CJCE, 21 mars 1991, n° C-209/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Mancini, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
Sir Gordon Slynn, MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Kapteyn
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 juillet 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 9, 12, 13 et 16 du traité en exigeant de chaque entreprise individuellement, lorsque des services sont rendus simultanément à plusieurs entreprises à l'occasion de l'accomplissement des formalités douanières dans le cadre des échanges intracommunautaires, le paiement d'une rémunération disproportionnée par rapport au coût des services rendus.
2 Les arrêtés ministériels italiens des 29 juillet 1971 (GURI n° 193 du 31.7.1971) et 30 janvier 1979 (GURI n° 35 du 5.2.1979) définissent le régime des indemnités dues par les entreprises dans le cas où les formalités douanières sont effectuées en dehors du périmètre douanier ou en dehors des heures normales de service. Cette réglementation prévoit que, lorsque des services sont rendus simultanément à plusieurs entreprises, "le personnel a droit à une rémunération unique, proportionnée à la nature et à la durée du service rendu le plus rémunérateur, étant entendu que chaque entreprise a l'obligation de payer séparément les indemnités dues pour les services qu'elle a demandés, indépendamment des indemnités versées par les autres entreprises ". L'arrêté du 30 janvier 1979, précité, précise toutefois que, lorsque le service demandé concerne un envoi groupé de marchandises appartenant à plusieurs propriétaires, ce service est réputé rendu à l'égard d'une seule entreprise. Enfin, il n'est pas contesté que, pour la liquidation des indemnités dues par les entreprises, la République italienne comptabilise toute fraction d'une heure de service comme une heure entière.
3 Selon la Commission, il résulte de la réglementation litigieuse que, dans l'hypothèse de services rendus simultanément à plusieurs entreprises et à l'exception du cas de marchandises voyageant sous le régime du groupage, la République italienne exige le paiement d'une rémunération disproportionnée par rapport au coût des services rendus, dans la mesure où elle perçoit autant de redevances qu'il y a d'entreprises concernées et que la rémunération n'est pas calculée en fonction du temps effectivement consacré par le personnel aux formalités douanières. Estimant que la charge pécuniaire ainsi imposée aux opérateurs économiques constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane interdite par les articles 9 et suivants du traité, la Commission a engagé à l'encontre de la République italienne la procédure de l'article 169 du traité.
4 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
5 Le Gouvernement italien conteste l'analyse de la Commission en faisant valoir, d'abord, que les recettes annuelles globales perçues pour les services rendus aux opérateurs économiques en dehors des conditions normales de travail des agents des douanes ne suffisent pas à couvrir les frais qu'elle doit exposer pour assurer ces services. Il souligne, ensuite, que les rétributions des agents des douanes sont, comme celles de tous les fonctionnaires en Italie, déterminées sur une base horaire non fractionnable et que le fractionnement de l'indemnité due au prorata du temps consacré à une opération effectuée au profit de plusieurs entreprises aboutirait à des sommes dérisoires, absorbées, en définitive, par les coûts administratifs d'un tel calcul. Par ailleurs, la solution consistant à ne réclamer l'indemnité qu'à une seule entreprise serait impraticable. Il expose, enfin, que le montant de l'indemnité horaire exigé par l'administration des douanes représente environ le tiers du coût du service extraordinaire pendant une heure, de sorte que l'indemnité due par les opérateurs équivaudrait, en réalité, à une indemnité forfaitaire pour vingt minutes de travail. Compte tenu de la durée moyenne d'une opération douanière, cette méthode de calcul respecterait le principe de proportionnalité.
6 A titre liminaire, la Cour constate que le manquement reproché au Gouvernement italien a, en fait, des conséquences pratiques négligeables, ce que la Commission elle-même n'a pas exclu à l'audience. Cependant, selon une jurisprudence constante de la Cour (voir arrêts du 21 juin 1988, Commission/Irlande, point 9, 415-85, Rec. p. 3097, et Commission/Royaume-Uni, point 9, 416-85, Rec. p. 3127), le recours en manquement a un caractère objectif et la Commission apprécie seule l'opportunité de son introduction devant la Cour. Dès lors, la Cour est tenue d'examiner si le manquement reproché existe ou non.
7 Afin d'apprécier le bien-fondé du recours introduit par la Commission, il convient de rappeler d'abord, ainsi que la Cour l'a constaté à maintes reprises (voir, par exemple, arrêt du 14 mars 1990, Commission/Italie, C-137-89, Rec. p. I-847), que la justification de l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la circulation des marchandises, en ce qu'elles augmentent artificiellement le prix des marchandises importées ou exportées par rapport aux marchandises nationales. Dès lors, toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, qui frappe les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité.
8 En l'espèce, il n'est pas contesté que la charge prévue par la législation italienne frappe les marchandises en raison du franchissement de la frontière et qu'elle s'ajoute aux frais de transport, de façon à augmenter le prix des marchandises transportées.
9 Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, une telle charge échappe à la qualification de taxe d'effet équivalant à un droit de douane si elle constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service (voir, par exemple, arrêt du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46-76, Rec. p. 5; arrêt du 31 mai 1979, Denkavit, 132-78, Rec. p. 1923; arrêt du 17 mai 1983, Commission/Belgique, 132-82, Rec. p. 1649).
