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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 8 décembre 2004, n° 03-14379

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Promotion Sept (SA)

Défendeur :

Germans Servel SL (Sté), Alss France (SARL), Sofmag - Franprix (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

Me Hyughe, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Sarfati, Olivieri.

TGI Paris, du 29 avr. 2003

29 avril 2003

Vu l'appel interjeté le 10 juillet 2003, par la société Promotion Sept d'un jugement rendu le 29 avril 2003 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:

* dit qu'en important, détenant, offrant à la vente et en vendant le chariot de marché référencé 7853, saisi et décrit, les sociétés Promotion Sept, Sofmag ont commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 du brevet européen n° 0348552 dont la société Germans Server est titulaire,

* interdit aux sociétés Promotion Sept et Sofmag la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 200 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

* condamné in solidum les sociétés Promotion Sept et Sofmag à payer à la société Germans Server la somme de 12 200 euro en réparation de l'atteinte portée au brevet du fait de la contrefaçon,

* dit que les sociétés Promotion Sept et Sofmag ont par ailleurs commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Alss France,

* condamné in solidum les sociétés Promotion Sept et Sofmag à payer à la société Alss France la somme de 23 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant des actes de concurrence déloyale,

* condamné la société Promotion Sept à garantir la société Sofmag à hauteur de la moitié de ces condamnations,

* ordonné la confiscation et la remise aux fins de destruction, sous contrôle d'huissier, à la société Germans Server des produits constitutifs de contrefaçon, restant en possession des sociétés Promotion Sept et Sofmag, passé le délai d'un mois à compter de la signification du jugement,

* ordonné la publication du dispositif de la décision dans trois journaux ou périodiques, aux frais in solidum des sociétés Promotion Sept et Sofmag, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder la somme de 4 000 euro HT,

* condamné in solidum les sociétés Promotion Sept et Sofmag à payer aux sociétés Germans Server et Alss France la somme de 4 500 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les écritures utiles en date du 10 novembre 2003, par lesquelles la société Promotion Sept, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de:

* faire injonction aux sociétés demanderesses de fournir une information complète et loyale sur l'instance qui l'oppose à un autre fabricant de poussettes de marché, devant la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris,

* dans cette attente, surseoir à statuer et lui donner acte de ce qu'elle s'engage à ne pas commercialiser les produits litigieux,

* lui donner acte de ce que, sous réserve qu'ils soient établis dans l'autre instance, elle n'a pas l'intention de discuter les droits des demanderesses sur le modèle de chariot litigieux,

* lui donner acte de ce qu'elle formulera alors une offre d'indemnité globale et forfaitaire en proportion de la propre marge d'environ 7 000 euro qu'elle a réalisée,

* très subsidiairement et dans tous les cas:

* constater sa bonne foi, n' ayant jamais voulu importer un produit contrefaisant ni se rendre coupable de concurrence déloyale,

* constater que les sociétés Germans Server et Alss France ne justifient nullement du montant de leurs demandes,

* constater que le montant des indemnités allouées en première instance n'est nullement justifié,

* réduire le montant des dommages et intérêts alloués aux sociétés Germans Server et Alss France,

* réformer le jugement en ce qu'il a ordonné sa publication,

* le confirmer en ce qu'il a dit qu'elle garantirait la société Sofmag à hauteur de la moitié des condamnations prononcées,

* dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu l'assignation délivrée le 27 novembre 2003 par la société Promotion Sept à la société Sofmag;

Vu les écritures en date du 17 décembre 2003, aux termes desquelles les sociétés Germans Server et Alss France prient la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et y ajoutant, de condamner la société Promotion Sept à payer à chacune d'elles la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et la somme de 4 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 25 octobre 2004;

Vu les écritures signifiées par la société Promotion Sept le jour du prononce de cette ordonnance de clôture;

Vu les conclusions de procédure en date du 27 octobre 2004, par lesquelles les sociétés Germans Server et Alss France sollicitent le rejet des débats des conclusions et de la sommation de communiquer signifiées par la société Promotion Sept le 25 octobre 2004;

Vu les conclusions en date du 29 octobre 2004, aux termes desquelles la société appelante prie la Cour de débouter les sociétés Germans Server et Alss France de cette demande de rejet;

