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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 18 mars 2004, n° 03-01666

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Conseillers :

Mmes Pigeau, Antoine

Avocats :

Mes Billaud, Martin, Elghozi, Rolland

Avocat général :

Mme Fiassela-Le Braz

TGI Saint-Brieuc, ch. corr., du 20 févr.…

20 février 2003

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le Tribunal correctionnel de Saint-Brieuc, par jugement contradictoire en date du 20 février 2003, pour :

Tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise publicité mensongère ou de nature à induire en erreur à l'égard de X René

Tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise à l'égard de D Yves

Tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise publicité mensongère ou de nature a induire en erreur à l'égard de A Gilbert

Tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise publicité mensongère ou de nature à induire en erreur à l'égard de W Francis

A relaxé partiellement X René ; l'a condamné à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et à 7 600 euro d'amende.

A condamné D Yves à 1 mois d'emprisonnement et à 1 500 euro d'amende.

A relaxé partiellement A Gilbert ; l'a condamné à la peine de 2 mois d'emprisonnement avec sursis et à 3 800 euro d'amende.

A relaxé partiellement W Francis ; l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et à 3 800 euro d'amende.

Appel a été interjeté par:

Monsieur X René, le 26 février 2003, à titre principal,

Monsieur W Francis, le 28 février 2003, à titre principal,

Monsieur D Yves, le 28 février 2003, à titre principal,

Monsieur A Gilbert, le 28 février 2003, à titre principal,

M. le Procureur de la République, le 28 février 2003, à titre incident, contre Monsieur W Francis, Monsieur X René, Monsieur A Gilbert et Monsieur D Yves.

La prévention:

Procédure n° 95008432:

Considérant qu'il est fait grief à René X:

- d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national de novembre 1993 à mars 1994 et de décembre 1994 à avril 1995, en tout cas depuis temps non prescrit:

* par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenter de tromper le consommateur contractant sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce en vendant des oeufs sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère,

Faits prévus réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation;

* effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la nature, l'origine, les services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de fabrication de biens ou de services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de production industrielle et étrangère pour des oeufs "plein air" et de production " Y ",

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation;

Considérant qu'il est fait grief à Gilbert A:

- d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national de novembre 1993 à mars 1994 et de décembre 1994 à avril 1995, en tout cas depuis temps non prescrit:

* par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenter de tromper le consommateur contractant sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce en vendant des oeufs sous le label "oeufs de poule élevées en plein air" et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation;

* effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la nature, l'origine, les services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de fabrication de biens ou de services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de production industrielle et étrangère pour des oeufs "plein air" et de production "Y",

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation;

Considérant qu'il est fait grief à Francis W:

* d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national de novembre 1993 à mars 1994 et de décembre 1994 à avril 1995, en tout cas depuis temps non prescrit:

* par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenter de tromper le consommateur contractant sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce en vendant des oeufs sous le label "oeufs de poule élevées en plein air" et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation

* effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la nature, l'origine, les services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de fabrication de biens ou de services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de production industrielle et étrangère pour des oeufs "plein air" et de production "Y",

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4. L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation;

Procédure n° 97001265:

Considérant qu'il est fait grief à René X:

- d'avoir dans les départements du Pas-de-Calais, de la Drôme et des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national, courant 1995, en tout cas depuis temps non prescrit, trompé ou tenté de tromperie consommateur sur l'origine et la nature d'une marchandise vendue, en l'espèce, en plaçant des oeufs de poules provenant du Pas-de-Calais, du Nord, et du MIN de Paris Rungis dans les bottes d'oeufs sous la marque "Y" les faisant ainsi passer pour des oeufs de poules d'origine bretonne, faits constatés suite aux contrôles de la DGCCRF des Côtes d'Armor des 7 juillet et 22 novembre 1995,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 233-1, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;

Considérant qu'il est fait grief à Yves D:

