CJCE, 2e ch., 27 mars 1985, n° 73-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Denkavit Futtermittel GmbH
Défendeur :
Land Nordrhein-Westfalen
LA COUR,
1. Par ordonnance du 16 février 1984, parvenue à la Cour le 15 mars suivant, l'Oberverwaltungsgericht fur das land Nordrhein-Westfalen a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative a l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE, ainsi que des articles 3 et 9 de la directive 79-373 du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la commercialisation des aliments composés pour animaux (JO L 86, p. 30), en ce qui concerne les contrôles sanitaires à l'importation d'aliments composés pour animaux.
Sur les antécédents du litige
2. La demanderesse au principal, Denkavit Futtermittel GmbH, société de droit allemand ayant son siège social à Warendorf, importe régulièrement des aliments pour animaux à base de lait en provenance de sa filiale néerlandaise Denkavit Nederland BV. Les contrôles qui lui sont imposés, lors de ces importations, par la législation allemande en matière de police sanitaire, sont à l'origine d'un arrêt de la Cour, du 8 novembre 1979 (251-78, Denkavit, Rec. p. 3369), rendu sur renvoi préjudiciel du Verwaltungsgericht munster. Dans cet arrêt, la Cour a analyse la portée des directives communautaires et reconnu qu'au moment des faits ayant donné lieu au litige au principal, à une époque ou la directive 79-373 n'était pas encore en vigueur, les conditions qui auraient pu exclure un recours des Etats membres aux exceptions permises par l'article 36 du traité, dans l'intérêt de la sauvegarde de la santé publique, n'étaient pas réalisées pour les aliments composés pour animaux en ce qui concerne, notamment, la lutte contre les agents pathogènes.
3. Suite à cet arrêt et au jugement rendu en vertu de celui-ci par le verwaltungsgericht munster, le 2 avril 1980, le Minister fur Ernahrung, Landwirtschaft und Forsten du land Nordrhein-Westfalen a accordé à denkavit, le 19 août 1980, une autorisation d'importation moins restrictive, fondée sur les articles 5 et 9 de la Futtermitteleinfuhrverordnung du 15 août (BGBL. I, p. 1375), remplacés entre-temps par les articles 3 et 8 de la nouvelle version du même règlement, du 19 juillet 1983 (BGBL. I, p. 999). Cette autorisation, portant sur une quantité illimitée d'aliments pour animaux à base de lait, est soumise à l'obligation d'en présenter à chaque importation l'original ou une copie certifiée conforme et un certificat valable pour un an, établi par le vétérinaire compétent pour le lieu de production, attestant que les aliments ont pour seuls composants d'origine animale des produits laitiers en poudre et des graisses animales, que les produits laitiers ont été fabriqués exclusivement à partir de lait pasteurisé, que les graisses ont été chauffées au moins à 85 OC et que l'ensemble du processus de fabrication a été effectué en circuit fermé. En raison des risques d'épizooties, l'autorisation peut être révoquée à tout moment et sans indemnité.
4. Le 5 février 1981, la société Denkavit a introduit un recours devant le Verwaltungsgericht Dusseldorf pour voir déclarer qu'elle est en droit d'importer des aliments composés pour animaux sans autorisation d'importation ni certificat. Elle s'est fondée à cet effet sur la directive 79-373 et, principalement, sur son article 3, dont les dispositions, selon son interprétation, auraient exclu la justification de mesures de contrôle sanitaire de la part des Etats membres en vertu de l'article 36 du traité CEE.
5. Par jugement du 29 janvier 1982, le Verwaltungsgericht Dusseldorf, sur base d'une analyse approfondie des dispositions pertinentes du droit communautaire, a rejeté le recours, considérant que les directives communautaires arrêtées jusqu'à cette date ne règlent pas la question des contrôles sanitaires et n'ont pas eu, par conséquent, pour effet d'exclure le recours des Etats membres à l'article 36 du traité.
