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Décisions

CJCE, 1 juillet 1969, n° 24-68

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

CJCE n° 24-68

1 juillet 1969

LA COUR,

1. Attendu que la Commission a saisi la Cour en application de l'article 169 du traité d'un recours visant à faire reconnaître que la République italienne en percevant un droit de statistique sur les marchandises exportées vers les autres Etats membres, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 16 du traité instituant la Communauté économique européenne ;

2. Que le même recours tend également à faire reconnaître qu'en percevant un droit de statistique sur les marchandises soumises à des règlements du conseil relatifs a certaines organisations communes des marches agricoles et importées des autres Etats membres, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l'article 189 du traité CEE et des articles 21, paragraphe 1, du règlement 120-67-CEE, 19, paragraphe 1, du règlement 121-67-CEE, 13, paragraphe 1, du règlement 122-67-CEE, 13, paragraphe 1, du règlement 123-67-CEE, 22, paragraphe 1, du règlement 804-68-CEE, 22, paragraphe 1, du règlement 805-68-CEE, 23, paragraphe 1, du règlement 359-67-CEE et 3, paragraphe 1, du règlement 136-66-CEE ;

Sur la notion de taxe d'effet équivalent

3. Attendu qu'aux termes de l'article 9 du traité CEE, la Communauté est fondée sur une union douanière reposant sur l'interdiction entre les Etats membres des droits de douane et de toutes taxes d'effet équivalent, ainsi que sur l'adoption d'un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers ;

Qu'aux termes de l'article 12 est interdite l'introduction de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation ou taxes d'effet équivalent ;

Qu'aux termes des articles 13 et 16, les droits de douane et taxes d'effet équivalent, tant à l'exportation qu'à l'importation, en vigueur entre les Etats membres, doivent être supprimés suivant les modalités et dans les délais prévus par ces dispositions ;

4. Attendu que la place de ces articles en tête de la partie réservée aux fondements de la Communauté, celle de l'article 9 à l'entrée même du titre sur la libre circulation des marchandises, celle des articles 12, 13 et 16 dans la section consacrée à l'élimination des droits de douane, suffit à marquer le rôle essentiel des interdictions ainsi édictées ;

Que la force de ces prohibitions est telle que, pour éviter de les voir tournées par la variété des pratiques douanières ou fiscales, le traité a voulu prévenir toute faille éventuelle dans leur mise en œuvre ;

5. Qu'il est ainsi précise par l'article 17 que les interdictions de l'article 9 recevront application, même si les droits de douane ont un caractère fiscal ;

Que l'article 95, place à la fois dans la partie du traité consacrée à la " politique de la Communauté " et dans le chapitre réservé aux dispositions fiscales, tend, par l'interdiction de frapper les produits importés d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent la production nationale, à colmater les brèches qu'un procédé fiscal pourrait ouvrir dans les interdictions prescrites ;

6. Attendu qu'en édictant l'interdiction des droits de douane, le traité ne distingue pas entre les marchandises selon qu'elles entrent ou non en concurrence avec les produits du pays importateur ;

Que l'abolition des barrières douanières ne vise donc pas exclusivement à éliminer leur caractère protecteur, le traité ayant au contraire entendu donner à la règle de l'élimination des droits de douane et taxes d'effet équivalent, une portée et un effet généraux en vue d'assurer la libre circulation des marchandises ;

7. Qu'il résulte de l'ensemble de ce système et du caractère général et absolu de l'interdiction de tout droit de douane applicable aux marchandises circulant entre les Etats membres que les droits de douane sont interdits indépendamment de toute considération du but en vue duquel ils ont été institués ainsi que de la destination des recettes qu'ils procurent ;

Que la justification de cette interdiction réside dans l'entrave que des charges pécuniaires - fussent-elles minimes - appliquées en raison du franchissement des frontières constituent pour la circulation des marchandises ;

8. Attendu que l'extension de l'interdiction des droits de douane aux taxes d'effet équivalent a pour fonction de compléter, en la rendant efficace, l'interdiction des entraves aux échanges résultant de ces droits ;

Que l'emploi de ces deux notions complémentaires tend ainsi à éviter, dans le commerce entre les Etats membres, l'imposition de toute charge pécuniaire basée sur le fait du passage de la frontière d'un état par des marchandises circulant à l'intérieur de la Communauté ;

9. Que, pour reconnaître à une taxe un effet équivalent à celui d'un droit de douane, il importe donc de considérer cet effet au regard des objectifs que se propose le traité dans les parties, titre et chapitre ou sont insérés les articles 9, 12, 13 et 16, notamment par rapport à la libre circulation des marchandises ;

Que, des lors, une charge pécuniaire, fut-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique et frappant les marchandises nationales ou étrangères a raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité, alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de l'état, qu'elle n'exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le produit impose ne se trouverait pas en concurrence avec une production nationale ;

10. Attendu qu'il résulte de l'ensemble des textes susvisés et de leur rapport avec les autres dispositions du traité que l'interdiction de nouveaux droits de douane ou taxes d'effet équivalent, liée au principe de la libre circulation des produits, constitue une règle essentielle qui, sans préjudice d'autres dispositions du traité, ne comporte pas d'exceptions ;

11. Qu'à cet égard, il résulte des articles 95 et suivants que la notion de taxe d'effet équivalent ne comprend pas les impositions frappant de la même manière, à l'intérieur de l'état, les produits nationaux similaires ou comparables, ou entrant tout au moins, en l'absence de tels produits, dans le cadre d'une imposition intérieure générale, ou ayant pour but de compenser, dans les limites prévues par le traité, de telles impositions intérieures ;

