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Décisions

CJCE, 28 juin 1983, n° 271-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société coopérative d'amélioration de l'élevage et d'insémination artificielle du Béarn

Défendeur :

Mialocq, Saphore, Agri-Sem (Sté)

CJCE n° 271-81

28 juin 1983

LA COUR,

1. Par jugement du 22 avril 1981, parvenu à la Cour le 7 octobre suivant, le Tribunal de grande instance de Pau a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 37 du traité.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige né de l'infraction à la législation française relative à l'insémination artificielle des bovins commise par deux éleveurs ayant pratiqué des inséminations artificielles dans le ressort territorial où la société coopérative d'amélioration de l'élevage et d'insémination artificielle du Bearn était seule habilitée à procéder à de telles opérations.

3. Il ressort des renseignements fournis par le Gouvernement français et par la Commission que la réglementation française applicable à l'insémination artificielle des bovins résulte notamment de la loi n° 66-1005 du 28 décembre 1966 sur l'élevage (JORF 1966, p. 11619). En vertu de l'article 5, alinéa 1, de cette loi, l'exploitation de centres d'insémination est soumise à autorisation. La disposition en cause fait une distinction entre les centres chargés de la production de la semence et ceux qui assurent la mise en place de la semence, mais elle n'exclut pas qu'un seul centre s'occupe des deux types d'activités à la fois. Les activités de production consistent dans l'entretien d'un dépôt de reproducteurs mâles, la mise à l'épreuve des reproducteurs, ainsi que dans la récolte, le conditionnement, la conservation et la cession de la semence. Les activités de mise en place consistent à assurer l'insémination des femelles ou à contrôler celle-ci lorsqu'elle est effectuée par des éleveurs habilités à cet effet.

4. La loi précitée de 1966 prévoit en outre que chaque centre de mise en place dessert une zone à l'intérieur de laquelle il est seul habilité à intervenir (article 5, alinéa 4); si une telle zone est attribuée à une coopérative agricole, celle-ci est tenue d'accepter, comme usagers, les éleveurs non-adhérents. Les éleveurs établis dans la zone d'action d'un centre de mise en place peuvent demander à celui-ci de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix (article 5, alinéa 5); les frais supplémentaires résultant d'un tel choix sont à la charge de l'utilisateur. Les centres de mise en place qui ne sont pas en même temps des centres de production sont normalement approvisionnés en reproducteurs ou en semence par le ou les centres de production avec lesquels ils ont souscrit un contrat d'approvisionnement.

5. Le jugement de renvoi constate, sur la base de cette réglementation, qu'il existe actuellement en France un monopole territorial en faveur des centres de mise en place de la semence bovine. Il relève que l'attribution à une société coopérative d'une zone d'exclusivité pourrait être contraire aux dispositions de l'article 37 du traité CEE relatives aux monopoles nationaux présentant un caractère commercial.

6. A cet égard, la juridiction nationale considère que le caractère monopolistique des centres de mise en place n'est pas contestable et que le monopole en question revêt un caractère national du fait que l'ensemble des centres n'est pas exposé à la concurrence, les éleveurs ayant l'obligation de passer par le centre dont ils dépendent pour procéder à l'insémination artificielle des bovins et même pour obtenir la semence de leur choix. Elle s'interroge, toutefois, sur le point de savoir si ces centres présentent un caractère commercial.

7. C'est en vue d'être éclairée sur ce point que la juridiction nationale a posé une première question préjudicielle, ainsi libellée :

" Les prestations de service ont-elles, au sens de l'article 37 du traité CEE, un caractère commercial, dès lors que, érigées en monopole national, elles permettent à l'état d'assurer la direction d'une branche de l'économie nationale ? "

8. Il y a lieu de rappeler d'abord que, comme la Cour l'a déjà dit dans son arrêt du 30 avril 1974 (Sacchi, 155-73, Recueil p. 409), il résulte tant de la place de l'article 37 dans le chapitre du traité sur l'élimination des restrictions quantitatives, que de la terminologie utilisée dans cette disposition, qu'elle vise les échanges de marchandises et ne concerne pas un monopole de prestations de services.

9. Par conséquent, le seul fait qu'un monopole national de prestations de services permet aux autorités de l'Etat membre concerné d'assumer, comme le formule la question préjudicielle, la direction d'une branche de l'économie nationale, ne suffit pas pour parvenir à la conclusion qu'un tel monopole relève des dispositions de l'article 37.

10. Toutefois, la possibilité ne peut être exclue qu'un monopole de prestations de services puisse avoir une influence indirecte sur les échanges de marchandises entre les Etats membres. C'est ainsi qu'une entreprise, ou un ensemble d'entreprises, monopolisant la prestation de certains services, pourrait contrevenir au principe de la libre circulation de marchandises dans la mesure, notamment, où ce monopole aboutirait à une discrimination de produits importés par rapport aux produits d'origine nationale.

11. Les circonstances relevées par le jugement de renvoi et celles apparues au cours de la procédure devant la Cour ne suffisent cependant pas pour considérer qu'une législation du type de celle régissant en France l'insémination artificielle des bovins institue de façon indirecte une monopolisation qui entrave la libre circulation des marchandises.

12. Ces circonstances font en effet apparaître que, d'après la législation applicable en France, tout éleveur individuel est libre de demander au centre de mise en place dont il dépend, de lui fournir de la semence provenant du centre de production de son choix, en France ou à l'étranger. Le Gouvernement français a indiqué que rien, dans la législation française, n'empêcherait un centre de mise en place ou même un éleveur individuel de s'adresser directement à un centre étranger pour lui acheter de la semence, et d'obtenir la licence d'importation nécessaire à cet effet.

13. Il convient donc de répondre à la première question que l'article 37 doit être interprété en ce sens que cette disposition ne concerne pas un monopole de prestations de services, même si un tel monopole permet à l'Etat membre concerné d'assumer la direction d'une branche de l'économie nationale, à condition qu'il ne contrevienne pas au principe de la libre circulation de marchandises en discriminant les produits importés au profit de produits d'origine nationale.

14. Au vu de cette réponse, les deuxième et troisième questions, qui ne concernent que les activités d'un monopole dans le domaine de la prestation de services, sont devenues sans objet.

Sur les dépens

15. Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de grande instance de Pau, par jugement du 22 avril 1981, dit pour droit :

L'article 37 du traité ne concerne pas un monopole de prestations de services, même si un tel monopole permet à l'Etat membre concerné d'assumer la direction d'une branche de l'économie nationale, à condition qu'il ne contrevienne pas au principe de la libre circulation de marchandises en discriminant les produits importés au profit de produits d'origine nationale.