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Décisions

CJCE, 5 février 1976, n° 87-75

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conceria Daniele Bresciani

Défendeur :

Amministrazione Italiana delle Finanze

CJCE n° 87-75

5 février 1976

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 24 juillet 1975, parvenue à la Cour le 4 août suivant, le Tribunal de Gênes a soumis à celle-ci cinq questions tendant à l'interprétation de la notion de " taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation " figurant à l'article 13, paragraphe 2, du traité CEE et à l'article 2, paragraphe 1, de la Convention signée à Yaoundé le 20 juillet 1963 (JO 1964, p. 1430) et de la Convention signée à Yaoundé le 29 juillet 1969 (JO 1970, n° L 282, p. 1) ;

2. Attendu qu'il ressort du dossier que la demanderesse au principal a importé en 1969 et 1970, et en tout cas antérieurement à l'entrée en vigueur de la deuxième Convention de Yaoundé, divers lots de peaux de bovins écrues de la France et du Sénégal, Etat associé à la Communauté en vertu des conventions précitées, et a dû payer un droit d'inspection vétérinaire à l'importation ;

3. Que ce droit a été introduit par l'Italie pour compenser forfaitairement les frais de l'inspection sanitaire obligatoire des produits importés d'origine animale ;

Que le juge national précise que les produits similaires d'origine nationale ne sont pas assujettis au même droit ;

Que, néanmoins, en Italie, lors de l'abattage des animaux, des inspections vétérinaires ont lieu pour lesquelles des droits communaux sont prélevés, inspections ayant principalement pour objet de constater l'aptitude de la viande à la consommation ;

4. Attendu que, par la première question, il est demandé en substance si une charge pécuniaire imposée pour des raisons de contrôle sanitaire obligatoire de peaux brutes, à l'occasion de leur passage à la frontière, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation au sens de l'article 13, paragraphe 2, du traité CEE ;

5. Attendu qu'ainsi qu'il a été dit pour droit dans l'arrêt de la Cour du 14 décembre 1972 dans l'affaire SpA Marimex/Administration italienne des finances (Recueil 1972, p. 1309), sont à considérer comme des taxes d'effet équivalant à des droits de douane les charges pécuniaires imposées pour des raisons de contrôle sanitaire des produits à l'occasion de leur passage à la frontière, qui sont déterminées selon des critères propres et qui ne sont pas comparables aux critères servant à fixer les charges pécuniaires grevant les produits nationaux similaires ;

6. Que le juge national demande qu'il soit tenu compte des trois particularités suivantes ;

Qu'en premier lieu, le fait que la taxe soit proportionnée à la quantité des marchandises et non à leur valeur distinguerait un droit du type litigieux des taxes qui tombent sous l'interdiction de l'article 13 du traité CEE ;

Qu'en deuxième lieu, une charge pécuniaire du type litigieux ne serait que la contrepartie exigée des particuliers qui, de leur propre fait, en important des produits d'origine animale, ont donné lieu à la prestation d'un service ;

Qu'en troisième lieu, bien que perçu selon des modalités et à des moments différents, le droit en question serait également perçu sur les produits similaires d'origine nationale ;

7. Attendu qu'aux termes de l'article 9 du traité, la Communauté est fondée sur une union douanière reposant sur l'interdiction, entre les Etats membres, des droits de douane et des " taxes d'effet équivalent ", ainsi que sur l'adoption d'un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers ;

Attendu qu'aux termes de l'article 13, alinéa 2, les taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation, en vigueur entre les Etats membres, sont progressivement supprimées par eux au cours de la période de transition ;

Attendu que la place de ces articles en tête de la partie réservée aux fondements de la Communauté suffit à marquer leur rôle fondamental pour la construction du Marché commun ;

8. Attendu que la justification de l'obligation de supprimer progressivement les droits de douane réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la libre circulation des marchandises ;

Attendu que l'obligation d'éliminer progressivement les droits de douane est complétée par l'obligation de supprimer les charges d'effet équivalent pour assurer que le principe fondamental de la libre circulation des marchandises à l'intérieur du Marché commun ne soit pas tourné par des charges pécuniaires de toute sorte imposées par un Etat membre ;

9. Que l'emploi de ces notions complémentaires tend ainsi à éviter, dans le commerce entre les Etats membres, l'introduction de toute charge pécuniaire basée sur le fait du passage de la frontière d'un Etat, de marchandises circulant à l'intérieur de la Communauté ;

Que, dès lors une charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, qui frappe les marchandises importées d'un autre Etat membre lorsqu'elles franchissent la frontière, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane ;

Que, dès lors, pour l'appréciation d'un droit du type litigieux il est sans importance qu'il soit proportionné à la quantité des marchandises importées et non à leur valeur ;

