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Décisions

CJCE, 12 septembre 2000, n° C-366/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procédure pénale contre Yannick Geffroy et Casino France SNC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Gulmann, Puissochet, Jann, Ragnemalm, Wathelet

Avocats :

Me Fourgoux, Bethlehem

CJCE n° C-366/98

12 septembre 2000

LA COUR,

1 Par arrêt du 16 septembre 1998, parvenu à la Cour le 14 octobre suivant, la Cour d'appel de Lyon a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et 14 de la directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p. 1), telle que modifiée par la directive 93-102-CE de la Commission, du 16 novembre 1993 (JO L 291, p. 14, ci-après la "directive 79-112").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre de la procédure pénale engagée devant cette juridiction contre M. Geffroy, en sa qualité d'acheteur au sein du groupe Casino et de bénéficiaire d'une délégation régulière de pouvoirs, et Casino France SNC (ci-après "Casino"), en sa qualité de civilement responsable, pour infractions de détention pour vente, de vente ou d'offre de denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur.

Le droit communautaire

3 La directive 79-112 dispose en son article 2, paragraphe 1:

"L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas:

a) être de nature à induire l'acheteur en erreur, notamment:

i) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et notamment sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention,

..."

4 L'article 5, paragraphe 1, de la directive 79-112 énonce:

"La dénomination de vente d'une denrée alimentaire est la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui lui sont applicables et, à défaut, le nom consacré par les usages de l'État membre dans lequel s'effectue la vente au consommateur final et aux collectivités ou une description de la denrée alimentaire et, si nécessaire, de son utilisation suffisamment précise pour permettre à l'acheteur d'en connaître la nature réelle et de la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être confondue."

5 Aux termes de l'article 14, second alinéa, de la directive 79-112:

"Toutefois, les États membres veillent à interdire sur leur territoire le commerce des denrées alimentaires si les mentions prévues à l'article 3 et à l'article 4 paragraphe 2 ne figurent pas dans une langue facilement comprise par les acheteurs sauf si l'information de l'acheteur est assurée par d'autres mesures. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que lesdites mentions figurent en plusieurs langues."

6 La directive 97-4-CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 1997, modifiant la directive 79-112 (JO L 43, p. 21), a supprimé le second alinéa de l'article 14 de la directive 79-112 et a inséré un nouvel article 13 bis qui exige, notamment, l'étiquetage des denrées alimentaires dans une langue facilement comprise par le consommateur et permet aux États membres d'imposer, dans le respect des règles du traité, que les mentions d'étiquetage requises par la directive 79-112 figurent au moins dans une ou plusieurs des langues officielles de la Communauté.

Le droit national

7 Les dispositions du décret n° 84-1147, du 7 décembre 1984, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services en ce qui concerne l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires (JORF du 21 décembre 1984, ci-après le "décret n° 84-1147"), ont été codifiées dans le Code de la consommation français.

8 L'article R. 112-7 du Code de la consommation (ancien article 3 du décret n° 84-1147) dispose, en son premier alinéa:

"L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et plus particulièrement sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, la conservation, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention."

9 L'article R. 112-8 du Code de la consommation (ancien article 4 du décret n° 84-1147) précise:

"Toutes les mentions d'étiquetage prévues par le présent chapitre doivent être facilement compréhensibles, rédigées en langue française et sans autres abréviations que celles prévues par la réglementation ou les conventions internationales. Elles sont inscrites à un endroit apparent et de manière à être visibles, clairement lisibles et indélébiles. Elles ne doivent en aucune façon être dissimulées, voilées ou séparées par d'autres indications ou images."

Le litige au principal et la question préjudicielle

10 Lors d'un contrôle effectué le 5 juin 1996 à l'hypermarché Géant (Établissements Casino) de Clermont-Ferrand, les fonctionnaires de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (ci-après la "DGCCRF") du Puy-de-Dôme ont constaté que:

- l'étiquetage de certaines boissons, à savoir 432 bouteilles de Coca cola, 47 bouteilles de cidre Merry Down et 22 bouteilles de bière au gingembre Red Raw, n'était pas en langue française, hormis pour leur volume et, pour les bières, leur titre alcoométrique;

- sur les publicités, étaient présentées des bouteilles de cidre de marque OD Pirat et Shock, lesquelles ne pouvaient répondre, selon les fonctionnaires de la DGCCRF, à l'appellation "cidre", réservée aux boissons alcoolisées à base de pommes;

- le balisage (étiquettes sur rayon) des produits OD Pirat, Snake Bite et Blackadder présentait également à tort ces produits comme des cidres.

