Cass. crim., 11 janvier 2005, n° 04-80.907
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Degorce
Avocat général :
M. Frechede
Avocats :
SCP Piwnica, Molinie, Me Cossa.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Gérard, la Y, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 27 janvier 2004, qui, pour publicité illicite en faveur du tabac, a condamné le premier à 20 000 euro d'amende, a déclaré la seconde solidairement responsable du paiement et a prononcé sur les intérêts civils ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 et 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 111-4 du Code pénal, L. 121-1 du Code de la consommation, L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X coupable de publicité illicite en faveur du tabac (au titre des pages 116, 117 et 118 figurant dans le numéro 119 du magazine Entrevue) et la Y civilement responsable ;
"aux motifs propres ou repris des premiers juges, que le mensuel "Entrevue" a fait paraître dans son numéro 119, publié au mois de mai 2002, des photographies du pilote automobile Michaël Y pages 116, 117 et 118, portant sur sa combinaison, sur son casque ou sur sa voiture la marque de cigarettes "Marlboro" ; que la loi Evin du 10 janvier 1991 modifiant la loi Veil du 9 juillet 1996 a instauré une prohibition quasi totale de toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, quel qu'en soit le support ; que l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, ou L. 355-24 sous l'ancienne codification, fait obstacle à toute diffusion d'écrit, d'image ou de photographie participant à la promotion du tabac ou des produits du tabac, quel que soit l'auteur de cette diffusion ; que, sous le couvert d'une information donnée par le journal, constituent des incitations à la consommation du tabac, aussi bien un article rédactionnel consacré à la promotion d'une nouvelle marque ou d'un nouveau produit du tabac que la photographie d'un véhicule automobile participant à une course ou un sportif recevant un prix, sur lesquelles apparaissent des marques de fabricants de tabac qui parrainent la manifestation ; qu'en l'espèce, les photographies incriminées, à l'exception du photomontage qui sera examiné à part, ne constituent pas une propagande puisque ce sont des marques et non des produits génériques qui y figurent ; qu'elles servent d'illustrations à un article d'information intitulé "Le fric des sportifs", destiné selon le prévenu à sensibiliser le public sur la part des revenus des sportifs provenant de la publicité, mais traitant en réalité de la domination économique américaine en la matière et établissant un palmarès des plus gros revenus de sportifs ; qu'en publiant dans un reportage pages 116, 117 et 118, sur l'argent des sportifs, des photographies de la voiture de compétition et du pilote Michaël Y, sur lesquelles apparaissent le nom de la marque de cigarettes "Marlboro", sponsorisant son écurie, le prévenu et la société civilement responsable se sont rendus coupables du délit de publicité illicite en faveur du tabac, prévu par l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, qui interdit la propagande et la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac, quelle qu'en soit la finalité, dès lors que cette publicité a pour effet de rappeler les marques de tabac ;
"1) alors que toute décision de condamnation doit permettre au prévenu de connaître avec précision la ou les infractions qui ont été retenues à son encontre, la Cour de cassation devant en outre, au vu des énonciations de l'arrêt qui lui est soumis, être mise en mesure d'exercer son contrôle sur la qualification retenue ; qu'en l'espèce, les citations directes successivement délivrées par le Comité national contre le tabagisme à Gérard X et à la Y se bornaient à énoncer les faits et à viser les articles L. 3511-1 et suivants du Code de la santé publique incriminant des délits distincts ; que devant les premiers juges, les demandeurs avaient soulevé la nullité de la citation ; qu'en cause d'appel, ils démontraient aux termes de moyens distincts, que les faits qui leur étaient reprochés ne pouvaient constituer ni une publicité directe, ni une publicité indirecte en faveur du tabac et qu'en se bornant à affirmer que Gérard X s'était rendu coupable de publicité illicite en faveur du tabac sans préciser si la prétendue publicité incriminée était directe ou indirecte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe susvisé ; "2) alors que la notion de publicité directe en faveur du tabac, en tant que telle strictement prohibée par l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique sous réserve des exceptions limitativement énumérées par l'alinéa 2 de ce texte, est circonscrite aux parutions notamment par voie de presse ayant pour unique objet la promotion de produits du tabac ou d'une marque de tabac, ce qui n'est pas le cas d'un reportage qui, selon les constatations des juges du fond, a pour objet de traiter de la domination américaine dans le domaine du financement du sport ; "3) alors que la notion de propagande ou publicité indirecte en faveur du tabac est définie de manière précise par l'article L. 3511-4 du Code de la santé publique et strictement circonscrite à "la propagande ou la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac" ; que la Cour de cassation, qui se reconnaît le pouvoir en matière de presse de déterminer elle-même le sens et la portée des écrits qui lui sont soumis et notamment des reportages est en mesure de s'assurer que les pages 116, 117 et 118 du magazine "Entrevue" sur lesquelles apparaît le nom de la marque de cigarettes Marlboro sponsorisant l'écurie de Michaël Y n'ont aucunement, par l'un quelconque des moyens ci-dessus énumérés, pour objet de faire la propagande ou la publicité de l'activité sportive pratiquée par ce champion ni d'inciter le lecteur à fumer les produits du tabac de la firme qui le sponsorise, mais bien au contraire de dénoncer, par la manière dont est présenté le reportage et notamment par les commentaires qui y figurent, le rôle néfaste du financement américain dans le sport