CA Rouen, 2e ch. civ., 28 novembre 1996, n° 9500014
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Welby (SA)
Défendeur :
Vredestein France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Credeville
Conseillers :
M. Lecourt, M. Dragne
Avoués :
SCP Gallière-Lejeune, SCP Colin-Voinchet-Radiguet
Avocats :
Mes Pimont, Brun Lorenzi.
I - Faits de la cause
Au moins de février 1992, la société Welby, à Sotteville les Rouen, a été chargée par la société Thann et Mulhouse de recouvrir l'intérieur d'une cuve en acier neuve, d'un volume de 3 500 mètres cubes, installée sur la zone industrielles du Havre, et destinée à recevoir des acides, d'un revêtement en caoutchouc, devant assurer une étanchéité parfaite pour éviter la corrosion du métal par les acides.
Le 8 février 1992, la société Welby a commandé à la société Vredestein, à Pantin, la fourniture du revêtement de caoutchouc ; un devis a été établi le 18 février 1992, un échantillon a été fourni le 27 avril 1992.
Le 4 mai 1992, la société Welby a commandé la livraison de 1 100 m2 de feuilles de caoutchouc, sous forme de 82 rouleaux ; le 1er juillet 1992, la livraison de 82 rouleaux de caoutchouc a été opérée sur le chantier du Havre.
Le 7 juillet 1992, la société Vredestein a adressé à la société Welby une facture d'un montant de 218 193,04 F.
Au commencement du mois d'août 1992, les préposés de la société Welby ont entrepris de procéder à la pose de revêtement intérieur de la cuve.
Il a été constaté que les rouleaux de caoutchouc livrés, comportant deux faces lisses et non revêtues de toile, ne correspondaient pas aux spécifications de la commande, et présentaient de graves défectuosités.
Le 11 et le 19 août 1992 , la société Welby a informé la société Vredestein de la non-conformité des marchandises livrées avec la commande ; la matérialité des vices, affectant la qualité des rouleaux de caoutchouc, a été constatée par une expertise officieuse du Bureau Véritas, le 21 août 1992 ;
Les 82 rouleaux de caoutchouc, livrés par la société de la société Vredestein, ont dû être transportés dans les ateliers de la société Welby, où ils ont dû faire l'objet de travaux de réparation ; 25 rouleaux supplémentaires ont été livrés par la société Vredestein au mois de septembre 1992.
La société Welby n'a pu achever l'exécution des travaux qui lui étaient confiés, dans les délais prescrits ; les rouleaux de caoutchouc litigieux ont été de nouveau transportés au Havre ; des anomalies ont encore été décelées, avant la pose du revêtement de la cuve ; la location de matériel du chantier, notamment des échafaudages, a dû être prolongée ; de nombreux travaux supplémentaires ont dû être exécutés ;
Le 9 décembre 1992, la société Welby a réclamé à la société Vredestein le paiement de la somme de 298 280 F, correspondant au coût des travaux supplémentaires et a refusé de s'acquitter du prix des rouleaux livrés, s'élevant à la somme de 257 881,94 F.
Le 26 mai 1993, le président du tribunal de commerce du Havre a commis un expert, Monsieur Souny, à la requête de la société Welby.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 12 mai 1993 ; il a conclu que les rouleaux de caoutchouc livrés présentaient de graves défauts, mais que les responsabilités devaient être partagées entre le fournisseur et l'installateur.
Par assignation du 7 septembre 1993, la société Welby a fait citer la société Vredestein devant le Tribunal de commerce du Havre, afin de la voir condamner au paiement de la somme de 298 280 F, en principal, correspondant au coût des travaux supplémentaires exécutés.
La société Vredestein a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 257 881,94 F, correspondant au prix des rouleaux livrés, devant le Tribunal de commerce du Havre.
Par jugement contradictoire du 17 octobre 1994, le Tribunal de commerce du Havre, considérant que la société Welby n'avait pas formulé de réserves, lors de la réception des marchandises :
1°) - a déclaré la société Welby mal fondée en sa demande de paiement du coût des travaux supplémentaires, l'a déboutée,
2°) - a déclaré la société Vredestein bien fondée en sa demande reconventionnelle en paiement des marchandises livrées,
3°) - a condamné la société Welby, à payer à la société Vredestein la somme de 257 881,94 F, augmenté des intérêts au taux légal, ainsi que d'une somme de 5 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
4°) - a ordonné l'exécution provisoire.
Appel de cette décision a été interjeté le 13 décembre 1994 par la société Welby.