11 À la suite de leurs constatations, les fonctionnaires de la DGCCRF ont dressé un procès-verbal. Lors de son audition, M. Geffroy a expliqué:

- quant au défaut d'étiquetage en langue française, d'une part, que les bouteilles de Coca cola avaient été acquises en Grande-Bretagne, qu'il s'agissait d'un produit notoirement connu et que le consommateur ne pouvait être gêné par un étiquetage en langue anglaise, facilement comprise de tous; que, en outre, un panneau comportait la traduction de ces étiquettes, mais qu'un client avait dû le faire tomber au fond de la gondole; d'autre part, que les fournisseurs des cidres Merry Down et des bières Red Raw avaient commis une erreur en ne joignant pas les étiquettes autocollantes en langue française destinées à être apposées sur ces boissons, comme il leur avait été demandé;

- quant à l'appellation de cidres, que, si trois produits avaient effectivement été balisés comme cidres par des étiquettes, ils avaient cependant été mis en vente au rayon des bières.

12 Par jugement du 18 novembre 1997, le Tribunal de police de Saint-Étienne a condamné M. Geffroy au paiement de 506 amendes pour avoir commis les infractions de détention pour vente, de vente ou d'offre de denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur (501 amendes de 50 FRF - autant que de produits en infraction - pour infraction à la règle de l'étiquetage en français et 5 amendes de 2 000 FRF pour étiquetage trompeur). Le tribunal a également déclaré Casino civilement responsable.

13 M. Geffroy, Casino et le Ministère public ont interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Lyon. Éprouvant des doutes quant à la compatibilité de la réglementation française avec le droit communautaire, celle-ci a décidé de surseoir à statuer et de renvoyer "la présente affaire devant la Cour de justice des Communautés européennes, en interprétation du traité [CE], pour qu'il soit prononcé sur le point de savoir si les dispositions combinées des articles 30 dudit traité et 14 de la directive n° 79-112 du 18 décembre 1978 du Conseil des Communautés européennes s'opposent ou non à l'application d'une législation nationale, comme celle issue du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984 pris pour application de la loi du 1er août 1905 alors applicable, modifiée par les articles L. 213-1 et suivants du Code de la consommation".

Sur la question préjudicielle

14 La juridiction de renvoi vise à déterminer si certaines dispositions du droit communautaire s'opposent à l'application d'une réglementation nationale, telle que le décret n° 84-1147. Elle précise que ce décret, qui a été codifié dans le Code de la consommation, impose, notamment, que l'étiquetage des denrées alimentaires ne soit pas de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur et que toutes les mentions rendues obligatoires par la réglementation française soient rédigées en langue française.

15 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi cherche à savoir si l'article 30 du traité et l'article 14 de la directive 79-112 s'opposent à une réglementation nationale qui, d'une part, prévoit que l'étiquetage des denrées alimentaires et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas induire l'acheteur ou le consommateur en erreur, notamment sur les caractéristiques desdites denrées, et, d'autre part, impose l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires.

16 Il convient d'observer, à ce stade, que la modification de l'article 14 de la directive 79-112 et l'insertion d'un nouvel article 13 bis, mentionnées au point 6 du présent arrêt, sont intervenues postérieurement aux faits dont est saisie la juridiction de renvoi et ne leur sont donc pas applicables.

Sur le premier volet de la question préjudicielle

17 L'article 2, paragraphe 1, sous i), de la directive 79-112 prévoit que l'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à induire l'acheteur en erreur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire telles que la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention de celle-ci. Rien ne s'oppose, à l'évidence, à ce que soit repris dans une réglementation nationale le libellé même de cette disposition communautaire, ainsi que le fait en substance l'article R. 112-7 du Code de la consommation.

18 Quant à l'application d'une telle réglementation nationale à un cas concret, il convient de rappeler que, en principe, il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, de statuer sur la question de savoir si l'étiquetage de certains produits est de nature à induire l'acheteur ou le consommateur en erreur ou de trancher la question du caractère éventuellement trompeur d'une dénomination de vente. Cette tâche revient à la juridiction nationale, même s'il s'agit de dispositions en substance identiques à des dispositions de droit communautaire.