La société Sofmag n'ayant pas constitué avoué, le présent arrêt sera réputé contradictoire;

Sur ce, LA COUR,

Sur la procédure:

Considérant que les sociétés Germans Server et Alss France sont fondées à solliciter le rejet des conclusions et pièces signifiées le 25 octobre 2004, jour du prononcé de l'ordonnance de clôture;

Qu'en effet, il résulte de la combinaison des articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile que le respect du principe de la contradiction impose que, pour assurer la loyauté des débats, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense;

Qu'en l'espèce, force est de constater que la société Promotion Sept ne justifie pas les raisons pour lesquelles elle a été amenée à répliquer le 25 octobre 2004, jour du prononcé de l'ordonnance de clôture, aux conclusions signifiées le 17 décembre 2003 par les sociétés Germans Server et Alss France, mettant ainsi ses contradicteurs dans l'impossibilité de répondre à ces nouvelles écritures;

Qu'il s'ensuit que la société Promotion Sept, ayant porté atteinte de façon flagrante au principe de la contradiction, les conclusions qu'elle a signifiées le 25 octobre 2004 seront écartées des débats;

Sur le fond:

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que:

* la société de droit espagnol Germans Server est propriétaire d'un brevet européen visant la France n° 0348552, délivré le 26 mai 1993, ayant pour titre "chariot pliable pour faire ses emplettes"

* ce brevet est exploité par la société Rolser, sa filiale espagnole, laquelle fabrique et distribue notamment en France par la société Alss France, sous les marques Rolser et Plegamatic, des chariots à provisions pliables conformes aux revendications couvertes par le brevet,

* ayant appris que la société Sofmag, exerçant sous l'enseigne Franprix, offrait à la vente des chariots reproduisant les caractéristiques de l'invention décrite au brevet, la société Promotion Sept a fait pratiquer le 7 septembre 2001, une saisie contrefaçon dans un magasin de la société Sofmag,

* les opérations de saisie contrefaçon ayant révélé que ces chariots avaient été acquis auprès de la société Promotion Sept, qui a pour activité la vente de produits en tous genres, cadeaux, matériel HI FI, gadgets, ménage, vaisselle, qu'elle importe par lots, la société Germans Server a diligenté une seconde saisie contrefaçon le 14 septembre 2001, dans les locaux de la société Promotion Sept;

Sur la demande de sursis à statuer:

Considérant que la société Promotion Sept reprend devant la cour sa demande de sursis à statuer dans l'attente de la production par la société Germans Server d'une "information complète" sur une instance opposant devant le Tribunal de grande instance de Paris, les sociétés Germans Server et Alss France à un fabricant de chariots, portant sur la validité du brevet revendiqué;

Mais considérant, ainsi que l'a retenu le tribunal, que la procédure évoquée par la société Promotion Sept ne concerne pas les mêmes parties et ne concerne pas le même chariot argué de contrefaçon;

Que par ailleurs, il incombe à la société Promotion Sept, si elle entend contester la validité du brevet opposé, de faire valoir ses moyens de droit et de fait, sans qu'elle puisse solliciter la production par les sociétés Germans Server et Alss France de pièces afférentes à une autre instance en vue de suppléer sa propre carence;

Que de sorte, le tribunal a justement débouté la société Promotion Sept de sa demande de sursis à statuer et de production de pièces ;

Sur la contrefaçon:

Considérant qu'il est expressément renvoyé au jugement déféré pour l'exposé de l'art antérieur et de la portée du brevet ; qu'il suffit de rappeler que l'invention concerne un chariot à provisions pliable pouvant être converti en un sac de dimensions réduites et qui présente la particularité que le sac et les roues sont automatiquement dépliés lorsque l'on procède au déploiement de l'un et de l'autre des deux châssis formant support, disposés parallèlement et qui font partie du chariot;

Considérant que la validité de ce brevet n'est pas contestée par la société Promotion Sept;

Considérant qu'il n'est pas davantage démenti que les chariots importés, offerts à la vente et notamment vendus à la société Sofmag, par la société Promotion Sept reproduisent les caractéristiques des revendications 1 à 7 du brevet;

