CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 18 novembre 2004, n° 03-07040
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Hepco (SA)
Défendeur :
GALEC (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud (faisant fonction)
Conseillers :
Mme Valantin, M. Chapelle
Avoués :
SCP Keime-Guttin-Jarry, Me Treynet
Avocats :
Mes Romani, Parleani.
Depuis 1995, la société Hepco a été en relations commerciales avec la société Coopérative de groupement d'achats des centres Leclerc, dite GALEC, qui l'a référencée en qualité de fournisseur de bagages et a ainsi assuré la distribution de ses produits auprès de petites, moyennes et grandes surfaces à l'enseigne Leclerc.
La société Hepco dit avoir appris en janvier 2000 qu'elle n'était plus référencée pour l'année 2000.
Par courrier recommandé du 9 mars 2000 adressé à la société GALEC, elle a protesté contre cette rupture. Ce courrier est resté sans réponse et la société GALEC a réclamé le montant d'une ristourne de fin d'année à valoir sur l'exercice 1999 et échue au 31 mars 2000.
C'est dans ces conditions que par acte du 3 juillet 2000, la société Hepco a fait assigner la société GALEC devant le Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir juger brutale et abusive la rupture des relations commerciales avec la société GALEC et obtenir sa condamnation avec exécution provisoire à lui payer la somme de 3 500 000 F à titre de dommages et intérêts outre 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En défense, la société GALEC a tout d'abord conclu à la nullité de l'assignation, faute de contenir l'indication des pièces sur lesquelles la demande était fondée.
Sur le fond, elle a conclu au débouté de la société Hepco et a demandé à titre reconventionnel qu'il lui soit fait injonction de verser aux débats le montant certifié par son commissaire aux comptes du chiffre d'affaires réalisé avec les différentes composantes du GALEC depuis 1999, et de donner acte au GALEC de ce qu'il se réserve le droit d'appeler le paiement des sommes devant lui revenir en exécution des contrats souscrits le 8 décembre 1998 pour l'année 1999. Elle a sollicité en outre une indemnité de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 16 mai 2003, le Tribunal de commerce de Nanterre a rejeté la demande en nullité de l'assignation au motif que les pièces visées avaient été communiquées à la société GALEC, sur sommation délivrée par cette dernière, laquelle ne pouvait donc justifier d'aucun grief.
Sur le fond, le tribunal a jugé qu'une succession de contrats à durée déterminée depuis 1996 ayant engendré un chiffre d'affaires important, constituait une "relation commerciale établie" au sens de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, (article L. 442-6-5° du Code de commerce).
Il a jugé que la rupture s'étant produite sans information préalable, ni verbale ni écrite, de la société Hepco, et sans préavis, il y avait bien une rupture brutale.
Enfin, compte tenu de la nature des relations entretenues entre les parties, le tribunal a jugé que la société GALEC aurait dû respecter un préavis de trois mois.
Le tribunal a condamné la société GALEC à payer à la société Hepco une somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts. Il a débouté la société GALEC de sa demande reconventionnelle au motif qu'il lui appartenait de faire elle-même les comptes avec ses propres centrales d'achat.
Il a ordonné l'exécution provisoire à la condition que la société Hepco fournisse une caution bancaire et a condamné la société GALEC à lui verser une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Appelante, la société Hepco demande à la cour de fixer à douze mois la durée du préavis, et conclut à la condamnation de la société GALEC à lui payer la somme de 533 853 euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle reprend son argumentation sur le caractère établi des relations commerciales qu'elle a entretenu avec le GALEC depuis 1996, le référencement datant de 1995, et souligne que la notion de relation commerciale établie n'implique pas l'existence d'une relation de dépendance économique, contrairement à ce que soutient le GALEC.
Elle rappelle l'importance du chiffre d'affaires qu'elle a développé avec la société GALEC depuis 1996, souligne le caractère brutal de la rupture, et fait valoir que compte tenu de la durée des relations contractuelles, soit 5 ans, le tribunal aurait dû retenir un préavis d'une durée minimum d'une année.
La société Hepco indique enfin qu'après avoir recueilli l'avis d'un expert comptable, elle est fondée à demander à titre de dommages et intérêts la somme totale de 533 853 euro se décomposant comme suit :
- perte d'exploitation résultant de la perte de marge brute : 165 072 euro
- frais liés à la rupture (coût des licenciements, perte sur stock) : 48 954 euro
- perte de clientèle 319 827 euro.
Intimée et appelante incidemment, la société GALEC conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Hepco de ses demandes et à son infirmation en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Hepco une somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts. A titre reconventionnel, elle forme, comme en première instance, une demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société Hepco de verser aux débats le montant certifié conforme par son commissaire aux comptes pour 1999 et de lui donner acte de ce qu'il se réserve le droit d'appeler le paiement des sommes à lui revenir en exécution des contrats souscrits le 8 décembre 1998 pour l'année 1999.
Au soutien de sa position, elle conteste tout d'abord que les relations commerciales entretenues avec la société Hepco aient présenté le caractère de relations établies, rien ne permettant de penser que leur poursuite dans l'avenir ait été envisagée.
