CA Paris, 25e ch. A, 27 février 1987, n° M 11075
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fours MGR (Sté)
Défendeur :
Fonderie Thevenin (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Habilat
Conseillers :
M. Beteille, M. Bertheas
Avoués :
SCP Fanet, SCP Duboscq, Pellerin
Avocats :
Mes Bouvy, Bomnecque.
Statuant sur l'appel interjeté par la société Fours MGR à l'encontre d'un jugement en date du 15 avril 1985 par lequel le Tribunal de commerce de Paris (10e chambre) l'a condamnée à payer à la société Fonderie Thevenin la somme de 77 748 F, l'a déboutée de sa demande reconventionnelle et a dit que les dépens seraient supportés pour 1/3 par la société MGR, la responsabilité ayant été partagée dans ces proportions entre les parties ;
Statuant aussi sur l'appel incident de la société Fonderie Thevenin ;
Considérant que les éléments de la cause et les prétentions des parties peuvent être résumés qu'ainsi qu'il suit :
Le litige oppose la société Fonderie Thevenin à son fournisseur, la société Fours MGR, à laquelle elle reproche de lui avoir vendu à la suite de sa demande de mai 1981, des fours défectueux, en raison notamment du fait que les résistances électriques incorporées dans ces fours n'auraient pas eu une durée d'utilisation suffisante.
La société Fonderie Thevenin a donc assigné la société Fours MGR, le 27 avril 1984, en paiement de la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, portée ensuite à 233 245,38 F.
La société MGR a soulevé l'irrecevabilité de cette action, par application tant de la clause conventionnelle de garantie que de l'article 1648 du Code civile ; elle a subsidiairement, au débouté de la société Fonderie Thevenin et a formé une demande reconventionnelle en dommage-intérêts.
Au vu du rapport de l'expert Cure commis en référé le 15 juillet 1983, le tribunal a estimé que la société Fours MGR était responsable pour 1/3 des défectuosités constatées et que la société Fonderie Thevenin avait engagé sa responsabilité pour 2/3 des défectuosités constatées et que la société Fonderie Thevenin avait engagé sa responsabilité pour 2/3 en s'étant livrée à des manipulations sur les résistances sont il s'agit sans en informer la venderesse ; les premiers juges ont admis que le préjudice de la société Fonderie Thevenin était de 233 245,38 F et ils ont dit qu'1/3 de ce dommage soit 77 74 F, devrait être réparé par la société Fours MGR.
Devant la cour, la société Fours MGR conclut à la réformation du jugement déféré ; elle demande, comme en première instante, à titre principale que la société Fonderie Thevenin soit déclarée irrecevable en sa demande et, subsidiairement, qu'elle en soit déboutée ; elle requiert en outre, la cour de faire droit à sa demande reconventionnelle en condamnant la société Fonderie Thevenin à lui payer 50 000 F, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive et vexatoire, et 30 000 F, en vertu de l'article 700 du NCPC.
De son côté, la société Fonderie Thevenin conclut à la confirmation, en son principe, de cette même décision ; formant toutefois appel incident sur le partage de responsabilité, elle prie la cour de déclarer la société Fours MGR totalement responsable de son préjudice et de la condamner en conséquence à lui payer l'intégralité de la somme de 233 245,38 F, outre les intérêts de droit ; subsidiairement, la société précitée demande que la responsabilité de MGR soit retenue au moins à concurrence des 2/3 au lieu d'1/3 et que la somme de 155 496,85F soit par conséquent mise à sa charge ; elle réclame enfin la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 susvisé.
Il est, au surplus, fait références aux conclusions des parties, lesquelles sont annexées au dossier.
