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Décisions

CJCE, 1re ch., 3 décembre 1998, n° C-233/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

KappAhl Oy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Edward (faisant fonction)

Avocat général :

M. Cosmas

Juges :

MM. Sevón, Wathelet

Avocats :

Mes Örndahl, Kauppinen.

CJCE n° C-233/97

3 décembre 1998

LA COUR (première chambre),

1. Par ordonnance du 19 juin 1997, parvenue à la Cour le 25 juin suivant, l'Uudenmaan lääninoikeus (tribunal administratif départemental d'Uusimaa) a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 99 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21), tel que modifié par la décision 95-1-CE, Euratom, CECA du Conseil, du 1er janvier 1995, portant adaptation des instruments relatifs à l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union européenne (JO L 1, p. 1, ci-après l'"acte d'adhésion").

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure engagée par KappAhl Oy (ci-après "KappAhl"), société de droit finlandais, au sujet de la perception de certains droits de douane sur des importations de produits textiles et d'habillement de Suède en Finlande.

3. L'article 2 de l'acte d'adhésion énonce que, "Dès l'adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l'adhésion, par les institutions lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte".

4. Cependant, l'article 10 prévoit que "L'application des traités originaires et des actes pris par les institutions fait l'objet, à titre transitoire, des dispositions dérogatoires prévues par le présent acte".

5. Selon l'article 99 de l'acte d'adhésion,

"La République de Finlande peut maintenir, durant une période de trois ans après l'adhésion, son tarif douanier applicable aux pays tiers pour les produits visés à l'annexe XI.

Durant cette période, la République de Finlande applique un droit réduisant la différence entre son droit de base et le droit du tarif douanier commun selon le calendrier suivant:

- le 1er janvier 1996, chaque écart entre le droit de base et le TDC est réduit à 75 %;

- le 1er janvier 1997, chaque écart entre le droit de base et le TDC est réduit à 40 %.

La République de Finlande applique intégralement le tarif douanier commun à partir du 1er janvier 1998."

6. En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, de la laki eräistä väliaikaisista tulleista (1255-94) (loi finlandaise relative à certains droits de douane transitoires, ci-après la "loi nationale"), une marchandise provenant d'un pays tiers, qui a été mise en libre pratique dans un autre État membre et qui a, par conséquent, déjà été taxée à l'entrée sur le territoire douanier communautaire en vertu du règlement (CEE) n° 2658-87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1), est imposée à hauteur de l'écart entre le droit de douane cité à l'annexe de la loi nationale et le droit prévu à l'importation dans la Communauté.

7. Entre le 29 mars 1995 et le 26 juin 1996, KappAhl a importé de Suède en Finlande des produits textiles et d'habillement originaires de pays tiers.

8. Lors de leur importation en Suède, des droits de douane communautaires, dus au titre du règlement n° 2658-87, ont été acquittés et les produits ont donc été mis en libre pratique dans cet État membre.

9. A l'importation de ces produits en Finlande, KappAhl a également dû payer des droits de douane finlandais s'élevant à 6 911 586 FIM, conformément aux 1 056 décisions prises par la Lahden tullikamari (chambre des douanes de Lahti) sur le fondement de l'article 1er, paragraphe 2, de la loi nationale.

10. Estimant que ces décisions étaient contraires aux articles 9, 12 et 13 du traité CE, KappAhl a introduit un recours devant la juridiction de renvoi visant, d'une part, à l'annulation de ces décisions et, d'autre part, au remboursement des sommes versées en leur exécution, y compris les intérêts légaux. Elle soutient à cet égard que l'article 99 de l'acte d'adhésion ne permettait pas à la République de Finlande d'imposer des droits de douane sur l'importation de marchandises qui se trouvaient déjà en libre pratique dans la Communauté.

11. En revanche, les autorités finlandaises font valoir que la rédaction de l'article 99 de l'acte d'adhésion est ambiguë. Selon elles, il est possible de considérer que cette disposition vise aussi bien les marchandises importées directement de pays tiers que celles qui, tout en étant importées d'un autre État membre, sont originaires de ces mêmes pays.

12. A cet égard, la juridiction de renvoi relève que, en décembre 1995, la Commission a informé les autorités finlandaises qu'elle estimait que l'article 99 de l'acte d'adhésion ne permettait pas une dérogation au principe de la libre circulation des marchandises telle que celle figurant à l'article 1er, paragraphe 2, de la loi nationale. Les autorités finlandaises ont alors fait savoir qu'elles ne partageaient pas cet avis, mais que, pour des raisons pratiques, la disposition en question serait abrogée à partir du 1er juillet 1996.

13. Dans ces circonstances, doutant de l'interprétation à donner à l'article 99 de l'acte d'adhésion, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 99 de l'acte d'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède doit-il être interprété en ce sens qu'il vise aussi les marchandises originaires de pays tiers, mises en libre pratique dans un autre État membre de la Communauté européenne et importées de cet État membre en Finlande?"

14. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 99 de l'acte d'adhésion doit être interprété en ce sens qu'il permettait à la République de Finlande de percevoir, durant une période de trois ans après son adhésion à la Communauté, le 1er janvier 1995, des droits de douane sur les importations de produits qui étaient déjà en libre pratique dans un autre État membre.

