CJCE, 28 juin 1983, n° 161-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 mai 1982, la Commission des communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en limitant l'importation de semence destinée à l'insémination artificielle des animaux a une catégorie déterminée d'opérateurs et en rendant possible pour les centres de mise en place la mise en œuvre de pratiques discriminatoires à l'égard de la semence importée, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
2. D'après la Commission, les dispositions législatives et réglementaires applicables en France en matière d'insémination artificielle des animaux, et la pratique suivie par les autorités françaises en ce qui concerne les conditions d'importation de semence, seraient contraires à l'article 37 du traité ainsi qu'à l'article 2 de la directive 77-504 du conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure (JO L 206, p. 8).
3. Le débat entre les parties, tant au cours de la procédure précontentieuse que devant la Cour, a exclusivement porté sur le régime français applicable en matière d'insémination artificielle des bovins. La directive invoquée par la Commission ne concerne que les animaux de l'espèce bovine de race pure et les faits sur lesquels la Commission appuie son recours sont survenus à l'occasion de l'importation de semence bovine. Dans ces conditions, la Cour considère que le recours vise des limitations à l'importation et des pratiques discriminatoires à l'égard de semence destinée à l'insémination artificielle des seuls animaux de l'espèce bovine.
4. La réglementation française applicable à l'insémination artificielle de ces animaux résulte notamment de la loi n° 66-1005 du 28 décembre 1966 sur l'élevage (JORF 1966, p. 11619). En vertu de l'article 5, premier alinéa, de cette loi, l'exploitation de centres d'insémination est soumise à autorisation. La disposition en cause fait une distinction entre les centres charges de la production de la semence et ceux qui assurent la mise en place de la semence, mais elle n'exclut pas qu'un seul centre s'occupe des deux types d'activités à la fois. Les activités de production consistent dans l'entretien d'un dépôt de reproducteurs males, la mise à l'épreuve des reproducteurs, ainsi que dans la récolte, le conditionnement, la conservation et la cession de la semence. Les activités de mise en place consistent à assurer l'insémination des femelles ou à contrôler celle-ci lorsqu'elle est effectuée par des éleveurs habilites a cet effet.
5. La loi précitée de 1966 prévoit en outre que chaque centre de mise en place dessert une zone à l'intérieur de laquelle il est seul habilite a intervenir (article 5, alinéa 4); si une telle zone est attribuée à une coopérative agricole, celle-ci est tenue d'accepter, comme usagers, les éleveurs non adhérents. Les éleveurs établis dans la zone d'action d'un centre de mise en place peuvent demander à celui-ci de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix (article 5, alinéa 5); les frais supplémentaires résultant d'un tel choix sont à la charge de l'utilisateur. Les centres de mise en place qui ne sont pas en même temps des centres de production sont normalement approvisionnes en reproducteurs ou en semence par le ou les centres de production avec lesquels ils ont souscrit un contrat d'approvisionnement.
6. Quant à l'importation de la semence, elle est subordonnée à l'obtention pour chaque cas d'une licence octroyée par le ministre de l'Agriculture. La demande de licence doit être accompagnée d'une facture " pro forma " mentionnant les quantités de doses par reproducteur, du certificat de formule sanguine des animaux ayant produit la semence établi par un laboratoire agrée dans le pays d'origine, ainsi que les résultats officiels des contrôles de performances de ces animaux.
7. La Commission ne conteste, dans le présent recours, ni la compétence des autorités françaises de soumettre les importations de semence destinée à l'insémination artificielle des bovins à des licences d'importation, ni le droit de ces autorités d'exiger que la semence importée respecte les normes zootechniques applicables en france. Son recours vise exclusivement le fait que la réglementation française et la pratique administrative suivie par les autorités françaises dans le domaine de l'octroi des licences d'importation aboutirait à une limitation de l'accès à l'importation de semence à une catégorie déterminée d'opérateurs et à la possibilité, pour les centres de mise en place, de mettre en œuvre des pratiques discriminatoires.