6. Saisi en appel par la société Denkavit, l'Oberverwaltungsgericht, après avoir analysé les arguments en faveur et à l'encontre de la thèse de l'appelante, a décidé de soumettre la question suivante à la Cour:
Les dispositions combinées de la directive du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la commercialisation des aliments composes pour animaux (79-373-CEE), notamment ses articles 3 et 9, et de l'article 30 du traité CEE doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles interdisent aux Etats membres de subordonner, sur la base de l'article 36 du traité CEE, l'importation d'aliments composés pour animaux au sens de l'article 2, sous b), de la directive 79-373-CEE en provenance d'autres Etats membres à la production d'une autorisation d'importation délivrée par les autorités vétérinaires ou d'un certificat délivré par les autorités vétérinaires de l'état d'exportation?
Sur le fond
7. La société Denkavit fait valoir, en substance, que la directive 79-373 comporte une réglementation exhaustive de la matière, de manière que les aliments composés, commercialisés conformément aux exigences de cette directive, devraient pouvoir circuler librement dans la communauté sans que les Etats membres puissent poser des exigences non prévues par cette directive en matière de contrôle sanitaire. A la différence de la directive 74-63, du 17 décembre 1973, relative aux substances indésirables dans les aliments pour animaux (JO l 38, 1974, p. 31), modifiée par la directive 80-502, du 6 mai 1980 (JO L 124, p. 17), dont l'article 1er, paragraphe 2, réservé expressément les dispositions a prendre par la communauté au sujet des micro-organismes dans les aliments pour animaux, une réserve semblable ne figure pas dans la directive 79-373 concernant la commercialisation des aliments composés. Les Etats membres ne seraient donc plus en droit d'appliquer des contrôles sanitaires, alors que l'article 9 de la directive prévoit que les Etats membres ne sauraient appliquer à la commercialisation d'aliments composés des restrictions autres que celles prévues par la directive. Il en découlerait que la responsabilité de veiller à ce que les aliments composés soient sains, loyaux et de qualité marchande et qu'ils ne présentent aucun danger pour la santé animale ni pour la santé humaine, ainsi que l'exige l'article 3 de la même directive, incomberait a l'Etat membre sur le territoire duquel les aliments composés sont fabriqués. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, telle qu'elle résulte notamment des arrêts des 15 décembre 1976 (35-76, Simmenthal, Rec. p. 1871), 25 janvier 1977 (46-76, Bauhuis, Rec. p. 5) et de l'arrêt, déjà cité, du 8 novembre 1979, les Etats membres devraient, dans le cadre de conditions d'échanges analogues a celles qui prévalent sur un marche intérieur, faire confiance aux contrôles opérés dans l'état d'exportation des aliments. Pour ces raisons, la requérante considère que l'état d'importation ne saurait opérer des contrôles sanitaires autrement que par voie de sondage; en cas de constatation de la présence de micro-organismes pathogènes, l'état d'importation ne pourrait prendre que les mesures administratives et réglementaires prévues par le droit national en cas de commercialisation interne d'aliments composés contamines.
8. Selon le Land Nordrhein-Westfalen, la directive 79-373 ne concerne, ni d'après son texte ni dans le contexte d'autres dispositions communautaires, le contrôle sanitaire des aliments composés. Pareillement, la directive 74-63, relative aux substances indésirables, ne contiendrait aucune réglementation relative à la présence de germes pathogènes. Dans son arrêt du 8 novembre 1979, la Cour aurait elle-même souligné que, dans le domaine de l'harmonisation des législations sanitaires nationales, le Conseil a eu recours à une 'méthode progressive et ponctuelle'; or, depuis l'époque de cet arrêt, l'harmonisation dans le domaine considéré n'aurait pas fait de nouveaux progrès.