Que, s'il n'est pas exclu que, dans certaines hypothèses, un service déterminé effectivement rendu puisse faire l'objet d'une éventuelle contrepartie proportionnée audit service, il ne peut s'agir que de cas d'espèces qui ne sauraient conduire à tourner les dispositions des articles 9, 12, 13 et 16 du traité ;

Sur l'imposition litigieuse

12. Attendu que la défenderesse fait d'abord valoir que la Commission aurait, à tort, scinde le droit de statistique en deux concepts distincts se rapportant l'un à l'importation, l'autre à l'exportation, alors que la nature juridique de l'imposition litigieuse devrait être appréciée en tenant compte de son véritable aspect et non en la fractionnant en deux impositions distinctes ;

Que la circonstance que le droit de statistique frapperait tous les passages de marchandises à la frontière sans distinguer, ni entre l'exportation et l'importation, ni entre les marchandises nationales et les marchandises étrangères, exclurait par elle-même toute possibilité de considérer que la taxe à des effets équivalant à ceux d'un droit de douane puisque tout effet protecteur de la production nationale ou tout effet discriminatoire se trouverait éliminé ;

13. Que la Commission, par contre, analyse le droit litigieux en deux taxes distinctes ayant un effet équivalant respectivement à celui d'un droit de douane à l'importation et d'un droit de douane à l'exportation et présentant des effets protecteurs ou discriminatoires, si minimes soient-ils ;

14. Attendu qu'il est indifférent pour sa qualification au regard du traité que la taxe litigieuse s'analyse en une imposition globale ou en deux impositions distinctes, constituant d'une part un droit à l'exportation et d'autre part un droit à l'importation ;

Qu'en frappant de façon générale tous les passages à la frontière, la taxe en question rend plus difficile l'interpénétration voulue par le traité et à ainsi sur la libre circulation des marchandises un effet équivalant à un droit de douane ;

Que le taux minime de la taxe ne saurait lui enlever sa qualification au regard des principes du traité, celui-ci ne permettant pas, pour le contrôle de la légalité de ces impositions, de substituer un critère de quotité à ceux tires de la nature de la taxe ;

15. Attendu que le Gouvernement italien fait encore valoir que le droit litigieux constituerait la contreprestation d'un service rendu et doit, de ce chef, échapper à la qualification de taxe d'effet équivalent ;

Que, selon le gouvernement italien, la statistique en question a pour objet de déterminer, de façon précise, les mouvements réels de marchandises et, par voie de conséquence, les modifications de la situation du marché ;

Que la précision absolue des renseignements ainsi fournis placerait les importateurs dans une meilleure position compétitive sur le marché italien, tandis que les exportateurs auraient un avantage similaire à l'étranger ;

Que les avantages particuliers que ces opérateurs économiques en retireraient, justifieraient que le financement de ce service public soit mis à leur charge et feraient voir d'autre part le caractère rémunératoire du droit litigieux ;

16. Attendu que les renseignements statistiques en question sont utiles à l'ensemble de la vie économique et entre autres aux administrations compétentes ;

Que, même s'ils devaient améliorer plus spécialement la position compétitive des importateurs et des exportateurs, encore s'agit-il en l'espèce d'un avantage à ce point général et dont l'évaluation est a ce point incertaine que la taxe litigieuse ne saurait être considérée comme une rémunération formant la contrepartie d'un avantage déterminé effectivement rendu ;

17. Attendu qu'il apparaît des considérations ci-dessus que l'imposition litigieuse est, pour autant qu'elle frappe les exportations, contraire à l'article 16 du traité ;

18. Attendu, en ce qui concerne le droit de statistique sur les importations en provenance des autres Etats membres de produits soumis à des règlements relatifs à l'organisation commune des marches, que les dispositions précitées de ces règlements interdisent dans le commerce intracommunautaire la perception de tout droit de douane ou taxe d'effet équivalent ;

Que la notion de " taxe d'effet équivalent ", tributaire de celle de " droit de douane ", a été dans les règlements précités, reprise des articles 9, 12 et 13 du traité ;

Que rien dans lesdits règlements ne permet de penser qu'ils visent à conférer à cette notion une portée différente de celle qu'elle revêt dans le cadre du traité lui-même, et cela d'autant moins que ces règlements, en tenant compte des conditions spécifiques de l'instauration d'un Marché commun des produits agricoles, poursuivent les objectifs des articles 9 a 13 du traité dont ils constituent l'application ;

19. Que, selon l'article 189 du traité, ces règlements sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout état membre ;

Qu'en violant lesdites dispositions, la défenderesse à des lors manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité ;

Quant aux dépens

20. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Que la partie défenderesse a succombé en ses moyens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) en percevant à l'exportation vers les autres Etats membres de la Communauté la taxe prévue par l'article 42 du décret du Président de la République n° 723 du 26 juin 1965, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 16 du traité instituant la Communauté économique européenne ;

2) en percevant à l'importation a partir des autres Etats membres la taxe prévue par l'article 42 du décret du Président de la République n° 723 du 26 juin 1965 sur les marchandises soumises à des règlements du conseil relatifs à certaines organisations communes des marches agricoles, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 189 du traité et des articles 21, paragraphe 1, du règlement 120-67-CEE, 19, paragraphe 1, du règlement 121-67-CEE, 13, paragraphe 1, du règlement 122-67-CEE, 13, paragraphe 1, du règlement 123-67-CEE, 22, paragraphe 1, du règlement 804-68-CEE, 22, paragraphe 1, du règlement 805-68-CEE, 23, paragraphe 1, du règlement 359-67-CEE et 3, paragraphe 1, du règlement 136-66-CEE ;

3) la défenderesse est condamnée aux dépens.