- d'avoir dans le département des Côtes d'Armor en tout cas sur le territoire national, courant 1995 en tout cas depuis temps non prescrit, trompé ou tenté de tromper le consommateur sur la nature et l'origine d'une marchandise vendue, en l'espèce, en ayant vendu des oeufs sous la dénomination "libre parcours" alors que les poules dont ils étaient issus ne bénéficiaient pas de la surface suffisante pour prétendre à cette catégorie, conférant ainsi aux oeufs une classification supérieure par rapport à celle leur correspondant réellement, faits constatés suite aux contrôles de la DGCCRF des Côtes d'Armor des 12 et 13 décembre 1995,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;

Considérant qu'il est fait grief à Gilbert A:

- d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national, courant 1995, en tout cas depuis temps non prescrit, trompé ou tenté de tromper le consommateur sur l'origine et la nature d'une marchandise vendue, en l'espèce, en plaçant des oeufs de poules provenant du Pas-de-Calais, du Nord, et du MIN de Paris Rungis dans les boîtes d'oeufs sous la marque "Y" les faisant ainsi passer pour des oeufs de poules d'origine bretonne, faits constatés suite aux contrôles de la DGCCRF des Côtes d'Armor des 15 et 21 juin 1995,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;

En la forme:

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme;

Il résulte de la procédure et des débats les éléments suivants:

Monsieur René X était depuis l'achat réalisé en 1988 le PDG de la société Y, filiale de la société Z, société qui vendait des oeufs sous l'appellation "Y". (Il avait créé concomitamment à cet achat la société B, société de production dont le rôle était de faire signer aux éleveurs des contrats d'intégration.)

Monsieur A a été engagé en qualité de directeur général adjoint de Z à partir de février 1994.

Monsieur Francis W a été quant à lui le directeur commercial de cette société Y, de la date de son rachat à celle de son licenciement intervenu en juin 1994.

Son fils, Monsieur Stéphane W était lui le président directeur général de la société C dont le siège social était à Saint-Brieuc et dont l'activité était la production et la commercialisation, par le biais de contrat d'intégration, d'oeufs de poules élevées en plein air et d'oeufs biologiques.

Monsieur Yves D qui en était le directeur commercial s'est reconnu gérant de fait du GAEC "E" qui assurait le ramassage et le conditionnement des oeufs pour le compte de cette société, son épouse en étant gérante de droit. Il disposait d'une délégation de pouvoirs en vertu de laquelle il lui appartenait de respecter les normes communautaires notamment sur le ramassage, le calibrage et le mirage des oeufs.

La qualification des poulaillers et le contrôle des différents élevages étaient assurés par F dont le PDG était Monsieur Francis W.

Dans le cadre d'une enquête intracommunautaire suite à la livraison en Belgique de palettes d'oeufs non classés provenant d'un centre agréé d'Arras et portant la mention du mode d'élevage (poules pondeuses en libre parcours) et à l'utilisation de faux certificats et de faux documents, la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes porte plainte " contre x " le 26 septembre 1995.

Une information est ouverte par réquisitoire du 5 mars 1996. L'enquête et l'information ont permis d'établir que la société Y, dont Monsieur Francis W était alors le directeur, avait eu recours, entre novembre 1993 et mars 1994 d'une part et entre décembre 1994 et avril 1995 d'autre part, en raison de l'insuffisance de la production de ses producteurs, à l'achat à l'étranger (la Belgique) de palettes d'oeufs pour la plupart calibrés qu'elle conditionnait elle-même et revendait à l'étranger (Allemagne) et sur le marché français sous le label "produits par Y".

Les bordereaux d'achat et les factures acquittées auprès du fournisseur belge mentionnaient "oeufs libre parcours" ou "plein air".

Les oeufs à destination de l'Allemagne étaient conditionnés dans des emballages revêtus d'images couleur représentant des poules dans un pré et les indications à l'intérieur des emballages mentionnaient que les poules étaient des poules de "libre parcours" et que les élevages étaient contrôlés par les autorités sanitaires françaises.

