Livv
Décisions

CJCE, 6e ch., 6 décembre 1990, n° C-343/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Max Witzemann

Défendeur :

Hauptzollamt München-Mitte

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. O'Higgins, Díez de Velasco, Kakouris, Kapteyn

CJCE n° C-343/89

6 décembre 1990

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 21 juin 1989, parvenue à la Cour le 6 novembre suivant, le Finanzgericht Muenchen a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 3, 9 et 12 à 29 de ce traité ainsi que de l'article 2 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après "sixième directive ").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Max Witzemann au Hauptzollamt Muenchen-Mitte (ci-après "Hauptzollamt ") au sujet du paiement, d'une part, de droits de douane et, d'autre part, de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après "TVA ") à l'importation pour l'introduction sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne de coupures de fausse monnaie.

3 Par arrêt du Landgericht Muenchen I du 16 février 1982, M. Witzemann a été condamné à une peine d'emprisonnement pour contrefaçon de monnaie, infraction punie par les articles 146 et suivants du Code pénal allemand. Ce jugement, qui est passé en force de chose jugée, a établi que, en 1981, M. Witzemann avait introduit sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne un lot de fausses coupures de dollars des États-Unis, dont il avait pris livraison en Italie.

4 Se fondant sur cette constatation, le Hauptzollamt a exigé de M. Witzemann le paiement de droits de douane et de la TVA à l'importation pour la fausse monnaie. L'imposition de droits de douane reposait apparemment sur le fait que l'origine communautaire de la marchandise n'était pas prouvée.

5 M. Witzemann a attaqué cette décision devant le Finanzgericht Muenchen, en faisant valoir que la perception des droits de douane et de la TVA à l'importation est contraire aux articles 9 et 12 à 29 du traité.

6 C'est dans ces conditions que le Finanzgericht a sursis à statuer et a posé à la Cour la question préjudicielle suivante :

"Les dispositions du traité CEE ((article 3, sous b), article 9, paragraphe 1, articles 12 à 29)) et de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (article 2, paragraphe 2), sont-elles à interpréter en ce sens qu'un État membre n'est pas autorisé à percevoir des droits de douane ni des taxes sur le chiffre d'affaires à l'importation sur des marchandises illégalement importées dont la fabrication et la commercialisation sont interdites dans tous les États membres - telle la fausse monnaie?"

7 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des antécédents du litige au principal, ainsi que du déroulement de la procédure et des observations déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Il y a lieu de relever que la question posée par la juridiction nationale se compose de deux branches qui portent respectivement sur l'imposition de droits de douane et sur la perception de la TVA à l'importation pour de la fausse monnaie.

Sur les droits de douane

9 Étant donné que le dossier de l'affaire au principal ne fait pas apparaître clairement la raison qui a poussé le Hauptzollamt à exiger le paiement de droits de douane sur un lot de fausse monnaie en provenance d'un autre État membre, il convient de noter, à titre liminaire, que des droits de douane à l'importation ne peuvent être perçus que sur des marchandises importées d'un État tiers dans le territoire douanier de la Communauté, et non sur des marchandises provenant d'autres États membres (articles 9 et 12 à 15 du traité).

10 Dès lors, il y a lieu de comprendre la première branche de la question comme visant, en substance, à savoir si l'importation de fausse monnaie dans le territoire douanier de la Communauté peut faire naître une dette douanière.

11 A cet égard, il convient de rappeler que, dans les arrêts du 26 octobre 1982, Wolf (221-81, Rec. p. 3681), et Einberger I (240-81, Rec. p. 3699), la Cour a dit pour droit qu'aucune dette douanière ne prend naissance lors de l'importation de stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d'une utilisation à des fins médicales ou scientifiques.

12 La Cour est parvenue à cette solution après avoir observé que l'importation et la commercialisation de stupéfiants, en dehors de ce circuit économique strictement surveillé, sont interdites dans tous les États membres, conformément aux engagements internationaux que ceux-ci ont assumés en la matière. Elle en a conclu qu'une dette douanière ne pouvait prendre naissance lors de l'importation de stupéfiants qui ne sont pas susceptibles d'être mis dans le commerce et intégrés à l'économie de la Communauté.

