CJCE, 13 décembre 1983, n° 218-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Conseil des Communautés européennes
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 août 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du règlement n° 1699-82 du Conseil, du 24 juin 1982, portant ouverture, répartition et mode de gestion d'un contingent tarifaire communautaire pour le rhum, l'arak et le tafia, relevant de la sous-position 22.09 C I du tarif douanier commun, originaires des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) (1982/1983) (JO L 189).
2. L'article 2, paragraphe 1, de la deuxième convention ACP-CEE, signée à Lome le 31 octobre 1975, prévoit que " les produits originaires des Etats ACP sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent ".
3. Le protocole n° 5, annexe à la convention, instaure une exception a cette règle en ce qui concerne le rhum. Son article 1 énonce :
' Jusqu'à l'entrée en vigueur d'une organisation commune du marché des alcools, les produits de la sous-position tarifaire 22.09 C I originaires des Etats ACP, sont admis dans la communauté en franchise de droits de douane, dans des conditions qui permettent le développement des courants d'échanges traditionnels entre les Etats ACP et la Communauté, d'une part, et entre les Etats membres, d'autre part ".
4. L'objectif du protocole n° 5 est de développer des courants d'échange traditionnels pour le rhum, tout en limitant la quantité de ce produit qui peut être importée dans la Communauté en exemption de droits de douane.
5. A cette fin, la Communauté arrête chaque année un règlement qui, d'une part, fixe la quantité de rhum en provenance des Etats ACP qui peut être importée dans la Communauté en exemption de droits de douane, et d'autre part, repartit ce contingent entre les Etats membres. L'article 2 du protocole règle cette répartition en disposant que les quantités qui peuvent être importées en exemption de droits de douane, sont fixées annuellement sur la base des quantités annuelles les plus importantes importées des Etats ACP dans la Communauté au cours des trois dernières années pour lesquelles des statistiques sont disponibles, augmentées d'un taux de croissance annuel de 40 % sur le marché du Royaume-Uni et de 18 % sur les autres marchés de la Communauté.
6. Le règlement n° 1699-82 a fixé le contingent tarifaire des produits en question, pour la période du 1 juillet 1982 au 30 juin 1983, à 193 178 hectolitres d'alcool pur. Le contingent est divisé en deux tranches, dont la première, d'un montant de 125 430 hectolitres, est destinée à la consommation au Royaume-Uni. La seconde tranche, d'un montant de 67 748 hectolitres, est repartie entre les autres Etats membres.
7. L'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1699-82, dispose que :
' Le Royaume-Uni prend les mesures nécessaires pour que les quantités importées des Etats ACP dans les conditions fixées aux articles 1 et 2 soient réservées aux besoins de sa consommation intérieure'.
8. Selon la Commission, cette disposition vise a empêcher l'exportation, à partir du Royaume-Uni, vers les autres Etats membres des quantités faisant partie du contingent alloué au Royaume-Uni. Le règlement litigieux violerait ainsi les articles 30 et 34 du traité et devrait en conséquence être annulé, sous réserve toutefois que la Cour déclare définitifs, par application de l'article 174, alinéa 2, du traité, les effets de l'article 1 dudit règlement.
9. La Commission ne conteste pas la validité de la pratique consistant à repartir entre Etats membres un contingent tarifaire global, mais celle de l'interdiction de réexporter vers d'autres Etats membres, qu'elle déduit de l'article 4 du règlement.
10. Selon le Conseil, soutenu à cet égard par le Gouvernement de la République française, l'interprétation donnée par la Commission à l'article 4 ci-dessus cité serait inexacte. Cette disposition n'aurait pas la portée que la Commission lui assigne, et le règlement ne violerait dès lors pas les articles 30 et 34.
11. Le Conseil observe qu'il existe traditionnellement un courant d'exportation du rhum des Etats ACP, plus important vers le Royaume-Uni (où il est destiné à la consommation intérieure) que vers les autres Etats membres. Tenant compte de cette circonstance, l'article 2, lettre a), du protocole prévoit que le développement des échanges, vise à l'article 1, se fera selon un taux de croissance différent en ce qui concerne le Royaume-Uni (40 %) et l'ensemble des autres Etats membres (18 %), et le règlement répercute ces prévisions sur le calcul des contingents alloués.
12. D'après le Conseil, l'article 4 du règlement, ainsi qu'il ressortirait de sa version anglaise, aurait pour seul objet d'obliger le Royaume-Uni a n'importer que des quantités qui peuvent être raisonnablement considérées, compte tenu du taux d'accroissement indiqué, comme correspondantes aux besoins de sa consommation intérieure, mais nullement comme comportant une interdiction de commercialiser dans les autres Etats membres des quantités de rhum faisant partie du contingent du Royaume-Uni.
13. Il y a lieu de souligner que si, comme le soutient la Commission, cette disposition comportait une interdiction d'exportation à partir du Royaume-Uni vers les autres Etats membres, elle violerait effectivement les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises ; si donc, comme la Cour l'a admis, une répartition d'un contingent tarifaire global en quotas nationaux peut, dans certaines circonstances, être compatible avec le traité, c'est à la condition expresse qu'elle ne porte pas atteinte à la libre circulation des produits faisant l'objet du contingent, après qu'ils ont été admis en libre pratique sur le territoire d'un Etat membre.
14. Il en résulte que la solution du litige dont la Cour est saisie dépend de l'interprétation qui doit être donnée à l'article 4 du règlement n° 1699-82.
15. La Cour estime que, lorsqu'un texte du droit dérivé communautaire est susceptible de plus d'une interprétation, il convient de donner la préférence à celle qui rend la disposition conforme au traité, plutôt qu'à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci.
16. En l'occurrence, l'interprétation proposée par le Conseil est entièrement conforme au texte de la disposition en cause, dans sa version anglaise, sans être inconciliable avec les autres versions du même texte, et elle correspond, en outre, aux objectifs du protocole n° 5 dont elle permet la réalisation.
17. Il en résulte que la disposition litigieuse n'impose pas au Royaume-Uni l'obligation de limiter les exportations du rhum originaire des Etats ACP vers les autres Etats membres, comme l'a soutenu la Commission, mais seulement l'obligation d'assurer que les quantités importées au Royaume-Uni sont limitées à celles qui répondent aux besoins de sa consommation intérieure. Elle est dès lors conforme au traité.
18. Par conséquent, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
19. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) le recours est rejeté.
2) la Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.