15. Il ressort des articles 2 et 10 de l'acte d'adhésion que ce dernier est fondé sur le principe de l'application immédiate et intégrale des dispositions du droit communautaire aux nouveaux États membres, des dérogations n'étant admises que dans la mesure où elles sont prévues expressément par les dispositions transitoires (voir, mutatis mutandis, arrêt du 9 décembre 1982, Metallurgiki Halyps, 258-81, Rec. p. 4261, point 8).

16. Par conséquent, sous réserve de l'application de l'article 99 de l'acte d'adhésion, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, notamment ses articles 9 et 10, sont pleinement applicables en Finlande dès son adhésion à la Communauté.

17. Il en résulte que, si l'article 99 de l'acte d'adhésion n'autorisait pas le maintien de droits de douane tels que ceux en cause dans le litige au principal, leur perception serait contraire à l'article 9 du traité dans la mesure où ils concernent des produits qui, en vertu de l'article 10, paragraphe 1, du traité, sont définitivement et totalement assimilés aux produits originaires des États membres (arrêt du 15 décembre 1976, Donckerwolcke et Schou, 41-76, Rec. p. 1921, point 17).

18. Quant à l'article 99 de l'acte d'adhésion, il comporte une dérogation aux règles du traité relatives à la libre circulation de marchandises et doit donc recevoir une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 1983, Peskeloglou, 77-82, Rec. p. 1085, point 12). Par ailleurs, les dérogations permises par l'acte d'adhésion aux règles prévues par le traité doivent être interprétées en vue d'une réalisation plus facile des objectifs du traité et d'une application intégrale de ses règles (arrêt du 25 février 1988, Commission/Grèce, 194-85 et 241-85, Rec. p. 1037, point 20).

19. Or, il résulte du libellé de l'article 99 de l'acte d'adhésion que cette disposition comporte une dérogation provisoire à l'application intégrale du tarif douanier commun dans les échanges entre la République de Finlande et des pays tiers en ce qui concerne les produits visés à l'annexe XI de l'acte d'adhésion. En revanche, cette disposition ne prévoit aucune dérogation au principe de la libre circulation des marchandises entre États membres, qu'elle soit relative aux produits originaires des États membres ou à ceux y assimilés.

20. Cette interprétation littérale de l'article 99 de l'acte d'adhésion est d'ailleurs celle qui tend au mieux à promouvoir la réalisation des objectifs du traité dans la mesure où elle implique une application plus complète de ses règles que celle résultant de l'interprétation défendue par le Gouvernement finlandais, selon laquelle cette disposition s'applique également aux produits mis en libre pratique dans la Communauté.

21. Le fait que, pendant la période transitoire, des opérateurs économiques aient pu éviter le paiement des droits de douane finlandais en faisant transiter, par le territoire d'un autre État membre, des produits originaires d'un pays tiers qui étaient à destination de la Finlande ne saurait justifier une interprétation plus large de la disposition. En effet, l'importance que revêt le principe de la libre circulation de marchandises entre États membres signifie qu'une dérogation, même transitoire, doit être accordée de manière claire et sans ambiguïté.

22. Enfin, le Gouvernement finlandais fait valoir que l'interprétation selon laquelle l'article 99 de l'acte d'adhésion s'applique aux produits en libre pratique dans la Communauté est corroborée par des prises de position individuelles et une déclaration commune des États membres au cours des négociations qui ont précédé l'adoption de l'acte d'adhésion.

23. A cet égard, il suffit de relever que ni des prises de position individuelles ni une déclaration commune des États membres ne sauraient être retenues pour interpréter une disposition lorsque, comme en l'espèce, leur contenu ne trouve aucune expression dans son libellé et n'a dès lors pas de portée juridique (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime, C-197-94 et C-252-94, Rec. p. I-505, point 51; du 26 février 1991, Antonissen, C-292-89, Rec. p. I-745, point 18, et du 30 janvier 1985, Commission/Danemark, 143-83, Rec. p. 427, point 13).

24. Il convient donc de répondre à la question que l'article 99 de l'acte d'adhésion doit être interprété en ce sens qu'il ne permettait pas à la République de Finlande de percevoir, durant une période de trois ans après son adhésion à la Communauté, le 1er janvier 1995, des droits de douane sur les importations de produits qui avaient déjà été mis en libre pratique dans un autre État membre.

Sur les dépens

25. Les frais exposés par le Gouvernement finlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par l'Uudenmaan lääninoikeus, par ordonnance du 19 juin 1997, dit pour droit:

L'article 99 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne, tel que modifié par la décision 95-1-CE, Euratom, CECA du Conseil, du 1er janvier 1995, portant adaptation des instruments relatifs à l'adhésion des nouveaux États membres à l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il ne permettait pas à la République de Finlande de percevoir, durant une période de trois ans après son adhésion à la Communauté, le 1er janvier 1995, des droits de douane sur les importations de produits qui avaient déjà été mis en libre pratique dans un autre État membre.