8. A cet effet, la Commission allègue que les licences d'importation sont exclusivement octroyées aux opérateurs économiques qui, selon les autorités françaises, seraient susceptibles d'utiliser les semences conformément à la réglementation nationale applicable ou agissant pour le compte d'un organisme remplissant cette condition. Il en résulterait que, d'une façon générale, les licences d'importation ne seraient délivrées qu'aux centres de production ou de mise en place et à l'union nationale de ces centres, l'union nationale des coopératives d'élevage et d'insémination artificielle (ci-après UNCEIA), ainsi qu'à une seule société commerciale, la Bovec.
9. Selon la Commission, une telle pratique serait contraire à l'article 37 du traité en ce qu'elle réserverait l'importation et la commercialisation de la semence importée aux organismes produisant et commercialisant la semence produite sur le territoire national, ce qui aboutirait a une garantie d'écoulement de la production nationale. Cette pratique violerait également l'article 2 de la directive 77-504, d'après lequel ne peuvent pas être restreints ou entraves pour des raisons zootechniques les échanges intracommunautaires de sperme provenant de bovins reproducteurs de race pure.
10. Le Gouvernement français précise d'abord que le monopole régional des centres de mise en place concerne la prestation de services et ne touche pas à l'importation et à la commercialisation de semence. A supposer même que l'ensemble de ces monopoles régionaux constitue un monopole national, un tel monopole ne présenterait en aucun cas un caractère commercial au sens de l'article 37 du traité.
11. Quant au régime applicable aux importations de semence, le Gouvernement français reconnaît qu'une licence n'est octroyée qu'à la condition que l'importateur puisse utiliser les semences conformément à la loi ou agir pour le compte d'un organisme remplissant cette condition. Il serait suffisant, à cet égard, que l'importateur puisse indiquer le centre de mise en place ou l'inséminateur agrée qu'il a chargé de la mise en place de la semence.
12. Selon le Gouvernement français, il serait erroné de croire que seuls les centres de mise en place peuvent importer de la semence et que, pour obtenir de la semence importée, un éleveur est tenu de s'adresser au centre de mise en place de sa région. Rien, dans la législation française, n'empêcherait un éleveur individuel, ou un centre de production ou de mise en place, de s'adresser directement à un centre étranger pour lui acheter de la semence. Néanmoins, cette possibilité serait peu utilisée en raison du coût prohibitif de l'importation de la semence en petites quantités.
13. Le Gouvernement français souligne que la loi de 1966 sur l'élevage, ainsi que les textes pris pour son application, à pour objet d'améliorer la qualité et les conditions d'exploitation du cheptel. Cet objectif comporterait un contrôle rigoureux des activités d'insémination artificielle, contrôle qui aurait, à son tour, une certaine répercussion sur les conditions d'octroi de licences pour l'importation de semence destinée à l'insémination artificielle.
14. Il y a lieu d'observer d'abord qu'il ne résulte ni des pièces du dossier ni des débats menés devant la Cour que des textes législatifs ou réglementaires français instituent un monopole national sur la commercialisation ou l'importation de semence destinée à l'insémination artificielle des bovins. Pour que la Commission puisse invoquer l'article 37 du traité, il faudrait donc, conformément au paragraphe 1, alinéa 2, de cette disposition, qu'elle établisse l'existence d'un organisme par lequel l'Etat français, en droit ou en fait, contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations de semence en provenance d'autres Etats membres.
15. La Commission admet que le seul fait, pour la République française, de subordonner l'importation de semence à un système de licences n'est pas de nature à établir l'existence d'une situation de fait ou de droit telle que décrite par cette disposition. Elle a cependant soutenu que la pratique suivie par les autorités françaises aboutirait à ce résultat.
16. Il résulte des statistiques présentées par le Gouvernement français et non contestées par la Commission qu'en 1980 et 1981, plus de la moitie de la semence bovine étrangère achetée en France a été importée par l'UNCEIA, et le reste par des centres d'insémination, par une filiale de l'UNCEIA et par la firme Bovec. En 1981, plus de 75 % de la semence importée provenaient de pays tiers, en particulier des Etats-Unis. Dans la même année, à peu près 20 % des doses de semence importée étaient couverts par des licences d'importation accordées à la firme Bovec ; en 1980, ce chiffre s'élevait à 20 %.
