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Décisions

CJCE, 6e ch., 10 février 1994, n° C-398/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mund & Fester

Défendeur :

Hatrex Internationaal Transport

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Kakouris, Schockweiler, Kapteyn, Murray

Avocat :

Me Kroeger

CJCE n° C-398/92

10 février 1994

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 16 novembre 1992, parvenue à la Cour le 23 du même mois, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 7 du traité CEE, lu en combinaison avec l'article 220 du même traité et la convention, du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée ultérieurement (ci-après la "Convention de Bruxelles").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure introduite par la société allemande Mund & Fester contre la société Hatrex Internationaal Transport (ci-après "Hatrex"), commissionnaire de transport international ayant son siège aux Pays-Bas, et tendant à ce que soit ordonnée une saisie conservatoire portant sur les biens de Hatrex se trouvant en Allemagne.

3 Hatrex a transporté de Carsamba (Turquie) à Hambourg des noisettes qui, pendant le transport, ont été endommagées par l'humidité résultant du défaut d'étanchéité du camion qui les transportait.

4 Mund & Fester, subrogée dans les droits du commettant par l'effet d'une cession de créance, a réclamé des dommages-intérêts et, afin d'assurer le recouvrement de cette créance, introduit, le 23 juin 1992, une requête auprès du Landgericht Hamburg, conformément à l'article 917 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile, ci-après la "ZPO"), en vue d'obtenir la saisie conservatoire du camion de Hatrex utilisé pour le transport des noisettes et se trouvant encore en Allemagne.

5 L'article 917 de la ZPO prévoit:

"1. La saisie conservatoire sur les biens a lieu quand il est à craindre que, sans une telle ordonnance, l'exécution du jugement serait rendue impossible ou fondamentalement plus difficile.

2. Comme motif suffisant pour une saisie conservatoire est à considérer le fait que le jugement devra être exécuté à l'étranger."

6 Le Landgericht Hamburg a refusé l'autorisation de la saisie conservatoire par ordonnance du même jour. Il a en effet estimé que, puisqu'il s'agissait d'exécuter un jugement dans un État contractant de la Convention de Bruxelles, le motif prévu à l'article 917, paragraphe 2, de la ZPO n'existait pas.

7 Mund & Fester a fait opposition à l'ordonnance du Landgericht Hamburg auprès du Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg, en faisant valoir, entre autres, que l'interprétation de l'article 917, paragraphe 2, de la ZPO n'était pas affectée par la Convention de Bruxelles.

8 Estimant que la décision sur la requête tendant à l'autorisation de la saisie conservatoire dépendait de la question de savoir si le motif de saisie prévu à l'article 917, paragraphe 2, de la ZPO existe lorsqu'un jugement doit être exécuté aux Pays-Bas, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La nécessité de procéder à une saisie à l'étranger (article 917, paragraphe 2, de la Zivilprozessordnung) constitue-t-elle également un motif de saisie lorsqu'il s'agit de l'exécution dans un pays qui a adhéré à la convention CEE concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (la Convention de Bruxelles) du 27 septembre 1968?"

9 Par sa question, la juridiction nationale vise en substance à savoir si l'article 7 du traité CEE, lu en combinaison avec l'article 220 du même traité et la Convention de Bruxelles, s'oppose à une disposition nationale de procédure civile qui, pour un jugement devant être exécuté sur le territoire national, n'autorise la saisie conservatoire qu'au motif qu'il est probable que, à défaut, cette exécution sera rendue impossible ou fondamentalement plus difficile, alors que, pour un jugement devant être exécuté dans un autre État membre, elle l'autorise au seul motif que l'exécution devra avoir lieu à l'étranger.

10 En vue de répondre à cette question, il y a lieu d'abord d'examiner si cette disposition rentre dans le champ d'application du traité CEE.

11 L'article 220, quatrième tiret, de ce traité, en prévoyant que les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants, la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires, bien qu'il n'ait pas pour objet de poser une règle juridique opérante comme telle mais se borne à tracer le cadre d'une négociation entre les États membres (voir arrêt du 11 juillet 1985, Mutsch, 137-84, Rec. p. 2681, point 11), a pour objectif de faciliter le fonctionnement du Marché commun par l'adoption de règles de compétence pour les litiges y afférents et la suppression, dans toute la mesure du possible, des difficultés relatives à la reconnaissance et à l'exécution des jugements sur le territoire des États contractants.