10 A cet égard, la Cour a déjà reconnu la compatibilité avec les règles du traité de charges imposées en raison de l'accomplissement des formalités douanières, à condition que leur montant ne dépasse pas le coût réel des opérations à l'occasion desquelles elles sont perçues (arrêt du 12 juillet 1977, Commission/Pays-Bas, point 16, 89-76, Rec. p. 1355). Dans l'arrêt du 2 mai 1990, Bakker, point 12 (C-111-89, Rec. p. I-1735), la Cour a précisé que cette condition n'était remplie qu'en présence d'un lien direct entre le montant de la redevance et le coût du contrôle concret à l'occasion duquel la redevance est perçue. La Cour a ajouté (arrêt du 2 mai 1990, Bakker, précité, point 13) qu'un tel lien existait lorsque le montant de la redevance était calculé en fonction de la durée du contrôle, du nombre de personnes qui y étaient affectées, des frais matériels, des frais généraux ou, éventuellement, d'autres facteurs du même genre.
11 En outre, dans l'arrêt du 2 mai 1990, Bakker, précité, point 13, la Cour a souligné que les précisions qu'elle avait fournies à propos des facteurs susceptibles d'être retenus pour le calcul du montant de la redevance n'excluaient pas une évaluation forfaitaire des coûts du contrôle, par exemple par un tarif horaire fixe.
12 En ce qui concerne la réglementation italienne litigieuse, il convient de relever d'emblée que, d'une part, il n'est pas contesté qu'en l'espèce un service est rendu aux entreprises et que, d'autre part, compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, le principe d'une évaluation forfaitaire du tarif ne saurait être mis en cause.
13 Toutefois, pour ce qui est du mode de calcul du tarif retenu par l'administration italienne, il y a lieu de constater que la réglementation en cause, qui consiste à mettre à la charge de chaque entreprise individuellement, dans l'hypothèse de services rendus simultanément à plusieurs opérateurs, l'intégralité de l'indemnité forfaitaire correspondant à une heure de service, même lorsque l'opération de contrôle dure nettement moins longtemps, est susceptible d'entraîner, dans certaines circonstances, un dépassement du coût réel de l'opération en question, telle que cette notion a été précisée par la jurisprudence susmentionnée. En effet, le mode de calcul en vigueur en Italie peut conduire, par exemple, à exiger de cinq opérateurs économiques le paiement de cinq indemnités d'une heure pour une durée totale de service égale à trente minutes.
14 Il résulte ainsi des chiffres que le Gouvernement défendeur a lui-même avancés à propos du tarif horaire et du coût du contrôle que, dans certains cas, la rémunération totale exigée des entreprises concernées peut excéder, parfois de façon considérable, le montant des frais que, selon le Gouvernement italien, le service rendu entraîne pour les finances publiques.
15 En effet, même à supposer exacte l'affirmation du Gouvernement italien selon laquelle l'indemnité horaire perçue ne représente, en moyenne, que le tiers du coût du service rendu, le montant des redevances dues par les opérateurs excède, ainsi que l'avocat général l'a fait observer au point 14 de ses conclusions, le coût du contrôle dans tous les cas où le service est rendu simultanément à plus de trois entreprises.
16 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la réglementation italienne litigieuse conduit, dans certains cas, à imposer le paiement d'une rémunération disproportionnée par rapport au service rendu aux opérateurs, dans la mesure où elle entraîne la perception d'autant de redevances qu'il y a d'entreprises concernées et où l'indemnité due par celles-ci dépasse, dès lors, le coût réel des opérations de contrôle.
17 En ce qui concerne l'argument du Gouvernement italien selon lequel il serait, d'une part, impraticable de fractionner l'indemnité due au prorata du temps consacré à une opération effectuée au profit de plusieurs entreprises et, d'autre part, impossible de réclamer cette indemnité à une seule entreprise, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait invoquer des difficultés d'ordre pratique pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire.
18 Le Gouvernement italien fait encore valoir pour sa défense qu'en tout état de cause les opérations litigieuses ont une importance marginale. En effet, il s'agirait de cas ponctuels concernant plusieurs petits lots regroupés, présentés en vrac ou en attente d'embarquement, pour lesquels on ne pourrait guère invoquer les motifs d'urgence qui conduisent à demander l'intervention de la douane en dehors de l'horaire normal de travail ou du périmètre douanier.
19 Cet argument ne saurait être retenu. En effet, même à supposer que les opérations visées par le présent recours aient une importance réduite, il convient de relever, ainsi que la Commission l'a exposé à juste titre, que le manquement aux obligations qui incombent aux États membres en vertu du traité existe quelles que soient la fréquence et l'ampleur des situations incriminées.
20 Il résulte des développements qui précèdent qu'il y a lieu de constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 9, 12, 13 et 16 du traité en exigeant de chaque entreprise individuellement, lorsque des services sont rendus simultanément à plusieurs entreprises à l'occasion de l'accomplissement des formalités douanières dans le cadre des échanges intracommunautaires, le paiement d'une rémunération disproportionnée par rapport au coût des services rendus.
Sur les dépens
21 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) La République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 9, 12, 13 et 16 du traité CEE en exigeant de chaque entreprise individuellement, lorsque des services sont rendus simultanément à plusieurs entreprises, à l'occasion de l'accomplissement des formalités douanières dans le cadre des échanges intracommunautaires, le paiement d'une rémunération disproportionnée par rapport au coût des services rendus.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.