17. Pour la Commission, ces chiffres confirment que les autorités françaises auraient, par le biais d'une pratique administrative constante en matière d'octroi de licences d'importation, confère " de facto " l'exclusivité de l'importation aux centres de production ou de mise en place ou à des organismes agissant pour le compte de ou en relation avec des centres. Ces organismes seraient, en particulier, l'UNCEIA et la firme Bovec.
18. Le gouvernement français a cependant soutenu que la firme Bovec est une firme privée, filiale d'une société américaine, et cette information n'a pas été contredite par la Commission. Il en résulte que le nombre d'importateurs exerçant leurs activités sur le marché de la commercialisation de la semence destinée à l'insémination artificielle des bovins n'est pas limite aux centres d'insémination et à l'UNCEIA, une firme commerciale privée, et qui ne dépend pas d'eux, se trouvant également parmi ces importateurs. Dans ces conditions, la situation de fait ne permet pas de conclure que l'ensemble des centres d'insémination et l'UNCEIA constitue un " organisme " par lequel la République française contrôle, dirige et influence sensiblement les importations entre Etats membres.
19. La Commission s'étant exclusivement fondée sur la pratique suivie par le ministre de l'Agriculture en matière d'octroi de licences d'importation pour soutenir la violation de l'article 37 du traité, il résulte des considérations précédentes que cette violation n'a pas été établie.
20. Le deuxième chef du recours s'appuie sur l'article 2 de la directive 77-504, d'après lequel les Etats membres veillent à ce que ne soient pas interdits, restreints ou entraves pour des raisons zootechniques les échanges intracommunautaires, entre autres, de sperme et d'ovules fécondés provenant de bovins reproducteurs de race pure.
21. Pour réfuter ce moyen, le Gouvernement français a invoqué l'article 3 de la directive. Cette disposition prévoit que, jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions communautaires d'admission des bovins reproducteurs de race pure à la production, l'admission de ces bovins à la reproduction, l'admission de taureaux destines à l'insémination artificielle et l'utilisation de sperme ainsi que d'ovules fécondés restent soumises aux législations nationales, étant entendu que celles-ci ne peuvent pas être plus restrictives que celles qui sont applicables aux bovins reproducteurs de race pure, au sperme et aux ovules fécondés dans l'Etat membre destinataire.
22. Il convient d'observer que le moyen de la Commission, place dans le contexte des dispositions précitées des articles 2 et 3 de la directive, revient à la thèse selon laquelle les restrictions ou entraves des échanges intracommunautaires de sperme pour des raisons zootechniques, telles qu'interdites par l'article 2, impliquent l'application, par un Etat membre, au sperme importe, des normes zootechniques prévues par sa législation nationale pour l'utilisation du sperme sur son territoire.
23. Cette conception n'est pas compatible avec le maintien, en vertu de l'article 3, de la subordination de l'utilisation de sperme aux conditions posées par les législations nationales, et elle se heurte notamment à l'idée exprimée à la fin de cette disposition et selon laquelle un Etat membre ne peut pas appliquer au sperme importe d'un autre Etat membre un régime plus stricte que celui applicable au sperme produit et utilise sur son propre territoire. Il en résulte en effet que la directive admet la disparité des normes existantes et qu'elle laisse prévaloir, en cas d'échanges intracommunautaires, les normes applicables à l'utilisation du sperme dans l'état ou ce sperme sera utilisé.
24. Par conséquent, la République française n'a pas violé la directive 77-504 par le fait de subordonner l'octroi de licences d'importation de semence destinée à l'insémination artificielle des bovins aux exigences zootechniques prévues par la législation française et applicables indistinctement à la semence importée et celle produite sur le territoire national.
25. Il en résulte que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
26. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) le recours est rejeté.
2) la partie requérante supportera les dépens.