Ceux commercialisés en France l'étaient sous l'appellation "oeufs fermiers, produits en Bretagne" ; ils étaient conditionnés, comme ceux prévus à l'exportation, pour la plupart au centre de Bapaume et mélangés à la production locale sans aucun contrôle de qualité.

Messieurs X et W ont admis la matérialité de ces faits, le premier en en reportant la responsabilité pénale sur Monsieur A, puisqu'il assurait à partir de février 1994 les fonctions de directeur général adjoint, le second indiquant qu'il n'avait reçu aucune opposition de sa hiérarchie bien qu'il se soit douté d'une "possible tromperie" à compter de novembre 1993.

Monsieur A a indiqué quant à lui que son rôle était limité à la gestion et à l'administration de l'entreprise et qu'il n'avait jamais eu la moindre responsabilité sur la partie commerciale ; il contestait donc toute responsabilité pénale.

En juin 1995, la DGCCRF procède au contrôle d'élevages de poules chez trois producteurs travaillant avec la société Y relevant du groupe "Z", et constate que leur production ne peut répondre à l'appellation oeufs de poules "en libre parcours", les animaux ne disposant pas de la superficie adéquate.

En novembre 1995, elle procède également à un contrôle au centre de Bapaume où les oeufs sont conditionnés sous la marque Y ; l'étiquetage précisant qu'il s'agit d'oeufs de poules élevées "en plein air" ; contrôle à la suite duquel il est apparu que les oeufs provenaient autant de Bretagne, soit de la société "Y", que d'élevages du Pas-de-Calais, du Nord et du MIN de Rungis, les trois derniers ne répondant donc pas, par suite, au critère de provenance.

En décembre 1995 elle procède enfin à un contrôle des élevages de deux producteurs liés par contrat d'intégration à la société C ; contrôle à la suite duquel il est établi que bien que déclarés à l'Administration comme élevages de "poules libres parcours", deux d'entre eux ne disposaient pas de la superficie suffisante pour prétendre à cette appellation, la superficie concédée aux volailles ne permettant que l'appellation de "poules élevées en plein air" ; la différence tenant à la superficie dont elles bénéficient: 10 m2 pour la poule de libre parcours, 2,5 m2 pour la poule élevée en plein air.

Une information est ouverte par réquisitoire du 11 décembre 1997.

L'enquête et l'information ont confirmé les observations faites par la DGCCRF.

Monsieur X invoquait à nouveau la délégation consentie à Monsieur A lequel reprenait le moyen de défense opposé dans l'autre procédure; Monsieur D se prévalait du rôle tenu par Z pour contester sa responsabilité, ce dit syndicat assurant seul selon lui le suivi technique des élevages et la vérification de l'application de la réglementation en vigueur.

(Dossier 97.001265).

Monsieur X était renvoyé devant le tribunal pour répondre des infractions suivantes:

Tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles (articles L. 213 et suivants du Code de la consommation), ce pour avoir commercialisé des oeufs sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et de production fermière alors que ces oeufs étaient de production industrielle et d'origine étrangère (procédure 95.008432) et pour avoir vendu des oeufs présentés comme d'origine bretonne alors qu'ils venaient d'autres élevages; l'ordonnance de renvoi visant expressément pour ces derniers faits les constatations faites par la DGCCRF en juillet et novembre 1995 (procédure 97.001265).

Publicité mensongère (articles L. 121 et suivants du Code de la consommation) pour avoir commercialisé des oeufs sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et de production fermière alors qu'il les savait de production industrielle et d'origine étrangère (procédure 95.008432).

Monsieur A était renvoyé pour répondre des infractions suivantes:

Tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles (articles L. 213 et suivants du Code de la consommation) pour avoir commercialisé des oeufs sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et de production fermière alors qu'ils étaient de production industrielle et d'origine étrangère (procédure 95.008432) et avoir vendu des oeufs présentés comme d'origine bretonne alors qu'ils venaient d'autres élevages, l'ordonnance de renvoi visant expressément les contrôles des 15 et 21 juin 1995 (procédure 97.001265).

