CA Paris, 5e ch. A, 16 février 2005, n° 03-10603
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Trere (SARL)
Défendeur :
F System (SARL), Me Ayache (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
SCP Ribaut Alain, Vincent, SCP Varin
Avocats :
Mes Bouchard, Sarfati.
Depuis 1998, la SARL française F System distribuait en France les articles fabriqués par la société de droit italien Trere SARL Innovation Hosiery (société Trere). Cette dernière lui a notifié, par télécopie du 21 novembre 2001 qu'elle cesserait à partir du 1er janvier 2002 de lui livrer ses commandes.
C'est dans ces conditions que la société F System estimant être victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, a assigné la société Trere devant le Tribunal de commerce de Paris, en paiement de 80 000 euro de dommages-intérêts et 4 600 euro pour ses frais irrépétibles. La société Trere a reconventionnellement sollicité 5 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive et 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 11 mars 2003, le tribunal saisi a fait droit à la demande principale et, prenant en considération l'existence de factures impayées par la société F System et non contestées d'un montant de 14 980,90 euro, a condamné la société Trere à lui payer 40 000 euro de dommages-intérêts et 3 000 euro pour ses frais non répétibles.
La société F System a été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris le 3 avril 2003, Maître Gérald Ayache étant désigné liquidateur.
Régulièrement appelante le 6 juin 2003, la société Trere prie la cour, par conclusions enregistrées le 24 novembre 2004, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement, et statuant à nouveau, de :
- dire et juger qu'elle-même n'a commis aucune faute,
- subsidiairement, de limiter le préjudice imputable à la rupture d'approvisionnement à la somme de 1 000 euro,
- en tout état de cause procéder à une compensation entre la créance de dommages-intérêts de la société F System et celle dont elle-même est titulaire au titre de marchandises impayées pour 14 980,90 euro lesquelles ont donné lieu à une déclaration de créance entre les mains de Maître Ayache le 2 juin 2003,
- condamner la société F System à lui payer 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions déposées le 23 novembre 2004, Maître Gérard Ayache ès qualités de liquidateur de la société F System, intimé, demande à la cour de :
- dire et juger que la société Trere a commis une violation des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, d'une part et, d'autre part, qu'elle a abusivement rompu des relations établies avec la société F System,
- condamner la société Trere à lui payer 40 000 euro de dommages-intérêts pour compenser la perte de chiffre d'affaires subie par la société F System du fait de la brutalité de la rupture sans respect du préavis d'usage,
- condamner la société Trere au paiement de 40 000 euro de dommages-intérêts au titre du caractère abusif de la rupture,
- condamner la société Trere aux intérêts de droit à compter du 22 janvier 2002 date de l'assignation introductive d'instance,
- rejeter la demande de compensation,
- condamner la société Trere aux dépens et à lui payer 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la rupture des relations commerciales :
Considérant qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, fournisseur ou distributeur, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans tenir compte par un préavis suffisant de la durée de cette relation;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que la société Trere elle-même fabricant de chaussettes brevetées sous la marque X Socks, a confié depuis 1998, sans qu'un contrat écrit ait été établi, la distribution de ses produits à la société F System et notifié à la société F System, par une télécopie du 21 novembre 2001, la rupture de ces relations à effet du 31 décembre 2001, sans formuler dans ce courrier aucun grief à l'encontre de son distributeur ;
Considérant qu'il résulte du courrier versé aux débats, adressé le 9 février 2001 par la société Trere à Monsieur Crétin gérant de la société SMC en réponse à son souhait de distribuer les produits diffusés par le fabricant italien, l'informant " que la société F System est chargée de la distribution de nos produits sur la France ", ajoutant que " les commandes devront parvenir à la société F System ", que " les conditions de paiement devront être négociées entre la société F System et la société SMC ", et concluant qu' " à l'avenir toutes les demandes commerciales (échantillons, catalogues etc.) devront être adressées à la société F System et à elle seule ", que la société F System bénéficiait d'une exclusivité sur le territoire français, l'appelante n'apportant pas la preuve contraire ; que toutefois Maître Gérald Ayache ès qualités ne justifie pas que la société F System se soit trouvée dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Trere imputable à cette dernière, ni d'un quelconque abus dans l'exercice par la société Trere de son droit de résiliation;
Qu'il y a lieu au vu de ces différents éléments, de fixer à une année le préavis de rupture dû par la société Trere à son distributeur,et de débouter Maître Ayache ès qualités de sa demande de dommages-intérêts pour résiliation abusive;
Sur l'indemnité de préavis :
Considérant que Maître Ayache ès qualités fait valoir qu'il y a lieu de chiffrer l'indemnité de préavis à 40 000 euro, soit au montant du chiffré d'affaires réalisé en une année par la société F System et déclare que "la question de la marge est un problème interne à la société F System dont en aucun cas la société Trere ne saurait se prévaloir";
Considérant toutefois qu'il appartient à celui qui se prétend victime d'un dommage, d'en apporter la preuve ; que l'intimé n'apporte aucun élément contredisant :
- les montants de chiffre d'affaire d'achats de fourniture, indiqués par la société Trere au cours des années 1999, 2000 et 2001 [(142 200 + 74 250 + 38 306) : 3] soit une moyenne annuelle arrondie de 84 918 euro sur la période considérée, soit une moyenne de 77 841 euro pour onze mois,
- la marge moyenne dégagée par rapport au chiffre d'affaires des achats auprès du fabricant italien, soit 15,79 %;
Qu'il y a lieu, infirmant sur ce point la décision des premiers juges, de chiffrer l'indemnité de résiliation due à Maître Ayache ès qualités à 12 300 euro, et de dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 janvier 2002;
Sur la compensation :
Considérant qu'il résulte de l'article L. 621-24 du Code de commerce que l'ouverture de la procédure collective ne fait pas obstacle au paiement par compensation des créances connexes ; que le liquidateur ès qualités ne conteste pas le montant des factures restées impayées par la société F System; que les créances de la société Trere, régulièrement déclarées au passif de la liquidation, sont liquides, certaines et exigibles, et sont connexes à la créance de dommages-intérêts détenue par la société F System au titre de la rupture des relations commerciales unissant les deux sociétés, dès lors que ces factures impayées concernent des marchandises livrées dans le cadre de ces relations commerciales ; qu'il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelante et d'ordonner la compensation;
Qu'il est équitable de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, les dépens étant partagés par moitié;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, Infirme partiellement la décision entreprise, en ce qu'elle a condamné la société Trere à payer 40 000 euro à la société F System, Et statuant à nouveau, Fixe l'indemnité de préavis due par la société Trere à Maître Ayache ès qualités à 12 300 euro; Y ajoutant, Vu la mise en liquidation de la société F System, Vu la déclaration de créance du 2 juin 2003 de la société Trere au passif de la société F System, Ordonne la compensation entre la créance de 12 300 euro détenue par Maître Ayache ès qualités, augmentés d'intérêts au taux légat à compter du 22 janvier 2002, et celle de 14 980,90 euro en principal détenue par la société Trere, à concurrence de la plus petite, Fait masse des dépens d'appel, et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties, avec droit de recouvrement direct, chacun pour moitié, par la SCF Ribaut et la SCP Varin-Petit.