9. Le Gouvernement danois attire, dans ses observations, l'attention sur les risques graves impliqués par la présence de germes pathogènes dans les aliments composés pour animaux. Il relève que la manière de combattre de tels risques est fonction de la politique vétérinaire pratiquée par les différents Etats membres et qu'elle se présente dans une perspective spéciale pour les états qui, comme le Danemark, ont réussi a maintenir leur territoire indemne de certaines épizooties; la préservation de cet état de choses représenterait un intérêt majeur pour les exportations de ces états vers des pays non communautaires, eux également indemnes. Le Gouvernement danois estime qu'en l'absence d'une réglementation précise des problèmes sanitaires dans le secteur considéré, à l'échelle communautaire, chaque Etat membre conserve la responsabilité des mesures de défense à prendre dans le cadre de l'article 36 du traité. Il attire l'attention sur le fait que, pour les raisons indiquées, la réglementation danoise est plus stricte que celle appliquée par l'Allemagne, en ce qu'il est exige une attestation sanitaire accompagnant chaque lot individuel d'aliments importés. Dans son arrêt du 8 février 1983 (124-81, Commission/Royaume-Uni, lait UHT, Rec. p. 203), la Cour, après avoir relevé la nécessité d'une collaboration entre les autorités sanitaires des Etats membres, aurait reconnu le droit, pour l'état d'importation, de s'assurer, par une procédure appropriée, de l'efficacité du contrôle dans l'état d'origine.
10. La Commission, à la suite d'un examen de l'ensemble des directives intéressant le domaine des aliments pour animaux, constate que celles-ci visent a une harmonisation compréhensive de la matière, mais seulement a l'intérieur des domaines de réglementation qu'elles concernent. Elle reconnaît que les travaux d'harmonisation n'ont pas encore abordé, dans le domaine considère, les questions de défense sanitaire. Tant que les mesures nécessaires pour assurer la protection de la santé n'auraient pas été réglées par des actes de la communauté et qu'il n'existerait pas encore des procédures communautaires pour contrôler leur application, les Etats membres seraient libres de prendre, dans le cadre trace par l'article 36 du traité, les dispositions appropriées en vue d'assurer la défense contre les micro-organismes pathogènes.
11. En présence de ces arguments, il y a lieu de reconnaître, conformément a ce qui a été exposé par la Commission, que la directive 79-373, relative à la commercialisation des aliments composés, appréciée dans le contexte des directives 70-524, du 23 novembre 1970, concernant les additifs (JO L 270, p. 1), et 74-63, relative aux substances indésirables, vise effectivement à régler de manière compréhensive la commercialisation des aliments composés pour animaux dans la communauté. Dans le cadre de la présente affaire, il n'apparaît cependant pas nécessaire d'établir si, dans l'état actuel des directives citées, cet objectif a été pleinement atteint. Dans la mesure ou ceci est le cas, l'article 9 de la directive 79-373 prévoit que 'les Etats membres veillent a ce que les aliments composés ne soient pas soumis, pour des raisons concernant les dispositions contenues dans la présente directive, à des restrictions de commercialisation autres que celles prévues par la présente directive'; des dispositions similaires figurent a l'article 14 de la directive 70-524 et a l'article 7 de la directive 74-63. Il en résulte que, pour tout ce qui concerne la composition et le conditionnement des aliments, ceux-ci doivent pouvoir circuler librement dans la communauté s'ils sont conformes aux normes fixées par les directives citées.
12. Il convient de constater, toutefois, en même temps que les directives en question et, plus particulièrement, la directive 79-373 n'ont pas pour objet de régler le contrôle sanitaire des aliments composés. Contrairement a ce qu'affirme la requérante au principal, on ne saurait déduire un tel effet de l'article 3 de la directive 79-373, aux termes duquel:
'Les Etats membres prescrivent que des aliments composés ne peuvent être commercialisés que s'ils sont sains, loyaux et de qualité marchande. Les Etats membres prescrivent que les aliments composés ne peuvent présenter aucun danger pour la santé animale ni pour la santé humaine et ne peuvent être présentés ou commercialisés d'une manière qui soit de nature à induire en erreur.'
Cet article se borne en effet à imposer aux Etats membres l'obligation générale de prendre toutes dispositions utiles, de caractère législatif, administratif et judiciaire, en vue d'imposer le respect de certaines normes de qualité, d'assurer le contrôle sanitaire des aliments et de garantir la loyauté des transactions, quelle que soit l'origine des règles applicables; peu importe donc que celles-ci soient de caractère purement national ou qu'il s'agisse de dispositions harmonisées en vertu du droit communautaire.
