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Décisions

CJCE, 28 mars 1995, n° C-324/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Queen

Défendeur :

Secretary of State for Home Department, ex parte Evans Medical Ltd, Macfarlan Smith Ltd

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Schockweiler, Kapteyn

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Murray, Edward

Avocats :

Mes Green, Hamilton

CJCE n° C-324/93

28 mars 1995

LA COUR,

1 Par ordonnance du 23 juin 1993, parvenue à la Cour le 25 juin suivant, la High Court of Justice (Queen's Bench Division) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation, d'une part, des articles 30, 36 et 234 du traité CEE et, d'autre part, de la directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1), telle que modifiée par la directive 88-295-CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 127, p. 1, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant les sociétés Evans Medical Ltd (ci-après "Evans") et Macfarlan Smith Ltd (ci-après "Macfarlan") au Secretary of State for the Home Department (ministre de l'Intérieur, ci-après le "Secretary of State"), soutenu par Generics (UK) Ltd (ci-après "Generics"), à l'occasion de l'importation par cette dernière société, au Royaume-Uni, d'un lot de diamorphine originaire des Pays-Bas.

3 Aux termes du Misuse of Drugs Act 1971 (loi britannique de 1971 sur l'abus de drogue), l'importation de diamorphine est interdite, sauf autorisation du Secretary of State en vertu de l'article 3, paragraphe 2, sous b).

4 La diamorphine, produit dérivé de l'opium, est parfois utilisée comme antidouleur dans le cadre de traitements médicaux et particulièrement au Royaume-Uni puisque, selon les données fournies par la juridiction de renvoi, sur 241 kg de diamorphine consommés en 1990 à des fins médicales dans le monde, 238 l'ont été dans cet État.

5 Ce produit relève de la convention unique de 1961 sur les stupéfiants (Recueil des traités des Nations unies, 520, p. 204, ci-après la "convention") qui est entrée en vigueur au Royaume-Uni en 1964 et qui est également applicable dans les autres États membres.

6 Cette convention prévoit notamment que les États contractants:

* "prendront les mesures législatives et administratives qui pourront être nécessaires ... pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l'exportation, l'importation, la distribution, le commerce, l'emploi et la détention des stupéfiants" [article 4, sous c)],

* "exigeront que le commerce et la distribution des stupéfiants s'effectuent sous licence, sauf si ce commerce ou cette distribution sont effectués par une ou des entreprises d'État" [article 30, paragraphe 1, sous a)], et

* "contrôleront au moyen d'une licence l'importation et l'exportation des stupéfiants sauf dans les cas où cette importation ou cette exportation est effectuée par une ou des entreprises d'État" [article 31, paragraphe 3, sous a)].

7 Jusqu'en 1992, conformément à la politique suivie à cette époque au Royaume-Uni, le Secretary of State interdisait l'importation de ce produit et accordait, d'une part, à Macfarlan, l'exclusivité de la fabrication du produit en poudre à base de concentré de paille de pavot importé de pays tiers et, d'autre part, à Evans, celle de la transformation (congélation, déshydratation et emballage) du produit en vue de son usage médical et de sa commercialisation au Royaume-Uni.

8 Selon le Secretary of State, cette pratique était justifiée par la nécessité d'éviter le risque de détournement de diamorphine vers le commerce illicite et de garantir la sûreté des approvisionnements au Royaume-Uni.

9 Au mois de septembre 1990, le Secretary of State a rejeté une demande de Generics visant à obtenir une licence d'importation d'un lot de diamorphine en provenance des Pays-Bas. Cette société a introduit, après y avoir été autorisée, un recours juridictionnel contre la décision de refus afin de faire constater qu'elle était contraire à l'article 30 du traité et ne pouvait être justifiée par l'article 36. Au cours de la procédure, le Secretary of State a reconnu que le refus d'octroyer une licence à Generics n'était pas justifié et a indiqué que sa décision faisait l'objet d'un réexamen.

10 Par deux lettres en date du 17 août 1992, le Secretary of State a informé Evans et Macfarlan qu'il autorisait Generics à importer le lot de diamorphine dans la mesure où il considérait que la politique alors en vigueur entravait les échanges intracommunautaires et que la sécurité des approvisionnements pouvait être préservée de manière satisfaisante, et en toute conformité avec le droit communautaire, par l'instauration d'un système d'adjudication.