19 Il n'en irait autrement que si les éléments du dossier qui sont à la disposition de la Cour lui paraissaient suffisants et la solution s'imposer (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, C-210-96, Rec. p. I-4657, point 30). Or, dans la présente affaire, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 32 à 35 de ses conclusions, la Cour ne dispose pas des informations nécessaires pour se prononcer à ce sujet.

20 Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2000, Haim, C-424-97, non encore publié au Recueil, point 58).

21 À cet égard, il y a lieu de relever que le fait que la composition de boissons alcoolisées à base de pommes, fabriquées et commercialisées légalement dans un État membre sous la dénomination "cider", ne soit pas conforme aux exigences de la réglementation d'un autre État membre sur la production du cidre n'est pas suffisant en soi pour interdire leur commercialisation dans ce dernier État membre sous la dénomination "cidre" au motif que l'utilisation de cette dénomination serait de nature à induire le consommateur en erreur dans cet État (voir, s'agissant du foie gras, arrêt du 22 octobre 1998, Commission/France, C-184-96, Rec. p. I-6197, point 24).

22 La Cour n'a cependant pas exclu la possibilité pour les États membres d'exiger des intéressés de modifier la dénomination d'une denrée alimentaire lorsqu'un produit présenté sous une certaine dénomination est tellement différent, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, des marchandises généralement connues sous cette même dénomination au sein de la Communauté qu'il ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie (voir arrêts du 22 septembre 1988, Deserbais, 286-86, Rec. p. 4907, point 13, et Commission/France, précité, point 23).

23 Dans le cas d'une différence de moindre importance, un étiquetage adéquat doit suffire à fournir les renseignements nécessaires à l'acheteur ou au consommateur. Il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier si tel est le cas dans l'affaire au principal.

Sur le second volet de la question préjudicielle

24 En ce qui concerne les exigences linguistiques relatives à l'étiquetage des denrées alimentaires qu'un État membre est en droit d'imposer, il convient de rappeler que la Cour s'est déjà prononcée sur le sujet à plusieurs reprises.

25 Tout d'abord, dans l'arrêt du 18 juin 1991, Piageme (C-369-89, Rec. p. I-2971), la Cour a dit pour droit que l'article 30 du traité et l'article 14 de la directive 79-112 s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose exclusivement l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité que soit utilisée une autre langue facilement comprise par les acheteurs ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures.

26 La Cour a ensuite dit pour droit, dans l'arrêt du 12 octobre 1995, Piageme e.a. (C-85-94, Rec. p. I-2955), que l'article 14 de la directive 79-112 s'oppose à ce qu'un État membre, eu égard à l'exigence d'une langue facilement comprise par les acheteurs, impose l'utilisation de la langue dominante de la région dans laquelle le produit est mis en vente, même si l'utilisation simultanée d'une autre langue n'est pas exclue.

27 Enfin, dans l'arrêt du 14 juillet 1998, Goerres (C-385-96, Rec. p. I-4431), la Cour a dit pour droit que l'article 14 de la directive 79-112 ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui prescrit, en ce qui concerne les exigences linguistiques, l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, mais qui permet également, à titre alternatif, l'utilisation d'une autre langue facilement comprise par les acheteurs.

28 Il ressort de cette jurisprudence que les articles 30 du traité et 14 de la directive 79-112 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, impose l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu'une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures.

29 Il convient donc de répondre à la question préjudicielle que:

- les articles 30 du traité et 14 de la directive 79-112 ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que l'étiquetage des denrées alimentaires et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas induire l'acheteur ou le consommateur en erreur, notamment sur les caractéristiques desdites denrées;

- les articles 30 du traité et 14 de la directive 79-112 s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu'une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures.

Sur les dépens

30 Les frais exposés par les Gouvernements français, autrichien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Lyon, par arrêt du 16 septembre 1998, dit pour droit:

31 Les articles 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et 14 de la directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard, telle que modifiée par la directive 93-102-CE de la Commission, du 16 novembre 1993, ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que l'étiquetage des denrées alimentaires et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas induire l'acheteur ou le consommateur en erreur, notamment sur les caractéristiques desdites denrées.

2) Les articles 30 du traité et 14 de la directive 79-112 s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu'une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures.