CA Reims, ch. civ. sect. 1, 6 septembre 2004, n° 02-02824
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Quinson (SA)
Défendeur :
Graillot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ruffier
Conseillers :
MM. Perrot, Minnegheer
Avoués :
SCP Thoma-le Runigo-Delaveau-Gaudeaux, SCP Six-Guillaume-Six
Avocats :
Cabinet Landwell, Associés, SCP Leloup.
Faits - prétentions - moyens des parties :
1) Agent commercial domicilié à Reims, Alain Graillot a reçu mandat le 1er août 1996 de la société Les Caves de Champclos de vendre du vin auprès d'une clientèle de magasins de grande surface dans les secteurs des Régions Nord, Est, Paris et région parisienne moyennant la perception d'une commission de 1 à 3 % hors taxes sur les ventes hors taxes réalisées. La société Les Caves de Champclos a fait l'objet le 21 septembre 1998 d'une fusion-absorption avec la SA Etablissements Quinson qui, après une restructuration, a, par lettre du 29 mars 2001, mis fin au contrat de Alain Graillot à dater du 30 juin suivant. Par courrier du 17 avril 2001, Alain Graillot a demandé à la société de lui payer la somme de 831 954 FF correspondant à la valeur de deux années de commissions à titre d'indemnité compensatrice, en se référant à son contrat et aux usages de la profession d'agent commercial. La société Quinson ayant refusé de lui régler cette somme, Alain Graillot l'a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Reims en paiement de la somme de 126 869,71 euro à titre d'indemnité fondée sur l'article L. 134-12 du Code de commerce, de la somme de 21 869,71 euro au titre des commissions demeurées impayées et de celle de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
2) Par jugement du 5 novembre 2002, le Tribunal de commerce de Reims a condamné la société Quinson à payer à Alain Graillot la somme de 126 830 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2001 au titre de l'indemnité pour préjudice subi, la somme de 21 843,98 euro au titre du solde des commissions dues et celle 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il est fait ici expresse référence aux motifs de cette décision.
3) Par acte du 24 décembre 2002, la société Quinson a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Elle soutient à titre principal que Alain Graillot ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce au motif que le statut d'agent commercial ne lui est pas applicable dès lors qu'il ne rapporte pas la preuve que l'activité qu'il a déployée correspond effectivement à cette profession. Elle fait valoir qu'en réalité il n'avait pas le pouvoir de négocier des contrats et qu'il ne faisait que du démarchage de clientèle commerciale et promotionnelle. A titre subsidiaire, elle considère que les conditions de paiement de l'indemnité ne sont pas réunies car, selon elle, Alain Graillot n'a pas exécuté son contrat conformément aux obligations qui étaient à sa charge en s'étant abstenu de démarcher la clientèle et de la visiter. Elle affirme que la majeure partie des commissions qu'il a perçues correspondent à des ventes faites à l'un des clients les plus importants de la société pour lesquelles il n'a en réalité fourni aucune prestation, ni visite, ni démarchage. Elle l'accuse d'ailleurs d'avoir gonflé son chiffre d'affaires, ce qui constitue d'après elle une faute grave le privant de tout droit à indemnité. Elle sollicite en conséquence l'infirmation du jugement déféré, le débouté des demandes formées à son encontre par Alain Graillot et le remboursement des sommes qu'elle a payées en exécution de la décision des premiers juges. A titre infiniment subsidiaire, elle estime que le montant de l'indemnité ne peut pas être forfaitaire mais doit correspondre au préjudice réellement subi. Sur le montant des commissions demeurées impayées, elle soutient que la réclamation faite de ce chef n'est pas fondée dès lors que Alain Graillot n'a pas rempli ses obligations contractuelles. Elle demande donc de ce chef également remboursement des sommes qu'elle a payées en exécution de la décision attaquée. Aux termes de ses écritures, elle sollicite la condamnation de Alain Graillot à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Alain Graillot, en premier lieu, remarque que la société Quinson ne contestait pas au départ la nature du contrat liant les parties, mais seulement le montant de l'indemnité due à son agent commercial. Il estime de la sorte qu'elle a fait un aveu judiciaire dans ses précédentes écritures qui est aujourd'hui irrévocable. En deuxième lieu, il fait valoir que lorsqu'il a été mis fin au contrat, il n'a jamais été mentionné que c'était en raison d'une faute grave qu'il aurait commise, qu'aucune mise en demeure ne lui a été adressée auparavant et que la décision prise par la société Quinson n'a été motivée que par le souci d'une restructuration interne. Il observe par ailleurs que pendant plusieurs années, de 1998 à 2000, celle-ci lui a versé une moyenne annuelle de commissions de 415 977 FF et qu'il est curieux aujourd'hui qu'elle invoque l'incompétence de son agent commercial. Il fait d'ailleurs état des attestations élogieuses qui lui ont été données par l'ancien directeur commercial de la société. Sur le montant de l'indemnité, il explique qu'il n'a pas été calculé de manière forfaitaire, mais de manière comptable par application d'un pourcentage sur le montant des commissions perçues durant les trois dernières années civiles précédant la rupture du contrat. Il précise que ce pourcentage ressort des usages de la profession d'agent commercial, conformément à ce qui était stipulé dans le contrat. Sur l'arriéré de commissions, il certifie qu'il est conforme aux factures émises et au travail effectué. Il conclut par conséquent à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la société Quinson à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été clôturée en cet état des prétentions et moyens des parties par une ordonnance du 28 avril 2004.
Motifs de la décision :
1 - Sur la nature des activités de Alain Graillot :
Il est constant que devant les premiers juges et dans ses premières écritures devant la cour de céans, la société Quinson n'a jamais fondé ses exceptions aux demandes en paiement formées à son encontre sur le fait que Alain Graillot n'était pas dans cette affaire un agent commercial. Elle s'était en effet bornée jusqu'à ses dernières conclusions à contester le montant qui lui était réclamé de l'indemnité compensatrice prévue spécifiquement par l'article L. 134-12 du Code de commerce pour les agents commerciaux. Pour autant, cette absence de contestation du statut d'agent commercial ne saurait constituer un aveu judiciaire car il s'agit en l'occurrence d'un point de droit relatif à la nature juridique des liens contractuels qui unissaient les parties, l'aveu judiciaire ne pouvant porter que sur un point de fait.
Des pièces versées aux débats, il ressort qu'aux termes du contrat conclu entre Alain Graillot et la société Les Caves de Champclos le 1er août 1996, il a été expressément indiqué qu'il s'agissait d'un contrat d'agent commercial dont l'objet était de donner mandat de vendre, au nom et pour le compte du mandant, tous produits fabriqués ou diffusés par celui-ci. Il est ainsi évident à la lecture de ce document que Alain Graillot avait le pouvoir de négocier et de conclure des contrats de vente. Lorsque la société Quinson a pris la décision de rompre le contrat la liant à lui, elle a encore mentionné qu'il s'agissait d'un contrat d'agent commercial et qu'elle était disposée à parvenir à une issue amiable sur le règlement de l'indemnité compensatrice en ayant écrit qu'elle attendait de son cocontractant qu'il lui fit part des justificatifs de son préjudice. Il y a lieu par ailleurs d'observer que pendant toute la durée du contrat, la société Les Caves de Champclos puis la société Quinson ont systématiquement payé Alain Graillot sur la base de factures qu'il émettait et qu'elle vérifiait ensuite, correspondant au pourcentage contractuel des ventes qu'il avait réalisées. La société Quinson prétend aujourd'hui que Alain Graillot ne négociait, ni concluait les contrats de vente et n'avait qu'une activité de démarchage. Au soutien de ce qu'elle avance, elle ne produit qu'une seule lettre datée du 24 mai 2003 d'un de ses clients, le groupe ED, aux termes de laquelle celui-ci explique que depuis 1998 Alain Graillot n'est pas intervenu commercialement pour le dossier Quinson. Au vu d'autres pièces, il apparaît toutefois que le groupe ED n'était pas le seul client avec qui Alain Graillot avait eu affaire dans le cadre des activités développées pour le compte de la société Quinson, qu'il avait en effet travaillé aussi avec le groupe Casino, le groupe Franprix ou le groupe Leclerc et qu'en conséquence, le seul document du groupe ED ne peut justifier à lui seul l'absence de fondement juridique de tous les paiements effectués à Alain Graillot sur la base d'activités qualifiées par le payeur lui-même d'agence commerciale. Il convient par ailleurs de remarquer que la société Quinson produit un autre document récapitulant les chiffres d'affaires annoncés par Alain Graillot de 1996 à 2000 et les chiffres d'affaires qu'elle a recalculés, qu'il est toutefois interne et a été de toute évidence établi pour les besoins de la cause, qu'en tout cas, il n'est conforté par aucune pièce comptable officielle de nature à vérifier la réalité des chiffres qui y sont mentionnés et qu'il n'explique pas pour quelle raison pendant toute la durée du contrat, le mandant a payé les commissions sur la base d'autres chiffres. Aucun élément objectif ne permet donc de conclure que Alain Graillot n'a pas effectué les activités commerciales pour lesquelles il a été conclu avec lui un contrat et des commissions qui lui ont été régulièrement payées pendant cinq années de suite. Il échet dès lors de dire que les liens contractuels qui unissaient les deux parties étaient relatifs à des activités d'agent commercial.
2 - Sur la faute grave :
Pour les mêmes motifs qui viennent d'être développés, il y a lieu de constater que la faute grave d'inexécution des obligations contractuelles invoquée par la société Quinson n'est pas prouvée. La lettre du groupe ED, unique en son genre, est insuffisante pour démontrer le fait allégué dès lors qu'il n'est pas rapporté la preuve que Alain Graillot a fait payer des commissions sur des chiffres d'affaires réalisés avec ce client de 1998 à 2000, le seul document versé à ce sujet ayant été établi pour les besoins de la cause et ne mentionnant que des chiffres annuels non détaillés et invérifiables au regard des autres pièces versées aux débats. Alain Graillot a par conséquent droit à l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce.
3 - Sur l'indemnité compensatrice :
En vertu du contrat conclu entre les parties, il a été prévu que l'indemnité du préjudice subi serait calculée conformément aux usages de la profession d'agent commercial, son objet étant cependant de ne réparer que le préjudice subi. En l'occurrence, Alain Graillot a exercé ses activités de mandataire de la société Les Caves de Champclos puis de la société Quinson pendant cinq ans. Durant les trois dernières années effectuées en année pleine, il a réalisé un chiffre d'affaires moyen annuel de 27 756 722 FF pour lequel il a perçu en moyenne annuelle une commission de 415 977 FF. Il est donc certain que la rupture du contrat de mandant l'a privé pour l'avenir d'une rémunération importante qu'il a perçue pendant près de cinq années en contrepartie d'une activité commerciale particulièrement avantageuse pour le mandant. Sur le résultat concret et réel de cette activité, il est conforme d'une part au contrat, d'autre part à la jurisprudence, enfin à la pratique professionnelle et commerciale de fixer l'indemnité à deux ans de commissions. Ce mode de calcul n'a en effet aucun caractère forfaitaire puisqu'il est établi sur la base de résultats comptables et traduit en réalité la perte de marché que l'agent subit et que le mandant récupère à son seul profit en se passant de ses services. Il convient dès lors de confirmer de ce chef la décision des premiers juges.
4 - Sur le solde de commissions :
En ce qui concerne la facture de commissions des 2e, 3e et 4e trimestres 2000 concernant les ventes réalisées avec l'entreprise Sauvian, la société Quinson prétend que cette activité est injustifiée car elle concerne un secteur géographique qui n'était pas dans le mandat de Alain Graillot, l'entreprise Sauvan se situant dans le Sud de la France. Alain Graillot ne conteste pas que la livraison des marchandises a eu lieu dans le Sud de la France mais soutient qu'il s'agissait d'un entrepôt d'un établissement ayant son siège en Ile-de-France. Il ne produit toutefois aucune justification de ce fait de sorte que la cour n'est pas en mesure de s'assurer que l'opération en cause entre bien dans le champ géographique d'activités défini par le contrat. A ce titre, il importe d'infirmer le jugement déféré et de débouter Alain Graillot de sa demande en paiement.
S'agissant de la facture n° 01.902 du 10 septembre 2001 de 125 482,66 FF, la société Quinson soutient qu'elle correspond à des opérations exclues du droit à commission. Dans ses premières écritures, elle reconnaissait toutefois devoir la somme de 68 792,30 FF qui était selon elle conforme au contrat. Elle produit par ailleurs une attestation de Jean-Louis Quinson, directeur de site, qui selon elle traduit bien l'absence de tout droit à commission du chef de cette facture. La lecture de ce document révèle cependant qu'au contraire, il y avait bien matière à commission, mais que suite à une discussion entre le Directeur commercial et Alain Graillot, il aurait été convenu que pour faire un geste commercial envers le client concerné par la facture 01.902, qui était commun au mandataire et au mandant, aucune commission ne serait réclamée. Ce n'est qu'à propos d'une autre facture n° 01.0402, celle ci-dessus visée non acceptée, que Louis Quinson certifie qu'elle n'ouvrait droit à aucune commission. Il s'ensuit que les premiers juges ont à juste raison fait droit sur ce point à la demande en paiement.
5 - Sur les autres demandes :
La société Quinson sera condamnée aux dépens de l'appel. Il est par ailleurs équitable de la condamner à payer à André Graillot une indemnité de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Recevant en la forme l'appel de la société Quinson, Le déclare partiellement bien fondé; En conséquence, Infirme le jugement déféré en tant qu'il a condamné la société Quinson à payer à Alain Graillot la somme de 21 843,98 euro TTC au titre du solde des commissions dues; Et statuant à nouveau, Condamne la société Quinson à payer à Alain Graillot la somme de dix-neuf mille cent vingt-neuf euros et soixante et onze centimes (19 129,77 euro) avec intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2001, date de l'assignation; Dit en conséquence que Alain Graillot remboursera à la société Quinson la somme de deux mille sept cent quarante euros et six centimes (2 740,06 euro); Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Quinson à payer à Alain Graillot la somme de deux mille cinq cents euros (2 500 euro) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Quinson aux dépens de l'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Six-Guillaume-Six, avoués à la cour, dans les formes et conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.