CJCE, 4 avril 1968, n° 27-67
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Firma Fink-Frucht GmbH, Francfort-sur-Le-Main
Défendeur :
Hauptzollamt München-Landsbergerstrasse
LA COUR,
Attendu que, par ordonnance du 12 juillet 1967, parvenue à la Cour le 24 juillet suivant le Finanzgericht de Munich a posé, en vertu de l'article 177 du traité instituant la Communauté économique européenne, plusieurs questions relatives à l'interprétation des articles 95 et 30 dudit traité, en rapport avec la perception, sur l'importation de certains produits, de la taxe compensatoire de la taxe sur le chiffre d'affaires ;
Sur l'applicabilité des articles 95 et 30 en l'absence de toute concurrence entre produits importés et produits nationaux (1re question)
Attendu que la juridiction de renvoi pose la question de savoir si l'article 95, alinéa 1, fait défense à un Etat membre de percevoir une taxe compensatoire de la taxe sur le chiffre d'affaires sur des produits importés d'un autre Etat membre lorsqu'il n'existe pas de produits nationaux similaires ou comparables et si, dans ce cas, la taxe compensatoire constituerait éventuellement une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 ;
Attendu que l'article 95, dans ses alinéas 1 et 2, porte interdiction à tout Etat membre de frapper les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires ou de nature à protéger indirectement d'autres productions nationales ;
Que si l'article 95 tend à éliminer certains obstacles à la libre circulation des marchandises, ce serait cependant étendre sa portée au-delà de son objet que d'en déduire une interdiction de frapper d'impositions intérieures les marchandises importées qui ne concurrencent pas un produit national ;
Que les impositions intérieures, et en particulier la taxe sur le chiffre d'affaires, ont un objet essentiellement fiscal ;
Qu'il n'y a pas, dès lors, de raisons pour que certains produits importés bénéficient d'un régime privilégié, du fait qu'ils ne rencontrent pas de productions nationales susceptibles d'être protégées ;
Qu'en effet, une telle taxe, lorsqu'elle est prélevée à l'importation, même sur des produits qui ne concurrencent pas la production nationale, est destinée à placer dans une situation fiscale comparable, sur le territoire national, toutes les catégories de produits quelle qu'en soit l'origine ;
Qu'il y a donc lieu de constater que l'article 95 n'interdit pas aux Etats membres de frapper les produits importés d'une imposition intérieure lorsqu'il n'y a pas de produit national similaire ou d'autres productions nationales susceptibles d'être protégées ;
Attendu qu'une imposition intérieure, perçue dans les conditions visées ci-dessus, ne relève pas davantage de l'interdiction des restrictions quantitatives et de mesures d'effet équivalent, au sens de l'article 30 du traité ;
Qu'en effet, les restrictions en question, visant à la limitation des quantités importées, sont distinctes, par leur mécanisme et par leur objet, des mesures de caractère fiscal ;
Que d'ailleurs les articles 30 et suivants d'une part, et 95 d'autre part, prévoyant respectivement des rythmes et procédés différents pour l'élimination des obstacles qu'ils visent, il est difficilement admissible qu'une même taxe puisse constituer à la fois une mesure d'effet équivalant à celui d'une restriction quantitative et une imposition intérieure ;
Sur la question de l'effet direct de l'article 95, alinéa 2 (3e question)
Attendu que, par sa 3e question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de dire si " l'article 95, alinéa 2, a des effets directs et engendre pour les justiciables des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder " ;
Attendu que cette disposition énonce une interdiction pure et simple de protection qui constitue le complément nécessaire de la prohibition énoncée à l'alinéa 1 ;
Que l'obligation découlant de cette interdiction n'est assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte, soit des institutions de la Communauté, soit des Etats membres ;
Que cette interdiction est donc complète, juridiquement parfaite et, en conséquence, susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables ;
Que, si cette disposition comporte des éléments relevant de l'appréciation de faits économiques, cette circonstance n'exclut pas le droit et l'obligation du juge national d'assurer le respect des règles du traité au cas où il peut constater que sont remplies les conditions d'application de la disposition visée, comprise à la lumière de l'interprétation donnée ci-dessous en réponse aux 2e, 4e et 5e questions ;
Qu'il y a donc lieu de répondre à la présente question que la disposition dont s'agit est susceptible de produire des effets immédiats et d'engendrer pour les justiciables des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder ;
Sur la notion de " produits similaires " dans l'article 95, alinéa 1, le rapport entre l'alinéa 1 et l'alinéa 2, et l'interprétation de cette dernière disposition (2e, 4e et 5e questions)
