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Décisions

Cass. crim., 26 avril 2000, n° 98-86.408

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Géronimi

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié

T. Pol. Illkirch., du 18 déc. 1997

18 décembre 1997

LA COUR : - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 593 du Code de procédure pénale et 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales :

" en ce que l'arrêt attaqué a omis d'examiner la demande de Gérard X (figurant en page 3 de ses conclusions) par laquelle il sollicitait que les échantillons prélevés par les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes le 13 décembre 1996 lui soient présentés afin qu'il puisse vérifier la présence à l'intérieur de l'emballage d'une brève notice en langue française insérée par le fabricant allemand ;

" alors, d'une part, que la cour d'appel a l'obligation, sous peine de nullité de sa décision, de répondre, fût-ce pour les écarter, aux demandes qui lui sont présentées par les parties ;

" alors, d'autre part, que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer par l'examen du procès-verbal précité, base des poursuites, que les prélèvements ayant été opérés en l'absence de Gérard X, leur présentation était essentielle aux droits de la défense " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à l'occasion d'un contrôle effectué dans un magasin de détail, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté que le mode d'utilisation de guirlandes électriques offertes à la vente n'était rédigé qu'en langue allemande ; que Gérard X, dirigeant de la société ayant fourni cette marchandise provenant d'Allemagne, est poursuivi pour avoir contrevenu à la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, infraction prévue et punie par l'article 1er du décret du 3 mars 1995 pris pour son application ;

Attendu que, contestant, devant les juges du fond, la matérialité des faits reprochés, le prévenu a demandé la présentation des exemplaires prélevés, par les agents de contrôle, en application de l'article 5 du décret précité ;

Attendu que le demandeur fait vainement grief à l'arrêt de n'avoir pas statué sur cette demande dès lors qu'en jugeant les faits établis, notamment par les constatations relatées dans le procès-verbal, les juges d'appel, sans méconnaître les droits de la défense, l'ont nécessairement écartée ; que le moyen ne peut, dès lors, être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, 30 du traité de Rome, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X coupable de contravention à la législation sur l'emploi de la langue française ;

" aux motifs que les contrôleurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté la mise en vente de produits allemands dépourvus de toute notice d'utilisation en langue française, l'infraction est donc parfaitement constituée dans tous ses éléments, sans que le prévenu puisse se retrancher derrière une négligence de son propre vendeur ; sur l'application du droit européen, il est constant que la loi du 4 août 1994 et son décret d'application qui ont prévu l'emploi de la langue française est destinée à protéger le consommateur, qu'elle n'est en aucun cas attentatoire au principe européen de la libre circulation dans la mesure où elle n'interdit pas l'importation des marchandises étrangères, le commerçant n'ayant que l'obligation de traduire ou d'étiqueter les livres en français de sorte que l'acheteur soit renseigné ;

" alors que l'obligation générale d'emploi de la langue française résultant des dispositions combinées de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 et du décret n° 95-240 du 3 mars 1995, constitue une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité de l'Union européenne dont les dispositions sont d'application directe en droit français et ne peut, dès lors, fonder une condamnation pénale en vertu de la supériorité du traité sur la loi interne ;

" alors que les décisions de la Cour de cassation n'étant pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, au cas où celle-ci serait dans l'incertitude quant à la compatibilité de la législation française imposant l'application de la langue française à l'ensemble des produits et services avec les dispositions du droit communautaire, elle serait en mesure de poser à la Cour de justice des Communautés européennes une question préjudicielle qui pourrait être rédigée de la manière suivante : "l'article 30 du traité de l'Union européenne peut-il être interprété comme autorisant un Etat membre à imposer de manière absolument générale, à peine de sanctions pénales, l'emploi d'une langue unique la sienne dans toute annonce ou mode d'emploi concernant tout produit importé sans que cette exigence soit notamment justifiée, dans sa loi, par la nature et les caractéristiques spécifiques du produit ?" " ;

Attendu que le prévenu a soutenu que l'obligation pénalement sanctionnée de rédiger le mode d'utilisation d'un produit en langue française, susceptible de créer une entrave au commerce intracommunautaire, est incompatible avec l'article 30, devenu l'article 28, du traité CE ;

Attendu qu'en rejetant cette exception, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués, dès lors que la mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation qui pourrait résulter de la législation prescrivant l'emploi de la langue française dans les modes d'utilisation des produits est justifiée, conformément à l'article 36, devenu l'article 30, du traité, par la protection des consommateurs sur le territoire national ; d'où il suit que le moyen doit être écarté, sans qu'il y ait lieu à question préjudicielle ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 et 131-13 du Code pénal, 2, alinéa 1, de la loi n° 94-665 du 4 août 1994, 1er du décret n° 95-240 du 3 mars 1995, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre de Gérard X 33 amendes de 100 francs ;

" alors, d'une part, que toute personne a le droit d'être informée de manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont elle est l'objet ; que ni la citation délivrée par le Parquet d'Illkirch, ni le procès-verbal base des poursuites ne mentionnent que la contravention aux dispositions de la loi du 4 août 1994 et du décret du 3 mars 1995 pris pour son application, ait été commise 33 fois ; que Gérard X n'a, à aucun moment, comparu au titre de 33 infractions distinctes et que, dès lors, en prononçant à son encontre 33 amendes, la cour d'appel a méconnu le principe précité édicté par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

" alors, d'autre part, que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'il ne résulte ni des dispositions de la loi du 4 août 1994 ni de celles du décret du 3 mars 1995 que les juges soient autorisés à prononcer autant de peines d'amende qu'il y a de manquements simultanément constatés aux dispositions légales imposant la langue française et que, dès lors, la décision attaquée procède d'une violation caractérisée de l'article 111-3 du Code pénal ";

Attendu que, contrairement aux allégations du demandeur, qui avait reçu notification du procès-verbal, sur lequel est fondée la poursuite, ce document, après avoir constaté que trente-trois guirlandes électriques étaient offertes à la vente dans le magasin, relève autant de contraventions à la charge de Gérard X ;

Attendu que la cour d'appel, à bon droit, a prononcé autant d'amendes que de contraventions constatées dès lors que la commercialisation de chaque article sans mode d'utilisation en langue française constitue une faute distincte punissable séparément ; que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.