II - Moyens et demandes des parties
La société Welby, appelante, soutient :
1°) - que ses réclamations formées au début du mois d'août 1992, ne sont pas tardives, alors même que les marchandises avaient été livrées depuis le 1er juillet 1992,
2°) - que les défauts, affectant les rouleaux livrés, n'ont été constatés que lors du commencement des travaux,
3°) - que les produits livrés ne sont pas conformes à la commande,
4°) - que le préjudice, résultant du coût des travaux supplémentaires et des retards, s'est élevé à la somme de 298.280 F, se décomposant ainsi qu'il suit :
I - frais de transport des rouleaux
du Havre à Sotteville et de Sotteville au Havre 9 000 F
- travaux de réparation aux Ateliers
de Sotteville 52 480 F
II - travaux de réparation effectués
au Havre (56 réparations) 72 800 F
- remplacement de pièces 64 000 F
- coûts supplémentaires de main d'œuvre, de location de matériels (échafaudages, bâches, etc...) 100 00 F
- préjudice résultant de la prolongation du chantier
Total 298 280 F
5°) - Que cette somme est supérieure au prix des marchandises livrée.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris :
1°) - de la déclarer bien fondée en ses demandes,
2°) - de condamner la société Vredestein à lui payer la somme de 298 280 F, augmentée des intérêts au taux légal, à compter du 7 septembre 1993,
3°) - de déclarer la société Vredestein mal fondée en sa demande reconventionnelle, l'en débouter.
4°) - de condamner la société Vredestein au paiement d'une indemnité de 20 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Vredestein France, intimée, réplique :
1°) - que les marchandises ont été livrées le 1er juillet 1992,
2°) - que toute réclamation devait être faite dans un délai de huit jours, à compter de la livraison,
3°) - que la société Welby n'a formulé sa réclamation que le 11 août 1992, quarante deux jours après la livraison,
4°) - que la société Welby n'apporte pas la preuve de la non-conformité à la commande des marchandises livrées,
5°) - qu'elle a également commis des erreurs et des négligences dans l'exécution des travaux de pose du revêtement, dont elle st responsable à l'égard du maître de l'ouvrage, la société Thann et Mulhouse,
6°) - qu'elle demeure débitrice à son égard d'une somme globale de 257 881,94 F, correspondant aux deux factures impayées :
- facture du 7 juillet 1992 (82 rouleaux) 218 193,64 F
- facture du 7 octobre 1992 64 357,10 F
Total : 282 550,74 F
- à déduire prix de 9 rouleaux restitués 24 668,80 F
Total : 257 881,94 F
Elle demande à la cour de :
1°) - de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Welby au paiement de la somme de 257 881,94 F,
2°) - et la recevant en ses demandes additionnelles, de condamner la société Welby au paiement d'une indemnité de 20 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
III - Motifs de la cour
Attendu que l'acquéreur soutient que les marchandises vendues présentaient des défauts graves, et n'étaient pas conforme aux spécifications contractuelles ;
Qu'il sollicite la réparation du dommage qui lui a été causé par l'exécution défectueuse de l'obligation du vendeur, dans les termes des articles 1604 et suivants et 1641 et suivants du Code civil ;
Attendu que pour s'opposer à cette demande de réparation, la société venderesse des produits litigieux invoque les articles 8-1 et 8-2 des conditions générales de vente de ses produits, suivant lesquels :
1°) - l'acquéreur est tenu, dès l'arrivée des marchandises à leur lieu de destination, de les compter, de les peser, de vérifier leur état apparent et de faire rechercher, de façon usuelle, les vices cachés éventuels, avant de procéder à leur emploi,
2°) - Toute réclamation, concernant les quantités, les mesures, les poids, les vices, apparents ou cachés, simples à constater, doit être formulée par écrit, dans un délai de huit jours, à compter de la réception des marchandises à leur lieu de destination,
3°) - à défaut de réclamation écrite, les marchandises sont réputées livrées conformes ;
Attendu qu'en premier lieu il est constant que les rouleaux de caoutchouc litigieux ont été livrés directement le 1er juillet 1992, dans les locaux de la société Thann et Mulhouse, au Havre ;
Que les préposés de la société Welby n'ont pu procéder à la moindre vérification, avant le commencement des travaux, ainsi que l'a constaté l'expert judiciaire ;
Que celui-ci a observé, dans son rapport du 12 mai 1993, que compte-tenu de la nature de la marchandise livrée, 82 rouleaux de 10 mètres de longueur, renfermés dans des emballages :
1°) - l'état apparent ne pouvait être vérifié,
2°) - la vérification nécessitait le déroulement des produits,
3°) - la surface des rouleaux était protégée par un emballage plastique qui ne pouvait être enlevé que lors de la pose, de sorte que la non-conformité (faces lisses et non revêtues de toiles), ne pouvait être décelés avant le commencement des travaux ;