Attendu que les questions 2, 4 et 5 tendent, en substance, à savoir dans quelles conditions un produit importé se trouve, par rapport à un produit national, dans l'une des situations visées respectivement aux deux premiers alinéas de l'article 95, ainsi qu'à voir préciser les conditions d'application et les effets du deuxième alinéa de cet article ;
Attendu qu'aux termes de l'article 95, aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement " les produits nationaux similaires " ;
Que le rapport de similitude visé à l'article 95, alinéa 1, existe lorsque les produits en question sont normalement à considérer comme tombant sous la même classification fiscale, douanière ou statistique, selon le cas ;
Attendu qu'outre la défense prononcée par l'article 95, alinéa 1, le deuxième alinéa du même article prohibe, en ce qui concerne les produits importés, toutes les modalités d'imposition qui seraient de nature " à protéger indirectement d'autres productions " ;
Qu'une telle protection serait notamment donnée si une imposition intérieure frappait plus lourdement un produit importé qu'un produit national avec lequel le premier se trouve en concurrence, en raison d'une ou de plusieurs utilisations économiques, sans remplir cependant la condition de similitude au sens de l'article 95, alinéa 1 ;
Que même, à défaut de toute concurrence directe avec un produit national, une telle protection existerait s'il était établi que le produit importé supporte une charge fiscale particulière à raison de son état de fabrication ou de commercialisation, ou de toute autre circonstance économique, de manière à protéger certaines activités distinctes de celles qui ont servi à la fabrication du produit importé ;
Que dans l'intérêt de la sécurité juridique, il convient toutefois d'exiger que les divers rapports économiques envisagés par l'article 95, alinéa 2, n'aient pas un caractère simplement occasionnel, mais qu'il s'agisse de relations durables et caractérisées ;
Attendu que l'incidence d'une imposition sur les rapports économiques envisagés par l'article 95, alinéa 2, doit être appréciée à la lumière des objectifs poursuivis par les dispositions de l'article 95 qui visent à garantir le jeu normal de la concurrence ainsi qu'à éliminer tous obstacles de nature fiscale pouvant entraver la libre circulation des marchandises à l'intérieur du Marché commun ;
Qu'alors que l'article 95, alinéa 1, n'interdit une taxe que dans la mesure où celle-ci dépasse un niveau de référence bien déterminé, l'interdiction établie par l'alinéa 2 est basée sur l'effet protecteur des taxes visées, à l'exclusion d'un terme précis de référence ;
Que, partant, lorsqu'une taxe est susceptible de produire l'effet susvisé, elle doit être considérée comme incompatible avec le traité ;
Que, toutefois, le traité n'interdit pas au juge national de décider, le cas échéant, du niveau au-dessous duquel la taxe en question cesserait de produire l'effet de protection condamné par le traité, et d'en tirer toute conséquence ;
Sur les dépens
Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis leurs observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
Que la procédure revêt, à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé au cours d'un litige pendant devant le Finanzgericht de Munich et que la décision sur les dépens appartient, dès lors, à cette juridiction ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht de Munich, conformément à l'ordonnance de cette Cour du 12 juillet 1967,
Dit pour droit :
1) ni l'article 95 ni l'article 30 du traité instituant la Communauté économique européenne n'interdisent aux Etats membres de frapper les produits importes d'autres Etats membres d'une imposition intérieure lorsqu'il n'y a pas de produit national similaire ou d'autres productions nationales susceptibles d'être protégées ;
2) l'article 95, alinéa 2, du traité est susceptible de produire des effets immédiats et d'engendrer pour les justiciables des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder ;
3) a) le rapport de similitude visé à l'article 95, alinéa 1, existe lorsque les produits en question sont normalement à considérer comme tombant sous la même classification, fiscale, douanière ou statistique, selon le cas ;
B) l'alinéa 2 de l'article 95, complémentaire de l'alinéa 1, prohibe la perception de toute imposition intérieure qui ou bien frappé un produit importé plus lourdement qu'un produit national lequel, sans être similaire, au sens de l'article 95, alinéa 1, se trouve cependant en concurrence avec lui ou bien, en l'absence de concurrence directe, fait supporter au produit importé une charge fiscale particulière de manière à protéger certaines activités distinctes de celles qui ont servi à la fabrication du produit importé ;
Et décide :
Il appartient à la juridiction de renvoi de statuer sur les dépens de la présente instance.