12 C'est sur le fondement de cet article et dans le cadre qu'il définit que les États membres ont conclu la Convention de Bruxelles. Par conséquent, les dispositions de cette convention ayant trait à la compétence judiciaire et à la simplification des formalités relatives à la reconnaissance et à l'exécution des jugements ainsi que les dispositions nationales auxquelles elle renvoie sont liées au traité CEE.

13 En l'espèce, il y a lieu d'examiner si la disposition nationale en cause au principal introduit une discrimination en raison de la nationalité prohibée par l'article 7 du traité.

14 Selon une jurisprudence constante, cette disposition interdit toute discrimination en raison de la nationalité dans le domaine d'application du traité. Cette disposition prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par l'application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir arrêt du 29 octobre 1980, Boussac, 22-80, Rec. p. 3427, point 9).

15 La disposition nationale en cause au principal comporte une forme dissimulée de discrimination.

16 En effet, si l'examen de l'article 917, paragraphe 2, de la ZPO ne révèle pas de discrimination manifeste fondée sur la nationalité, puisqu'il s'applique à tous les cas dans lesquels un jugement doit être exécuté à l'étranger, et ce même si les biens faisant l'objet de la saisie appartiennent à un ressortissant allemand, il n'en reste pas moins que, comme l'observe à juste titre la Commission, cette dernière hypothèse est rare, une grande majorité des exécutions à l'étranger visant des personnes qui n'ont pas la nationalité allemande ou des personnes morales qui ne sont pas établies en République fédérale d'Allemagne. Il s'ensuit que la disposition nationale en cause aboutit en fait au même résultat qu'une discrimination fondée sur la nationalité.

17 Toutefois, cette constatation ne suffit pas pour conclure à l'incompatibilité d'une disposition telle que celle qui est en cause dans le litige au principal avec l'article 7 du traité. Encore faut-il pour cela que la disposition en question ne se justifie pas par des circonstances objectives.

18 A cet égard, il convient de rappeler que la saisie conservatoire garantit au créancier la possibilité de faire exécuter effectivement et en temps utile un jugement ultérieur condamnant le débiteur. Selon l'article 917, paragraphe 1, de la ZPO, cette mesure conservatoire doit être autorisée lorsqu'il est raisonnable de craindre, au vu des circonstances de l'espèce, que, sans une telle mesure, l'exécution du jugement ultérieur serait rendue impossible ou fondamentalement plus difficile. En application du paragraphe 2 du même article, ces difficultés sont présumées du seul fait que l'exécution doit avoir lieu dans un État autre que la République fédérale d'Allemagne.

19 Si une telle présomption est justifiée lorsque l'exécution du jugement postérieur doit être effectuée sur le territoire d'un État tiers, elle ne l'est pas lorsqu'il s'agit de l'exécuter sur le territoire des États membres de la Communauté. Tous ces États sont en effet des parties contractantes à la Convention de Bruxelles, dont les territoires, ainsi qu'il est indiqué dans le rapport sur la Convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1, spéc. p. 13), peuvent être considérés comme constituant une entité.

20 Par conséquent, bien que les conditions d'exécution des décisions et les risques liés aux difficultés qu'elle suscite soient les mêmes dans tous les États membres, la disposition du paragraphe 2 de l'article 917 de la ZPO considère, en substance, que ces risques ou difficultés sont sûrs et certains du seul fait que l'exécution aura lieu sur le territoire d'un État membre autre que le territoire allemand.

21 Il s'ensuit que la disposition nationale n'est pas justifiée par des circonstances objectives.

22 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 7 du traité CEE, lu en combinaison avec l'article 220 du même traité et la Convention de Bruxelles, s'oppose à une disposition nationale de procédure civile qui, pour un jugement devant être exécuté sur le territoire national, n'autorise la saisie conservatoire qu'au motif qu'il est probable que, à défaut, cette exécution sera rendue impossible ou fondamentalement plus difficile, alors que, pour un jugement devant être exécuté dans un autre État membre, elle l'autorise au seul motif que l'exécution devra avoir lieu à l'étranger.

Sur les dépens

23 Les frais exposés par le Gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg, par ordonnance du 16 novembre 1992, dit pour droit:

L'article 7 du traité CEE, lu en combinaison avec l'article 220 du même traité et la Convention de Bruxelles, du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, s'oppose à une disposition nationale de procédure civile qui, pour un jugement devant être exécuté sur le territoire national, n'autorise la saisie conservatoire qu'au motif qu'il est probable que, à défaut, cette exécution sera rendue impossible ou fondamentalement plus difficile, alors que, pour un jugement devant être exécuté dans un autre État membre, elle l'autorise au seul motif que l'exécution devra avoir lieu à l'étranger.