CJCE, 6e ch., 20 septembre 1988, n° 252-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hauptzollamt Hamburg-St. Annen
Défendeur :
Wilhelm Kiwall KG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Due
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. Koomans, Bahlmann, Kakouris, O'Higgins
LA COUR,
1. Par ordonnance du 2 juillet 1987, parvenue à la Cour le 20 août suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation du droit communautaire en matière de naissance et de recouvrement d'une dette douanière.
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la société Wilhelm Kiwall KG, hamburg, (ci-après "demanderesse ") au Hauptzollamt Hamburg-St. Annen (ci-après "Hauptzollamt ") et portant sur le recouvrement a posteriori d'une dette douanière née, selon la législation douanière allemande en vigueur à l'époque, à l'occasion de la mise en libre pratique, en République fédérale d'Allemagne, de marchandises provenant d'un pays tiers et ne se trouvant pas déjà en libre pratique dans la communauté.
3. Il ressort du dossier que, entre le 12 janvier 1979 et le 9 mai 1980, la demanderesse a acheté au Danemark des articles de bonneterie qui ont été mis en libre pratique en République fédérale d'Allemagne sur présentation, par la demanderesse, d'un formulaire de transit communautaire "T2", conformément à la procédure du transit communautaire interne prévue par le règlement n° 222-77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire (JO 1977, L 38, p. 1 ). Le Hauptzollamt a donc uniquement réclamé le paiement de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation.
4. Ultérieurement, il a été constate que ces marchandises en provenance d'un pays tiers avaient été introduites en fraude au Danemark par le vendeur et que, par conséquent, le formulaire T2 avait été obtenu des autorités danoises de manière irrégulière. Pour cette raison, le Hauptzollamt, par décision du 19 février 1981, a réclamé à la demanderesse le versement de 241 676,76 DM de droits de douane.
5. Cette décision ayant été annulée par le Finanzgericht Hamburg, devant lequel la demanderesse avait forme un recours, le Hauptzollamt a introduit un recours en révision devant le Bundesfinanzhof, qui a sursis à statuer et a pose à la Cour la question préjudicielle suivante :
"en l'état du rapprochement des législations douanières en mai 1980, une disposition allemande en matière douanière, qui prévoyait la naissance d'une dette douanière au titre de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre et qui, de la, ont été irrégulièrement soumises au régime du transit communautaire interne en République fédérale d'Allemagne sans que les formalités d'importation aient été accomplies, est-elle compatible avec le droit communautaire?"
6. Pour un plus ample expose des faits de l'affaire au principal, ainsi que du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7. Par sa question, la juridiction nationale vise, en substance, a savoir si les dispositions communautaires en matière douanière applicables en mai 1980 s'opposaient à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'ou elles ont ensuite été transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique.
8. A cet égard, il convient de relever que l'article 36, paragraphe 1, du règlement n° 222-77, relatif au transit communautaire, précité, dispose :
"Quand il est constate qu'au cours ou à l'occasion d'une opération de transit communautaire une infraction ou une irrégularité a été commise dans un Etat membre déterminé, le recouvrement des droits et autres impositions éventuellement exigibles est poursuivi par cet Etat membre, conformément à ses dispositions législatives, réglementaires et administratives, sans préjudice de l'exercice des actions pénales."
9. Dans son arrêt du 27 novembre 1984 (Fioravanti, 99-83, Rec. p. 3939 ), la Cour, en interprétant la disposition identique du règlement antérieur, n° 542-69 du Conseil, du 18 mars 1969, relatif au transit communautaire (JO L 77, p. 1 ), a dit pour droit que, lorsqu'en raison d'une infraction ou d'une irrégularité commise à l'occasion d'une opération de transit communautaire les droits et autres impositions exigibles ne sont pas perçus, le recouvrement de ces droits et impositions est poursuivi par l'Etat membre ou l'infraction ou l'irrégularité a été commise, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives de cet état.
10. En l'espèce, il ressort du dossier qu'aussi bien l'importation frauduleuse dans la communauté que l'obtention irrégulière du formulaire T2 constituent des infractions ou des irrégularités commises au Danemark. En raison de la connexité étroite entre ces deux infractions ou irrégularités, il convient de les considérer comme ayant été, toutes les deux, commises à l'occasion d'une opération de transit communautaire. En vertu de la disposition précitée, telle qu'interprétée dans l'arrêt susmentionné du 27 novembre 1984, il appartient par conséquent aux autorités danoises de poursuivre le recouvrement des droits de douane exigibles en raison de l'importation des marchandises dans la communauté. Les actes commis au Danemark ont donc déjà fait naître une dette douanière.
11. Lorsqu'une infraction ou irrégularité commise dans un Etat membre a donné naissance à une dette douanière dans cet état, l'article 36 du règlement n° 222-77 ne laisse aucune place à la naissance d'une dette douanière dans un autre Etat membre ou le formulaire T2 a été ensuite utilise, en vue d'obtenir la mise en libre pratique des marchandises en cause. Ce résultat est conforme à la conception même de l'union douanière qui s'oppose à la double imposition de marchandises à l'occasion de leur introduction sur le territoire douanier communautaire tel que défini par le règlement n° 1496-68 du Conseil, du 27 septembre 1968 (JO L 238, p. 1 ). Il convient toutefois d'ajouter que l'article 36 du règlement n° 222-77 laisse expressément intacte toute possibilité, prévue par le droit national, d'engager une action pénale contre celui qui a fait usage d'un formulaire T2 obtenu irrégulièrement dans un autre Etat membre.
12. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale que l'article 36, paragraphe 1, du règlement n° 222-77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'ou elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat membre ont déjà fait naître une dette douanière dans cet état.
Sur les dépens
13. Les frais exposés par la Commission des communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur la question a elle soumise par le Bundesfinanzhof, par ordonnance du 2 juillet 1987, dit pour droit :
L'article 36, paragraphe 1, du règlement n° 222-77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'ou elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat membre ont déjà fait naître une dette douanière dans cet état.