13 La Cour a encore relevé que l'instauration du tarif douanier, prévue par l'article 3, sous b), du traité, se situe dans la perspective des buts que l'article 2 assigne à la Communauté et des lignes de conduite que l'article 29 fixe pour la gestion de l'union douanière. Des importations de produits stupéfiants dans la Communauté, qui ne peuvent donner lieu qu'à des mesures répressives, sont tout à fait étrangères à ces buts et à ces lignes de conduite.

14 Cette manière de voir s'impose avec d'autant plus de force dans le cas de la fausse monnaie. En effet, d'une part, celle-ci fait également l'objet d'une convention internationale, à savoir la convention pour la répression du faux monnayage (Recueil des traités de la Société des Nations, vol. 112, p. 371), à laquelle tous les États membres, à l'exception du grand-duché de Luxembourg, sont actuellement parties et qui, en son article 3, oblige les parties contractantes à punir comme infractions de droit commun, en particulier, les faits frauduleux de fabrication ou d'altération de monnaie, la mise en circulation de fausse monnaie, ainsi que les faits d'introduire dans le pays ou de recevoir ou de se procurer de la fausse monnaie, sachant qu'elle est fausse, dans le but de la mettre en circulation. D'autre part, la fabrication, la détention, l'importation et la commercialisation de fausse monnaie, qu'il s'agisse d'une monnaie nationale ou étrangère, sont interdites dans tous les États membres.

15 Il s'ensuit que la fausse monnaie relève, dans tous les États membres, d'une interdiction d'importation ou de mise en circulation absolue, alors que le commerce et l'utilisation des stupéfiants pour des fins médicales et scientifiques restent autorisés.

16 Il y a donc lieu de répondre à la première branche de la question posée que le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu'aucune dette douanière ne peut prendre naissance lors de l'importation de fausse monnaie dans le territoire douanier de la Communauté.

Sur la TVA à l'importation

17 Par la seconde branche de sa question, le juge national demande, en substance, si l'article 2 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la TVA peut être perçue lors de l'importation de fausse monnaie dans la Communauté.

18 A ce sujet, la Cour a déjà constaté, dans son arrêt du 28 février 1984, Einberger II (294-82, Rec. p. 1177), que la TVA à l'importation et les droits de douane présentent des traits essentiels comparables en ce qu'ils prennent naissance du fait de l'importation dans la Communauté et de l'introduction consécutive dans le circuit économique des États membres et qu'ils constituent chacun un élément du prix de vente calculé de manière similaire par les opérateurs économiques successifs. Ce parallélisme est confirmé par le fait que l'article 10, paragraphe 3, de la sixième directive autorise les États membres à lier le fait générateur et l'exigibilité de la TVA à l'importation à ceux des droits de douane.

19 S'agissant des importations illégales de stupéfiants dans la Communauté, qui ne peuvent donner lieu qu'à des mesures répressives, la Cour a donc conclu que de telles opérations sont tout à fait étrangères aux dispositions de la sixième directive concernant la définition de l'assiette et, par voie de conséquence, à la naissance d'une dette fiscale en matière de TVA.

20 Pour les raisons exposées ci-dessus à propos des droits de douane, les considérations développées par la Cour en matière d'importation illégale de stupéfiants s'appliquent à plus forte raison dans le cas des importations de fausse monnaie.

21 Il y a donc lieu de répondre à la seconde branche de la question posée par le Finanzgericht Muenchen que l'article 2 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que la TVA à l'importation ne peut être perçue lors de l'importation de fausse monnaie dans la Communauté.

22 Cette constatation, tout comme celle afférente aux droits de douane, ne préjuge en rien la compétence des États membres pour poursuivre les infractions à leur législation en matière de fausse monnaie par des sanctions appropriées, avec toutes les conséquences que celles-ci impliquent, même dans le domaine pécuniaire.

Sur les dépens

23 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Muenchen par ordonnance du 21 juin 1989, dit pour droit :

1) Le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu'aucune dette douanière ne peut prendre naissance lors de l'importation de fausse monnaie dans le territoire douanier de la Communauté.

2) L'article 2 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que la TVA à l'importation ne peut être perçue lors de l'importation de fausse monnaie dans la Communauté.