Considérant que pour s'opposer au grief de contrefaçon, la société Promotion Sept fait valoir être de bonne foi et n'avoir pas eu conscience, en achetant à Canton en Chine lors d'un salon tenu au mois de février 2001, 4 250 chariots de marché pliants, d'importer des produits contrefaisants;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 613-3 du Code de la propriété intellectuelle sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, l'offre, la mise dans le commerce ou l'utilisation ou l'importation ou la détention du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet;

Que l'article L. 615-1 du même Code dispose que toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon, toutefois, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefait, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefait, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause;

Considérant que les actes d'importation de produits contrefaisants ne sont pas compris dans cette liste limitative;

Que par voie de conséquence, il résulte des dispositions conjuguées des articles L. 613-3 et L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle précitées, que l'importation en France de produits contrefaisants constitue un acte de contrefaçon et engage la responsabilité de son auteur indépendamment de la connaissance qu'il peut avoir de leur caractère contrefaisant;

Qu'il s'ensuit que la décision entreprise, qui a retenu des actes de contrefaçon imputables à la société Promotion Sept, sera confirmée;

Sur la concurrence déloyale:

Considérant qu'il est constant que le chariot, couvert par les revendications du brevet dont est titulaire la société Germans Server, est distribué en France à titre exclusif par la société Alss France;

Considérant que l'examen de ce chariot et du modèle contrefaisant, auquel la cour s'est livrée, révèle qu'outre la reproduction de l'invention protégée, le chariot incriminé reproduit servilement l'aspect extérieur du produit, soit la structure métallique, la toile à carreaux plastifiée, le rabat fixé au sac par une bande adhésive;

Que par ailleurs, la notice d'utilisation du chariot, fournie lors de la vente du sac litigieux, reproduit à l'identique les huit images illustrant celle du chariot commercialisé par la société Alss France;

Que de sorte, la décision entreprise, qui a retenu des actes de concurrence déloyale imputables à la société Promotion Sept au préjudice de la société Alss France, sera également confirmée;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que les mesures d'interdiction, de remise des produits contrefaisants prononcés par le tribunal, justifiées pour mettre un terme aux agissements illicites, seront confirmés;

Qu'il en sera de même de la mesure de publication sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt;

Considérant que les actes de contrefaçon ont nécessairement porté préjudice à la société Germans Server tenant à un trouble commercial, une perte de redevance et l'avilissement de son brevet;

Que par le comportement déloyal de la société Promotion Sept, la société Alss France, distributeur exclusif en France des chariots fabriqués par la société Germans Server, a subi un préjudice consécutif à la privation de la marge bénéficiaire à laquelle elle pouvait prétendre sur les ventes manquées;

Considérant que 4 250 chariots contrefaisants ont été importés et mis en vente sur le marché français par la société Promotion Sept;

Que de sorte, les premiers juges ont exactement réparé les préjudices en accordant à la société Germans Server une indemnité réparatrice de 12 200 euro et à la société Alss France une somme de 23 000 euro à titre de dommages et intérêts;

Sur les autres demandes:

Considérant que la société Promotion Sept demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à garantir la société Sofmag à hauteur de la moitié des condamnations prononcées par le tribunal;

Que la société Sofmag, ne critiquant pas cette disposition, faute d'être comparante en cause d'appel, la décision déférée sera confirmée sur ce point;

Considérant qu'il résulte des éléments de l'espèce que la société Promotion Sept, qui ne pouvait se méprendre sur l'étendue de ses droits eu égard à la motivation claire et pertinente du jugement déféré, a fait dégénérer en abus son droit d'appel ; qu'elle sera, en conséquence, condamnée à payer tant à la société Germans Server qu'à la société Alss France la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés Germans Server et Alss France; qu'il leur sera alloué à ce titre, à chacune d'elles, la somme complémentaire de 4 000 euro;

Par ces motifs, Ecarte des débats les conclusions signifiées par la société Promotion Sept le 25 octobre 2004, jour du prononcé de l'ordonnance de clôture, Confirme, dans ses dispositions soumises à la cour, le jugement déféré, Y ajoutant, Dit que la mesure de publication ordonnée par le tribunal devra faire mention du présent arrêt, Condamne la société Promotion Sept à payer à chacune des sociétés Germans Serveret Alss France la somme de 3 000 euro pour appel abusif, Condamne la société Promotion Sept à payer tant à la société Germans Server qu'à la société Alss France la somme complémentaire de 4 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Promotion Sept aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.