11 Les requérantes au principal ont alors introduit un recours devant la juridiction de renvoi visant à faire constater que le raisonnement juridique contenu dans ces lettres au soutien de l'octroi d'autorisation, et donc de l'abandon de la politique antérieure, était entaché d'une erreur de droit en sorte que les décisions devaient être annulées.

12 Elles estiment que les exigences de la convention sont incompatibles avec les dispositions des articles 30 et 36 du traité. En conséquence, elles ont fait valoir, en premier lieu, que ces articles n'étaient pas applicables au commerce des stupéfiants en vertu de l'article 234 du traité, la convention ayant été conclue avant l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés, puisque, selon cette disposition, "les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du présent traité, entre un ou plusieurs États membres d'une part, et un ou plusieurs États tiers d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité." Ainsi, la convention exigerait, selon elles, que la réglementation antérieure soit maintenue.

13 Elles estiment, en second lieu, que, quand bien même l'article 30 du traité serait applicable, le Secretary of State, d'une part, aurait pu justifier par l'article 36 le refus d'octroyer une licence d'importation à Generics et, d'autre part, aurait dû préalablement s'assurer que le système d'adjudication pouvait être mis en œuvre, était compatible avec la convention et permettait d'assurer l'approvisionnement continu en diamorphine du service national de la santé.

14 C'est dans ce cadre que la juridiction nationale a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les articles 30, 36 et 234 du traité CEE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'un État membre est en droit de refuser d'accorder une licence, requise par sa législation, pour importer à partir d'un autre État membre des stupéfiants qui en sont originaires ou qui y sont en libre pratique au motif que

a) les dispositions des articles 30 et 36 ne sont pas applicables aux stupéfiants au sens ou dans le cadre de la convention unique sur les stupéfiants signée à New York le 30 mars 1961; et/ou

b) le respect de la convention nécessiterait en pratique l'attribution arbitraire de quotas entre importateurs et fabricants locaux; et/ou le système de contrôle prévu par la convention serait sans cela moins efficace; et/ou

c) (étant donné que la Communauté n'a pas adopté de directive ni d'autres dispositions régissant le commerce des stupéfiants lui permettant de déclarer qu'elle constitue un 'seul territoire' au sens de l'article 43 de la convention unique et que plusieurs États membres qui fabriquent des stupéfiants en interdisent l'importation) l'importation de stupéfiants à partir d'un autre État membre menacerait la viabilité de l'unique fabricant sous licence dans l'État membre concerné et entraîne des risques pour la sûreté de l'approvisionnement de ce pays en drogues de ce type à des fins médicales essentielles?

2) Y a-t-il lieu d'interpréter la directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976 (JO 1977, L 13, p. 1), telle que modifiée, en ce sens qu'une autorité publique chargée de l'achat de drogues antidouleur à des fins médicales est en droit de tenir compte de la nécessité de garantir la sécurité et la continuité de l'approvisionnement lorsqu'elle conclut des contrats de fourniture de ces drogues?"

Sur la pertinence des questions posées

15 A titre liminaire, la Commission estime qu'il n'y a pas lieu de répondre aux questions posées dans la mesure où, d'une part, la première d'entre elles serait relative à la compatibilité avec le droit communautaire d'une pratique aujourd'hui abandonnée et qui consistait à interdire les importations de diamorphine en provenance d'autres États membres et où, d'autre part, la seconde viserait à obtenir de la Cour une interprétation du droit communautaire au regard d'une situation purement hypothétique, à savoir l'existence d'une procédure visant à acquérir de la diamorphine dans le cadre de la directive.

16 A cet égard, il suffit de relever que le Secretary of State a estimé que la pratique nationale consistant à interdire l'importation de diamorphine était contraire au droit communautaire dans la mesure où la sécurité d'approvisionnement du marché britannique pouvait être assurée en conformité avec le droit communautaire, dans le cadre de la directive. Les questions posées ont ainsi pour but de permettre à la juridiction nationale de s'assurer que la modification de la pratique nationale s'imposait effectivement pour être compatible avec le droit communautaire. Sur la base des réponses apportées, la High Court of Justice devra déterminer si, d'après son droit interne, les décisions du Secretary of State doivent être annulées pour erreur de droit.

17 Il y a lieu dès lors de répondre aux questions posées par la juridiction nationale.

Sur la question 1a)

18 Par cette question, la juridiction nationale vise à savoir si l'article 30 du traité s'applique à une pratique nationale interdisant l'importation de stupéfiants visés par la convention et susceptibles d'être commercialisés en vertu de celle-ci.

19 Il y a lieu de relever que, comme l'a constaté la Cour dans ses arrêts du 26 octobre 1982, Wolf (221-81, Rec. p. 3681), et Einberger (240-81, Rec. p. 3699), les stupéfiants visés par la convention font l'objet dans tous les États membres de diverses mesures visant à réglementer strictement leur importation et leur commercialisation en vue de s'assurer que ces produits ne soient utilisés dans ces États qu'à des fins pharmaceutique ou médicale, conformément à la convention.

20 Selon la jurisprudence de la Cour, des objets qui sont transportés par-delà une frontière pour donner lieu à des transactions commerciales sont soumis à l'article 30 du traité, quelle que soit la nature de ces transactions (voir arrêt du 9 juillet 1992, Commission/Belgique, C-2-90, Rec. p. I-4431, point 26). Présentant ces caractéristiques, les stupéfiants visés par la convention et susceptibles d'être commercialisés en vertu de celle-ci sont soumis à cette disposition.

21 Par ailleurs, il résulte d'une jurisprudence constante que constitue une entrave aux échanges toute mesure susceptible d'affecter, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les échanges communautaires (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837).

22 En application de cette jurisprudence, une pratique nationale consistant à interdire les importations de stupéfiants entre dans le champ d'application de l'article 30 du traité, étant donné qu'elle affecte les échanges de la manière décrite ci-dessus.

23 Le fait qu'une telle mesure puisse résulter d'une convention internationale antérieure au traité ou à l'adhésion d'un État membre et que l'État membre maintienne cette mesure en vertu de l'article 234 nonobstant son caractère d'entrave n'a pas pour effet de la soustraire du champ d'application de l'article 30, car l'article 234 n'intervient que si la convention impose à un État membre une obligation incompatible avec le traité.

24 Il y a donc lieu de répondre à cette question en ce sens que l'article 30 du traité s'applique à une pratique nationale interdisant l'importation de stupéfiants visés par la convention et susceptibles d'être commercialisés en vertu de celle-ci.

Sur la question 1b)

25 Par cette question, la juridiction nationale vise en substance à savoir si l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'un État membre doit assurer le plein effet de cette disposition en laissant inappliquée une pratique nationale consistant à interdire l'importation de diamorphine, lorsque la pratique qui s'avère incompatible avec la norme communautaire est destinée à mettre en œuvre une convention qui, telle celle sur les stupéfiants, a été conclue par l'État membre concerné avec d'autres États membres et des États tiers antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ou à l'adhésion de cet État membre et dont le respect exigerait l'attribution de quotas entre entreprises intéressées et la mise en œuvre d'un système de contrôle efficace.

26 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, les dispositions de l'article 30 du traité priment toute mesure nationale contraire.

27 Toutefois, ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 2 août 1993, Levy (C-158-91, Rec. p. I-4287), l'article 234, premier alinéa, du traité a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international, que l'application du traité n'affecte pas l'engagement de l'État membre concerné de respecter les droits des États tiers résultant d'une convention antérieure, et d'observer ses obligations correspondantes.

28 Par conséquent, il importe, pour déterminer si une norme communautaire peut être tenue en échec par une convention internationale antérieure, d'examiner si celle-ci impose à l'État membre concerné des obligations dont l'exécution peut encore être exigée par les États tiers qui sont parties à la convention (arrêt Levy, précité, point 13).

29 Toutefois, ce n'est pas à la Cour, dans le cadre d'une procédure préjudicielle, mais au juge national qu'il appartient de vérifier quelles sont les obligations qui s'imposent, en vertu d'une convention internationale antérieure, à l'État membre concerné et d'en tracer les limites de manière à déterminer dans quelle mesure ces obligations font obstacle à l'application des articles 30 et 36 du traité (arrêt Levy, précité, point 21).

30 Ainsi, la juridiction nationale doit examiner si le respect de la convention à l'égard des États tiers exige l'attribution de quotas entre les entreprises intéressées et si le fait d'autoriser les importations rendrait impossible l'exercice, par l'État membre, du degré de contrôle exigé par la convention.

31 Au cours de la procédure, le Gouvernement du Royaume-Uni a fait valoir que la convention permettait aux États signataires d'interdire l'importation de stupéfiants sur leur territoire, mais qu'elle n'exigeait pas d'eux qu'ils adoptent une telle mesure.

32 A cet égard, il convient de relever que, lorsqu'une convention internationale permet à un État membre de prendre une mesure qui apparaît contraire au droit communautaire, sans toutefois l'y obliger, l'État membre doit s'abstenir d'adopter une telle mesure.

33 Il y a donc lieu de répondre à cette question que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'un État membre doit assurer le plein effet de cette disposition en laissant inappliquée une pratique nationale contraire, sauf si cette pratique est nécessaire pour assurer l'exécution par l'État membre concerné d'obligations envers des États tiers résultant d'une convention conclue antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ou à l'adhésion de cet État membre.

Sur la question 1c)

34 Par cette question, la juridiction nationale demande si un État membre est en droit de refuser une licence pour l'importation de stupéfiants provenant d'un autre État membre aux motifs que l'importation de stupéfiants à partir d'un autre État membre menace la viabilité de l'unique fabricant sous licence dans cet État et entraîne des risques pour la sécurité de l'approvisionnement en diamorphine à des fins médicales.

35 Il convient de rappeler que l'article 36 du traité permet à un État membre de maintenir ou d'introduire des mesures interdisant ou restreignant les échanges lorsque, d'une part, ces mesures sont justifiées, notamment, par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé et de la vie des personnes et que, d'autre part, elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce intracommunautaire.

36 Il résulte de la jurisprudence de la Cour que cette disposition vise des mesures de nature non économique (voir arrêt du 7 février 1984, Duphar e.a., 238-82, Rec. p. 523). Une mesure restrictive des échanges intracommunautaires ne peut dès lors être justifiée par le souci d'un État membre d'assurer la survie d'une entreprise.

37 En revanche, la nécessité d'assurer l'approvisionnement stable du pays à des fins médicales essentielles est susceptible de justifier, au regard de l'article 36 du traité, une entrave aux échanges intracommunautaires, dans la mesure où cet objectif relève de la protection de la santé et de la vie des personnes.

38 Il convient cependant de rappeler qu'une réglementation ou pratique nationale ne bénéficie pas de la dérogation de l'article 36 lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires (voir notamment arrêt du 20 mai 1976, De Peijper, 104-75, Rec. p. 613, point 17).

39 Il y a donc lieu de répondre à cette question qu'une pratique nationale consistant à refuser une licence pour l'importation de stupéfiants provenant d'un autre État membre ne bénéficie pas de la dérogation de l'article 36 du traité lorsqu'elle est justifiée par la nécessité d'assurer la survie d'une entreprise mais peut, en revanche, bénéficier de cette dérogation lorsque la protection de la santé et de la vie des personnes exige que soit garanti un approvisionnement stable de stupéfiants à des fins médicales essentielles et que cet objectif ne peut être atteint de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.

Sur la seconde question

40 Par cette question, la juridiction nationale vise à savoir si les entités visées par la réglementation communautaire applicable en matière de marchés publics, en particulier la directive 77-62, peuvent, lorsqu'elles souhaitent acquérir de la diamorphine, attribuer le marché en tenant compte de la capacité des entreprises soumissionnaires à assurer de manière fiable et constante l'approvisionnement du pays.

41 Aux termes de l'article 25, premier alinéa, de la directive,

"Les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés sont:

a) ...

b) ... lorsque l'attribution se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché en question: par exemple, le prix, le délai de livraison, le coût d'utilisation, la rentabilité, la qualité, le caractère esthétique et fonctionnel, la valeur technique, le service après-vente et l'assistance technique."

42 Selon l'arrêt du 20 septembre 1988, Beentjes (31-87, Rec. p. 4635), le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse laisse aux pouvoirs adjudicateurs le choix des critères d'attribution du marché qu'ils entendent retenir, ce choix ne pouvant toutefois porter que sur des critères visant à identifier l'offre économiquement la plus avantageuse.

43 Cette jurisprudence, qui est relative à des marchés publics de travaux, s'applique également aux marchés publics de fournitures, dans la mesure où il n'existe pas, sur ce point, de différences entre ces deux types de marchés.