10. Attendu que le fait qu'un droit du type litigieux soit proportionné aux frais d'un contrôle sanitaire, effectué obligatoirement à l'entrée des marchandises, n'affecte pas non plus l'appréciation de l'effet de ce droit sur la libre circulation des marchandises ;

Qu'en effet l'activité de l'administration de l'Etat, destinée à maintenir un régime de contrôle sanitaire dans l'intérêt général, ne peut être considérée comme un service rendu à l'importateur de nature à justifier la perception d'une charge pécuniaire en contrepartie ;

Que, dès lors, si à la fin de la période transitoire des contrôles sanitaires sont encore justifiés, les frais occasionnés par ceux-ci doivent être supportés par la collectivité publique qui bénéficie, dans son ensemble, de la libre circulation des marchandises communautaires ;

11. Qu'il importe peu que la production interne, par le biais d'autres taxes, soit grevée d'une charge similaire si ces taxes et le droit en question ne sont pas perçus selon des critères identiques ni à un stade de production similaire, de sorte qu'on puisse les considérer comme relevant d'un régime de redevances intérieures appréhendant systématiquement et de la même manière produits nationaux et produits importés ;

12. Attendu que, par la deuxième question, il est demandé si l'effet direct de l'article 13, paragraphe 2, a pris naissance le 31 décembre 1969, date à laquelle a pris fin la période transitoire, ou le 1er juillet 1968, date à laquelle ont été supprimés les droits de douane à l'intérieur de la Communauté ;

13. Attendu que, sous réserve de dispositions spécifiques éventuelles, cet effet s'est produit à partir de l'expiration de la période de transition, soit le 1er janvier 1970 ;

Qu'en effet la décision du Conseil du 26 juillet 1966 relative à la suppression des droits de douane parallèle à la mise en application du tarif douanier commun au 1er juillet 1968 (JO, p. 2971) repose sur la conception d'une accélération sélective d'actions qui devaient, dans leur ensemble, être menées à bien au plus tard pour la fin de la période de transition ;

Que, dans ces conditions, cette décision ne s'applique qu'aux mesures qui y sont expressément visées, c'est-à-dire aux droits de douane proprement dits et aux restrictions quantitatives ;

14. Qu'il convient donc de répondre que l'effet direct de l'article 13, paragraphe 2, ne peut être invoqué qu'à partir du 1er janvier 1970 ;

15. Attendu que, par la troisième question, il est demandé si la notion de taxe d'effet équivalent a la même portée à l'article 2, paragraphe 1, de la Convention de Yaoundé de 1963 et de la Convention de Yaoundé de 1969 qu'à l'article 13, paragraphe 2, du traité ;

Attendu que, par la quatrième question, il est demandé si l'article 2, paragraphe 1, de la Convention de Yaoundé de 1963 est immédiatement applicable de sorte qu'il engendre, dans le chef des " ressortissants " communautaires, un droit subjectif au non-paiement d'une taxe d'effet équivalant à des droits de douane à un Etat membre, droit que les juges nationaux doivent sauvegarder ;

Que ces questions étant liées, il convient de les joindre aux fins de la réponse ;

16. Attendu qu'il convient d'examiner, en premier lieu, si l'article 2, paragraphe 1, de la Convention de Yaoundé de 1963, engendre pour les justiciables de la Communauté le droit de s'en prévaloir en justice, en vue de contester la perception d'une redevance nationale ;

Que, pour ce faire, il convient d'envisager à la fois l'esprit, l'économie et les termes de la convention et de la disposition visées ;

17. Attendu qu'en vertu de la quatrième partie du traité CEE, certains pays et territoires d'outre-mer qui entretenaient des relations particulières avec quatre des six anciens Etats membres, ont été associés à la Communauté ;

Qu'en raison de ces liens économiques et politiques particuliers l'association devait, aux termes de l'article 131 du traité CEE, permettre de favoriser les intérêts et la prospérité des habitants de ces pays et territoires de manière à les conduire au développement économique, social et culturel qu'ils attendent ;

Que la convention d'application, relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté, annexée au traité, a été conclue pour une durée de cinq ans ;

18. Qu'à la fin de cette période, plusieurs des pays et territoires ayant évolué vers une indépendance politique, la Convention de Yaoundé a été conclue pour maintenir l'association entre certains de ces Etats indépendants africains et malgache et la Communauté économique européenne ;

Qu'elle a été conclue non seulement au nom de Etats membres mais aussi au nom de la Communauté qui, par conséquent, sont liés en vertu de l'article 228 ;

19. Attendu qu'en ce qui concerne les droits de douane et taxes d'effet équivalent, l'article 2, paragraphe 1, de la Convention de 1963 dispose que " les produits originaires des Etats associés bénéficient à l'importation dans les Etats membres de l'élimination progressive des droits de douane et taxes d'effet équivalant à de tels droits qui intervient entre les Etats membres élimination aux dispositions des articles 12, 13, 14, 15 et 17 du traité et aux décisions d'accélération du rythme de réalisation des objets du traité intervenues ou à intervenir ;