13. Tant qu'une harmonisation n'est pas intervenue dans le domaine de la protection sanitaire, pour ce qui concerne le secteur considéré, il appartient aux Etats membres de prendre les mesures de contrôle nécessaires dans le cadre de l'article 36 du traité. Dans leur principe, de tels contrôles ne sauraient donc être qualifiés de mesures restrictives du commerce intracommunautaire, au sens de l'article 30.
14. Ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour, qui s'exprime dans les arrêts cités des 15 décembre 1976 (35-76, Simmenthal), 25 janvier 1977 (46-76, Bauhuis), 8 novembre 1979 (251-78, Denkavit) et 8 février 1983 (124-81, Commission-Royaume-Uni, lait UHT), les mesures de contrôle sanitaire prises par les Etats membres dans le cadre de l'article 36 ne sont toutefois justifiées qu'à la condition qu'il existe un rapport raisonnable entre les moyens mis en œuvre et le but recherche et que la protection de la santé ne puisse pas être atteinte de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires. Dans le même contexte, la Cour a souligné itérativement l'intérêt qu'il y a, pour la libre circulation des marchandises, d'accomplir les contrôles sanitaires dans l'état de production et elle a relevé l'utilité d'une coopération entre les autorités sanitaires des Etats membres concernes, en vue d'éviter la répétition, dans l'état de destination, de contrôles déjà opérés dans l'état de production.
15. Il est permis de constater, a cet égard, que des mesures du genre de celles que le land Nordrhein-westfalen a appliquées à la suite de l'arrêt rendu par la Cour, le 8 novembre 1979, répondent pleinement aux exigences formulées ci-dessus, en ce qu'elles consistent a accorder une autorisation d'importation établie pour un temps indéterminé et portant sur une quantité illimitée d'aliments, sous le couvert d'un certificat sanitaire établi par le vétérinaire compétent pour le lieu de production, valable pour une période prolongée. Les autres conditions et réserves auxquelles cette autorisation est subordonnée se trouvent également dans un rapport raisonnable avec les nécessités de la défense de la santé.
16. Il y a donc lieu de répondre a la question posée que les dispositions combinées de la directive 79-373 du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la commercialisation des aliments composés pour animaux, notamment ses articles 3 et 9, et de l'article 30 du traité CEE doivent être interprétées en ce sens qu'elles n'interdisent pas aux Etats membres de subordonner, sur la base de l'article 36 du traité CEE, l'importation d'aliments composés pour animaux au sens de l'article 2, sous b), de la directive 79-373, en provenance d'autres Etats membres, à la production d'un certificat délivré par les autorités vétérinaires de l'état d'exportation ou d'une autorisation d'importation accordée par les autorités vétérinaires de l'état d'importation, à condition que cette dernière soit délivrée à des conditions qui se trouvent dans un rapport raisonnable avec les besoins de protection visés par l'article 36.
Sur les dépens
17. Les frais exposés par le Gouvernement du royaume de Danemark et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur la question a elle soumise par l'Oberverwaltungsgericht fur das Land Nordrhein-Westfalen, par ordonnance du 16 janvier 1984, dit pour droit:
Les dispositions combinées de la directive 79-373 du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la commercialisation des aliments composés pour animaux, notamment ses articles 3 et 9, et de l'article 30 du traité CEE doivent être interprétées en ce sens qu'elles n'interdisent pas aux Etats membres de subordonner, sur la base de l'article 36 du traité CEE, l'importation d'aliments composés pour animaux, au sens de l'article 2, sous b), de la directive 79-373, en provenance d'autres Etats membres à la production d'un certificat délivré par les autorités vétérinaires de l'état d'exportation ou d'une autorisation d'importation accordée par les autorités vétérinaires de l'état d'importation, à condition que cette dernière soit délivrée à des conditions qui se trouvent dans un rapport raisonnable avec les besoins de protection visés par l'article 36.