en provenance des sponsors parmi lesquels figure notamment mais non exclusivement un fabricant américain de cigarettes et par conséquent constitue, à l'égard de la jeunesse amenée à réfléchir à ce problème, une contre-publicité pour la marque ; "4) alors que la cour d'appel, qui constatait expressément que le reportage incriminé avait pour objet non la propagande ou la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article, mais l'information des lecteurs du magazine sur l'argent des sportifs, ne pouvait, sans se contredire et méconnaître ce faisant le sens et la portée de l'article L. 3511-4 du Code de la santé publique, qui comme tout texte comportant une incrimination pénale, doit être interprété strictement, entrer en voie de condamnation à l'encontre de Gérard X du chef de publicité illicite en faveur du tabac ; "5) alors que la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l' Homme ne peut être soumise à des restrictions, notamment en vue de protéger la santé publique qu'autant que celles-ci sont strictement nécessaires au but poursuivi et qu'une décision de condamnation émanant du juge répressif qui, au prétexte de lutter contre le tabagisme, a pour résultat de censurer la publication d'un reportage se proposant explicitement et exclusivement de combattre le fonctionnement immoral du sport en soulignant l'effet pervers de l'argent en provenance des sponsors constitue une mesure disproportionnée au but qu'elle prétend poursuivre ; "6) alors, très subsidiairement, que l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme prohibe toute discrimination dans la jouissance des droits et des libertés qu'elle édicte ; que dans la mesure où l'article L. 3511-5 du Code de la santé publique autorise expressément la retransmission des compétitions de sport mécanique qui se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée par les chaînes de télévision, dans le cas où la Cour de cassation estimerait que les pages 116, 117 et 118 de la publication incriminée reviendraient à retransmettre partie des images de la compétition automobile dont Michaël Y a été le vainqueur au grand prix d'Autriche, elle ne pourrait que constater que, comme Gérard X et la société Conception de Presse le faisaient valoir dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel et de ce chef délaissées, que la poursuite dont ils ont été l'objet sur le fondement des articles L. 3511 et suivants du Code de la santé publique procédait d'une discrimination évidente au sens du texte conventionnel susvisé en sorte que la condamnation prononcée à leur encontre est injustifiée" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, L. 121-1 du Code de la consommation, L. 3511-3 et 3511-4 du Code de la santé publique, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Gérard X coupable de publicité illicite en faveur du tabac (au titre du photomontage publié en avant-dernière page du numéro 119 du magazine "Entrevue") et la Y civilement responsable ;
"aux motifs qu'en publiant un photomontage satirique page 146, représentant deux paquets de cigarettes de la marque "Marlboro", avec la légende : attention, fumer... donne le cancer de l'anus", le prévenu et la société civilement responsable se sont également rendus coupables du délit de publicité illicite en faveur du tabac, dès lors que cette publicité rappelle la marque et le paquet de cigarettes "Marlboro" et tourne en dérision les mentions légales d'informations obligatoires inscrites sur les paquets de cigarettes ; "1) alors que l'image satirique relève de la liberté d'expression la plus absolue parce qu'elle est exclusive par définition de toute confusion avec la réalité ; "2) alors qu'une publicité ou un document prétendu tel paru dans la presse doit être interprété dans son contexte en fonction de ce que peut percevoir le lecteur moyen supposé exercer son sens critique et que le numéro 119 du magazine "Entrevue" ayant notamment pour objet de dénoncer l'argent des sponsors américains parmi lesquels figure notamment à côté de Nike, Marlboro, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que le lecteur moyen "d'Entrevue" ne peut qu'interpréter les mentions figurant dans le photomontage publié en avant-dernière page de son numéro 119 que comme une satire dirigée, non contre les obligations légales d'information à la charge des fabricants de cigarettes, mais bien contre le fabricant de la marque Marlboro lui-même, en tant que tel déconsidéré" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la revue "Entrevue" a publié un reportage sur l'argent des sportifs illustré par deux photographies d'un célèbre pilote de course automobile sur lesquelles apparaît la marque de cigarettes "Marlboro" ; que le même numéro a également proposé un photomontage de deux paquets de cigarettes de la marque précitée, accompagné du message "attention, fumer ... donne le cancer de l'anus" ; que le Comité national contre le tabagisme a fait citer le directeur de publication de la revue pour publicité illicite en faveur du tabac, délit prévu et puni par les articles L. 355-24, L. 355-26 et L. 355-31 devenus les articles L. 3511-3, L. 3511-4 et L. 3512-2 du Code de la santé publique ;
Attendu que pour entrer en voie de condamnation, l'arrêt retient que le prévenu a laissé publier des photographies d'un pilote et de sa voiture de compétition laissant apparaître le nom de la marque "Marlboro" ainsi qu'un photomontage satirique rappelant le paquet de cigarettes de la même marque et tournant en dérision les mentions légales d'information obligatoires devant figurer sur les paquets de cigarettes ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction et qui établissent l'existence d'un acte en faveur d'un organisme, d'une activité et d'un produit, qui, par son graphisme, sa présentation et l'utilisation d'une marque, a pour effet de rappeler le tabac ou un produit du tabac, la cour d'appel, sans méconnaître les textes conventionnels visés au moyen, a caractérisé en tous ses éléments le délit de publicité indirecte en faveur du tabac ;d'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.