Publicité mensongère (articles L. 121 et suivants du Code de la consommation) pour avoir commercialisé des oeufs sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et de production fermière alors qu'il les savait de production industrielle et d'origine étrangère (procédure 95.008432).

Monsieur W était renvoyé pour répondre des infractions suivantes:

Tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles (articles L. 213 et suivants du Code de la consommation) pour avoir vendu des oeufs sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et comme étant de production fermière alors qu'ils étaient de production industrielle et d'origine étrangère ce pour la période de novembre 1993 à mars 1994 (procédure 95.008432).

Publicité mensongère (article L. 121 et suivants du Code de la consommation) pour avoir commercialisés sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" et de production fermière des oeufs qu'il savait de production industrielle et d'origine étrangère (procédure 95.008432).

Monsieur D était renvoyé pour répondre de l'infraction suivante:

Tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles (article L. 213 et suivants du Code de la consommation) pour avoir vendu sous l'appellation "oeufs de libre parcours" des oeufs de poules ne bénéficiant de la superficie adéquate pour pouvoir prétendre à cette catégorie; l'ordonnance de renvoi visant expressément les contrôles des 12 et 13 décembre 1995 (procédure 97.001265).

Le tribunal relaxait Messieurs X, A et W du délit de tromperie afférents à l'achat et la revente des oeufs de provenance étrangère et de production industrielle et les déclarait, comme Monsieur D, coupable du surplus; Monsieur A étant quant à lui et de plus relaxé pour tout fait commis avant février 1994, date de son arrivée dans l'entreprise.

Procédure devant la cour:

Appelants à titre principal les prévenus font valoir, chacun pour ce qui le concerne:

Monsieur X:

Sans contester la matérialité des faits, savoir l'achat d'oeufs en Belgique, entre novembre 1993 et avril 1995 et leur revente dans les conditions relevées par la DGCCRF; savoir également l'achat et la mise en vente d'oeufs de provenance tant de Bretagne que d'autres régions de France (Nord, Pas-de-Calais ou MIN) au cours de l'année 1995, il soutient - en sa qualité de Président du Directoire de la société Z et de président directeur général de la société Y et compte tenu de la date des faits retenus dans la prévention - que seuls Messieurs A ou W peuvent répondre pénalement des infractions qui lui sont reprochées, le premier en sa qualité de directeur de la société Y, le second en sa qualité de directeur général de la société Z.

A titre subsidiaire, il considère que les délits tels que prévus et réprimés par les articles L. 121-1 et suivants et L. 213 et suivants du Code de la consommation ne sont pas constitués. Pour ce il se réfère aux règlements européens n° 1907-90 et 1274-91 lesquels fixent certaines normes de commercialisation dont sa société peut se prévaloir et notamment celles dont il résulterait que sa société était légitimement présumée vendre une production conforme à la mention "oeufs de poule de plein air", sans qu'un contrôle au surplus effectué a posteriori ne permette de renverser cette présomption.

Il soutient également que n'est pas rapportée la preuve que sa société aurait vendu, sous l'appellation "d'oeufs Y", d'oeufs de production industrielle française.

Il rappelle enfin que la dénomination Y est constitutive d'une marque bien qu'au moment du rachat par Z de la société Y elle n'ait pas été déposée auprès de l'INPI par F. Sa propre société n'ayant ou que la jouissance de cette marque, déposée en 1990 par Monsieur W au nom de F, et en l'absence de réglementation européenne spécifique au commerce des oeufs et à un label d'origine contrôlée, il soutient qu'il ne peut être tiré aucune conséquence pénale de la vente sous la dénomination d'"oeufs fermiers" d'oeufs d'une provenance autre que les fermes bretonnes, l'essentiel étant qu'ils proviennent de "fermes" au sens classique du terme.

Il sollicite donc sa relaxe et à titre subsidiaire, au regard de la législation européenne, demande à ce que les chefs de prévention retenus contre lui soient déclarés "totalement inopérants" (sic) et qu'il soit jugé que les éléments intentionnels et matériels du délit de tromperie ne sont pas constitués.