Cela étant exposé :
Sur la recevabilité de l'action de la société Fonderie Thevenin
Considérant que la société Fours MGR soutient qu'en élevant, en juillet 1983, une réclamation contre les fours mis en service près de deux ans plutôt, en septembre 1981, la société Fonderie Thevenin s'est privée de la possibilité d'invoquer tant la garantie contractuelle du fabricant, limité à six mois, que la garantie légale pour vices cachés, laquelle aurait dû être mise en jeu dans le bref délai imparti de l'article 1648 du Code civil ;
Considérant, sur le premier point, que les conditions de vente de MGR, connues de Thevenin, stipulaient que la garantie du constructeur était de six mois à compter du jour de la livraison, qu'elle s'entendait pour une utilisation du matériel vendu de huit heures par jour, qu'elle ne jouait qu'après que la société venderesse ait été avisée par écrit et sans retard des vices allégués, et qu'elle devenait caduque si l'acquéreur effectuait la réparation ;
Or, considérant qu'en l'occurrence, la Fonderie Thevenin, qui avait reçu livraison des fours en juillet 1981, a laissé s'écrouler le délai de six mois, qui devait être au demeurant raccourci pour tenir compte de l'utilisation intensive que ladite société faisait de ces fours, sans adresser à MGR aucune protestation écrite ; qu'elle s'est, qu surplus, abstenue d'informer celle-ci des interventions multiples qu'elle a elle-même pratiquées ;
Considérant que l'action de la société Fonderie Thevenin n'est donc pas recevable sur le terrain de la garantie contractuelle ;
Considérant sur le second point, que, dès lors que la dite société ne fait état, dans ses conclusions, qu d'un " vice de réception ", sans viser aucun article du Code civil, la recevabilité de son action doit être examiné au regard non seulement de l'article 1147 de ce même Code, relatif à la responsabilité de tout débiteur d'obligation en cas d'inexécution de celle-ci ;
Considérant sur le terrain des vices cachés, que, s'il est vrai que la société Fonderie Thevenin n'a saisi le juge des référés qu'en juillet 1983, il doit être observé, d'une part, que les défectuosités alléguées concernaient non pas les six fours livrés mais seulement quatre d'entre eux, la différence de comportement justifiant une période d'observation plus longue de la part de l'utilisateur, d'autre part que, sur les quatre fours litigieux, deux d'entre eux, de type 3 FAB 1800, avaient pu, ainsi que le précise dans son rapport l'expert Cure, qui est allé sur les lieux le 26 juillet 1983, rester en fonctionnement malgré leurs déficiences, ce qui conduit Thevenin à attendre, dans l'espoir que le constructeur, qui est venu plusieurs fois sur place, apporte un remède aux incidents survenus ;
Considérant que ces circonstances particulière, jointes au fait que les critiques de l'acquéreur- formulées verbalement - portaient essentiellement sur les résistances électriques des fours dont le bon ou mauvais fonctionnement ne pouvait être apprécié, même par un professionnel, que sur une durée relativement longue, la " longévité " de ces éléments étant d'un ou deux ans selon le fabricant, expliquent et justifient que la société Thevenin n'ait pas pu être convaincue de l'existence d'un vice avant la date à laquelle elle a sollicité la désignation d'un expert ;
Considérant qu'à cette date, la nature exacte du vice et sa cause étaient encore inconnues ; qu'elles n'ont pu être révélées que par les conclusions consignées par l'expert dans son rapport du 26 avril 1984, déposé le même jour au greffe du tribunal de commerce ;
Considérant que c'est seulement à partir du moment où ces conclusions ont été portées à la connaissance des parties, que la société Fonderie Thevenin a été en possession de toutes les données concernant les défectuosités qui affectaient le fonctionnement de quatre de ses fours ;
Considérant que le délai qui lui était accordé pour agir en garantie des vices cachés a donc commencé à courir à partir de la date précitée du 26 avril 1984 ;
Or considérant que la société Fonderie Thevenin a assigné au fond la société MGN le 27 avril 1984, que par conséquent, l'action a été engagée dans le bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil ;
Considérant qu'au demeurant, et en se plaçant sur le terrain de l'article 1147 du même Code, la responsabilité de la société venderesse pouvait toujours être recherchée, selon les modalités du droit commun des obligations ;
Considérant qu'en effet, dès lors qu'il résultait des opérations d'expertises que le matériel vendu n'était pas conforme à ce que le fournisseur s'était obligé à délivrer, l'acheteur dont les protestations verbales témoignaient suffisamment de ce qu'il n'avait pas accepté la livraison sans réserves, disposait contre celui-ci, la prescription d'étant pas acquise, d'une action en responsabilité, indépendante de celle qui lui était ouverte en application des articles 1541 et suivants du Code civil ;
Considérant qu'il y a donc lieu de déclarer recevable la demande de la société Fonderie Thevenin ;
AU FOND :
Considérant que la société MGR soutient que ses fours n'étaient atteints d'aucun vice ; qu'elle reproche à la société Fonderie Thevenin d'avoir fait une mauvaise utilisation du matériel et d'avoir, de surcroît, apporté à la position de certains éléments internes des fours, modifications nuisible au bon fonctionnement de l'ensemble ;
