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Décisions

CJCE, 26 octobre 1982, n° 240-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Senta Einberger

Défendeur :

Hauptzollamt Freiburg

CJCE n° 240-81

26 octobre 1982

LA COUR,

1. Par ordonnance du 16 juin 1981, parvenue à la Cour le 4 septembre suivant, le finanzgericht baden-wurttemberg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'application du tarif douanier commun aux stupéfiants importés en contrebande.

2. Le litige au principal concerne la détermination des droits de douane applicables à des quantités de morphine qui, après avoir été importées de façon illégale en République fédérale d'Allemagne, ont été vendues en suisse, en infraction à la loi allemande sur les stupéfiants (betaubungsmittelgesetz), par la requérante au principal. Celle-ci a été condamnée pour ces faits, par une juridiction pénale allemande, à une année d'emprisonnement avec sursis.

3. Le finanzgericht s'est posé le problème de savoir si la morphine est passible de droits de douane d'après le droit communautaire. Il rappelle à cet égard que la Cour a dit, dans son arrêt du 5 février 1981 (Horvath, 50-80, Recueil p. 385) que l'instauration du tarif douanier commun ne laisse plus compétence à un Etat membre pour appliquer des droits de douane aux stupéfiants importés en contrebande et détruits des leur découverte, tout en lui laissant pleine liberté de poursuivre les infractions commises par les voies du droit pénal.

4. Le finanzgericht a constaté, en ce qui concerne les faits de l'espèce, que la morphine n'est pas fabriquée en République fédérale d'Allemagne et que la quantité de ce produit vendue par la requérante au principal avait été introduite en contrebande sur le territoire allemand pour être réexportée de façon illégale vers un pays tiers. En se referant à l'arrêt précité de la Cour, il s'est demandé si ce n'est pas l'interdiction d'importation et de commercialisation des stupéfiants, plutôt que leur destruction, qui fait obstacle à l'application de droits de douane et si, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de conclure qu'aucune dette douanière ne peut prendre naissance. Ce serait seulement si la Cour n'acceptait pas une telle conclusion que la question se poserait de savoir si le transport en dehors du territoire douanier doit être assimile à la destruction des stupéfiants illégaux.

5. Sur la base de ces considérations, la juridiction nationale a posé la question préjudicielle suivante :

' Depuis l'instauration du tarif douanier commun, un Etat membre est-il autorise à percevoir des droits de douane sur des stupéfiants introduits en fraude et transportes de nouveau hors du territoire douanier de la communauté?

'

6. La juridiction nationale fait valoir à juste titre que la question préalable est celle de savoir si l'importation frauduleuse, dans la communauté, de stupéfiants relevant du circuit illégal de commercialisation de ces produits fait naître une dette douanière. La Cour examinera d'abord cette question.

7. Ainsi posée, cette question ne concerne pas le problème de l'importation illégale de produits en general, mais celui de l'importation illégale de produits stupéfiants.

8. Comme la Cour l'a rappelé dans son arrêt du 5 février 1981 précité, les produits stupéfiants tels que la morphine, l'héroïne et la cocaïne présentent des caractéristiques particulières en ce que leur nocivité est généralement reconnue et que leur importation et leur commercialisation sont interdites dans tous les Etats membres, exception faite d'un commerce strictement contrôle et limite en vue d'une utilisation autorisée à des fins pharmaceutiques et médicales.

9. Cette situation juridique est conforme à la convention unique sur les stupéfiants de 1961 (Recueil des traités des nations unies, 520, n° 7515), à laquelle tous les Etats membres sont actuellement parties. Dans le préambule de cette convention, les parties constatent que la toxicomanie est un fléau pour l'individu et constitue un danger économique et social pour l'humanité ; elles se déclarent conscientes du devoir qui leur incombe de prévenir et de combattre ce fléau, tout en reconnaissant que l'usage médical des stupéfiants demeure indispensable pour soulager la douleur et que les mesures voulues doivent être prises pour assurer que des stupéfiants soient disponibles à cette fin. D'après l'article 4 de la convention unique, les parties prendront toutes les mesures nécessaires pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l'exportation, l'importation, la distribution, le commerce, l'emploi et la détention des stupéfiants.

10. Il en résulte que les stupéfiants qui ne se trouvent pas dans un circuit strictement surveille par les autorités compétentes en vue d'être utilisés à des fins médicales et scientifiques, relèvent, par définition, d'une interdiction totale d'importation et de mise en circulation dans tous les Etats membres.

11. En pratique, de tels stupéfiants sont, des leur découverte, saisis et détruits sur la base de la législation nationale relative aux stupéfiants, sauf dans quelques rares cas ou le produit saisi se prête à une utilisation médicale ou scientifique et ou il est transmis dans le circuit surveille pour devenir, des lors, passible d'un droit de douane.

12. Par contre, les stupéfiants relevant du circuit illégal ne sont pas passibles d'un droit de douane lorsqu'ils restent dans ce circuit, qu'ils soient découverts et détruits ou qu'ils échappent à la vigilance des autorités.

13. Une dette douanière ne saurait, en effet, prendre naissance lors de l'importation de stupéfiants qui ne sont pas susceptibles d'être mis dans le commerce et intégrés à l'économie de la communauté. L'instauration du tarif douanier commun, prévue par l'article 3, sous b), du traité, se situe dans la perspective des buts que l'article 2 assigne à la communauté et des lignes de conduite que l'article 29 fixe pour la gestion de l'union douanière. Des importations de produits stupéfiants dans la communauté, qui ne peuvent donner lieu qu'à des mesures répressives, sont tout a fait étrangères à ces buts et à ces lignes de conduite.

14. Cette conception est confirmée par les dispositions du règlement n° 803-68 du Conseil, du 27 juin 1968, relatif à la valeur en douane des marchandises (JO L 148, p. 6) et par celles de la directive 79-623 du Conseil, du 25 juin 1979, relative à l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives en matière de dette douanière (JO L 179, p. 31). Les considérants de cette directive déclarent explicitement que le moment où prend naissance la dette douanière est définie compte tenu du caractère économique des droits à l'importation et des conditions dans lesquelles les marchandises passibles de droits à l'importation sont intégrées à l'économie de la communauté. Dans ces conditions, aucune dette douanière ne peut prendre naissance lors de l'importation de stupéfiants relevant du circuit illégal, ceux-ci devant être saisis et détruits des leur découverte, au lieu d'être mis en circulation.

15. Par ailleurs, il serait injustifié de faire une distinction, à cet égard, entre les stupéfiants non découverts et ceux qui sont détruits sous le contrôle des autorités compétentes, étant donné que si une telle distinction était faite, l'application de droits de douane dépendrait du hasard de la découverte.

16. Il résulte de ce qui précède qu'aucune dette douanière ne prend naissance lors de l'importation des stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveille par les autorités compétentes en vue d'une utilisation à des fins médicales et scientifiques.

17. Cette constatation ne préjuge en rien la compétence des Etats membres pour poursuivre les infractions à leur législation en matière de stupéfiants par des sanctions appropriées, avec toutes les conséquences que celles-ci impliquent, même dans le domaine pécuniaire.

18. A la lumière de cette réponse, les autres problèmes soulevés par la juridiction nationale sont devenus sans objet.

Sur les dépens

19. Les frais exposés par le gouvernement de la République française et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question a elle soumise par le finanzgericht baden-wurttemberg, par ordonnance du 16 juin 1981, dit pour droit :

Aucune dette douanière ne prend naissance lors de l'importation des stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveille par les autorités compétentes en vue d'une utilisation à des fins médicales et scientifiques.