Monsieur A:

Il sollicite également sa relaxe au double motif que:

a) selon lui, la commercialisation d'oeufs sous la marque Y d'oeufs d'origine non bretonne ne constitue pas l'élément matériel du délit de tromperie (l'élément moral tiré de l'intention ayant été écarté par le tribunal).

b) la délégation de pouvoir dont se prévaut Monsieur X est inefficace à engager sa responsabilité pénale dans la mesure où la fraude résulte d'une politique volontairement décidée par le chef d'entreprise avant son entrée en fonction et sur laquelle il n'avait aucun pouvoir de décision.

A titre subsidiaire, il considère que Y est une marque et ne constitue donc ni une appellation d'origine ni un mode de production susceptibles en tant que tels de permettre des poursuites pour tromperie ou publicité mensongère. Il rappelle à cet effet que la société a été victime du comportement de son fournisseur belge et qu'elle a commercialisé de bonne foi les oeufs présentés comme étant issus de poules de plein air ou de libre parcours.

Monsieur W:

Il soutient être étranger tant au délit de tromperie qu'à celui de publicité mensongère, tous deux découlant de la vente sous appellation "d'oeufs de libre parcours" d'oeufs de production industrielle, dans la mesure où la société a elle-même été la victime non consentante du fournisseur étranger.

Il considère en outre que n'est pas rapportée contre lui la preuve que sous sa direction, soit entre novembre 1993 et juin 1994, aient été vendus dans des emballages Y des oeufs en provenance de fermes autres que bretonnes voire belges.

Monsieur D:

Il sollicite également sa relaxe estimant l'infraction non établie en ce qui le concerne ; à titre subsidiaire, il demande cette relaxe au bénéfice du doute dans la mesure où selon lui seuls les fermiers producteurs étaient tenus de respecter les termes de leur contrat d'intégration, contrat en vertu duquel ils s'engageaient à produire des oeufs de "libre parcours".

A titre subsidiaire il soutient que n'est pas rapportée la preuve qu'aient été offerts à la vente des oeufs issus de "poules de libre parcours", lui-même ne commercialisant que des oeufs issus de "poules de plein air".

Il considère que le Ministère public ne rapporte pas lu preuve, qui lui incombe, de son intention délictueuse.

Il ne conteste pas par contre les termes de la délégation de pouvoirs consentie par le directeur de la société "Z".

Le Ministère public:

A l'égard de Monsieur X, il considère qu'il doit être tiré toute conséquence de la délégation de pouvoirs consentie à Monsieur A à partir de mars 1994, sa culpabilité demeurant acquise pour les faits antérieurs, qu'il s'agisse de la tromperie ou de la publicité mensongère, et pour cette dernière en sa qualité "d'annonceur". Il demande cependant contre lui des peines d'emprisonnement avec sursis et d'amende plus lourdes que celle prononcées par le tribunal.

A l'égard de Monsieur A, pour qui il entend que la cour rectifie les termes de la prévention et retienne comme date de commission des faits juillet et novembre 1995 et non 15 et 21 juin 1995 comme indiqué dans l'ordonnance de renvoi, il demande d'une part la confirmation du jugement en ce qu'il avait été relaxé pour tout fait antérieur à février 1994 et condamné pour les faits postérieurs de publicité mensongère et d'autre part sa réformation du chef de tromperie. Il sollicite une aggravation des peines d'emprisonnement avec sursis et d'amende.

A l'égard de Monsieur W, qu'il considère comme complice de Messieurs X ou A selon les époques, il demande également la confirmation de principe du jugement entrepris tout en sollicitant une aggravation de la peine d'emprisonnement avec sursis.

A l'égard de Monsieur D enfin, il demande la confirmation pure et simple du jugement tant du chef des qualifications et culpabilité que du chef de la peine prononcée.

