée et une très mauvaise coloration à la coupe transversale de la betterave ;
Attendu qu'ainsi les graines de même provenance ont eu des résultats complètement différents dans le Maine-et-Loire et sur les parcelles de Monsieur Lagier, ce qui tend à confirmer l'influence des facteurs climatiques régionaux retenue par l'expert sans que la mauvaise qualité des graines elles- mêmes puisse être retenue ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter Messieurs Lagier et Escoffier de toutes leurs demandes ;
Attendu que le caractère abusif de la procédure engagée par Messieurs Lagier et Escoffier n'est pas démontré ;
Attendu qu'aucune considération d'équité n'impose en l'espèce l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que Messieurs Lagier et Escoffier auront la charge des dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel de la SA Vilmorin recevable et bien fondé; Réforme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 novembre 1994 par le Tribunal d'instance d'Aix-en-Provence; Statuant à nouveau, Déboute Messieurs Lagier et Escoffier de toutes leurs demandes à l'encontre de la SARL Provence Graines et de la SA Vilmorin; Ordonne la restitution par Messieurs Lagier et Escoffier des sommes versées par la SA Vilmorin au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris outre intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt; Déboute la SA Vilmorin de sa demande en dommages-intérêts; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Messieurs Lagier et Escoffier aux dépens de première instance comprenant les frais d'expertise et aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Blanc et la SCP Tollinchi, Avoués conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.