Elle souligne que la société Hepco est un simple intermédiaire qui commercialise des produits qu'elle ne fabrique pas et qui n'a pas réalisé d'investissements pour satisfaire aux besoins du distributeur, si bien qu'elle pouvait s'adapter sans difficulté à des variations importantes d'activité.
Elle conteste que le chiffre d'affaires généré par le référencement GALEC ait été de 24,30 % de l'activité de la société Hepco, laquelle était toujours libre de proposer ses marchandises à d'autres distributeurs.
Elle souligne que si les relations commerciales ont commencé en 1996, la société Hepco ne communique aucun élément contractuel pour les années 1996, 1997 et 1998, se bornant à verser aux débats les contrats de référencement pour 1999, et précise que ces contrats étaient annuels et sans engagement pour l'avenir dans un marché très concurrentiel.
A titre subsidiaire, la société GALEC indique que la société Hepco lui a présenté sa collection pour l'année 2000 en septembre-octobre 1999, et qu'ayant su qu'elle n'était pas retenue, elle ne peut prétendre avoir découvert en janvier 2000 qu'elle n'était plus référencée. Elle souligne qu'elle ne disposait d'aucune exclusivité et qu'ainsi elle a disposé du temps nécessaire pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture. Elle considère qu'en tout état de cause, le préavis de trois mois retenu par le tribunal est amplement suffisant.
A titre infiniment subsidiaire, elle conteste enfin le préjudice dont fait état la société Hepco en examinant chacun des postes de ce préjudice, qu'il s'agisse du chiffre d'affaires réalisé ou de la perte de marge brute.
Elle reprend enfin les termes de sa demande reconventionnelle, telle que présentée en première instance.
Sur quoi:
1) Sur la demande de la société Hepco:
Considérant que s'il est constant que les parties ont entretenu des relations contractuelles depuis 1996, la société Hepco ne verse aux débats qu'un seul contrat de référencement pour l'année 1999.
Considérant que la société GALEC observe à juste titre que la société Hepco exerçait une activité d'intermédiaire consistant à commercialiser des produits qu'elle ne fabriquait pas, l'extrait K bis du registre du commerce et des sociétés mentionnant au titre de l'activité exercée "Vente en gros d'articles de maroquinerie".
Considérant qu'il n'est pas établi que la société GALEC lui ait donné des directives pour orienter ses choix stratégiques, ou guider ses achats dans un sens déterminé afin de satisfaire une demande spécifique concernant la nature ou la qualité des produits en cause.
Considérant que la société Hepco, qui disposait d'un effectif réduit, ne justifie pas avoir réalisé des investissements particuliers afin de conférer à ses relations avec la société GALEC un caractère durable, de nature à envisager une progression de son chiffre d'affaires et un développement pérenne de son activité avec la société GALEC.
Qu'il s'agissait au contraire d'une structure légère et souple, exerçant une activité de négoce entre fournisseurs et distributeurs, capable de s'adapter rapidement aux besoins du marché, et en particulier à ceux de la société GALEC avec laquelle aucun accord d'exclusivité n'avait été conclu.
Considérant que le seul contrat de référencement versé aux débats a été conclu, au titre de l'année 1999, pour une durée maximum d'un an sans que soit prévu un possible renouvellement par tacite reconduction, afin précisément de permettre à la société GALEC de conclure ou de ne pas conclure en fonction de ses besoins et des offres qui lui étaient adressées et compte tenu des exigences du marché.
Considérant que le contrat de référencement en lui-même ne donnait à la société Hepco aucune garantie concernant un volume minimum d'achats,seules les sociétés à l'enseigne Leclerc procédant à des commandes ou à des achats.
Considérant que si le chiffre d'affaires réalisé était d'importance (7 618 722 F au bilan 1999), le stock entretenu était particulièrement faible (535 072 F), ce qui établit suffisamment que la société Hepco avait conscience du caractère précaire des relations qu'elle avait entretenues chaque année avec la société GALEC, de 1996 à 1999 inclus soit pendant quatre ans.
Considérant enfin que la société Hepco n'est pas davantage fondée à se prévaloir d'un droit acquis sur son chiffre d'affaires réalisé avec la société GALEC,celle-ci restant libre de ne pas renouveler un contrat annuel de référencement pour des motifs qui lui sont propres.
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Hepco ne peut donc faire état d'une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce.
Considérant qu'il y a donc lieu de la débouter de ses demandes, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, dont la décision sera infirmée.
2) Sur la demande reconventionnelle de la société GALEC:
Considérant que les premiers juges ont débouté la société GALEC de sa demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société Hepco de verser aux débats le montant certifié par son commissaire aux comptes du chiffre d'affaires réalisé avec les différentes composantes du mouvement Leclerc. Considérant qu'ils ont à juste titre observé que la société GALEC n'apportait aucun justificatif à sa demande et qu'il lui appartenait préalablement de faire les comptes avec ses propres centrales d'achats avant de présenter une telle demande.
Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
3) Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité justifie que soit allouée à la société GALEC une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme partiellement le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Dit que la société Hepco ne justifie pas d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce. Déboute la société Hepco de l'ensemble de ses demandes. Confirme les dispositions non contraires du jugement entrepris. Condamne la société Hepco à verser à la société GALEC une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société Hepco aux dépens de l'instance, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Jean-Michel Treynet, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.