Que le paragraphe 5 de cet article dispose " qu'à la demande d'un Etat associé, des consultations ont lieu, au sein du conseil d'association, sur les conditions d'application du présent article ";

20. Qu'en revanche, l'article 3, paragraphe 2, limite l'obligation des Etats associés de supprimer les droits de douane et taxes d'effet équivalent en ces termes : " chaque Etat associé peut maintenir ou établir des droits de douane et taxes d'effet équivalant à de tels droits qui répondent aux nécessités de son développement et aux besoins de son industrialisation ou qui ont pour but d'alimenter son budget ";

21. Que l'article 61 de la convention dispose que la Communauté et les Etats membres assument les engagements prévus aux articles 2, 5 et 11 même à l'égard des Etats associés qui, sur la base d'obligations internationales applicables lors de l'entrée en vigueur du traité CEE et les soumettent à l'application d'un régime douanier particulier, estimeraient ne pouvoir, des à présent, assurer, au profit de la Communauté, la réciprocité prévue à l'article 3, paragraphe 2, de la convention ;

22. Qu'il ressort de ces dispositions que la convention n'a pas été conclue pour assurer une égalité dans les obligations que la Communauté assume vis-à-vis des Etats associés, mais plutôt conformément à l'objectif de la première convention annexée au traité pour favoriser le développement de ceux-ci ;

23. Que ce déséquilibre dans les obligations assumées par la Communauté vis-à-vis des Etats associés qui est dans la logique même du caractère spécifique de la convention, n'est pas un obstacle à la reconnaissance par la Communauté de l'effet direct de certains de ses dispositions ;

24 Attendu que de la disposition selon laquelle les consultations sur les conditions d'application de l'article 2 de la convention ont lieu seulement à la demande d'un Etat associé, il résulte que la suppression des taxes d'effet équivalent devait, du côté communautaire, se poursuivre automatiquement ;

25. Attendu qu'en renvoyant expressément à l'article 13 du traité, la Communauté a, à l'article 2, paragraphe 1, de la convention, assumé la même obligation et de même portée vis-à-vis des Etats associés de supprimer les taxes d'effet équivalent, que les Etats membres ont assumée entre eux dans le traité ;

Que cette obligation étant précise et n'étant assortie d'aucune réserve implicite ou explicite de la part de la Communauté, est apte à engendrer, pour les justiciables, le droit de s'en prévaloir en justice, et ce, à partir du 1er janvier 1970 ;

26. Attendu qu'il convient, dès lors, de répondre au juge national que l'article 2, paragraphe 1, de la Convention de Yaoundé de 1963 engendre, à partir du 1er janvier 1970, dans le chef des justiciables, un droit au non-paiement d'une taxe d'effet équivalant à des droits de douane à un Etat membre, droit que les juges nationaux de la Communauté doivent sauvegarder ;

27. Attendu que, par la dernière question, il est demandé si l'interdiction de percevoir des taxes d'effet équivalent imposée aux Etats membres par les deux Conventions de Yaoundé a été ininterrompue à partir du 1er janvier 1970 ;

28. Attendu que l'article 59 de la Convention de 1963 prévoit qu'elle est conclue pour une durée de cinq années à compter de son entrée en vigueur ;

Que l'article 60 dispose que les parties contractantes examinent les dispositions qui pourraient être prévues pour une nouvelle période, le conseil d'association prenant éventuellement les mesures transitoires nécessaires jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle convention ;

29. Attendu que la première convention d'association ayant expiré le 30 mai 1969 sans que la nouvelle convention ait été adoptée, le conseil d'association l'a prorogée à deux reprises de façon à éviter toute discontinuité ;

Que ces décisions ayant été adoptées par le conseil d'association en vertu des pouvoirs attribués à celui-ci par la convention, il faut conclure que les obligations imposées aux Etats membres par la première convention ont continué sans interruption jusqu'à l'entrée en vigueur de la deuxième convention ;

Sur les dépens

30. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;

Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de Gênes, dit pour droit :

1) Une charge pécuniaire unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, qui frappe les marchandises importées d'un autre Etat membre lorsqu'elles franchissent la frontière, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane ;

2) L'effet direct de l'article 13, paragraphe 2, du traité ne peut être invoqué qu'à partir du 1er janvier 1970 ;

3) L'article 2, paragraphe 1, de la Convention signée à Yaoundé le 20 juillet 1963 engendre, à partir du 1er janvier 1970, dans le chef des justiciables, un droit au non-paiement d'une taxe d'effet équivalant à des droits de douane, à un Etat membre, droit que les juges nationaux de la Communauté doivent sauvegarder ;

4) Les obligations imposées aux Etats membres par la Convention de Yaoundé de 1963 ont continué sans interruption jusqu'à l'entrée en vigueur de la Convention signée à Yaoundé le 29 juillet 1969.