Mais considérant que l'expert, qui a recueilli les observations des deux parties, n'indique nullement que la société Thevenin aurait été à l'origine des défectuosités non apparentes dont il dit que les résistances ont été atteintes, par l'emploi maladroit, négligent ou abusif qu'elle auraient fait des fours acquis par elle ;
Considérant qu'au contraire les causes de ces défauts, qualifiés d'anormaux par M. Cure, sont d'ordre purement technique et se rattachent tant à la conception qu'à la fabrication des éléments constitutifs des fours ;
Considérant que c'est en effet par l'action combinée d'un mauvais emplacement du tiermocouple charger de couper le courant électrique en cas de surchauffe, d'un mauvais choix de matériaux de garnissage des résistances, provoquant des réaction chimiques, et d'une charge maximale trop élevée, que de nombreuses résistances ont fondu, à des intervalles très rapprochés, ce qui a entraîner le ralentissement du fonctionnement des fours atteints ou même pour certains leurs arrêts ;
Considérant que même en tenant compte de ce que la fonderie travaillait 24 heures sur 24, ce qui raccourcissait inévitablement la " longévité " des résistances de 2 ans à 8 mois, la fréquence des remplacements de celles-ci était tout à fait anormale, ainsi que le souligne à plusieurs reprises l'expert, dès lors que certaines étaient changées tous les mois ou tous les deux mois alors qu'elles n'auraient dû faire l'objet que de trois fois ou quatre remplacements en 2 ans ;
Considérant que la société MGR a ainsi fourni un matériel dont la qualité était inférieure à celle qui avait convenue lors de la commande - l'usage industriel des fours nécessitant une particulière robustesse de tous leurs composants et qui était même défectueux sur un point important, à savoir la structure et la protection des résistances électriques, dont les anomalies gênaient l'exploitation normale de ces fours ;
Considérant que, ce faisant, la société MGR a manqué, partiellement, à son obligation contractuelle de délivrer une marchandise conforme à la commande ;
Considérant que, de son côté, la société Fonderie Thevenin a eu tort d'effectuer des réparations à l'insu de sa co-contractante, qu'elle n'a pas associée assez complètement à ses démarches, et de modifier la position des thermo-counles d'une manière qui n'était pas adéquate, ainsi qu'il est indiqué au rapport d'expertise ;
Considérant, qu'en outre, les interventions de ladite société ont été à ce point fréquentes qu'elles ont eu pour conséquence de détériorer partiellement le matériau fibreux servant du support aux résistances, ce qui a contribué à l'aggravation des défectuosités d'origines ;
Considérant que, dans ces conditions, la responsabilité a été à bon droit partagée par le tribunal dans la proportion de 2/3 à la charge de Fonderie Thevenin et de 1/3 à la charge de MGR ;
Considérant que seront donc rejetées ainsi bien la demande de MGR tendant à être dégagée de toute responsabilité que celle de Thevenin tendant à inverser le partage institué par les premiers juges ;
Considérant que la société MGR doit, dans ces conditions, réparer pour un tiers le préjudice subi par la société Fonderie Thevenin ;
Considérant que celle-ci évalue son dommage à la somme globale de 233 245,38 F, correspondant d'une part aux frais de réfection des résistances détériorées, d'autre part aux pertes d'exploitation nées de l'arrêt momentané des fours défectueux, ceux-ci ayant pu fonctionner à nouveau après réparation ;
Mais considérant que le coût des réfections aurait été moindre si celles-ci avaient été effectuées par MGR, ce qui n'a pas été le cas ;
Considérant par ailleurs que le montant de la perte financière doit être ramené à plus justes proportions ;
Considérant que, compte tenu des éléments d'appréciation dont elle dispose, la cour fixe le préjudice total de la société Thevenin à la somme de 174 000 F ;
Considérant que la société Fours MGR sera donc tenue d'indemniser ladite société en lui payant la somme de 58 000 F, majorée des intérêts du taux légal ;
Considérant que la demande de la société Fours MGR en paiement de dommages-intérêts sera rejetée, l'action engagée par la fonderie Thevenin n'étant aucunement abusive ;
Considérant que chaque partie succombant partiellement dans ses prétentions respectives, les dépens d'appel seront partagés à raison de 2/3 à la charge de la société Fours MGR et d'un tiers à la charge de la société Fonderie Thevenin, les dépens de première instance demeurant répartis ainsi qu'en a décidé le tribunal
Considérant que l'équité ne conduit pas à l'application de l'article 700 du NCPC ;
Par ces motifs, Déclare recevable la demande de la société Fonderie Thevenin ; Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation mise à la charge de la société Fours MGR ; Emendant sur ce point, fixe à 58 000 F, outre les intérêts au taux légal, le montant de la somme que cette société devra payer à la société Fonderie Thevenin ; Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ; Dit que les dépens d'appel seront supportés pour deux tiers par la société Fours MGR et pour un tiers par la société Fonderie Thevenin ; Autorise les avoués de la cause à recouvrer, chacun pour ce qui le concerne et dans les proportions du partage institué ci-dessus, ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.