Sur ce:

1) Procédure 95.008432:

Dans cette procédure sont concernés Messieurs X en sa qualité de président directeur général de la holding Z et de la société Y, Monsieur A en sa qualité de directeur général adjoint et au vu de la délégation de pouvoirs dont il bénéficiait, et Monsieur W en sa qualité de directeur commercial de la société Y.

En l'espèce il est constant que les achats d'oeufs en Belgique, décidés essentiellement par Monsieur W en sa qualité de directeur de la société Y et justifiés par une production locale ou française insuffisante pour satisfaire les demandes notamment des acheteurs étrangers, particulièrement d'Allemagne, ont été réalisés par l'intermédiaire du courtier habituel de la société, que les bons d'achat et les factures émises par la société venderesse portaient bien la mention "oeufs de plein air", il est tout aussi constant que ces oeufs étaient conditionnés pour la France dans des emballages portant la mention Y et vendus comme "oeufs de poules élevées en plein air" et pour l'étranger dans des emballages portant la marque du client acheteur soit la marque "xxx" et illustrés par l'image de poules picorant en plein champ.

Il est acquis également que Monsieur W s'est douté d'une éventuelle "tricherie" dès le mois de novembre 1993 et qu'il a continué cependant à s'approvisionner auprès de la société belge sur, dit-il, consigne de son directeur général, ce qui est contesté par celui-ci, acceptant en conséquence de continuer à acheter et à vendre, entre novembre 1993 et mars 1994 et sous le vocable d'oeufs de poules de plein air, des oeufs qu'il pouvait imaginer être de production vraisemblablement "industrielle", plus exactement de "batterie", cette pratique s'étant poursuivie après son départ et jusqu'en avril 1995.

Il demeure pourtant, et le fait n'est pas contesté par le Ministère public ni remis en cause par l'instruction, qu'aucun contrôle quelle qu'en soit la qualité ne permet de discerner un oeuf "industriel" d'un oeuf issu de "poule de plein air" ou de poule dite de "libre parcours".

a) sur le délit de tromperie:

Pour être punissable, ce délit suppose que soit rapportée la preuve de l'intention frauduleuse, la mauvaise foi ne se présumant pas et le simple défaut de vérification ou de surveillance ne suffisant pas à le caractériser.

S'il demeure qu'au visa des dispositions du règlement CEE du 15.05.1991 (règlement n° 1274-91) établissant les modalités d'application du règlement 1907-90 du 26 juin 1990 concernant certaines normes de commercialisation applicables aux oeufs, il appartenait sans doute à la société Yde vérifier l'origine véritable des oeufs, ce que manifestement elle n'a pas fait se contentant des mentions portés sur les bons d'achat et les factures, il doit être relevé ainsi que l'a fait la DGCCRF qu'aucune vérification visuelle des oeufs acquis n'aurait permis de déterminer la véritable nature, industrielle ou non, de la production.

Au surplus le prix pratiqué par le vendeur correspondait au prix d'oeufs de libre parcours ou de plein air et entraînait pour la société une charge financière plus lourde dans la mesure où elle achetait les oeufs à un prix supérieur à celui normalement pratiqué sur le territoire français.

En conséquence il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé les trois prévenus de ce chef, l'intention frauduleuse n'étant pas établie à leur encontre et la matérialité de la fraude, alors que la société faisait intervenir un intermédiaire en lit personne d'un courtier, n'étant pas vérifiable une fois les livraisons faites.

b) sur la publicité mensongère:

La société Y a été créée par Monsieur W en 1982 et lors de son rachat par le groupe Z, il s'engageait à déposer la marque Y auprès de l'INPI ; l'acquisition de cette marque ayant justifié sans doute pour une grande part le prix d'achat (6 000 000 F selon la promesse de vente consentie le 16 septembre 1988).

En réalité, la marque n'a été déposée par Monsieur W qu'en 1990 au nom du "Groupement F", syndicat professionnel, lequel en a concédé la jouissance à la société Y.

Constitue une publicité tout moyen d'information destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les caractéristiques du bien vendu et l'article L. 121-1 du Code de la consommation réprime toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur lorsqu'elles portent sur (...) l'espèce, l'origine (...) les propriétés (...) des biens et services proposés.

Au cas d'espèce il est donc reproché à Messieurs X et A, chacun en fonction de sa qualification ou de l'étendue de ses responsabilités dans la société, d'avoir commercialisé des oeufs présentés comme d'origine bretonne et issus d'élevages de poules de plein air alors que selon la prévention ils étaient d'origine étrangère et de production "industrielle".

Or ainsi que relevé ci-dessus, Y n'est pas une appellation d'origine ni un mode de production mais une marque. De plus le fait déterminant pour le consommateur est davantage de savoir, par les mentions portés sur les emballages, la nature de l'élevage "de plein air" ou de "libre parcours" ou "en cage".

La seule obligation pour la société Y était donc de vendre des oeufs avec l'indication du mode d'élevage, tel que défini ci-dessus en fonction des caractéristiques des élevages.

La commercialisation sous la dénomination Y des oeufs d'origine étrangère n'est donc pas en elle-même un fait constitutif d'une publicité mensongère.

De même, le fait d'avoir proposé à la vente et sous la même appellation des oeufs dits de production industrielle (ceux acquis en Belgique) ne peut lui être reprochée puisque elle a été induite en erreur par son propre fournisseur.

Le jugement doit en conséquence et au vu des observations qui précèdent être réformé et les prévenus relaxés de ce chef de la prévention.

2°) Procédure 97.001265:

A dans les mêmes conditions et limites que dans l'autre procédure, et d'autre part Monsieur D en sa qualité de gérant de fait de la société E et détenteur d'une délégation de pouvoirs en bonne et due forme.

a) sur le délit de tromperie reproché à Messieurs X et Y:

Les observations ci-dessus faites sur la marque et l'appellation Y sont bien évidemment valables dans cette procédure, le fait de s'approvisionner auprès de producteurs d'autres régions de France que la Bretagne n'influençant en rien ses obligations tenant à la qualité des élevages et au mode de production retenu pour pouvoir prétendre à l'appellation d'oeufs de libre parcours ou issus de poules de plein air. Le jugement sera en conséquence infirmé également de ce chef et les prévenus relaxés.

b) sur le délit de tromperie reproché à Monsieur D:

Courant 1995, il a été procédé au contrôle de deux élevages liés par un contrat d'intégration avec la société Z, contrôle à la suite duquel il a été constaté que les poules ne disposaient pas de la superficie nécessaire pour pouvoir prétendre à l'appellation "poules de libre parcours", bien que ces deux élevages aient été déclarés aux autorités sanitaires comme élevages de libre parcours.

Contrairement cependant à ce qu'a retenu le tribunal, et en l'absence de preuve contraire rapportée par l'accusation, Monsieur D doit être relaxé pour les motifs suivants:

En effet d'une part et bien qu'il ait effectivement, selon ses déclarations, pu développer la filière "libre parcours" en Allemagne, il n'est nullement établi par la procédure qu'il ait exporté vers ce pays des oeufs dits de plein air sous la dénomination d'oeufs issus de poules de libre parcours; d'autre part il indique, et son affirmation sur ce point n'a pas été mise en défaut, n'avoir commercialisé en France que des oeufs dits de plein air; ce qui revient à dire que ceux provenant des élevages contrôlés étaient déclassés.

Dès lors le délit de tromperie n'est pas légalement constitué et le jugement doit être infirmé de ce chef.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de X René, D Yves, A Gilbert et W Francis, En la forme Reçoit les appels, Au fond Confirme le jugement en ce qu'il a relaxé Messieurs X, A et W du délit de tromperie et Monsieur W du délit de publicité trompeuse pour la période antérieure à mars 1994, faits, objet de la procédure n° 95.008432. L'infirme pour le surplus et relaxe tous les prévenus des délits de publicité mensongère et de tromperie, faits, objet de la procédure n° 97.001265.

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