44 Il s'ensuit que la sécurité d'approvisionnement peut faire partie des critères à prendre en compte au titre de l'article 25 de la directive pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse dans le cadre d'un marché visant à fournir, aux autorités concernées, un produit tel que celui en cause dans le litige au principal.

45 Il faudra toutefois que, dans un tel cas, la sécurité d'approvisionnement soit clairement indiquée comme critère pour l'attribution des marchés, conformément à l'article 25, deuxième alinéa, de la directive, qui prévoit que:

"... les pouvoirs adjudicateurs mentionnent, dans les cahiers des charges ou dans l'avis de marché, tous les critères d'attribution dont ils prévoient l'application, si possible dans l'ordre décroissant de l'importance qui leur est attribuée."

46 Le Gouvernement portugais fait cependant valoir que la spécificité de la diamorphine, eu égard notamment aux mesures de sécurité devant être prises en vue d'éviter tout détournement de ce produit, permet de passer le marché de gré à gré sans appliquer les procédures d'appel d'offres public ou restreint. Il se fonde à cet égard sur l'article 6, paragraphe 4, de la directive, telle que modifiée, qui prévoit que:

"Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'adjudication dans les cas suivants:

...

c) lorsque, en raison de leur spécificité technique ... la fabrication ou la livraison des fournitures ne peut être confiée qu'à un fournisseur déterminé;

..."

47 Le Gouvernement français parvient à la même conclusion en fondant son analyse sur l'article 6, paragraphe 1, sous g), de la directive, dans sa version originale, qui prévoit la passation du marché de gré à gré

"lorsque les fournitures sont déclarées secrètes ou lorsque leur exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l'État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de la sécurité de cet État l'exige".

48 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (voir, en dernier lieu, arrêt du 3 mai 1994, Commission/Espagne, C-328-92, Rec. p. I-1569, point 15), les dispositions de l'article 6 de la directive, modifiées, qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir l'effectivité de droits reconnus par le traité dans le secteur des marchés publics de fournitures, doivent faire l'objet d'une interprétation stricte.

49 Les informations communiquées à la Cour ne permettent pas, à ce stade, de considérer que la spécificité technique de la diamorphine et les mesures de sécurité à prendre pour éviter tout détournement rendent impossible le recours à l'appel d'offres public ou restreint. Au contraire, la capacité du soumissionnaire à mettre en œuvre des mesures adéquates de sécurité pourra être prise en compte comme critère pour l'attribution du marché, conformément à l'article 25 de la directive.

50 Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la seconde question préjudicielle que la directive doit être interprétée en ce sens qu'elle autorise les entités y visées, qui désirent acquérir de la diamorphine, à attribuer le marché en tenant compte de la capacité des entreprises soumissionnaires à assurer de manière fiable et constante l'approvisionnement de l'État membre concerné.

Sur les dépens

51 Les frais exposés par les Gouvernements du Royaume-Uni, français, irlandais et portugais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice (Queen's Bench Division), par ordonnance du 23 juin 1993, dit pour droit:

1) L'article 30 du traité CEE s'applique à une pratique nationale interdisant l'importation de stupéfiants visés par la convention unique de 1961 sur les stupéfiants et susceptibles d'être commercialisés en vertu de celle-ci.

2) L'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'un État membre doit assurer le plein effet de cette disposition en laissant inappliquée une pratique nationale contraire, sauf si cette pratique est nécessaire pour assurer l'exécution par l'État membre concerné d'obligations envers des États tiers résultant d'une convention conclue antérieurement à l'entrée en vigueur du traité CEE ou à l'adhésion de cet État membre.

3) Une pratique nationale consistant à refuser une licence pour l'importation de stupéfiants provenant d'un autre État membre ne bénéficie pas de la dérogation de l'article 36 du traité CEE lorsqu'elle est justifiée par la nécessité d'assurer la survie d'une entreprise mais peut, en revanche, bénéficier de cette dérogation lorsque la protection de la santé et de la vie des personnes exige que soit garanti un approvisionnement stable de stupéfiants à des fins médicales essentielles et que cet objectif ne peut être atteint de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.

4) La directive 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, telle que modifiée par la directive 88-295-CEE du Conseil, du 22 mars 1988, doit être interprétée en ce sens qu'elle autorise les entités y visées, qui désirent acquérir de la diamorphine, à attribuer le marché en tenant compte de la capacité des entreprises soumissionnaires à assurer de manière fiable et constante l'approvisionnement de l'État membre concerné.