Attendu que dès la découverte par ses préposés des défauts, affectant les rouleaux livrés, le 11 août 1992, la société Welby a adressé une réclamation écrite à la société Vredestein ;
Que dès lors, la réclamation de la société Welby ne peut être considérée comme tardive, compte-tenu de la spécificité de la marchandise livrée ;
Attendu qu'en second lieu, les rouleaux de caoutchouc livrés ne correspondaient pas aux spécifications contractuelles, de sorte que des travaux de ponçage ont été rendus nécessaires ;
Qu'ils présentaient, en outre, des défectuosités, constatées dès le 21 août 1992, par le Bureau Véritas ;
Attendu qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire du 12 mai 1993, que les travaux de ponçage des rouleaux ne pouvaient être effectués sur le chantier ; que le transport dans les ateliers de Sotteville a été rendu nécessaire ;
Que les rouleaux livrés présentaient des défauts graves (trois, insuffisance d'épaisseur), affectant la qualité de la marchandise livrés ;
Attendu que la société Vredestein a accepté le 29 octobre 1992, la restitution de neuf rouleaux défectueux (130 m2), et a consenti à la déduction d'une somme de 24 668,80 F, sur le montant global de ses factures, s'élevant à la somme de 282 550,74 F ;
Qu'elle sollicite le paiement de la somme de 257 881,94 F correspondant aux :
- facture du 7 juillet 1992 (1150 m2) 218 193,64 F
- facture du 7 octobre 1992 (339 m2) 64 357,10 F
Total : 282 550,74 F - 24 668,80 F = 257 881,94 F
Mais attendu qu'après examen des pièces justificatives, l'expert judiciaire a estimé :
1°) - que les frais de transport des rouleaux du Havre à Sotteville et de Sotteville au Havre, s'élevaient à la somme de 9 000 F, et que le coût des travaux de ponçage et de réparation des rouleaux aux ateliers de Sotteville, s'élevant à la somme de 52 480 F, étaient justifiés, en raison des défauts des produits livrés,
2°) - que le coût des 56 réparations effectuées sur le chantier du Havre, s'élevant à 72 800 F, être justifié, mais que les responsabilités doivent être partagées entre le fournisseur et l'installateur, sur ce point, en raison des erreurs commises, lors de la pose du revêtement,
3°) - que le remplacement complet de dix rouleaux, dont le coût s'élève à 64 000 F, doit demeurer à la charge de l'installateur, lequel n'a pas respecté les prescriptions relatives ai collage du revêtement ; que le défaut de collage est imputable à la société Welby,
4°) - qu'en raison des malfaçons, imputables à l'installateur, lors de la pose du revêtement de la cuve, et résidant essentiellement dans les erreurs d'utilisation de la colle, les responsabilités doivent être partagées entre le fournisseur et l'installateur, en ce qui concerne les travaux supplémentaires,
5°) - que la société Welby a dû, à la demande expresse du maître de l'ouvrage, la société Thann et Mulhouse, accorder une garantie contractuelle d'une durée de cinq ans, au lieu de la garantie d'un an, initialement prévue ;
Que cette prolongation de garantie est justifiée, en raison de l'incertitude quant à la bonne tenue du revêtement posé ;
6°) - Que les aléas normaux, inhérents à l'exécution d'un chantier, doivent être supportés par l'entreprise ;
Attendu que compte tenu des conclusions du rapport d'expertise, il convient de dire que la société Welby doit supporter, dans la proportion de moitié, les conséquences des dommages dont elle sollicite l'indemnisation, en ce qui concerne les réparations, effectuées sur le chantier du Havre, et les travaux supplémentaires ;
Que l'indemnisation du préjudice, subi par la société Welby, doit être ainsi qu'il suit :
I frais de transport et travaux de réparation aux ateliers de Sotteville 61 480 F
II - travaux de réparation effectués au Havre : 72 800 F : 2 = 36 400 F
III- coûts supplémentaires de main d'œuvre, de location de matériels 50 000 F
Total : 147 880 F
Que cette somme doit être déduite de la créance de la société Vredestein ;
Qu'en vertu des articles 1641 et 1644 du Code civil, l'acquéreur est fondé à obtenir une réduction du prix ;
Que la demande en paiement de la société Vredestein est fondée à concurrence d'une somme de 110 001,94 F :
257.881,94 F - 147 880 F = 110 001,94 F
Que le jugement déféré doit être réformé en ce sens ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles par elle exposés ;
Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement dont appel, Déclare la société Welby recevable et fondée en sa demande de réduction du prix des marchandises livrées par la société Vredestein, Condamne la société Welby à payer à la société Vredestein la somme de cent dix mille un francs quatre-vingt-quatorze (110 001,94 F), augmenté des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel et accorde aux avoués de la cause le droit de recouvrement direct, selon l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.